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Trump et les quatre causes du fascisme

Mercredi 6 janvier, jour de la certification par le Congrès du résultat des élections présidentielles américaines, le président battu Donald Trump incite ses partisans à manifester à Washington. A la fin du meeting, il excite les militants échauffés à marcher sur le Capitole comme jadis Mussolini a marché sur Rome – 4 morts. C’est le fait d’un putschiste pour qui seule « sa » vérité compte et non les faits – il pourtant a été battu de 7 millions de voix (306 contre 232 grands électeurs). J’ai raison et pas le peuple car JE suis le peuple à moi tout seul. Cette façon de voir et de se comporter est proprement fasciste. Il n’est pas allé jusqu’au bout à cause de son tempérament foutraque adepte du « deal » et parce que l’armée a fait savoir qu’elle ne suivrait pas. Mais qu’en serait-il d’un prochain démagogue organisé et décidé ?

Le fascisme est né en Italie il y a juste un siècle de quatre causes cumulées : la brutalisation due à la guerre, la crise économique et sociale, le nationalisme de pays menacé et frustré rêvant à l’Age d’or mythique, et la démagogie d’un agitateur habile.

  1. Brutalisation : la guerre de 14-18 a duré longtemps et a été éprouvante non seulement par la violence des combats mais par la technique qui a amplifié la guerre, monstre industriel contre lequel on ne peut quasiment rien comme dans Terminator. L’habitus de férocité et de décisions brutales pris dans les tranchées conduit vers 1920 à considérer la violence comme régénérant l’homme, donc la société, ce qui fut théorisé par Georges Sorel. Ce fut la même chose sous Lénine et surtout Staline en URSS, puis en Allemagne sous Hitler. Il faut être « inhumain » pour forger l’homme nouveau, dirigeant à poigne, homme de fer. Aux Etats-Unis en 2020, après le choc belliqueux des attentats du 11-Septembre 2001, deux millions d’anciens combattants des guerres du Golfe, d’Afghanistan et d’Irak ont été brutalisés (et souvent traumatisés) ; ils ont formé l’essentiel des militants qui ont marché sur Washington.
  2. Crise économique et sociale : l’Italie est secouée par une grave crise de 1919 à 1922 ; l’Allemagne sortie ruinée de la guerre en 1918 est précipitée dans la crise par la Grande dépression qui suit l’effondrement des spéculations boursières américaines en 1929 et diffuse par effet domino à tout le monde développé les faillites financières et son cortège de fermeture d’usines et de chômage. En 2008, les Etats-Unis ont subi de plein fouet l’équivalent de la crise de 1929 et se font de plus en plus tailler des croupières par la Chine, forte de trois fois plus d’habitants et de l’avidité des capitalistes de Wall Street qui n’hésitent pas à brader leur technologie pour des profits à court terme. Trump est élu en 2016 sur des idées de protectionnisme et de relance économique par la baisse des impôts et la liberté reprise sur les traités internationaux, voulant relocaliser l’industrie au pays et initiant une guerre commerciale d’ampleur inégalée aux autres puissances comme à l’immigration.
  3. Nationalisme : tout pays menacé dans son niveau de vie se voit menacé dans son « identité », cherchant fébrilement à se « retrouver », un peu comme un adolescent inquiet au lieu d’un adulte mûr. La « victoire mutilée » de Mussolini, le « coup de poignard sans le dos » d’Hitler, le « projet Eurasie » de Poutine, le « make America great again » de Trump sont un même prétexte à vouloir régénérer la nation par la mobilisation des natifs. Il s’agit toujours d’un conservatisme botté, d’un retour à un mythique Age d’or qui n’a jamais existé que dans l’imagination : l’empire de Rome, la race pure aryenne, la Russie éternelle, l’Amérique des Pionniers. Il est donc enjoint de prendre le contrepied de tout ce qui se pensait auparavant : la raison, les Lumières, l’individualisme, l’hédonisme post-68, l’humanisme onusien. Retour contre-révolutionnaire au droit divin, à la religion, à la nation organique, au romantisme de l’émotion, à l’égoïsme sacré et au culte de la force qui tranche. Une frange de militants est mobilisée pour entraîner la société et embrigader les esprits : squadristi italiens, SA et SS allemands, siloviki russes, milices trumpistes. Ce que l’Action française a su faire au début du siècle précédent, Q anon veut le faire au début du siècle présent.
  4. Démagogue : pas de succès de l’irrationnel nationaliste et xénophobe sans un agitateur habile. Mussolini, Staline, Hitler, Trump (pour ne prendre que quelques exemples occidentaux) ont su agréger autour de leur personnalité tous les frustrés, les enthousiastes, les fana-mili, les activistes. Il s’agissait de conquérir le pouvoir – puis de le garder. Seul Trump a échoué pour le moment à rester président même s’il a déclaré qu’il « ne reconnaîtrait jamais la défaite ». Mais il profite des failles du système représentatif de la démocratie (aggravées par le système électoral archaïque des Etats-Unis) pour contester le vote des citoyens. Sa « vérité » est qu’il ne peut être battu. Comme dans la télé-réalité, le show doit continuer. C’était hier la radio et le cinéma qui servaient la propagande ; c’est aujourd’hui l’Internet, les réseaux et la télé qui s’en chargent, matraquant la théorie du Complot et amplifiant tout ce qui mine inévitablement le parlementarisme : le clientélisme, la corruption, la lâcheté, la combinazione. Anarchistes, complotistes et croyants se liguent pour porter les coups de boutoir au « Système » de la règle de droit comme si celui-ci, une fois renversé, n’en générerait pas un autre – en pire : le fascisme, le communisme, le nazisme, etc.

Ces quatre causes sont universelles ; l’histoire ne se répète jamais mais ses mécanismes se répliquent. La montée de la violence, les frustrations sociales augmentées par les ravages de la pandémie, l’absence de nouvelle « frontière » à explorer pour les citoyens (l’espace et le transhumanisme sont réservés à quelques élites, seul le « retour à » est accessible à tous sans limites), la politique-spectacle augmentée par les réseaux sociaux sans digues, ont créé le phénomène de Trump le trompeur, le champion du parti des éléphants.

Si les normes non écrites, les règles informelles et les conventions sont la colonne vertébrale d’une démocratie, celle-ci a du mouron à se faire car l’exemple vient du phare mondial : les Etats-Unis de la grande révolution de 1776. Mélenchon doit regarder cela avec grand intérêt.

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Camus décape l’identité nationale

Tout débat est utile en ce qu’il fait ressurgir les non-dits et permet de discuter des angoisses comme des espoirs des uns et des autres. Le débat est l’essence de la démocratie. Mais démocratie dit ‘demos’ (le peuple), pas ‘ethnos’ (la tribu). L’identité nationale n’est pas un gros mot mais un sentiment légitime. C’est une culture, une manière de vivre, une conception du monde, différente des autres sans être fermée. Elle doit se garder des dérapages, à droite comme à gauche : elle était dans le programme commun de Mitterrand en 1981 ; elle a été relancée par Eric Besson sous Nicolas Sarkozy.

C’est aussi une identité nationale que défendent les opposants de Hong-Kong ou de Loukachenko en Biélorussie, et une autre idée de l’Amérique chez les partisans démocrates. Sans cette culture politique, ces traditions, cette façon de voir le monde comme aucun autres, la dictature ou le bon plaisir d’un seul apparaîtraient comme des modalités pratiques utiles en ces temps de Covid et de repli sur soi. Si ce n’est pas le cas, c’est bien qu’il y a autre chose qui transcende l’utilitaire : une certaine idée du pays, une identité particulière.

Nous ne croyons pas que l’identité française doive se dissoudre dans l’Universel comme le revendiquent les méprisants de toutes frontières (« il est interdit d’interdire ») et les relativistes absolus (« internationalistes » faute d’être d’abord quelqu’un). Nous ne croyons pas non plus que l’identité française doive se crisper sur ses zacquis ethniques, religieux, éducatifs ou d’habitudes, comme le revendiquent les xénophobes et les communautaires.

Le 30 octobre 1939, Albert Camus faisait paraître dans Le Soir républicain un délicieusement sarcastique Manifeste du conformisme intégral intitulé « Oui ! Oui ! » (pp. 757-767 Pléiade). Il fustigeait le politiquement correct de son époque et le suivisme du gouvernement – phare de la France, donc du monde (hi ! hi !).

Comme c’est le jeu de tout gouvernement de vouloir qu’on le suive, l’examen des recettes d’avant-guerre éclaire celles d’aujourd’hui. Ces recettes, les voici :

1 – l’heure est grave, rassemblement !

2 – les chefs sont élus démocratiquement, notre système est sain, suivons les chefs.

