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Le survivant de Boris Sagal

Seriez-vous une légende si vous étiez le dernier homme ? Dieu dit « je suis l’Alpha et l’Omega », le héros du film n’est que l’Oméga, la dernière des lettres de l’alphabet de la civilisation. Nous ne sommes pas chez Nietzsche, encore que… mais dans la paranoïa existentielle de l’auteur de science-fiction Richard Matheson, revu à la sauce Hollywood. C’est dire ! Je suis une légende (I am Legend) est un roman après l’Apocalypse, évidemment due à la guerre bactériologique. Soviétiques et maoïstes se sont foutus sur la gueule avec les gros sabots qu’on leur connait et la terre entière en a été contaminée. Seul un Blanc mâle, colonel et médecin (Charlton Heston), a tenté des vaccins contre la bactérie tueuse et le dernier, juste expérimental, a fonctionné : il a dû se l’injecter lui-même alors que son pilote d’hélicoptère l’a crashé parce qu’il subissait une brutale crise.

Depuis deux ans, l’ex-colonel Neville parcourt sa ville, Los Angeles, dans des autos choisies au hasard pour voir s’il n’existe pas d’autres survivants comme lui, mais aussi pour traquer ces bêtes malfaisantes de mutants que la maladie tue lentement en les dépigmentant et les rendant albinos sensibles à la lumière. Faut-il y voir une parodie de l’antiracisme qui sévissait à plein depuis les lois anti-discriminations des années 1964 et 65 ? Tout le monde pareil signifie le plus petit commun dénominateur, cette dépigmentation qui avilit et oblige à vivre en soutane noire avec capuche comme des moines reclus médiévaux, lunettes noires vissées au nez comme c’est la mode chez les afro-américains, ne sortant que la nuit comme des rats. D’autant que ce groupe qui se fait appeler « la Famille » est commandé par un gourou sectaire comme Charles Manson, grand-maître de la Manson Family et promoteur du meurtre de Sharon Tate en 1971. Ces dégénérés racistes qui voient en tout survivant de l’Ancien monde civilisé un enfant du Démon sont « des barbares ». Ils détruisent tous les vestiges de la civilisation (occidentale, blanche, industrielle et scientifique) dans une rage d’amour déçu, tels des écolos nouveau genre. Ils refusent ainsi les armes, sauf la lance et l’arc, ce qui convient bien au colonel, qui les arrose au fusil-mitrailleur.

Il a fait de chez lui une forteresse, passant directement du garage en sous-sol à porte télécommandée, à l’étage élevé où le mène un ascenseur privé. Un groupe électrogène alimenté par des réserves d’essence assure l’énergie et tient à distance la nuit les prédateurs jaloux par de puissants projecteurs qui les aveuglent au point de leur faire mal. C’est bien le signe qu’ils ne sont pas aimés de Dieu, qui est toute lumière, comme l’Eglise l’a repris des Grecs.

Le film est infidèle au roman et lui a enfanté un fils bâtard, moins subtil et plus porté sur l’action. On ne s’y ennuie pas, la mâchoire d’acier de Charlton Heston et ses muscles velus assurant leur dose de volontarisme et de bagarre. Trop sûr de lui, le colonel est piégé dans une cave d’hôtel en plein jour, puis attaché pour être brûlé sur le bûcher, après un grand discours moralisateur et une cérémonie menée par Matthias (Anthony Zerbe), en parodie des procès en hérésie et sorcellerie. Pour l’obscurantisme, la science serait en effet une sorcellerie à la Frankenstein et, pour les écolo-hippies les plus radicaux, une hérésie. Mais, comme dans les petites classes, c’est celui qui dit qui y est : le dégénéré brûlant le normal, le haineux jouant au vertueux, le malade se posant comme le seul bien-portant. Cela aurait quelque chose de grotesque et de risible si ce n’était le cas de toutes les sectes de la planète et de l’histoire, la dernière étant les fanatiques musulmans de la dèche. Ce pourquoi ce film un peu gros reste actuel.

Retournement attendu, le héros est sauvé in extremis par Dutch, un jeune homme admiratif, torse nu sous son blouson de cuir (Paul Koslo), et une jeune Noire préservée et coiffée afro comme Angela Davis (Rosalind Cash). En 1970, la fraternité hippie véhiculée par le rock de Woodstock, dont le colonel se projette le film souvenir, encourage au mélange potes. C’est ainsi que Dutch, étudiant en médecine de quatrième année avant l’Apocalypse, dirige un groupe d’enfants recueillis de toutes origines, un latino, un blond suédois, une bostonienne classique, et ainsi de suite. Une sorte d’antisecte, un groupe de néo-pionniers tourné vers la vie. Seul le jeune frère de Lisa, Richie (Eric Laneuville), adolescent noir de 13 ans, est atteint par la maladie. Neville va former un sérum à partir de son propre sang d’immunisé pour le soigner. D’enthousiasme, la jeune noire et le viril blanc roulent à terre pour baiser ; on avoue à Hollywood que c’est la première fois qu’un baiser interracial est exhibé au cinéma.

