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Notre désir s’accroît des difficultés, dit Montaigne

Tout le chapitre XV du Livre II des Essais est consacré au désir. « Nous défendre quelque chose, c’est nous donner envie », dit Montaigne. D’où l’imbécilité de la censure, soit dit en passant. Le plaisir ne naît que de ce que l‘on peut perdre. Si tout est abondant et gratuit, où est donc le désir de prendre et d’en jouir ? Il en est ainsi des biens comme des femmes, tout ce qui se refuse fait envie. La nudité intégrale devenue habitude n’affole pas le désir sexuel, au contraire des voiles et abayas qui ne laissent voir (d’ailleurs jusqu’à quand ?) que les yeux. Tout ce qui est rare est cher – à tous les sens du mot. Le mensonge attire le désir de vérité et le non-dit la parole. C’est ainsi que tout dire servirait la démocratie et que tout déballer sert la cure psychologique. La liberté intégrale d’expression serait le moteur de la liberté tout court.

« Pour tenir l’amour en haleine, Lycurgue ordonna que les mariés de Lacédémone [Sparte] ne se pourraient pratiquer qu’à la dérobée ». Pratiquer veut dire baiser, mais que cela est bien euphémisé. Il en est de même du sexe, où l’on fouette le désir : « La volupté même cherche à s’irriter par la douleur ». En fait, c’est la difficulté de les obtenir qui donne le prix aux choses. De là le viol, mais aussi le snobisme.

Forcer une femme était en ces temps-là un jeu du désir, probablement assez partagé. « Il y a non seulement du plaisir, mais de la gloire encore, d’affoler et débaucher cette molle douceur et cette pudeur enfantine, et de ranger à la merci de notre ardeur une gravité fière et magistrale », dit Montaigne des femmes qui se parent d’une « honte virginale » et font « profession d’ignorance des choses qu’elles savent mieux que nous qui les en instruisons ». Les coquettes affectent de dédaigner pour mieux ferrer et ne disent non que pour mieux signifier oui. Notre temps petit-bourgeois exige de mettre tous les points sur tous les i et récuse ces jeux de l’amour et du hasard. Montaigne vivait en son époque et philosophe sur sa propre expérience. Il en conclut qu’« il n’y a raison qu’il n’y en ait une contraire. » Et la possibilité même du divorce affine le désir de garder. « Ce qui est permis n’a aucun charme, ce qui n’est pas permis enflamme les désirs », dit Ovide cité par Montaigne.

Le snobisme est du même ordre psychologique : affecter une mode d’ailleurs pour mieux se distinguer excite le goût à la suivre. « Il ne se voit guère de Romains en l’école de l’escrime à Rome, qui est pleine de Français. » Ce qui est loin et cher attire plus que ce qui est à portée et à bas prix. La servilité de mode envers les Yankees, qui sévit à tous les niveaux de notre société française, y compris la plus intello et à la plus à la pointe du vent écolo-féministe, est de même essence. Il s’agit de choquer le bourgeois en adoptant des mœurs d’Iroquois et des concepts qui n’ont aucun sens dans notre culture, comme le woke. Ces pseudo-éveillés sont endormis par la propagande gauchiste américaine et se posent en avant-garde dans nos vieux pays qui, disons-le tout net, n’en ont rien à foutre. Quand le peuple vote, il vote contre ces histrions et snobinards et, poussez-le un peu plus, il votera carrément pour la réaction.

Une fois ces considérations menées et détaillées, Montaigne à son habitude prend le parti contraire – juste pour voir s’il le tient. Qui n’a pas d’arme ne se fait point attaquer, suggère Montaigne sur l’exemple des « Argipéens, voisins de la Scythie [territoire des Scythes, autour de la Volga], qui vivent sans verge ni bâton à offenser ; que non seulement nul n’entreprend d’aller attaquer, mais quiconque s’y peut sauver, il est en franchise, à cause de leur vertu et sainteté de vie. » Là est la raison, semble dire Montaigne, et nul doute que la prolifération des armes en vente quasiment libre aux États-Unis n’entretienne la facilité de tuer et ces crimes de masse de la solitude psychologique vite paranoïaque.