3 – nous sommes solidaires de notre patrie parce que c’est la nôtre, même dans ses erreurs.

4 – la France a toujours revendiqué être le phare de l’universel, soyons Français pleinement, nous serons ainsi universels.

5 – tant pis pour ceux qui ne nous comprendrons pas.

Signé « Les conformistes conscients et résolus », l’article se termine par cet hymne patriotique, dans le style incorrect de rigueur aux démagogues : « C’est eux tous qui sont et font la France et son gouvernement. Et donc c’est eux tous qui peuvent compter sur nous : nous les croirons, nous leur obéirons, et sous leurs ordres et pour les objectifs qu’ils nous auront assignés et contre les ennemis qu’ils nous auront désignés nous combattrons jusqu’à la mort. » Ces rodomontades sont assez risibles lorsque l’on sait ce qu’il adviendra en juin 1940 de « la première armée du monde » (à pied et à cheval) face aux jeunes nazis (en panzers et automitrailleuses légères).

Quand un gouvernement en est là sur l’identité nationale, le fascisme n’est pas loin ! Ou son équivalent XXIe siècle avec le conflit comme existence psychologique, la xénophobie politicienne pour éviter de s’intéresser aux inégalités sociales, le bouc émissaire diplomatique pour masquer son propre impérialisme économique (Trump et la Chine, Xi et Hong-Kong, les conservateurs britanniques et l’Europe, Poutine et l’hédonisme multiculturel occidental…). Il n’est que d’observer Trump, Erdogan, Bolsonaro, Poutine, Xi, Kim le jeune…

Camus se marre mais la guerre de 39-45 est à sa porte ; nous rigolons mais la suivante est peut-être proche. L’identité nationale existe, elle est dans les têtes. Pas besoin de se boucher le nez en snob qui pose sur les réseaux pour afficher théâtralement son appartenance vaniteuse à « l’identité » (tiens donc !) de la gauche – mais à la mode. Les pires socialistes furent les plus ardents votants des pleins pouvoirs à Pétain en 1940…

Une identité « nationale » n’a rien de figé, elle est vécue, partagée et change – lentement. Nous voyons bien, à l’étranger, l’image que nous donnons en tant que Français – pour le meilleur et pour le pire ; et elle n’est pas la même qu’il y a vingt ans ou quarante ans. La crispation vient des injonctions à disparaître dans le grand métissage migratoire et la mondialisation économique, là où la « sécurité » sociale se dilue dans le nombre croissant des « ayant-droit » venus de partout sans devoir, et où la sécurité de l’emploi ou de la santé se perd dans les « délocalisations » pour cause de bas coûts et de meilleure docilité de main d’œuvre. L’égoïsme économique prévaut et l’identité nationale vient rappeler qu’il n’est pas de « nation » sans intérêts et idéal communs. Cette identité est moins la « race » que la culture, moins la « communauté » (ethnique, tribale, économiste) que le savoir-faire, le pouvoir-faire et les traditions, moins la « religion » que les valeurs communes de spiritualité et de vie ensemble.

Alors qu’approchent les élections (jusqu’ici) démocratiques aux Etats-Unis (novembre 2020), à Hong-Kong (repoussées à 2021 ?), en Allemagne, Norvège, Pays-Bas, Russie (2021), en France, au Brésil, en Australie, Autriche, Suède, Algérie (2022), en Turquie, au Danemark, en Pologne, Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Israël (2023), l’identité nationale ne doit pas être laissée aux populistes. Elle doit être réaffirmée sereinement dans son élan – qui tire ses racines du passé mais élève ses branches vers l’avenir.

Albert Camus, Œuvres complètes, tome 1 1931-1944, Gallimard Pléiade 2006, 1584 pages, €72.00

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Dominique Reynié, Les nouveaux populismes

dominique reynie les nouveaux populismes

Voici un excellent livre d’analyse sur le changement politique de l’époque actuelle partout en Europe, écrit sans jargon et qui se lit d’une traite. La poussée de Marine Le Pen est décortiquée et expliquée clairement, aussi bien que les tentatives ratées de Jean-Luc Mélenchon et Bepe Grillo.

Comme toujours dans ce genre d’ouvrage écrit par un professeur à Science Po, la description est impeccable mais les solutions restent vagues. Un professeur n’est pas un politicien, et nul doute que la poussée récente du repli sur soi des populations européennes vieillissantes, contestées et appauvries n’a pas encore suscitée d’idées neuves sur les réponses possibles. Mais se contenter d’appeler à l’acceptation d’une immigration inévitable, à un « libéralisme musclé » pour mieux intégrer, à encore plus d’Europe pour faire des économies et à moraliser la vie politique m’apparaît un peu faible.

Reste que la bonne question posée par Nicolas Sarkozy jadis sur « l’identité nationale » est le reflet pragmatique (mal pensé et mal traité par l’équipe Sarkozy) d’une poussée évidente de ce que l’auteur appelle le « populisme patrimonial ». « S’il est un aspect de la globalisation qui conditionne fortement le développement des partis populistes (…) c’est certainement l’immigration, l’islam et le surgissement d’un multiculturalisme conflictuel, en lien avec le fort déclin démographique… » p.32. L’engrenage est bien brossé : libéralisme = laisser-faire = circulation sans frontières = immigration majoritairement musulmane = revendications multiculturelles incompatibles avec la laïcité et les mœurs habituelles aux Européens = menaces sur la sécurité, l’habitat, les fréquentations et mariages, les prestations sociales, les pressions alimentaires et culturelles… Le dire ce n’est pas « être raciste » – comme le psalmodient les bobos repus de bonne conscience dans la gauche morale – c’est décrire les faits. Or, dénier les faits, c’est laisser « ces interrogations et ces inquiétudes travailler sourdement la société. C’est sur ce non-dit que les populistes imposent leur discours, pointant les tentatives d’enfouissement, de dénégation et de censure qu’ils prêtent aux responsables des partis de gouvernement » p.110.

La plupart des gens répugnent à modifier rapidement leur mode de vie – ce pourquoi ils deviennent conservateurs envers les changements, et même « réactionnaires » lorsqu’on veut leur imposer de force. Ce comportement concerne tous ceux qui sont menacés, à droite comme à gauche. Les « zacquis » des syndicats sont aussi menacés que la « sécurité » à droite. D’où cette poussée du populisme hors des divisions traditionnelles, mettant en cause les élites contre le peuple, les gouvernants contre les gouvernés. Mélenchon comme Le Pen jouent sur le même tableau contre « l’UMPS ». Mais, montre très bien Dominique Reynié, c’est partout pareil en Europe, Royaume-Uni compris. C’est même au Royaume-Uni qu’après les attentats de Londres en 2005, existe le plus fort rejet de l’islam et de l’immigration extra-européenne, le multiculturalisme ayant clairement échoué.

Or c’est l’Europe qui contraint, consensus mou sur une social-démocratie libérale sans frontières ni valeurs autres que purement juridiques. D’où le rejet de l’Europe, qu’elle soit agricole, monétaire ou de Schengen. Fatale pente, démontre Reynié, « la promotion de l’opinion xénophobe est une condition sine qua non du succès électoral populiste. En ce sens, il n’y a pas de populisme de gauche. Tel est le problème de Jean-Luc Mélenchon » p.316. Clin d’œil à mon analyse de Mélenchon entre Péguy et Doriot, d’un socialiste de gauche jacobine comme le républicain Péguy poussé au national-socialisme comme l’ex-communiste Doriot.

Ce qui permet la percée des partis populistes ce sont les modes de scrutin (la proportionnelle), les médias (avides de langage cru et de dérapages), et les personnalités histrioniques (dont c’est le seul moyen de se différencier). Mais ces instruments n’existeraient pas sans la base : « Ce sont les classes populaires elles-mêmes qui conduisent ce mouvement de droitisation dont les communistes d’abord, les sociaux-démocrates ensuite et les populistes de gauche enfin sont les victimes successives. L’immigration et la sécurité sont devenues pour longtemps des enjeux capables de déterminer leurs choix électoraux » p.321. Retour du fascisme ? Non. De l’autoritarisme conservateur ? Oui.

Que faire contre le populisme ? En premier lieu arrêter de nier les questions qu’il soulève : la globalisation entraine une immigration incontrôlée que la crise économique rend plus difficile d’assimiler. Ensuite éviter la démagogie en proposant le vote des « étrangers », la construction ouverte de « mosquées », l’autorisation de la burqa, le recul du droit à autoriser une expulsée à revenir du fait du Prince, les avantages sociaux aux sans-papiers et autres discriminations positives, le deux poids-deux mesures des injures racistes (Blanc condamné, minorité excusée) et ainsi de suite. Enfin affirmer les valeurs républicaines, laïques, libérales, sans concession aux tentatives d’effritement des « droits » communautaires ou particularistes. Et peut-être recréer l’Europe comme espace homogène, aux frontières définies, à l’Exécutif clair et au Parlement élu le même jour par tous les citoyens de l’Union, avec des impôts en commun pour bâtir des projets en commun. Ce sont toutes ces réponses que Dominique Reynié ne fait qu’effleurer.