Mais la critique de la naïveté hippie ne manque pas de surgir aussitôt. Le gamin rétabli accuse le colonel d’être avant tout un militaire et pas un médecin. Soit il tue la secte maudite, soit il la soigne, lui-même penchant par humanité pour la seconde solution. Sauf qu’on ne discute jamais avec un fanatique, on ne peut que le combattre tant sa paranoïa l’empêche de considérer l’autre. A chaque fois, c’est lui ou vous : il n’y a ni moyen terme ni réhabilitation. L’ado idiot va donc chercher les sectaires, qu’il connait pour les avoir fréquentés au début, avant qu’il ne paraisse comme sa sœur « différent » et objet de soupçon parce qu’ils ne sont pas malades. Une fois dans les griffes de la secte en noir, il n’en sortira pas et Neville le découvrira éventré dans le palais de justice (un symbole !) qui leur sert de repaire.

Le sacrifice de l’innocent va cependant servir l’humanité, car nous sommes dans le biblisme intégral, comme les Yankees savent le renouveler dans un bégaiement spirituel sans fin. Neville est un nouveau Christ qui donne son sang pour les hommes ; il finira d’ailleurs sur une parodie de croix, affalé sur la sculpture « moderne » d’une fontaine futuriste, la lance du centurion sectaire plantée dans le côté droit. Mais le sérum est préservé, gardé sur son cœur, et Dutch vient le recueillir en moderne saint Jean, sorte de hippie raisonnable tourné vers le soin, sensuel et heureux – puisqu’il ne porte pas de chemise. A la tête de sa bande de mignons qu’il va régénérer par le vaccin, il ira refonder une Terre promise saine « dans les montagnes », ce lieu mythique des Américains où se trouve encore préservée la nature sauvage… Lisa, passée du côté secte par l’avancée de sa maladie, sera tirée vers la vie par Dutch qui la pousse dans la Land-Rover.

Notons bien le symbole des bagnoles : Neville commence en Ford décapotable, péniche flottante des années frimes, avant de choisir la Méhari Citroën à tout faire ; le groupe de survivants terminera dans ce bon vieux tout-terrain utilitaire Land-Rover dont les Yankees ne savaient pas produire l’équivalent jusque-là. Autrement dit, le message est clair : retour aux valeurs ancestrales de rigueur et d’utilité. L’humanité ne pourra survivre qu’en éliminant tout le clinquant et l’inutile de « la civilisation », toutes les simagrées de la vieille religion du fric et de la technique. Exit les marchands du Temple ! Le Christ enjoint de croire en l’amour et d’aller enseigner les nations. Il leur faut donc agir comme de vrais pionniers, démunis mais bricoleurs, rudes à la tâche et courageux, optimistes et aimants… En 1970, ce « retour aux vraies valeurs » avait un air d’anticipation.

DVD Le survivant (The Omega Man), Boris Sagal, 1971, avec Charlton Heston, Rosalind Cash, Anthony Zerbe, Paul Koslo, Eric Laneuville, Lincoln Kilpatrick, Jill Giraldi, Warner Bros 2003, 1h34, €12.90

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Jules Verne, Autour de la lune

jules verne autour de la lune livre de poche

Ce tome des Voyages extraordinaires est aussi passionnant qu’une expédition lointaine, même si la fantastique avancée de cet exploit en 1869 est aujourd’hui éclipsée par la réalité de l’exploit en 1969. Il peut se lire indépendamment du premier tome, De la terre à la lune ; il a d’ailleurs été écrit avant, l’auteur cherchant à justifier ensuite comment aller sur l’astre des nuits.

Le lecteur se souvient peut-être que les artilleurs du Gun-Club, au chômage après la guerre de Sécession, avaient imaginé un canon de 68 040 tonnes, long de 900 pieds, appelé Columbiad sur le principe inventé en 1811 aux Etats-Unis par George Bomford. Ce canon, fondu par 1200 fours dans la terre de Floride, avait propulsé par 400 000 livres de fulmicoton un obus d’aluminium de 19 250 livres à 11 000 yards par seconde, habité par trois hommes : Barbicane président du Gun-Club, Nicholl challenger irascible et Ardan, Français imaginatif.

