Samarcande, musée d’Afrosiob et observatoire

Après le gros du cagnard, nous allons visiter un bout de Samarcande. Comme chez Agatha Christie, les « Dix petits nègres » ne sont plus que huit. Les deux autres sont restés au Tadjikistan, en attente d’un visa neuf.

Direction le musée d’Afrosiyob. C’est l’ancien nom de Samarcande.

Il évoque l’histoire du site sogdien à l’origine de la ville, depuis la forteresse et les ossuaires, les céramiques et les pièces grecques, jusqu’au mihrab zoroastrien et les inscriptions sogdiennes sur les poids marchands.

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Un panneau explicatif en ouzbek et en anglais nous éclaire sur le passé. Au 1er millénaire avant notre ère, l’agriculture était déjà florissante ici. Dès le 8ème siècle, des cités entourées de murailles défensives se développent dans la région. Il existait probablement déjà des états et la société devait connaître des classes hiérarchisées.

Depuis l’origine, Samarcande est un lieu d’échanges sur les routes commerciales. Capitale de Sogdiane, la cité comprend une acropole et une élite militaire. Les hymnes de l’Avesta mentionnent Samarcande comme créée par Ahura Mazda. Au 6ème siècle avant, la Sogdiane devient partie de l’empire perse ; c’est une satrapie qui fournit de l’or et du lapis-lazuli comme la Bactriane. Se développent alors dans la ville les quartiers des artisans du métal, de la poterie, du tissage. On trouve des bijoux en bronze, des décors en pierre, des objets en os. Des canaux et un système d’irrigation sophistiqué distribuent l’eau dans la ville et aux alentours.

Le clou du musée est la salle des fresques. Dans une semi-pénombre sont conservées des fresques sur murs de terre sèche qui se lisent de l’ouest au sud de celle salle d’apparat où le roi recevait les dignitaires. Sur la paroi ouest se reconnaissent Varkhuman, roi de Samarcande vers 650-670, les épouses sur un éléphant, la procession des dignitaires. Tous se dirigent vers un mausolée. Les têtes sont blanches ou brunes pour dire la variation de la population d’époque. La paroi nord montre les envoyés chinois apportant de la soie à Varkhuman, au sommet de la fresque, entouré de gardes turcs et de chambellans. La paroi est représente une barque emplie de musiciennes et l’impératrice de Chine qui réconcilie deux concubines. Des Chinois chassent la panthère à cheval. La fresque de la paroi sud est peu visible, mal conservée. Elle représente probablement le paradis indien où s’ébattent des enfants nus et des buffles.

Nous allons faire un tour sur la citadelle qui s’élève à côté du musée. La chaleur est accablante, conservée et réverbérée par la terre sèche. Peu de choses à voir, un « chaos » au sol comme à Pendjikent. Mais à cet endroit s’élevait le premier Samarcande, c’est toujours émouvant de s’en rendre compte.

Nous poursuivons par la visite de l’observatoire astronomique de Mirzo Oulougbek (1394-1449). Petit-fils de Tamerlan, il a régné 40 ans mais préférait l’étude. Il a fait bâtir le sextant géant qui est conservé en 1428, il a composé un catalogue d’étoiles et des tables astronomiques restées inégalées jusqu’à Ticho Brahe. Détruit après sa mort par un clergé islamique jaloux et intolérant, l’observatoire d’Oulougbek a été retrouvé en 1908 par les archéologues russes dont le chef de mission, Viatkin, est enterré à côté.

De forme ronde d’un diamètre de 46 m, l’édifice s’élevait sur deux étages dont il ne reste que les fondations. Une tranchée a conservé le sextant dont la longueur des arcs est de 63 m, creusé dans la roche dure de l’un des monts Koukhak.

Oulougbek est représenté de façon lyrique dans le petit musée attenant. Un jeune page aux joues rouges et à la taille fine lui offre une coupe de fruits tandis que lui a le regard levé vers les étoiles. Toutes les tentations de la terre ne l’ont pas détournées de son obsession cosmologique et mathématique. Voilà bien un héros de la science à la manière soviétique. Des miniatures délicates montrent des scènes de chasse, de construction du palais, de culture des champs.

Reprenant le bus, nous constatons un embouteillage sur la grande voie qui mène à Tachkent. Rios nous explique que tout le monde s’arrête ici pour acheter du pain de Samarcande. Il serait incomparable : serré, il se conserve. Les appelés au service militaire ont pour tradition de rompre le pain à leur départ et de manger le morceau qu’ils ont laissé dans leur chambre à leur retour – juste en le trempant dans l’eau. Une belle histoire nationaliste veut que Tamerlan – Timour le boiteux – emporte toujours du pain de Samarcande pour son armée lorsqu’il partait guerroyer. Un jour, il s’est dit que c’était peu économique : autant faire le pain sur place. Mais le premier essai fut raté, le pain n’était pas bon. Un second essai fut réalisé avec le boulanger de Samarcande, que l’on fit venir exprès, le pain n’était toujours pas bon. Un troisième essai fut réalisé en faisant venir aussi du blé de Samarcande, le pain n’était encore une fois pas bon. Le quatrième essai a fait venir de l’eau de Samarcande, le cinquième essai avec le four en terre spéciale du sol de Samarcande – le pain n’était toujours pas bon. Alors quoi ? La matière première, le savoir-faire, les instruments ne suffisaient pas à réaliser du pain bon comme à Samarcande ? C’est qu’il manquait l’air de Samarcande…

Nous croisons plusieurs bus dont les parois portent des inscriptions en français comme « Cars de la Meuse » ou « Autocar Machin », ou encore « Les rapides de l’Est ». Ce sont des bus d’occasion, rachetés aux compagnies de transports régionales, remis en état et importés de France. Ils servent pour le tourisme.

Le dîner a lieu ce soir au Platan, dans le secteur russe de Samarcande où les parents de Vladimir Poutine ont vécu. Ils sont d’ailleurs enterrés au cimetière russe qui domine le quartier. L’endroit où vivent les Russes est, dans la ville moderne, un endroit paisible, provincial, préservé. Comme hors du temps, avec cette douceur de vivre que l’on ressent dans le sud de l’empire, sur les bords de la mer Noire par exemple. Il est bâti selon l’architecture de l’Arbat moscovite, les rues bordées d’arbres, très résidentiel. Nous sommes les seuls clients à l’intérieur du restaurant. En terrasse, d’autres clients arrivent. Le serveur et la serveuse, peut-être les patrons, en tout cas les gérants, sont jeunes et ont le look évanescent à la mode des villes. En chemises légères, ils servent comme des fantômes. Après les zakouskis d’herbes et de légumes habituels, une soupe mélangée où domine la patate précède le chachlik, cette viande cuite en brochettes et fort gouteuse. Elle est servie avec des tomates cuites entières et un hachis d’ognons doux. De quoi aimer le monde russe un peu plus.

Christian s’éveille, il sort de sa morosité de prof parano. Il raconte le rigorisme iranien qu’il a vu dans le pays, et sa trouille des fauves en Afrique noire.

Lorsque nous repartons vers l’hôtel, il est 21 h, la nuit est tombée, mais la ville reste animée pour goûter un peu de la moindre chaleur, surtout le boulevard des étudiants, « 2 km de long » d’après Rios qui en fut un. Sur les trottoirs des rues résidentielles, des gamins jouent torse nu. La pudeur islamique n’est pas autant de rigueur en Ouzbékistan, pays plus moderne que le Tadjikistan. Toutes les rues ont changé de nom après l’indépendance ; elles se sont « ouzbékisées ».

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