Il pointe que le rationnel ne suffit pas car « la singularité de la politique populiste est de n’être qu’émotion. C’est une politique médiatique jouant sur les ressorts affectifs : colère, peur, envie, nostalgie, ressentiment, etc. » p.345. Mais le rationnel serait néanmoins d’éviter, lorsqu’on est dans un parti de gouvernement, d’agir de même (comme Montebourg, Taubira, Belkacem, Hollande – ou Copé, Boutin, Morano, Sarkozy). D’inviter aussi certains populistes à prendre des responsabilités gouvernementales – leur grande gueule serait rabattue au premier échec, car on ne gouverne jamais sans compromis et nuances, à l’inverse du théâtre médiatique et du discours de tribune. Mais là, on entre dans le tabou des « alliances »…

Dominique Reynié, Les nouveaux populismes, 2011, édition augmentée 2013, Livre de poche Pluriel, 377 pages, €8.55

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Blaise Cendrars, La main coupée

blaise cendrars la main coupee

Nous sommes en 14 et, il y a un siècle, Français et Boches recommençaient à s’étriper, comme régulièrement depuis 1813. Blaise Cendrars, Suisse allemand émigré en France, s’est engagé comme volontaire dans le 1er Régiment étranger le 3 août 1914 après avoir lancé un appel avec d’autres écrivains et artistes en faveur de « la civilisation ». Nommé caporal le 12 juin 1915, il a été blessé en Champagne et amputé du bras droit en octobre. Médaille militaire et croix de guerre avec palme, la nationalité française lui est accordée par décret le 16 février 1916 et il est démobilisé.

Ayant « perdu la main », il attend trente ans avant de passer la plume à gauche et de parler des morts comme des survivants de la grande guerre. Il l’a vécue au ras des tranchées, le plus souvent dans la boue et les marais de la Somme. Parlant plusieurs langues, français, allemand, anglais, russe au moins, il s’est très vite imposé parmi ses camarades venus d’horizons très divers, tous étrangers à peine assimilés. Il y a là des Juifs russes du Sentier, un faux prince polonais, des Tchèques, des Albanais ou Bulgares, des Suisses allemands, un Gitan (qu’il écrit ‘Gitane’ selon l’ancienne orthographe en usage chez Gide et Cocteau), des Belges, des Américains… et même un très jeune Coquoz de 16 ans, ayant menti sur son âge, chasseur de grand hôtel parisien où avec les autres « ils se livraient certaines nuits à des courses à quatre pattes dans les corridors désert, une bougie allumée dans le derrière et sous l’œil impavide des maîtres d’hôtel et des garçons d’étage » (chapitre 8). Parlant plusieurs langues, il s’est très vite imposé aussi comme intermédiaire entre les hommes et les officiers, appelé à traduire les propos des prisonniers, au grand dam des sergents, dotés d’un petit pouvoir et jaloux, qui lui ont mené la vie dure.

Les officiers, en bons bourgeois Français imbus d’eux-mêmes, savent tout mieux que les autres et lors de la montée au front, le colonel a fait marcher tout le régiment à pied de Paris à Rosières, dans la Somme « pour nous entraîner », alors que le train qui devait les mener roulait à vide, encombrant la voie pour rien. « Ce colonel ! C’était un vieux décrépit qui nous venait du service géographique de l’armée, un homme de cabinet avec un lorgnon et des idées d’un autre âge » (chapitre 9). D’un lieutenant vaniteux fonctionnaire : « Comme son surnom l’indique, Plein-de-Soupe était bouffi, mais les circonvolutions de son cerveau devaient être en pur boudin. (…) Il était plein de suffisance. Il se croyait encore dans son bourg et jouer un rôle de par ses fonctions et son titre d’officier ministériel. Il était sûr de soi, satisfait, gras, et puis, officier français, petit-bourgeois à la tête d’une compagnie de la Légion étrangère, il se croyait d’une essence supérieure » chapitre 13). Tous ne sont pas comme cela, mais il y en a bien trop ! (Et il en reste…)

1914 officier pantalon garance et soldat

Cendrars, caporal Frédéric Sauser de son vrai nom, est au front incognito ; personne ne sait qu’il est écrivain sauf un fonctionnaire du Deuxième bureau qui vient le voir, admiratif, et classe une sombre affaire de photos prise d’un calvaire alors que toute photo est interdite. L’auteur, un brin anarchiste et en tout cas libre de pensée, ne manque pas de critiquer la bureaucratie française et la mentalité jugulaire d’une armée mal organisée, mal équipée, rigidement commandée – et qui n’a pu « tenir » face au matériel et à la discipline allemande que parce le front était paradoxalement une zone de liberté où seuls les camarades de son petit groupe comptaient, et pas « les ordres » abstraits venus des bureaux à l’arrière. « La pagaïe ? Mais c’est quand les événements débordent les règlements édictés dans un État bien policé qui n’a rien laissé à l’imprévu » (chapitre 13). Juin 40 montrera combien la bureaucratie française n’a rien compris, les politiciens rien changé, les ganaches rien appris. Tout le Mal français est là, symbolisé par cette défaite, déjà perceptible dans la fausse gloire héroïque de 14-18.

Blaise Cendrars n’a pas voulu être un écrivain ancien combattant comme tant d’autres ; la mentalité française du statut acquis lui est restée étrangère. Libre il était et a voulu le rester. S’il s’est engagé alors que l’on ne lui demandait rien, c’est qu’il l’a voulu. Mais il n’a jamais rien eu de cette exaltation patriotarde et xénophobe qui a lancé la guerre « fraîche et joyeuse » Nach Berlin. L’instinct de survie l’a conduit à tuer au nom de la nation, mais de cette exception il a honte. La mort n’est jamais belle, ni souhaitable – il est stupide de la glorifier. Cette obsession personnelle en faveur de la vie le conduit à publier ces récits de guerre, œuvre de mémoire pour les camarades de tranchée dont il se souvient. La mort est le premier personnage du livre, mais la vie sourd partout dans ces portraits humains et gouailleurs. Il prend le ton de chacun, alterne descriptions et dialogues, voire dérives poétiques sur la brume des marais, la nuit. Les contes édifiants suivent les récits de coups de main, les prouesses des hommes celles des animaux, un petit chien messager, un hérisson détecteur de mines.

En ce livre qui n’est pas un roman mais une reconstruction proustienne de la mémoire, Blaise Cendrars bâtit un véritable monument aux morts et à ceux qui en ont échappé, retournés à l’anonymat civil. Le livre s’ouvre avec Hélas ! qui pleure la mort par accident aux commandes de son avion de l’un de ses deux fils, Rémy, en 1948. La Seconde guerre boucle la Première, montrant combien l’héroïsme falsifié de 1914 a conduit à la honteuse défaite de 1940. Pour Cendrars, il ne faut jamais se payer de mots, jamais se laisser saouler par les concepts comme gloire, honneur et patrie – qui ne sont qu’idéologie pour faire mouvoir la chair à canon. Ce que chaque homme accomplit sur le terrain appartient à lui-même ; il n’est pas « un héros » mais un combattant qui fait son boulot parmi les autres, ses copains. « Vous vous croyez au théâtre, monsieur ? (…) La guerre est une ignominie. (…) La vie dangereuse peut convenir à un individu, certes, mais sur le plan social cela mène directement à la tyrannie, surtout dans une république menée par un sénat de vieillards, une chambre de bavards, une académie de m’as-tu-vu, une école de généraux… » (chapitre 17). La France n’a guère changé…

Ces 25 chapitres donnent une vision plus juste et plus longue que le reste de la littérature de guerre, trop souvent enflée, selon cette vanité arriviste française issue des envieux de la révolution, que Cendrars a toujours méprisée – même dans le civil : « les profs, ce concours de vanité » (chapitre 17). Plutôt que lire des profs sur la guerre de 14, lisez ces récits d’un combattant qui y était – lui.

Blaise Cendrars, La main coupée, 1946, Folio 1975, 447 pages, €7.79

Blaise Cendrars, Œuvres autobiographiques complètes tome 1, Gallimard Pléiade sous la direction de Claude Leroy, 2013, 974 pages, €57.00

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Solotareff et Fromental, Loulou l’incroyable secret

Solotareff et Fromental Loulou l incroyable secret

La BD du film qui sort au cinéma le 18 décembre 2013 – qu’on se le dise !