A noter que, deux générations après la Révolution qui a imposé le système métrique, Jules Verne comme ses lecteurs continuaient à parler en pieds, lieues et livres… tout comme nos vieux avec les « anciens » francs. Mais cet aspect archaïque ajoute aujourd’hui au charme de la lecture.

Voilà donc nos compères, deux chiens, quelques poules et un coq voguant dans l’espace. Ils n’ont pas été écrasés par la poussée, ni grillés vifs par l’explosion, ni ne connaissent l’apesanteur, ni ne voient leur air expulsé lorsqu’ils ouvrent le hublot. Ce sont quelques-unes des neuf erreurs de Jules Verne (voir la référence plus bas), conscientes ou non, pour assurer une base réelle à son bond dans l’anticipation. Les trois compères vivent comme en chemin de fer Pullman dans leur obus-wagon, ils ont de l’eau, des aliments, du gaz d’éclairage et de chauffage, un appareil régénérateur d’air – et du vin de qualité ; ils peuvent observer l’espace au travers de quatre hublots, munis de lunettes de marine puissantes pour rapprocher la surface lunaire.

cratere de tycho sur la lune

Mais le voyage en huis-clos serait monotone si ne survenaient quelques péripéties telles que bolides enflammés, chien tué, excès d’oxygène, froid sidéral et autres erreurs de trajectoire. En maître du théâtre, Jules Verne campe trois caractères qui se répondent et font le mouvement.

Barbicane est un pragmatique calculateur, au nom de meurtrière – ouverture étroite et verticale en défense – ce qui rend bien son aspect froid et prudent ; mais son nom est aussi celui d’un fameux théâtre de Londres, ce qui ouvre à une certaine hauteur de vue qui va jusqu’à la religion.

Nicholl, qui l’a défié et parié sur ses échecs avant de perdre avec panache, est à l’inverse le scientiste pur qui ne croit qu’à la matière et à ce qu’il voit, un vrai « chronomètre (…) à huit trous », dit l’auteur.

Ardan, anagramme de Nadar l’aérostier photographe cher à Jules Verne, est « le Français » bon vivant et enjoué, candide en maths et poète à ses heures. Là où Barbicane ne voit que des étendues volcaniques sans vie, lui voit des traces d’un empire écroulé. « Cet amoncellement de pierres assez régulièrement disposées, figuraient une vaste forteresse, dominant une de ces longues rainures qui jadis servaient de lit aux fleuves des temps antéhistoriques. (…) il apercevait les remparts démantelés d’une ville ; ici, la voussure encore intacte d’un portique ; là, deux ou trois colonnes couchées sous leur soubassement ; plus loin, une succession de cintres qui avaient dû supporter les conduites d’un aqueduc ; ailleurs, les piliers effondrés d’un gigantesque pont, engagé dans l’épaisseur de la rainure. Il distinguait tout cela, mais avec tant d’imagination dans le regard, à travers une si fantaisiste lunette, qu’il faut se défier de son observation » (chap. XVII). Il suffit de chercher images de la face de la lune dans un moteur de recherches pour constater aujourd’hui que certains continuent à voir « des extraterrestres » dans les circonvolutions lunaires.

face cachee de la lune

Les astronautes passent assez loin de la surface de l’astre, ce qui ne leur permet que des hypothèses sur ce qu’ils observent – et la face cachée est entièrement dans l’obscurité, si bien qu’ils n’y voient pas plus que les astronomes terrestres. Tout cela est bien commode pour ne pas trop s’avancer. Si Jules Verne étaye ses chapitres de descriptions précises puisées chez Arago, ou de formules algébriques inouïe dans la littérature populaire pour la jeunesse, ce n’est qu’un trompe-l’œil. Il saute les erreurs et approximations scientifiques par convention romanesque.

La quête de la lune promise est cependant une offense au divin, la preuve d’un orgueil humain presque démesuré, malgré la précision des calculs et la prudence des affirmations. La référence à Dieu n’est pas absente, les fois où les choses n’ont pas été prévues. Et nos modernes Moïse (cité chap. XIX), s’ils voient de près la terre promise, ne l’atteindront jamais. Tenter d’égaler Dieu fait l’objet d’un châtiment, ici bénin, mais qui montre combien le spirituel est loin d’être absent de cette aventure de science pure. L’arbre de la Connaissance n’a-t-il pas été interdit à Adam par le Créateur ? Même s’il l’a obligé à travailler ensuite pour gagner sa vie – donc à découvrir les techniques de maîtrise de la nature.