« Les serrures attirent les voleurs », selon Sénèque cité, car ce qui est protégé montre qu’il y a du bien à voler. Ce ne sont pas les banques, bardées de coffres blindés de plus en plus sophistiqués qui vont le contredire. Montaigne le prend pour lui et déclare, en son temps de guerre civile au prétexte de religion, que « la défense attire l’entreprise, et la défiance l’offense. » Lui-même ne clôt pas sa maison, ni ne la fortifie plus qu’elle ne l’est car la défense n’est jamais complète et l’attaquant toujours plus inventif. Il s’en remet à la Providence pour avoir déjà bien vécu. Ce laisser-aller est pour lui sagesse, dans la suite du chapitre, car ce qui est offert sans défense n’attire pas le désir – sauf celui de gratuitement mal faire, qui sévit malheureusement dans certaine jeunesse ignare et haineuse d’aujourd’hui.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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Les dessous du retour à la nature

Revenir aux sources, respirer, reprendre des rythmes naturels, vivre et manger selon les saisons, pratiquer le tourisme « vert » – quoi de plus attirant dans nos sociétés urbaines, civilisées et stressées ? Sauf que ce tropisme n’est pas innocent, ses dessous ne sont pas immaculés. Or la clé du naturel réside dans l’équilibre : les humains sont des êtres de nature ET des êtres sociaux. L’un ne va pas sans l’autre et, à trop oublier un plateau, la balance penche d’un seul côté.

Les années 60 sont allées trop loin dans la dénonciation du béton, de la jungle urbaine et de l’aliénation au travail – lisez Le Clézio. Les années 80 ont appliqué de façon scolaire le chèvre chaud collectiviste, les sabots suédois sociaux et les poutres apparentes traditionnelles, transformant toute vieillerie en « objet de mémoire » et toute bourgade française en village-Disney puisé dans les pages de Balzac. Qui n’aperçoit ces mêmes réverbères « ancien régime » coulés au moule en Ile-de-France comme en Périgord ou en Savoie ? Ces pavés « authentiques » ? Ces auberges « de charme » ? Ces produits « bio-du-terroir » provenant parfois d’Europe de l’est ou de Chine (le foie gras, les champignons, les pommes…) ? Les années 2000, travaillées d’identitaire et d’anti-gaspillage, ne sont pas en reste : voyager, ça coûte à la planète ! Tout déplacement en avion vous rend coupable d’un bilan-carbone que la vox populi dénonce en vous montrant du doigt. Quand vous allez à l’hôtel, vous consommez de l’eau trop rare pour laver vos serviettes ; quand vous achetez, vous confortez des rapports d’exploitation ; quand vous marchez, vous écrasez l’herbe ; quand vous respirez, vous nous pompez l’air…

De tels excès dans le discours ont tout d’une nouvelle religion et rien du « naturel » prôné par ailleurs.

Quels sont ses fondements ? Un vague mélange d’orientalisme zen et de new-age californien, peut-être parce que seules les idées venues des antipodes pourraient écarter le soupçon d’être « classique » – trop Européen, mâle, blanc, adulte, rationnel, raisonnable, modéré… ? Ne faut-il pas une haine de soi particulière pour évacuer d’un coup toute la tradition européenne, accusée de tous les maux ? Elle serait :

  • impérialiste – comme si la Chine ou le monde musulman n’avaient jamais été ou n’étaient pas « impérialiste »
  • colonialiste – comme si les Han en Chine, les Turcs anti-Kurdes, les Saoudiens haineux de tout ce qui n’est pas conforme à la charia, les Russes intolérants aux Tchétchènes, les Japonais si conventionnels, n’avaient pas des traits coloniaux
  • industrielle – comme si l’Europe seule exploitait les ressources à outrance, mais surtout pas les Etats-Unis, ni la Chine, ni le Brésil…
  • libérale – dans le sens réduit de l’économie prédatrice des pétroliers texans

Il nous est donc enjoint de « lutter », de « résister », de boxer en poids alter :

Contre ledit libéralisme, surtout valoriser le « petit », en idée reçue : petit producteur, petit commerçant, petit artisan. Seul le petit-bourgeois a droit de cité, surtout s’il pratique la méditation et se nourrit bio dans une maison solaire en cultivant son jardin « biodynamique » et conduisant son « hybride » ou sa Zoé tout-électrique. Et s’il vote à gauche – pas la gauche traditionnelle mais les marges survalorisées des anarchistes écologistes : surtout sans structures !

Contre l’impérialisme, replions-nous sur nous : on est bien sous la couette, pas besoin de sortir, on commande par le net ou le mobile, on ne voyage surtout pas, on ne sort pas de ses petites zabitudes et on vote intolérant à toutes différences. Et Dieu m’habite, comme disait l’humoriste.

Contre le colonialisme, changez de religion : tout ce qui est métissé, soft, spirituel, vaut mieux que n’importe quelle église ou tradition instituée. En revanche, pas touche à « notre » identité ni à « nos » mœurs, on ne va plus chez les autres alors pas de ça « chez nous » !