Loulou est un loup et fait les quatre-cents coups avec Tom son copain, le lapin si malin. Pourquoi Croc et Longues oreilles sont-ils amis, mystère ! Mais c’est dit dans les albums avant.

Les deux ados dorment l’un sur l’autre dans une barque de pêche immobile sur l’étang du pays des lapins quand une vieille corneille croasse mélodieusement. C’est pour mieux attirer Loulou, somnambule ensorcelé, dans les rets d’une bohémienne qui projette ses manipulations derrière la boule de cristal. Lui qui se croyait orphelin, voilà qu’il voit sa mère vivante !

Loulou le croit et les quatre pattes se carapatent au pays des Carpathes. C’est le repaire des loups (garou) où les Sancros sont mal vus. Wolfenberg, le château des loups, est une forteresse prédatrice au-dessus des forêts alentour. La population est un brin xénophobe envers qui ne chasse pas de race et ne va pas chercher la pitance avec les dents. Se tient justement le festival de Carne, et ce n’est pas du cinéma. Il s’agit de chasser la biche changeante, vraie femelle-star qui permet de dominer la forêt (on se croirait au cinéma des adultes où qui tient la femme bien roulée tient les financements).

Il y a de la traîtrise et de la manipulation, de la vantardise et de l’orgueil, de l’ego et de la bande. La violence fait loi mais le croc est bien souvent plus bête que les oreilles (qui contiennent quelque chose entre deux).

Il y a aussi de l’amitié indéfectible et de l’amour inconditionnel, de l’honneur et quelque raison parfois. Loulou bêta, lapin malin, il y aura heureuse fin. Mais pas sans suspense ni rebonds.

Loulou l incroyable secret le film

Un dessin très coloré pour des animaux caricaturés, cela plaît aux gamins jusque vers 8 ou 10 ans ; l’histoire parle du monde de la cour de récré. Mais les adultes, qui lisent parfois avec eux, s’amuseront des jeux de mots et allusions à notre jungle globalisée. De quoi contenter petits et grands !

Grégoire Solotareff (dessin) et Jean-Luc Fromental (scénario), Loulou l’incroyable secret, 2013, la BD du film France3 cinéma, éditions Rue de Sèvres, 62 pages, €11.88

Le film sort le 18 décembre 

le site officiel du film
www.louloulincroyablesecret-lefilm.com
Site officiel qui propose un contenu documentaire sur le film, des mini-jeux, des goodies, des ressources presse et pédagogiques, etc.
Le carrefour pour l’accès à tous les contenus numériques spécialement créés pour la sortie du film, via des espaces dédiés à la presse, aux enseignants, aux parents et aux enfants.

le livre numérique sur le film
www.loulousite.com/descriptions
Loulou l’incroyable secret [A propos du film] Ouvrage numérique enrichi qui propose, pour la première fois en France, une présentation complète et approfondie de toutes les étapes de la fabrication du film au travers de nombreux extraits audiovisuels, dessins de recherches et de production, interviews, musiques… Disponible gratuitement jusqu’à Noël sur l’iBookStore pour iPad et (prochainement) sur Google Play pour tablettes Androïd

l’application-jeux pour tablettes
www.loulousite.com/descriptions
Loulou l’incroyable secret pour apprendre et s’amuser avec les personnages du film; elle contient la bande-annonce, des goodies, des mini-jeux ludo-pédagogiques, les coulisses du film…Disponible gratuitement sur l’App Store pour iPad/iPhone et Google Play pour tablettes Androïd

les dernières nouvelles

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la bande originale
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toutes les musiques composées par Laurent Perez Del Mar pour le film
bientôt disponibles sur les plates-formes numériques (iTunes, Deezer, Spotify…)

la mini-expo
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une mini-exposition éditée en 17 planches disponible à la commande

Une exposition Grégoire Solotareff à Angers dans le cadre du Festival Premiers Plans du 17 au 26 janvier 2014
www.premiersplans.org

Une grande exposition Grégoire Solotareff à l’Abbaye de Fontevraud
du 20 mars 2014 jusqu’à l’été 2014
www.abbayedefontevraud.com/

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Abolissez ce peuple que je ne saurais voir !

Tartuffe, concupiscent, déclamait « cachez ce sein ! » ; les politicards, avides de pouvoir, chuchotent entre eux « abolissez ce peuple ». Ni les classes moyennes ni les classes populaires ne sont politiquement organisées. Elles ne participent guère aux partis ou aux zassociations qui pullulent, d’autant plus revendicatrices qu’ils/elles comprennent peu de membres. Le PDG de Mélenchon ou Écologie-les-verts, groupusculaires, crient plus fort que l’UMP ou le PS, mais tous sont composés de bobos, CSP+ ou qui se croient tels, militants convaincus après des études supérieures qui les ont convaincus surtout d’être supérieurs en tout.

Les classes populaires restent à la périphérie de la représentation, hors du jeu politique parce que cantonnées aux syndicats catégoriels (FNSEA) ou aux partis ostracisés (FN, LO). Le langage politique dominant, à l’Assemblée comme à la télé, n’est pas le leur ; elles ne s’y reconnaissent plus. Les sondages montrent la montée des idées Le Pen mais les sociologues n’ont rien vus, en tour d’ivoire universitaire et au chaud dans les fonds publics.

Ils sont préoccupés avant tout de se hausser du col dans le mandarinat, usant et abusant du médiatique pour capter postes et subventions. Ils n’étudient donc que ce qui est politiquement correct et ne « trouvent » le plus souvent que ce qu’ils ont cherché : le Progrès permanent, le social-fonctionnariat toujours indispensable, « les moyens » comme seul antidote à la fragmentation de la société. A cause d’un bouc émissaire unique, jamais défini clairement, « le capitalisme », pour certains « ultralibéral », comme une redondance qui n’en dit pas plus. N’étudiant que les « rapports de domination » et pas les rapports de voisinage, n’ayant pour horizon que la mission civilisatrice de l’État et pas les besoins de la base, qu’auraient-ils pu voir, les sociologues, de la montée des tensions ethniques, des incivilités, des revendications culturelles étrangères et de cette furieuse envie de botter tous les politicards du Système ?

Staline a la barre

Ce pourquoi Terra Nova, le think tank du PS, étudie le plus sérieusement du monde le lâcher du peuple pour s’occuper avant tout du nouveau Prolétariat appelé à soutenir la gauche : les immigrés à qui il est urgent de donner le droit de vote. Il y a toujours un Lumpen plus révolutionnaire comme vecteur du changement. Le peuple, jamais content, a pourtant le droit de voter bien et de payer des impôts à l’État pour qu’il s’occupe de tout ? Sauf que le peuple n’aime pas le social soit réservé aux autres, qu’il paye et que les illégaux en profitent. La révolution s’incarnait jadis dans le peuple, sauf que le peuple n’aime pas le désordre. Une fois révolté, on passe à autre chose : c’est qu’il faut nourrir les gosses et payer la maison, donc ça ne peut pas durer, la révolte. On change d’élite et hop ! au boulot tout le monde. Pas que ça à faire, la révolution, sauf pour les intellos fonctionnaires, ils n’ont jamais de problème de chômage. Lénine l’avait bien compris qui avait remplacé le peuple et décrété abolie l’Assemblée pour remplacer tout ça par le Parti, cette avant-garde autoproclamée des intellos-activistes à sa botte à lui, Lénine. Car ce qui lui importait, comme le Mitterrand des Guignol jadis, c’est « le pouvoir, M. Elkabbach, le pouvoir !… »

Le capitalisme ? C’est fini, Marx n’avait rien vu et Deng Xiaoping a tout compris, donc changeons d’idéologie. L’ultralibéralisme ? C’est fini, le krach systémique 2007 l’a montré et chaque État s’est empressé de sauver ses banques et ses banquiers sans demander de comptes, en accusant pêle-mêle « les riches » et « le patronat » mais en distribuant en sous-main de grasses subventions pour que la production continue. Encore un peu plus d’impôt, Monsieur le Patron… S’il vous plaît ! Car qui tient les cordons de la bourse tient le pouvoir, n’est-ce pas, tout politicien représentant de l’État démocratiquement élu qu’on soit… On ne peut pas faire n’importe quoi, même si on peut le dire (le Yann Galut socialiste et sa déchéance de nationalité pour ceux qui s’en vont payer des impôts ailleurs : impayable de contentement de soi et de bêtise fasciste).