C’est pourquoi Jules Verne maintient l’ambivalence : la science est aussi poésie, la quête du savoir un voyage touristique. L’offrande à la beauté de l’univers est faite sans vergogne, au-delà de l’aridité des chiffres : « C’était un spectacle sans égal que celui de ces longues traînées lumineuses, si éblouissantes dans la Pleine-Lune, et qui dépassant au nord les chaînes limitrophes, vont s’éteindre jusque dans la mer des Pluies » (chap. XII).

jules verne voyages extraordinaires pleiade

Jules Verne, Autour de la lune, 1869, Livre de poche 2003, 255 pages, €4.60

e-book format Kindle, €4.49

Jules Verne, De la terre à la lune, suivi de Autour de la lune, Archipoche 2015, 496 pages, €12.00  

Jules Verne, Voyages extraordinaires : Voyage au centre de la terre, De la terre à la lune, Autour de la Lune, Le testament d’un excentrique, Gallimard Pléiade 2016, 1346 pages, €50.00 

Jules Verne, Œuvres complètes entièrement illustrées (160 titres, 5400 gravures), Arvensa éditions 2016, format Kindle, €1.79 

Charles-Noël Martin, Les 9 erreurs de Jules Verne sur les jeux de la mécanique céleste, Science et Vie n°618, mars 1969, €3.00 occasion

Les romans de Jules Verne chroniqués sur ce blog

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Michel Tournier, Éléazar ou La source et le buisson

michel tournier eleazar

Cette longue nouvelle se veut court roman mais il manque de souffle. A force de dépouillement, le style du conte peine à suivre le mythe sous-jacent. A force de réduire un livre à l’armature, l’auteur peine à emporter le lecteur. Comme dans Gilles et Jeanne, nous avons un script de scénario, pas une véritable œuvre littéraire.

Après lecture du Moïse de Chouraqui, Michel Tournier s’est pris à rêver du conducteur de peuple négociant avec le Dieu unique un territoire pour patrie. Terre promise ou Source jaillissante ? La véritable Terre promise n’est pas d’ici-bas… Yahvé est très clair là-dessus : il se sublime dans le désert sous la métaphore du Buisson. Seul le feu, parce qu’il est consumation de la matière, élève vers l’Éternel en faisant sortir du monde. Or les gens veulent avant tout vivre cette vie ; ils rêvent à la source réelle avant la spirituelle. Ils désirent les gras pâturages où faire croître le veau gras et nourrir de robustes enfants.

Le Dieu jaloux veut tout pour lui et néglige les humains. Moïse doit le supplier pour qu’il fasse jaillir l’eau dans le désert, alors que le désert est l’endroit que Dieu préfère : l’austérité absolue, la géhenne du Passage avant cet Autre monde promis, là-haut. En frappant plutôt deux fois qu’une le rocher pour solliciter la source où le peuple altérer va pouvoir s’abreuver, Moïse va vexer le Dieu jaloux (pas très Parfait pour un dieu unique…). Ce pourquoi Yahvé va garder Moïse au désert et ne lui permettra pas d’entrer dans la Terre promise d’Israël.

De cette barbarie d’Ancien testament, Tournier veut tirer un conte moderne. Il transforme Moïse en berger irlandais qui garde adolescent les moutons d’un propriétaire au milieu des grasses prairies où l’eau coule sans cesse. Fouetté ado, le garçon va plus tard frapper de son bâton (en forme de serpent) un intendant fouettard et le tuer – tout comme Moïse. Hanté par ce crime, il va vouloir quitter le pays avec toute sa famille.

Sa Terre promise est la Californie, espace « vierge » où coule le lait et le miel. Mais les Sept plaies d’Égypte, y compris la (presque) mort du Premier né, vont s’abattre sur le petit peuple émigré (réduit à quatre, les parents et deux enfants). La rencontre avec le serpent crotale, puis avec l’indien Serpent agile, enfin avec José le cruel serpent qui s’insinue auprès de ses victimes pour les endormir, est lourdement martelée. Le serpent serait le plus beau des anges, déchu et privé de tous ses attributs : bras, jambes, sexe, en lui tout est visage puisqu’il n’a pas de paupières.

Malgré quelques moments ironiques dus à la petite Cora, le lecteur ne s’attache à aucun des personnages. Éléazar est un pasteur protestant rigoriste, toujours fourré dans la Bible dont il ouvre au hasard les pages pour y trouver la voie. Comme l’Ancien testament occupe les neuf dixièmes du volume, il s’enfonce dans la rigidité et oublie un peu l’amour…

Ni fait ni à faire, ce pseudo « roman » est trop court pour nous enchanter (comme Gaspar, Melchior et Balthazar) et trop long pour nous édifier par une chute morale.  Lorsqu’il publie à 73 ans ce livre, l’écrivain paraît bien fatigué, incapable d’approfondir, se contentant du conte. C’est un peu court pour laisser une œuvre majeure de plus. Cela convient en revanche aux fourbus de lire, qui apprécieront de courir à toute vitesse et en surface avant de zapper sur autre chose. Toute notre époque…

Michel Tournier, Éléazar ou La source et le buisson, 1996, Folio 1998, 129 pages, €4.80

Les œuvres de Michel Tournier déjà chroniquées sur ce blog

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Purification ethnique ?