Contre l’industrie – néfaste, forcément néfaste – valoriser le « naturel », le proche, le troc. Le bio mais pas le sauvage, le cru mais pas le nu ! Car « la morale » reste chrétienne – forcément chrétienne – même chez les laïcards écolos. Sauf dans le « culturel vivant », réduit à la provocation toujours en surenchère : se vautrer nu dans le sang sur la scène en hurlant, peindre avec des étrons sur des paquets de lessive, vendre sa merde en conserve, pisser sur le Christ, autodétruire son œuvre peinte en pleine salle des ventes… Un écrivain gagne-t-il de l’argent ? quelle médiocrité de style ; un chanteur a-t-il du succès ? vite le télécharger gratuitement : l’argent est le mal, peut-être parce qu’il prend toutes les formes comme le Diable, qu’il permet tous les désirs au détriment de l’égalité revendiquée.

L’Occident était la raison scientifique et l’essor des techniques. Revalorisons donc son inverse : le cœur plutôt que la raison, le sentiment plutôt que le savoir méthodique, le bricolage plutôt que la technique – en bref le romantisme antimoderne contre le classique de raison, l’adolescence plutôt que la maturité.

C’est ainsi que les écolos de la revue Ushuaïa s’exilent en maisons de torchis au toit de chaux et boivent des tisanes d’orties. Contre la cité des hommes, vive la nature sauvage. Il faut la préserver, la conserver, s’y immerger sans s’imposer. Comme seule la nature est « authentique », elle dicte sa loi naturelle. Le règne de la nature ne se discute pas démocratiquement : qui y croit déteste la négociation qui crée des « droits » humains et toute culture qui transforme inévitablement le naturel. Le sauvage devient forcément « bon », le spontané la seule éducation, la terre le seul « être » qui ne mente pas et toutes les bêtes des « personnes » douées de droits (mais sans devoirs) ! La morale qui vaut ne saurait être « contre nature », pointez donc du doigt les déviants comme les koulaks au temps de Staline, pourchassez les grands voyageurs, les dévoreurs de kilomètres, les bouffeurs de viande ! Se retirer au désert devient alors le seul moyen de « se trouver », tous les autres sont plus ou moins nocifs. La société aliène, tout comme le travail, il faut s’en retirer. C’est ainsi qu’on valorise d’abord la famille, ensuite le clan, puis le terroir, sans se préoccuper de France ou d’Europe. Quant au « monde », il ne peut être qu’hostile depuis qu’il est globalisé. Même le paon ricain Trump est d’accord.

A-t-on compris ce qu’il y a de régressif, de fusionnel, de nostalgie fœtale, de pensée « réactionnaire » (antimoderne, préfasciste, pétainiste, maoïste) dans de telles idées ?

L’équilibre est le raisonnable.

On l’appelle aussi le durable (« soutenable » n’est qu’un anglicisme snob). L’homme est un être de nature ET un être social. Il est un animal, prédateur comme les autres – mais intelligent, donc conscient de ce qu’il fait. Un individu mais qui ne se construit que dans le groupe. Il n’agit pas tout seul mais réfléchit en grappe et aménage son nid avec les autres et près des autres. Savoir « raison garder » veut dire que l’émotion primaire ou le sentiment immédiat n’est pas tout et qu’on ne lâche pas la bride aux instincts. La maîtrise doit rester l’idéal humain. Sans positivisme béat ni mystique romantique. En équilibre : humain, raisonnable, civilisé.

Vaste programme à la fois contre les fumeurs de clopes et les bouffeurs de racines !

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Conséquences géopolitiques de la crise que nous vivons

L’explosion du trend de la finance américaine à l’été 2007, avec ses conséquences en cascade sur l’économie, l’endettement des États et l’emploi, remet tout simplement en cause la domination américaine sur le monde. Les États-Unis ne le savent pas, mais leur puissance est en net déclin – et la nôtre avec.

Fallait-il libéraliser la finance à la fin des années 1970 ? Oui, sans aucun doute, car le monde s’était ouvert avec l’effondrement de l’URSS en 1991 et l’ouverture à l’entreprise du PC chinois dès 1978. La dérégulation a facilité le crédit aux pays en développement et a permis dans les pays développés l’essor des start-up d’innovation telles qu’Apple, Google, Amazon. Un crédit trop contrôlé est un crédit rare – donc cher et frileux. Les États-qui-pouvaient-tout (ainsi pensait-on depuis Roosevelt), se sont trouvés fort dépourvus quand la crise fut venue… d’Iran déjà. L’ayatollah Khomeiny a fait tripler les prix du pétrole d’un claquement de sandales en 1979 et toute l’industrie des pays développés s’est quasi effondrée. Ce furent la sidérurgie, Renault aux voitures-tanks qui rouillaient, la bureaucratie IBM ou celle des compagnies aériennes américaines qui ne pouvaient suivre.