Que reste-t-il alors pour se sentir « progressiste » et « révolutionnaire » alors que le progrès fout le camp dans la régression écologique et que la révolution est abandonnée par tous ceux qui préfèrent gagner de l’argent pour être libres ? Il reste la culture. Guerre à la culture ! Resucée maoïste bienvenue chez les ex-spontex de 68. N’observez-vous pas que c’est cette même génération dont la philosophie était celle, primaire, du Petit livre rouge, qui est aujourd’hui au pouvoir et dans la force de l’âge ? La culture est décrétée « bourgeoise » parce qu’un condisciple vous a snobé un jour en cinquième. Elle est accusée d’être « xénophobe », n’ayons pas peur des mots, car la culture a asservi, colonisé, converti, exploité. Comme si en face, chez les socialistes « réels », on avait fait mieux… Ça ne fait rien, déculturons les masses pour qu’elles « pensent correctement ». Pour cela, c’est facile : tout ce qui est tradition, identité, coutumes, à la trappe ! Le rasoir républicain décapitera les têtes pensantes dans Marianne, le Nouvel Observateur et Libération, au nom du Bien. Il favorisera le décervelage télé-médiatique, au nom du seul Vrai, surveillé par un copain militant au CSA. Il accusera le chien d’en face de la rage pour mieux le noyer. Et le peuple, hein, il suffit de le tourner en dérision : c’est un beauf, pensez, il aimait Depardieu, ce traître ingrat, Obélix en Russie…

Cette contre-culture, les sociologues de gauche l’appellent postmodernité, ça fait moderne. Coup de force symbolique ? Chut ! On euphémise, on storytellise… Ce qui se passe vient « naturellement » comme disait Chirac, « normal » comme dit Hollande, une nouvelle époque commence qui n’est ni nationale, ni populaire, ni même socialiste. Elle est hybride, métissée, égoïste. La campagne est beauf, la ville est hard ; le peuple est attaché à sa culture, le bobo est multiculturel à la mode ; la majorité part en vacances en famille ou chez des amis, la petite élite nomadise à l’étranger, reconstituant Saint-Germain des Prés à Marrakech ou au Club à Maurice – sans vouloir rien connaître du pays, la France est tellement à l’avant-garde de la pensée, n’est-ce pas ? So chic le petit week-end à New York ! Tellement tendance les études à Los Angeles ou Shanghai ! Si mignon de se marier entre copains du même sexe, ne sont-ils pas adorablement jeunes ?

L’effondrement de la morale traditionnelle et des structures politiques du passé ont engendré un chacun pour soi narcissique où tout est permis (avec des retours en arrière, parfois, comme de considérer – horreur ! – que les enfants ont un sexe). Individualisme radical, mœurs ultralibertaires, le désir en bandoulière pour seule vertu. Sauf pour l’économie, hein ! Là, pas de libertaire, pas d’individualisme, pas de désir récupérable marketing : interdit ! Pas « à gauche » tout ça, pas collectif, pas partisan votant bien, pas citoyen (juste pour les impôts).

mousse a la barre

Sauf que le peuple, on ne la lui fait pas. Déjà à Athènes, les citoyens sur l’agora critiquaient vertement les aristocrates qui vivaient entre mignons, induisant de leur acceptation d’être pénétrés un comportement femelle dans la vie publique (Contre Timarque). Alors le mariage gay, bof, hors les villes et surtout dans les banlieues (multiculturelles donc surtout islamiques) les gamins se feront moquer ; le métissage, ouais, mais pas de ça dans la famille ; le nomadisme, peut-être, mais tu reprendras la maison ancestrale à la retraite – quoi, t’es pas fier d’être corse (basque, breton, flamand, alsacien, occitan…) ? Et tous « ch’beaux merles » comme on dit dans le Nord, dans le peuple, qui paradent à la télé et promettent aux ouvriers d’usines, combien ils touchent par mois les cumulards ? Combien de retraite après seulement quelques années d’Assemblée ou de ministère ? Combien de primes en plus du salaire officiel ?

Que la gauche techno, qui est au pouvoir par hasard et provisoirement (comme la droite l’était), ne se croie pas arrivée. Le compte n’y est pas : insécurité sociale, insécurité publique, insécurité culturelle. Le système cantonne l’extrémisme pour l’instant, mais c’est comme un barrage : même bien construit, une fois débordé, tout s’écroule d’un coup. Le peuple n’est pas ailleurs ni dans l’avenir, il est ici et maintenant.

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Julie Otsuka, Certaines n’avaient jamais vu la mer

Une Américaine d’origine japonaise écrit ici l’histoire romancée de ces femmes venues du Japon aux États-Unis pour se marier. Elles furent « achetées » par des Japonais travaillant aux États-Unis avant Pearl Harbor. De courts chapitres tentent de se mettre dans la peau de ces étrangères parfois très jeunes (13 ou 14 ans) venues dans un pays immense pensé comme un Eldorado, avec des coutumes différentes.

Julie Otsuka Certaines n avaient jamais vu la mer

La première nuit sur le bateau, les fantasmes battent leur plein et quelques idylles avec les marins du pont s’ébauchent ; le sexe a toujours été libre au Japon. Rencontre des Blancs mais, surtout, de leurs maris Japonais, travailleurs au bas de l’échelle dans les plantations, les laveries ou les restaurants. Le peuple xénophobe confronté à la xénophobie des autres, Blancs, Nègres et Latinos. On est toujours le nègre de quelqu’un, notamment lorsque la guerre menace et que l’on est désigné comme bouc émissaire, traître en puissance. Mais auparavant, naissances, enfants qui s’adaptent bien mieux, malheureux cependant d’être ostracisés à cause de la guerre mondiale. Enfin derniers jours, déportation dans les camps de l’intérieur, puis « disparition » des quartiers japonais sur la côte ouest.

Surprise des parents qui ne reconnaissent plus leurs enfants, nés en Amériques et devenus (presque) comme les autres : « Nous les reconnaissions à peine. Ils étaient plus grands que nous, plus massifs. Bruyants au-delà de toute mesure. Je me sens comme une cane qui a couvé les œufs d’une oie. (…) Nos filles marchaient à grands pas, à l’américaine, elles se déplaçaient avec une hâte dépourvue de dignité. Elles portaient leurs vêtements trop lâches. Roulaient des hanches comme des juments. Jacassaient comme des coolies dès qu’elles rentraient de l’école en disant tout ce qui leur passait par la tête. (…) Nos fils (…) refusaient d’utiliser des baguettes. Buvaient des litres et des litres de lait. Inondaient leur riz de ketchup. Ils parlaient un anglais parfait, comme à la radio, et chaque fois qu’ils voyaient nous incliner devant le dieu de la cuisine en frappant dans nos mains, ils roulaient des yeux et nous lançaient : « Maman, pitié ! ». » p.85. Où l’on voit que l’intégration réussie passe par une certaine acculturation. C’est la culture qui ramènera le goût des ancêtres, le retour du Japon. Pas question d’enfermer les adolescents en ghettos, leur souhait le plus cher est de se mesurer aux autres, d’être intégrés comme tout le monde. Avis aux « belles âmes » qui fondent de respect devant les mœurs archaïques des banlieues de l’Islam, en croyant qu’il suffit de laisser proliférer les entorses à la lois et aux mœurs pour que l’enfant né en France devienne un vrai Français.

Le style Otsuka est fait de litanies, mais ces incantations ne sont pas misérabilistes ni victimaires. Elles sont un chant, mais sur le mode très japonais du constat : voilà ce qui est arrivé, voilà comment nous l’avons pris, comme cela venait. Rien à voir avec l’obsession juive après les camps. Bien sûr ce n’était pas drôle, quel exilé trouve une vie rose quand il doit tout recommencer à zéro, le travail comme la langue ? Mais les Japonais-américains, après l’épisode (compréhensible) de la guerre mondiale et du choc de l’attaque surprise de Pearl Harbor sans déclaration de guerre, se sont fondus dans la population. Ils ne forment pas de ghettos, ne ravivent pas sans cesse la mémoire, ne s’enferment pas dans le ressentiment.

C’est pourquoi je trouve presque dommage que le prix Femina étranger 2012 ait été accordé à ce livre. La distinction française tord son message, ramené au victimaire, à l’éternelle revendication des ex : anciens esclaves, anciens déportés, anciens colonisés, anciens génocidés, anciens prolétaires, anciens prisonniers… La France s’est faite une spécialité de cette incantation des victimes, avec cette naïve croyance « de gauche » qu’il y a toujours plus prolétaire que le vrai et que seul le plus déshérité est la lumière du monde et le levier du « changement ». Changement pour quel pire possible pas prévu ? On l’a constaté dans le réalisé avec Khomeiny ou le Hamas, après l’avoir constaté avec Pol et ses potes. Les Japonais des États-Unis ne réclament pas cela. Ils savent ce qu’est la résilience, mot qui semble inconnu du dictionnaire de ceux qui sont toujours prêts à faire d’une victime une cause.