L’incitation vient d’un commentaire sur ma note à propos des bobos de gauche et du Comité de vigilance anti-daeshiste qu’ils n’ont toujours pas fondé… Faut-il « purifier » l’Europe de tous ceux qui sont « allogènes » et non-assimilables ? Mon commentateur déclarait : « la seule solution possible est l’épuration ethnique. Je rappelle pour les amnésiques que les musulmans sont des experts en le domaine d’abord en Égypte dès 1947 où l’administration du roi Farouk faisait en sorte que les Égyptiens n’ayant pas un patronyme musulman soient dans l’impossibilité de trouver un travail ou d’acheter un bien immobilier, ce qui a amené progressivement mais assez vite à l’éradication du sol de l’Égypte des égyptiens d’origine grecque et italienne par exemple. Voir aujourd’hui ce qu’est Alexandrie par rapport à l’Alexandrie de Durrel… Est-il besoin de rappeler le célèbre « la valise ou le cercueil » à Alger en 1962 ? » Il s’agirait donc d’appliquer aux musulmans ce qu’ils pratiquent eux-mêmes : la purification de la société.

Mais nos valeurs « républicaines » de Liberté-Egalite-Fraternité et notre aspiration à l’universel représentent-elles l’équivalent d’une « religion » ? Notre neutralité laïque est-elle un instrument de combat intolérant à toutes les croyances ? Refermer ce qui a fait notre histoire, la libération progressive de toutes les contraintes pseudo « naturelles » qui déterminent chacun, est-elle la solution ? Certains le prônent : fermer les frontières, renationaliser l’économie, établir un État fort et inquisiteur. Je ne crois pas que cela améliorerait les choses. Réaffirmer tranquillement le droit – et le faire appliquer sans faiblesse malgré les zassociations et les bêlements outrés des bobos angéliquement « de gôch » – OUI. Chercher dans ce qui nous arrive une sorte de péché originel à confesser pour faire amende honorable – NON. Pas de « révolution nationale » – on a vu ce que cela avait donné : une démission collective dans la lâcheté.

Il convient de parler de tout pour réactualiser sans cesse la « liberté d’expression », mais selon la raison, afin de bien comprendre ce que recouvrent de fantasmes sous-jacents les slogans affichés. Ce démontage raisonné permet d’être mieux être à même de les évaluer s’ils envahissent le paysage politique

Je ne crois pas pour ma part à l’intérêt pratique d’un transfert de masse de populations reconnaissables à leur faciès, ni ne souscris aux fantasmes de pureté qu’il recouvre. Le mythe de la « race » pure ou de la religion des origines, le mythe d’un l’âge d’or à retrouver, l’an 01 des bases « saines » ne sont que des illusions consolatrices. Tous les millénarismes ont joué de cette corde sensible pour rameuter les foules ; tous les totalitarismes se sont imposés sur ces fantasmes régressifs pour assurer leur pouvoir. Sans résultat : nous sommes ici et aujourd’hui, pas dans le passé imaginaire, sur une planète où tout réagit sur tout (à commencer par le climat et les ressources), dans une ère de communication instantanée qui ne fait que prendre son essor. C’est au présent qu’il nous faut agir – sans se réfugier dans le jadis.

La purification ethnique, ce n’est pas nouveau, ce n’est pas la solution. Sans remonter trop loin (expulsion des Maures d’Espagne en 1492, révocation et exil des Protestants sous Louis XIV, lois discriminatoires de Vichy), prenons trois exemples emblématiques de purifications ethniques réalisées : la turque, la nazie, la salafiste. À chaque fois ce sont les mêmes fantasmes manipulés, à chaque fois les mêmes ressorts politiques, à chaque fois les mêmes conséquences antihumaines – tant pour les victimes que pour les bourreaux.