Fallait-il libéraliser sans plus rien contrôler ? Non, sans aucun doute, mais le balancier était allé trop loin dans l’étatisme, le vent de liberté a grisé les acteurs et a permis – ne l’oublions pas, les années 1990 « rugissantes » (titre américain d’un ouvrage de Stiglitz, traduit démagogiquement en français sous le titre ‘Le capitalisme perd la tête’). Les transactions financières représentent aujourd’hui quelques 70 fois la production mondiale (contre 25 fois en 1995), les opérations de change sont 50 fois les échanges réels de biens. Tout va très vite, se complexifie, se multiplie – et personne ne comprend plus grand-chose (même les créateurs de subprimes).

Réguler s’avère donc nécessaire car les risques sont majeurs :

  • La rentabilité financière fonctionne hors sol, de plus en plus déconnectée des résultats de l’économie réelle.
  • Les États sont plus vulnérables qu’avant au risque de crise globale du système financier, toutes les banques sont atteintes par les flux qui circulent à la vitesse de la lumière dans le monde entier.
  • Les paradis fiscaux, entretenus par les gros États pour leurs propres intérêts politiques et géostratégiques, engloutissent des capitaux flottants – légaux ou illégaux – dans un trou noir sans aucune transparence, qui menace tout le système financier mondial.
  • Les banques centrales n’ont plus guère de moyens, sinon de racheter à guichet ouvert les emprunts créés par les États pour soutenir leurs banques et financer leur fonctionnement. L’accélération des pratiques due aux perfectionnements techniques des communications rend toute « politique » hasardeuse. Le marché global fonctionne dans l’extrême immédiat (25 000 opérations par seconde), avec pour objectif un gain à très court terme fondé sur de faibles écarts, sans plus de référence à une quelconque tendance.
  • La multiplication des emprunts d’État et autres Bons du Trésor rend dépendants les pays qui les émettent envers ceux qui les rachètent (la Grèce de la BCE, les États-Unis du gouvernement chinois…)

L’année 2007 a donc été une vraie rupture, tout comme 1929 puis 1945 et 1991. Les pays occidentaux sont entrés en déclin accéléré, les pays émergents en essor accéléré. Tout va plus vite – mais pas dans le même sens, à l’inverse d’auparavant. Les courbes devraient se croiser avant 20 ans…

Les États-Unis ne sont plus les maîtres du monde car l’économie stagne ; ils entraînent l’Europe à leur suite, en récession pour des années ; seul le Japon surnage, notamment parce qu’il commerce de plus en plus avec la Chine. Car, même si la croissance des émergents a ralenti en raison des moindres importations occidentales, le rythme de croissance se maintient bien au-dessus de celle des pays développés.

Le modèle économique néolibéral anglo-saxon a montré ses limites, le consensus de Washington est bien terminé. La régulation par le seul jeu du marché ne suffit pas et la politique reprend ses droits. Les États interviennent, certes, mais surtout les organismes supranationaux, et plus qu’avant. Car – François Hollande vient de s’en apercevoir – l’État national ne peut pas tout ! Sauf à fermer les frontières et à entrer en régression économique et sociale style Corée du nord. Le modèle économique du capitalisme d’État chinois ou coréen du sud (ou même japonais), semble avoir le vent en poupe, tant les « idées » s’affirment lorsque la puissance matérielle croit (Marx l’avait dit…).

Mais le risque systémique est mondial, tout comme la limitation des ressources et les dangers de la pollution. Les grands déséquilibres d’excédents massifs (Chine, Allemagne) et de déficits massifs (États-Unis, sud de l’Europe), ne peuvent se régler que par des négociations multilatérales sous une égide globale : le FMI et la Banque mondiale s’imposent plus que les États-nation, car nous avons changé de monde. Le système monétaire mondial passera par le yuan et le dollar, puisque l’euro n’est pas soutenu par une entité politique. Le dollar pourrait perdre son statut de monnaie de règlement international. Ce qui aurait pour conséquence une dégradation de la note de crédit du pays, donc le renchérissement des emprunts et une diminution de leur potentiel de croissance…