Ignorez les prix, toujours écœurants de politiquement correct, ignorez la bannière qu’on voudrait à Saint-Germain des Prés lui faire porter, lisez ce livre simplement pour ce qu’il est.

Julie Otsuka, Certaines n’avaient jamais vu la mer (The Buddha in the Attic), 2011, Phébus 2012, 143 pages, €14.25

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Conséquences géopolitiques de la crise que nous vivons

L’explosion du trend de la finance américaine à l’été 2007, avec ses conséquences en cascade sur l’économie, l’endettement des États et l’emploi, remet tout simplement en cause la domination américaine sur le monde. Les États-Unis ne le savent pas, mais leur puissance est en net déclin – et la nôtre avec.

Fallait-il libéraliser la finance à la fin des années 1970 ? Oui, sans aucun doute, car le monde s’était ouvert avec l’effondrement de l’URSS en 1991 et l’ouverture à l’entreprise du PC chinois dès 1978. La dérégulation a facilité le crédit aux pays en développement et a permis dans les pays développés l’essor des start-up d’innovation telles qu’Apple, Google, Amazon. Un crédit trop contrôlé est un crédit rare – donc cher et frileux. Les États-qui-pouvaient-tout (ainsi pensait-on depuis Roosevelt), se sont trouvés fort dépourvus quand la crise fut venue… d’Iran déjà. L’ayatollah Khomeiny a fait tripler les prix du pétrole d’un claquement de sandales en 1979 et toute l’industrie des pays développés s’est quasi effondrée. Ce furent la sidérurgie, Renault aux voitures-tanks qui rouillaient, la bureaucratie IBM ou celle des compagnies aériennes américaines qui ne pouvaient suivre.

Fallait-il libéraliser sans plus rien contrôler ? Non, sans aucun doute, mais le balancier était allé trop loin dans l’étatisme, le vent de liberté a grisé les acteurs et a permis – ne l’oublions pas, les années 1990 « rugissantes » (titre américain d’un ouvrage de Stiglitz, traduit démagogiquement en français sous le titre ‘Le capitalisme perd la tête’). Les transactions financières représentent aujourd’hui quelques 70 fois la production mondiale (contre 25 fois en 1995), les opérations de change sont 50 fois les échanges réels de biens. Tout va très vite, se complexifie, se multiplie – et personne ne comprend plus grand-chose (même les créateurs de subprimes).

Réguler s’avère donc nécessaire car les risques sont majeurs :

  • La rentabilité financière fonctionne hors sol, de plus en plus déconnectée des résultats de l’économie réelle.
  • Les États sont plus vulnérables qu’avant au risque de crise globale du système financier, toutes les banques sont atteintes par les flux qui circulent à la vitesse de la lumière dans le monde entier.
  • Les paradis fiscaux, entretenus par les gros États pour leurs propres intérêts politiques et géostratégiques, engloutissent des capitaux flottants – légaux ou illégaux – dans un trou noir sans aucune transparence, qui menace tout le système financier mondial.
  • Les banques centrales n’ont plus guère de moyens, sinon de racheter à guichet ouvert les emprunts créés par les États pour soutenir leurs banques et financer leur fonctionnement. L’accélération des pratiques due aux perfectionnements techniques des communications rend toute « politique » hasardeuse. Le marché global fonctionne dans l’extrême immédiat (25 000 opérations par seconde), avec pour objectif un gain à très court terme fondé sur de faibles écarts, sans plus de référence à une quelconque tendance.
  • La multiplication des emprunts d’État et autres Bons du Trésor rend dépendants les pays qui les émettent envers ceux qui les rachètent (la Grèce de la BCE, les États-Unis du gouvernement chinois…)

L’année 2007 a donc été une vraie rupture, tout comme 1929 puis 1945 et 1991. Les pays occidentaux sont entrés en déclin accéléré, les pays émergents en essor accéléré. Tout va plus vite – mais pas dans le même sens, à l’inverse d’auparavant. Les courbes devraient se croiser avant 20 ans…

Les États-Unis ne sont plus les maîtres du monde car l’économie stagne ; ils entraînent l’Europe à leur suite, en récession pour des années ; seul le Japon surnage, notamment parce qu’il commerce de plus en plus avec la Chine. Car, même si la croissance des émergents a ralenti en raison des moindres importations occidentales, le rythme de croissance se maintient bien au-dessus de celle des pays développés.

Le modèle économique néolibéral anglo-saxon a montré ses limites, le consensus de Washington est bien terminé. La régulation par le seul jeu du marché ne suffit pas et la politique reprend ses droits. Les États interviennent, certes, mais surtout les organismes supranationaux, et plus qu’avant. Car – François Hollande vient de s’en apercevoir – l’État national ne peut pas tout ! Sauf à fermer les frontières et à entrer en régression économique et sociale style Corée du nord. Le modèle économique du capitalisme d’État chinois ou coréen du sud (ou même japonais), semble avoir le vent en poupe, tant les « idées » s’affirment lorsque la puissance matérielle croit (Marx l’avait dit…).

Mais le risque systémique est mondial, tout comme la limitation des ressources et les dangers de la pollution. Les grands déséquilibres d’excédents massifs (Chine, Allemagne) et de déficits massifs (États-Unis, sud de l’Europe), ne peuvent se régler que par des négociations multilatérales sous une égide globale : le FMI et la Banque mondiale s’imposent plus que les États-nation, car nous avons changé de monde. Le système monétaire mondial passera par le yuan et le dollar, puisque l’euro n’est pas soutenu par une entité politique. Le dollar pourrait perdre son statut de monnaie de règlement international. Ce qui aurait pour conséquence une dégradation de la note de crédit du pays, donc le renchérissement des emprunts et une diminution de leur potentiel de croissance…

Faute d’État fédéral européen, ou même de consensus économique, social et fiscal, nous restons liés aux États-Unis pour toute régulation mondiale. Ce qu’ils font, nous le suivons ; ce qu’ils retardent, nous retardons. Nous, Européens, ne sommes pas indépendants faute de nous entendre. Les Mélenchon-Le Pen surgissent un peu partout dans les élections nationales des États de l’UE. Ils croient qu’à jouer leurs petits intérêts démagogique ou xénophobes, ils vont sauver leur peuple. Mais non : pour exister, il faut faire bloc pour jouer de notre puissance à l’égal des États-Unis et de la Chine. Faute de quoi, nous ne saurions être à l’abri des remous qui surgiront inévitablement du déclin américain et des problèmes intérieurs chinois.

L’auteur de cette analyse ci-dessus a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière‘ (2007) et ‘Gestion de fortune’ (2009).

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Que faisiez-vous le 11-Septembre 2001 ?

Je rentrais de vacances, justement de trois semaines au Pakistan. Les attentats ont été préparés par Ben Laden et ses complices, cachés quelque part dans la zone floue entre Afghanistan et Pakistan. Cette zone tribale d’ethnie Patan déborde des deux côtés de la frontière, mêlant clanisme familial et seigneurs locaux de la guerre. Le Pakistan n’a jamais voulu s’aliéner ces ethnies montagnardes, soucieux de conserver une profondeur stratégique à son pays, s’il était menacé par l’Inde. Les États-Unis ont soutenu cette idée en finançant à tour de bras les islamistes contre les soviétiques.

Ce qui m’a surpris, le 11-Septembre, est que cette haine affichée de l’Occident n’existait absolument pas quelques jours avant dans les bazars de Peshawar, grande ville la plus proche de l’Afghanistan et de la fameuse passe de Khyber. Notre guide à moustaches, Karim, nous a emmenés à l’intérieur de la mosquée Jakeola. Les dalles de marbre étaient chaudes aux pieds nus en cette heure méridienne. Des gamins se poursuivaient sous l’œil protecteur des adultes qui les réprimandent rarement tant l’exemple joue pour ces gosses qui sont constamment mêlés aux hommes. Nombre d’adultes en turbans faisaient la sieste allongés sur les dalles, à l’ombre de la galerie ; quelques-uns priaient à l’intérieur de la mosquée. Le bruit dominant était celui des jeunes garçons ânonnant le Coran pour l’apprendre par cœur, en balançant le haut du corps en rythme. Un lettré barbu par groupe, baguette à la main, lançait les versets et reprenait la récitation fautive des élèves dans une indifférence agacée. Nul doute que notre présence ne perturbait les séances bien que nous tentions de nous faire discrets. Mais des petits quittaient l’école pour s’agglutiner autour de nous. Ils étaient mis en récréation, de toute façon ils ne pouvaient plus être à leur devoir. Ils nous disaient « hello ! » et «what’s your name ? » Ils n’attendaient pas vraiment de réponse car les plus jeunes ne savaient même pas ce que ces expressions anglaises voulaient dire. Ils copiaient les grands. Mais ils étaient en tout cas amicaux envers les Occidentaux et soucieux de faire la conversation.