armeniens nus genocide turc 1915

En 1908 accèdent au pouvoir les Jeunes Turcs qui veulent refonder le pays en État-nation après la fin de l’empire. Les défaites des guerres balkaniques 1912-13 et la perte des territoires européens entraînent en 1912, à initiative des autorités, le boycott des chrétiens Grecs et Arméniens de Turquie. La volonté du nouvel État est : islamisation, turquification, restauration conservatrice. Il s’agit de purifier le pays afin d’homogénéiser la population et de favoriser son assimilation. L’idée de départ est de vider le territoire turc de tous les Grecs, Syriaques et Arméniens, pour y importer des musulmans migrants depuis le reste des Balkans. C’est la guerre de 14 qui rend propice l’éradication physique des Arméniens, les puissances ayant leur attention détournée. Héritage des massacres sous le sultan Abdullamid II en 1894-96, les Arméniens sont considérés comme des ennemis de l’intérieur et n’ont pas d’État protecteur (la Russie se méfie d’eux tandis qu’elle a protégé les Bulgares, et les Occidentaux les Grecs). La décision d’extermination est prise entre 20 et 25 mars 1915 et confiée de façon non-officielle à des groupes paramilitaires. Il y aura près de 2 millions de morts, les Grecs seront expulsés en masse dans les années 1920. La Turquie n’a pas encore fini, en 2015, de payer ce crime contre l’humanité. Son entrée dans l’Union européenne tarde (et n’est pas souhaitable) car elle reste un pays archaïque et sa réislamisation l’éloigne des valeurs du reste de l’Union ; son appartenance à l’OTAN pourrait être remise en cause, tant elle aide les daeshistes en leur achetant en contrebande leur pétrole et en laissant ses frontières ouvertes aux combattants internationaux et aux blessés salafistes.

Qu’est-ce que le massacre ethnique a apporté à la Turquie ? Un appauvrissement en compétences durant tout le reste du XXe siècle, une population toujours en majorité soumise à la superstition et peu éduquée, une suspicion de ses alliés occidentaux. Le nationalisme ethnique ne permet pas d’être plus fort, mais plus faible…

mesurer la race blonde le roi des aulnes film

La purification ethnique nazie est d’une ampleur inouïe, mais n’a pas mieux réussi à redresser le pays. C’est au contraire la défaite – totale et humiliante – de l’Allemagne en 1945 qui a permis l’essor économique, la stabilité politique et la réintégration de ce grand peuple à l’histoire du monde. Tout commence avec l’antijudaïsme chrétien : peuple déicide et communauté à part qui refuse de s’assimiler car persuadée d’être le peuple élu, le Juif est écarté de la propriété féodale et des corporations, il n’exerce que des métiers méprisés comme le commerce, l’usure, le prêt sur gage. L’essor industriel et le déracinement capitaliste aggravent les tensions économiques, culturelles et sociales. Les Juifs ont l’habitude de manier l’’argent et de faire du commerce, ils participent bien plus que d’autres à la prospérité économique sous Bismarck ; ils font donc des envieux. Nombre d’intellectuels rêvent du retour à la nature, de la santé à la campagne (si possible tout nu au soleil), ils critiquent la modernité aliénante de la ville et de l’usine pour rêver d’un âge d’or tout imbibé de romantisme. Des liens se nouent entre nationalisme pangermanique, doctrine raciale, antisémitisme et darwinisme social. La République de Weimar, née de la défaite de 1918, promeut tous les citoyens à égalité, donc les Juifs : c’est insupportable pour les pangermanistes qui les voient comme des traîtres. Les révolutionnaires de gauche sont souvent juifs (Karl Marx, Rosa Luxembourg). Les Juifs sont les boucs émissaires commodes de toutes les injustices commises en Allemagne et contre elle. La crise mondiale des années 30 et l’hyperinflation s’ajoutent à l’amertume de la défaite et la perte de territoires. Le peuple traumatisé entre en régression émotionnelle et cherche refuge sous la poigne d’un homme fort. Hitler fait du Juif le principe cosmique du Mal, l’acteur même du complot politique mondial, le bacille infectieux de tout ce qui affaiblit : internationalisme, démocratie, marxisme, pacifisme, capitalisme apatride, marchandisation. Dans son discours au Reichstag le 30 janvier 1939, Hitler éructe qu’il va exterminer tous les Juifs d’Europe. Dès 1938, l’Allemagne encourage l’émigration juive, puis choisit l’expulsion des Juifs allemands jusqu’en 1941. La défaite française ouvre Madagascar (proposé fin 1938 à Ribbentrop par le ministre français des Affaires étrangères Georges Bonnet), mais la résistance de l’Angleterre empêche le plan. Suivent la déportation en Pologne puis la concentration en camps d’extermination industrielle : tous les Juifs doivent disparaître de l’espace vital de la race allemande – mais aussi comme diaspora menaçante et complotiste hors de cet espace vital (conférence de Wannsee en janvier 1942). Car la guerre qui se retourne en URSS et l’entrée des USA poussent à la « solution finale ».

Qui ne finit rien du tout et ne ramène nul âge d’or – malgré les quelques 6 millions de Juifs exterminés… L’Allemagne a perdu des cerveaux inestimables tels que les physiciens Albert Einstein et Max Born, le biologiste Otto Fritz Meyerhofle, les compositeurs Arnold Schönberg, Kurt Weill et Paul Hindemith, le chef d’orchestre Otto Klemperer, les philosophes Theodor Adorno, Hannah Arendt, Ernst Bloch et Walter Benjamin, les écrivains Alfred Döblin et Lion Feuchtwanger, les architectes Erich Mendelsohn et Marcel Breuer, le sociologue Norbert Elias, les cinéastes Fritz Lang, Max Ophuls, Billy Wilder, Peter Lorre et Friedrich Hollandern, l’actrice Marlène Dietrich…

arabe muscle

Aujourd’hui Daesh, sur ce territoire laissé vide entre Irak et Syrie, instaure le Califat pour éliminer de sa population tous les éléments “impurs“. Il œuvre à éradiquer à la fois Chiites, Chrétiens, Yézidis, Zoroastriens – et les Juifs, s’il en reste ! Il rejette la conception occidentale de l’État-nation (construction d’un vouloir-vivre en commun forgé par une population hétérogène) au profit de la Communauté (oumma) des « seuls » croyants en l’islam dans sa version salafiste djihadiste, régie par la « seule » loi divine intangible (charia). Tous les individus sont niés au profit du collectif – ceux qui résistent sont éliminés. Leur retour de l’âge d’or est celui des premiers temps (salaf = compagnon du Prophète) et leur avenir est la fin des temps (qu’ils croient toute proche). Il faut donc se purifier et éliminer les impies par la violence. Ce culte de la force mâle à qui tout est permis au nom de Dieu attire les déclassés du monde entier qui peuvent assouvir leurs bas instincts sans connaître grand-chose de l’islam. Décapiter est la pratique rituelle envers les animaux : elle vise à faire sortir les victimes de l’humanité, tout en leur ôtant l’âme éternelle (qui siège dans la tête). Établir la Cité de Dieu sur la terre entière permet de faire rêver, les sites Internet et surtout les vidéos de propagande attisent la soif d’action et le ressentiment. Le nazisme avait déjà séduit une partie des dirigeants arabes dans les années 30 (Nasser, le grand mufti de Jérusalem…). Daesh partage avec l’Arabie Saoudite la même vision salafiste de l’islam, la glorification du djihad, les mêmes adversaires chiites. Mais les Saoud ont instrumentalisé la religion pour imposer leur légitimité politique sur les Lieux saints et contre le nationalisme arabe alentour. Ben Laden avait dénoncé l’hypocrisie de la monarchie qui ne respecte pas les principes salafistes (en autorisant par exemple des soldats impies – et même des femmes soldates dépoitraillées ! – sur le sol béni en 1991).

Quel avenir a ce millénarisme ? Probablement aucun, tant il coalise contre lui les États de la région, les grandes puissances mais aussi les opinions un peu partout sur la planète, outrées de voir de petites Shoah fleurir un peu partout selon le bon plaisir des sectaires. Quant à l’islam majoritaire… il se tait, fait profil bas devant la violence des Frères. Lâchement.

daesh crucifie les chretiens

Mais les États jouent chacun leur petit jeu diplomatique, sans guère se préoccuper de la menace pour l’humanité que sont ces crimes quotidiens. Barak Obama, qui ne cesse de décevoir depuis sa première élection, ignore l’Europe, ne veut pas fâcher la Russie ni mécontenter l’Iran, avec qui il négocie sur la prolifération nucléaire. Il joue l’inertie et son opinion manifestement s’en fout, puisqu’il n’y a pas d’Américains ni de Juifs crucifiés (comme les chrétiens d’Irak), décapités (comme les journalistes japonais ou les coptes d’Égypte), ni grillés vifs (comme un pilote jordanien). L’Europe est impuissante, nain politique, les seules puissances militaires (Royaume-Uni, France) gardant la culpabilité du colonialisme et des budgets exsangues. Quant à la Turquie, elle joue le même rôle ambigu avec les daeshistes que le Pakistan avec les talibans et le Qatar avec les Frères musulmans : une complicité objective.