Du gamin au vieillard, les hommes portaient tous le pantalon large et la chemise longue ouverte sur la poitrine. Dans une société où les femmes et les mères sont confinées dans les intérieurs, les garçons vivent dehors dès qu’ils savent marcher. Comme tous les gosses, l’habillement est le dernier de leur souci, Les rues ne sont peuplées que de mecs dépoitraillés (il fait 40°) et les femmes mettent les voiles. Les très rares qui passaient rasaient les murs, en silence, voilées de la tête aux pieds avec un grillage serré devant les yeux. Élevés et éduqués sans jamais voir le sexe opposé, dans une théologie sexiste datant du 7ème siècle bédouin, les étudiants en religion (talibans) parviennent à l’âge adulte sans connaître la femme autrement que comme tentation, vulve à crocs, Satan incarné. Cet enfermement expliquerait leur peur de la simple vue d’une femme et les mesures délirantes qu’ils prennent pour conjurer leur immense émotion de puceaux tourmentés.

Si le Paradis promis aux croyants comporte « de jeunes serviteurs, pareils à des perles renfermées dans leur nacre » (Coran LII, 24) – jolie métaphore pour désigner le teint adolescent – il comprend aussi de jeunes vierges aux yeux noirs qui « ressemblent à l’hyacinthe et au corail » (LV, 58). Les musulmans ne sont pas insensibles à la beauté des femmes, mais ils la réservent à leur mari, leurs enfants, frères et neveux, pour lesquels tout inceste est prohibé. On considère, en islam, que la femme « encadrée » par le mariage et par les rites sociaux qui restreignent sa liberté, ne sera pas tentée de succomber à Satan et à ses pompes. « Les femmes sont votre champ ; cultivez-le de la manière que vous l’entendez » (sourate II, 223). Car « les maris sont supérieurs à leurs femmes. Dieu est puissant et sage » (II, 228) et en cas de partage des biens, « donnez au fils mâle la portion de deux filles » (IV, 12). En effet, « les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci » (IV, 38). C’est une tautologie, mais ce que Dieu veut… « Il ne convient pas aux croyants des deux sexes de suivre leur propre choix, si Dieu et son apôtre en ont décidé autrement » (XXXIII, 34). Le désir homosexuel existe inévitablement dans une société qui valorise tant le mâle et dévalorise tant la femelle. Si ce n’est pas le dessein de Dieu, c’est un péché véniel : « Dieu ne pardonnera point le crime d’idolâtrie ; il pardonnera les autres péchés à qui il voudra » (IV, 51).

Le fils de l’un de nos chauffeur de car, un Ali d’une beauté froide à 14 ans, restait debout alors qu’un siège lui tendait les bras. Ma compagne et moi avons bien mis une heure à comprendre, nous lui disions en anglais qu’il pouvait s’asseoir et il déclinait toujours. C’était la religion ! Nous avons échangé nos places, elle et moi. Ali s’est assis à mon côté presqu’aussitôt après : il ne pouvait supporter être assis près d’une femme, comme si elle était Satan en personne qui allait le violer.

Plus tard dans la montagne, un instituteur qui marchait avec moi pour revenir au village, m’a exposé son existence. Il ne faisait classe que le matin ici, l’après-midi ailleurs, faute de moyens. Il gagnait très peu, se faisant payer en nature par les paysans pour subsister. Impossible pour lui de songer à se marier car il n’était pas du clan, venait de la ville et restait trop pauvre. Comment résolvait-il ses problèmes de libido ? Il ne m’en a rien dit, mais on peut deviner avec tous ces jeunes garçons de la campagne curieux du plaisir…

J’ai lu une fois ‘The News’, le quotidien en anglais du Pakistan. Le numéro du lundi 6 août 2001 m’a permis de voir ce qui intéresse la fraction éclairée du pays. En première page, la fierté nationale : le Cachemire, la Palestine (où un chauffeur de car « a blessé dix Israéliens » en fonçant dessus), les Talibans (qui ont arrêtés dix membres d’ONG « prêchant le Christ »), un lama tibétain (« qui voudrait venir en visite »). On le voit, les « problèmes mondiaux » se réduisaient à l’islam. Le supplément hebdomadaire du journal laissait parler ses lecteurs : on y lisait les peines de cœur et les angoisses d’identité des filles et des garçons. Le conservatisme social et la morale – le « religieusement correct » – rendent les adolescents moins autonomes, Une fille qui utilisait internet s’étonnait que les tchats la conduise à « recevoir des propositions de rencontres directes » ! Réaction ingénue : les êtres humains sont-ils de purs esprits ?

La première force politique du Pakistan reste l’armée, la seconde le clergé musulman, viennent ensuite les propriétaires fonciers puis les industriels, enfin les petits commerçants. 44% de la population vit de l’agriculture (mais ne produit que 25% du PIB), 39% vit des services et 17% seulement de l’industrie. Poids de l’armée… L’industrie produit surtout du textile, de l’alimentaire et des boissons, des matériaux de construction, à destination du marché intérieur et, à l’exportation. Fait amusant : le Pakistan exportait en 2001 surtout vers les USA (22%), Hongkong, le Royaume-Uni et l’Allemagne (7%). Le Pakistan importait un peu plus qu’il n’exporte, principalement machines et pétrole, surtout des États-Unis et du Japon. Pays pauvre, surpeuplé, sous-éduqué, souffrant de disputes tribales et politiques internes, manquant d’investissement international et en coûteuse confrontation avec son voisin l’Inde, le Pakistan s’est constitué en entre-soi xénophobe. Il se voulait le Pays des Purs où seul l’Islam est permis.

Muhammad Saïd al-Ashmawy, ancien Président de la Haute Cour de justice du Caire, dit des fondamentalistes islamistes : « leur doctrine, système de vie total, sinon totalitaire, s’inspire de la même obsession d’une cité terrestre parfaite, conforme à la cité céleste dont ils déterminent l’organisation et la séparation des pouvoirs à travers les lunettes de leur lecture fantasmatique du Coran. » L’État n’est pas séparé de l’Église, ni la Morale du Livre : Dieu a tout créé, il veut tout. Pervez Hoodbhoy, professeur de physique pakistanais, déclarait à l’Express le 20 septembre 2001 : « cela me peine de le dire, mais l’Islam propose toujours des solutions faciles à des questions complexes. Voilà 700 ans que le monde musulman n’a pas produit un seul penseur marquant, dont les écrits auraient une valeur universelle. (…) Parce qu’elle a cristallisé une série de règles et d’interdits, l’orthodoxie islamiste nous rend introvertis, voire xénophobes. »

Cela dit, constatons que le fanatisme islamique a été encouragé par les États-Unis, notamment par Kissinger et Brezinski, ces brillants stratèges. Les États confessionnels non marxistes pouvaient résister efficacement aux sirènes soviétiques, cet ennemi de l’Amérique durant la longue guerre froide. La promotion de la vulgate coranique qui bloquait avec bonheur toute modernisation des pays musulmans ne pouvait que profiter au capitalisme américain, heureux de cette dépendance technique. La démographie galopante créait un marché pour les produits made in USA (armes, blé, machines) en échange de l’énergie vitale pour l’Amérique : le pétrole. C’est ainsi qu’ont été déstabilisés l’Égypte de Nasser, l’Iran du Shah et l’Irak de Saddam Hussein, brisant net leur développement. Mieux vaut reprendre la vieille diplomatie britannique impériale du « diviser pour régner ». D’autant que le fondamentalisme islamique ne saurait gêner les fondamentalistes protestants puritains…

Les attentats du 11-Septembre ont été un drame humain et un acte de terreur inacceptable qui a conduit à la guerre en Afghanistan puis en Irak, faisant des centaines de milliers de morts… surtout musulmans. Bravo Ben Laden, défenseur de l’islam, vous avez bien mérité d’Allah en tuant surtout ses fidèles. Convenons cependant que les États-Unis naïfs de Clinton ou cyniques va-t-en-guerre de Bush l’ont provoqué. La naïveté à courte vue est malheureusement le lot des experts de la CIA et des élites du pays. La priorité donnée aux liens commerciaux et financiers sur tout autre motif est la clé de la situation. Instrumentaliser les islamistes radicaux a peut-être protégé le pétrole un temps en contenant les appétits de l’URSS et en sous-traitant les problèmes en Méditerranée et en Asie centrale, mais l’apprenti sorcier se révèle avec le temps. La haine religieuse surprend les Américains, persuadés de leur mission sur cette terre ; il ne surprend hélas pas les Européens, habitués aux guerres de religion ou d’idéologie. Et les révolutions arabes, un mixte de 1848 et de 1968, sont une heureuse surprise… imprévue, comme le reste.