Ce que veulent les quelques 2 à 3000 salafistes sectaires en France, c’est aller « faire le djihad » puis, auréolés d’une gloire factice auprès des « petites frères » des banlieues laissées pour compte par l’indifférence de la droite (yaka mettre des flics) et l’angélisme de la gauche (yaka mettre des moyens), tenter de déstabiliser la société mécréante par des attentats, du prosélytisme, des réactions violentes. Dès lors, la « purification ethnique » est ce qu’ils veulent : que la société des « sous-chiens » chasse les « arabes » afin qu’ils n’aient plus qu’à se soumettre aux « bons » salafistes qui vont les accueillir (à condition d’obéir). En bref quelque chose analogue au scénario juif (qu’ils envient), la terre promise après les camps…

Ce noir-et-blanc peut-il régler définitivement les problèmes de démocratie en France, d’inanité scolaire, de pauvreté, d’étatisme forcené ? J’en doute. Expulser les délinquants récidivistes et les priver de leur nationalité française imméritée (s’ils en ont une autre…), est possible. Mais ce sont les banlieusards nés et élevés en France – donc Français – qui ont sombré dans le salafisme sectaire après être passés par la case voyou. Tout comme les gauchistes idéologues d’Action directe il y a peu contre « le système ». Faudrait-il réviser – comme sous Vichy – les naturalisations sur trois générations ? Ou faire des « tests ADN » (autre nom du compas nazi à mesurer les crânes) pour décréter qui est digne d’être Français ou pas ? Nous serions aussi ridicules que la Corée du nord et sûrement pas suivis par les pays de notre Europe… C’est pourtant le parti des Le Pen qui laisse prôner ce « grand remplacement » à l’envers. L’histoire montre ce que cela a donné. Vous me pourrez pas dire que vous avez voté sans savoir !

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Herman Melville, Israël Potter

Ce Potter là n’est pas le grand-père de Harry le sorcier, mais un aventurier de l’indépendance américaine. Né sauvage dans le Massachusetts, il s’engage dans la milice sur une déception amoureuse et combat à Bunker Hill le 17 juin 1775, première bataille importante des révoltés américains contre les Anglais. Embarqué, il est fait prisonnier à Portsmouth, s’évade et rencontre King George III dans les jardins de Kew où il ratisse le gravier. Il s’enfuit et rejoint des comploteurs de l’indépendance qui l’envoient en mission à Paris auprès de Benjamin Franklin.

De retour en Angleterre, caché dans une cellule secrète, il trouve le temps long : son mentor est mort sans qu’on lui dise. Il s’évade à nouveau et rencontre Paul Jones, corsaire américain sur les côtes de Grande-Bretagne. Un soir d’engagement avec un bateau de guerre anglais, il tombe du mauvais côté et se retrouve enrôlé par l’équipage de Sa Majesté ! Il s’évade encore une fois touché terre et se fond dans les faubourgs de Londres où il subsiste de petits boulots avant de faire dix enfants. Un seul survivra, un fils, qui l’emmènera sur ses très vieux jours retrouver les monts américains de son enfance.

De cette histoire, contée par l’aventurier dans un médiocre opuscule, Melville tire un hymne à l’esprit américain. La mentalité pionnier fait toujours se débrouiller, quelles que soient les vicissitudes de l’existence. Au soir de sa propre vie, Melville voit dans celle de l’aventurier un reflet de la sienne. Il a eu des fils, les deux sont morts ; subsistent ses deux filles. De son œuvre écrite, il ne réussit pas à vivre, se débrouillant d’expédients. Ses livres sont comme ce vieux tas de bois pourri par les décennies que Potter retrouve soixante-dix ans plus tard sous un hêtre. Gloire ? patriotisme ? écriture ? Pfuitt ! Tout passe, tout casse, la vie est pleine de bruit et de fureur, contée par un idiot.

Potter, c’est Melville. Ce pourquoi il s’investit dans la réécriture de cette existence réelle, modifiant certaines dates, inventant par l’imagination les scènes peu développées. Ce n’est pas ‘Moby Dick’, mais une même quête, celle de son propre destin. Une quête mythique qui rejoint celle de la Bible et du Peuple élu, l’Américain cherchant la Terre promise comme jadis les Hébreux, éternel rebelle aux puissances établies, éternel fugitif des polices des nantis.

Ce récit feuilletonesque est rempli d’aventures, de portraits historiques au ras du peuple, sans ce gonflant de la grande histoire. Il se lit bien, d’un style direct qui ne sacrifie pas au lyrisme habituel au 19ème siècle et qui a bien vieilli. Pipol avant la lettre, épique pour adolescent, philosophe malgré lui dans la lignée de Shakespeare, ’Israël Potter’ est un roman américain.

Herman Melville, Israël Potter, 1855, Aubier-Montaigne, 294 pages, €17.67 

Herman Melville, Israël Potter, Œuvres tome 4 (avec Bartleby et Billy Budd), Gallimard Pléiade, 2010 

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