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Louis-Ferdinand Céline, Nord

L’histoire romancée suit la mémoire, pas l’ordre chronologique. Nord se situe donc avant ‘D’un château l’autre’ dans l’existence Destouches, avant Sigmaringen (écrit cette fois sans le ‘e’ de Sieg). Le roman commence parmi les aristos décadents français en fuite à Baden-Baden en 1944 ; il se poursuit par un passage à Berlin sous les bombes alliées ; il se termine par le hameau de Zornhof (nom inventé) à une centaine de kilomètres au nord de la capitale du Reich. Nous sommes à l’automne 1944 et rien ne va plus pour l’Allemagne qui recule partout. Un attentat contre Hitler vient d’échouer. Dans le petit monde campagnard des villageois non mobilisés, d’objecteurs allemands, de prisonniers russes, de putes exilées de Berlin et de gitans, sous la houlette de hobereaux à particule, fermentent les passions. Passions de race, de classe, d’idéologie. Céline y est à son affaire. Il n’aime rien tant qu’observer en entomologiste la bassesse humaine en milieu fermé, avec la guerre aérienne comme tragédie.

L’auteur tresse comme l’osier. Il croise l’événement historique aux souvenirs amplifiés et déformés, ce qui survient et ce qui dérive dans sa pensée. Il raconte, invente, reprend. « Le mieux je crois, imaginez une tapisserie, haut, bas, travers, tous les sujets à la fois et toutes les couleurs… tous les motifs !… tout sens dessus dessous !… prétendre vous les présenter à plat, debouts ou couchés, serait mentir… la vérité : plus aucun ordre en rien du tout à partir de cet attentat [contre Hitler]… » p.318.

La débâcle de fin 44 dans le tremblement continu des Forteresses maîtresses du ciel a quelque chose d’un crépuscule des dieux. Pendant ce temps cosmique, les petites haines humaines recuisent, sans répit, dans la réalité terrestre. Autoritarisme rigide, frasques sexuelles, esclavage par le maître, vanité de vaincre, bouillonnent et éruptent dans le chaos. L’histoire se double d’une quasi intrigue policière où le village cherche à tout prix à accuser du meurtre des trois hobereaux haïssables les trois Français, parfaits décalques des haines et boucs émissaires propice à fusion retrouvée dans la débâcle. Ferdine, Lili et La Vigue (pour Louis-Ferdinand, sa femme Lucette et l’acteur Le Vigan) sont prévenus par des Français requis (hostiles au Reich et pas collabos). Le trio doit se montrer constamment aux côtés des autorités et sous les yeux du village durant la nuit des meurtres, de peur qu’on leur fasse un sort expéditif. Ce pourquoi ils trimballent partout en sac Bébert le greffe, le gros chat familier.

Les personnages, issus du réels mais réinventés par Céline, sont hauts en couleur. Céline les enprouste par la mémoire, les rabelaise par la gouaille, les santantonise par l’argot. Style matamore, héneaurme, épopée. Plus Malaparte que Flaubert, au fond, précurseur de San Antonio. Le Rittmeister, 80 ans, joue et fesse les petites filles polonaises aux robes légères et toujours pieds nus. Marie-Thérèse von Leiden aimerait bien du sexe, elle dont le mari est amputé des deux jambes. Kracht, vieux sergent de police, est raide et bon garçon comme un Teuton de caricature. Le médecin général SS Haas a la rondeur du pouvoir, le bras long et jouit de l’existence comme elle vient, tant qu’elle dure. Le pasteur est taré, les gitanes séductrices et rusées, les villageois hostiles aux étrangers. Pas facile de « collaborer » avec des xénophobes au nom de la xénophobie !

Des procès après guerre montreront combien Céline a joué avec les vraies personnes pour en faire des caricatures de tragédie, chargées en hystérie. Même Le Vigan est déformé en fol en Christ. Et le chat Bébert déclenche à lui tout seul la flak de Berlin en allant batifoler dans le parc SS (p.377). Mais qu’est-ce que « la vérité » ? L’énormité confortée par la toute-puissante Opinion ? L’époque élevait les « foâmmes » et rabaissait les « mômes ». Céline, lui, remet sur ses pieds l’ordre naturel : la beauté est dans le naturel môme, pas « dans les grands Illustrés de la Beauté »« les femmes sont déjà plus regardables.. ; je veux dire vétérinairement, à la façon saine et honnête dont sont jugés poulaines, lévriers, cockers, faisanes… ». Il objecte lui-même, allons, « les femmes ne sont pas que corps !… goujat ! elles sont ‘compagnes’ ! et leurs habits, charmes et atours ? à votre bonne santé ! si vous avez le goût du suicide, charmes et babil, trois heures par jour, vous pendre vous fera un drôle de bien !… haut ! court !… soit dit sans méchante intention ! ou vous passerez toute votre vieillesse à en vouloir à votre quéquette de vous avoir fait perdre tant d’années à pirouetter, piaffer… faire le beau, sur vos pattes arrières, sur un pied, l’autre, qu’on vous fasse l’aumône d’un sourire » p.478.

Beaucoup moins haché et éructant que les précédents, ce roman renoue avec le style du ‘Voyage’, mieux maîtrisé pour cibler l’émotion. La vérité sourd des mots par les décalages de vocabulaire, le parler cru, les trois points, les bruitages. « Je vous mène, je vous fais voir ». Et l’on suit. Le lecteur interpellé souvent, ramené au présent célinien des années 1950 puis remporté fin 1944 par le fil solfatare de la mémoire, est emporté par le torrent. ‘Nord’ se lit très bien.

La pression de la guerre met à nu les instincts : la peur venue du ciel, l’obsession de la bouffe, l’avidité sexuelle (que Céline appelle « l’instinct braguette »), les fantasmes pour l’enfance. Si le vieux hobereau attouche et sadise les petites filles, Céline admire plutôt les « enfants sauvages ». Ce sont les petits Russes prisonniers avec leurs parents à Zornhof. Ils courent pieds nus dans la première neige en portant des briques aux adultes, se bousculent, se battent, roulent en haillons défaits dans la boue, se relèvent en riant malgré les bombes. Il y a une capacité à jouer de l’enfance, à se refaire dans toutes les situations, qui séduit la vitalité de Céline. Dans chaque roman, il revient inlassablement sur « les mômes ».

Et ce ne sont pas les petits hitlériens blonds sportifs adulés de la Collaboration, qu’il aime. Ceux-là sont décrits au contraire comme agressifs et groupés, le pire de la foule ignare et lyncheuse. Une bande de 12-14 ans a cru voir en Céline et ses compagnons dans le métro de Berlin ces fameux « parachutistes » de la Propaganda parce qu’ils portaient des canadiennes. Ces hordes cracheuses de haine et griffeuses, réagissant comme des chiens de Pavlov aux images ancrées par la publicité nazie, ne peuvent être chassées que par de grands SS adultes, ce qui arrive heureusement. L’ordre hiérarchique règne. Céline fait de ces bandes d’enfance l’embrigadement politique par excellence, l’Opinion toute pure, fanatique et bornée, parfaite exécutante. Céline : « anarchiste suis, été, demeure, et me fous bien des opinions ! » p.394. Ce qui lui sera évidemment reproché par les groupistes, tant par les pronazis que par les zhéros-grands-résistants de la dernière heure. Comme le Tartre (Sartre).

L’enfance est l’âge d’innocence où l’existence est anarchiste et tout instinct. Avec elle on peut s’entendre. « Quand elle a fini d’être môme, l’humanité tourne funèbre, le film y change rien (…) là, dans les étendues à Zornhof, à travers patates, ça s’amusait énormément, marmaille nu-pieds… à coup de navets ! à coup de carottes ! filles contre garçons !… plus tard quand on a des chaussures, on a peur de les abimer… le bel âge on regarde à rien, pflac ! une beigne et une autre !… » p.410. Il écrit comme on cause, Céline, avec des onomatopées comics qui imagent le bruit. Lui le popu, né à Paname, n’a jamais été à l’aise en société. Car la société début de siècle est hiérarchique, figée en castes. Il faut être « né », hobereau ou bourgeois, le populo n’a qu’à obéir et subir sans rien dire. « Le vrai rideau de fer c’est entre riches et les miteux… Les questions d’idées sont vétilles entre égales fortunes… » p.417.

Louis-Ferdinand Céline, Nord, 1960, Romans II, Gallimard Pléiade édition Henri Godard 1974, 1272 pages, €50.35

Louis-Ferdinand Céline, Nord, Folio 1976, 625 pages, €8.45

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