Faute d’État fédéral européen, ou même de consensus économique, social et fiscal, nous restons liés aux États-Unis pour toute régulation mondiale. Ce qu’ils font, nous le suivons ; ce qu’ils retardent, nous retardons. Nous, Européens, ne sommes pas indépendants faute de nous entendre. Les Mélenchon-Le Pen surgissent un peu partout dans les élections nationales des États de l’UE. Ils croient qu’à jouer leurs petits intérêts démagogique ou xénophobes, ils vont sauver leur peuple. Mais non : pour exister, il faut faire bloc pour jouer de notre puissance à l’égal des États-Unis et de la Chine. Faute de quoi, nous ne saurions être à l’abri des remous qui surgiront inévitablement du déclin américain et des problèmes intérieurs chinois.

L’auteur de cette analyse ci-dessus a écrit ‘Les outils de la stratégie boursière‘ (2007) et ‘Gestion de fortune’ (2009).

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Aurons-nous un krach de l’immobilier en France ?

L’immobilier sert à se loger, il dépend en ce cas des moyens que l’on a d’acheter ou de rembourser ses emprunts avec ses revenus réguliers. Mais il sert aussi de placement, pour sa retraite, loger un enfant étudiant ou jeune travailleur, ou pour éviter les placements financiers et le dépôt d’actifs en banque. Il faut donc distinguer les deux approches si l’on veut comprendre le marché immobilier 2011. Si se loger reste toujours crucial, placer est moins urgent. Le marché immobilier devrait donc consolider, sans pour cela qu’un krach se produise en France.

La demande de logement est toujours forte en raison de l’évolution

  • démographique (taux de fécondité soutenu, mariages tardifs, existence prolongée),
  • sociale (plus de familles monoparentales, mutations et déménagements, crainte pour sa retraite)
  • désir d’habiter « la plus belle ville du monde » dans le cas particulier de Paris (les comparaisons en euro du prix au m² restent favorables) ou la province française (pas chère comparée à l’anglaise, l’allemande ou l’italienne du nord).

La demande de placement a explosé à la suite de la crise financière systémique née à l’été 2007 des malversations bancaires : prêts subprimes et produits dérivés devenus invendables. Les banques ont failli craquer et nombre d’entre elles ont été mises sous oxygène par les États. Parmi les investisseurs, un mouvement de panique s’est produit, consistant à diversifier ses banques, à retirer les valeurs en liquide pour les placer en or physique ou en œuvre d’art dans un coffre chez soi, et à sortir des actifs boursiers pour acheter des valeurs réelles (terres, vignobles, parts d’entreprise, immobilier).

Pour se loger, on ne compte pas. Ou plutôt, le rendement locatif n’est pas la mesure qui convient, ce pourquoi quelques-uns parlent de « bulle » alors que l’investissement n’est pas ce qui mène actuellement le marché immobilier en France. Le ratio des revenus et aides sur le prix (ce qu’on appelle le taux d’effort) est premier. La situation a été plutôt favorable depuis 2009 avec la baisse des taux à un niveau historiquement bas, la fiscalité Scellier, prêt à taux zéro et le crédit d’impôt pour les intérêts d’emprunt, tandis que le revenu net réel continuait tout doucement d’augmenter contrairement à quelques pays voisins, malgré la crise  et avec une faible inflation.

Cette situation change en 2011.

L’inflation revient et les taux d’intérêt bas sont derrière nous, même s’ils ne devraient pas grimper brutalement à horizon prévisible. Certains évoquent une crise de dettes souveraines qui obligerait la BCE à faire monter très vite les taux pour défendre l’euro et conserver son pouvoir anti-inflation. Nous n’en sommes pas là, la situation reste raisonnablement sous contrôle. La restructuration exceptionnelle de la dette d’un pays, ou sa sortie provisoire de l’euro, pourraient être des sas de décompression pas encore utilisés en cas de crise. Quant aux revenus, ils ne vont pas grimper au-delà du minimum en raison d’une croissance en veilleuse, d’un chômage élevé persistant et de mesures fiscales nécessaires pour réduire le déficit d’État.

Côté placement refuge, ceux qui voulaient diversifier leurs actifs l’ont déjà fait. Le marché des actions se maintient, avec des résultats honorables compte-tenu des progrès de productivité et de réduction des coûts. Le marché des obligations n’est pas fier, mais le rendement comparé des loyers immobiliers est obéré de plus en plus par la hausse des taxes, des mises à niveau pour performance énergétique ou sécurité (ascenseurs, détecteurs de fumée, bilan thermique…), du prix des syndics et des impayés dus à la crise.

Certes, la pierre protège de l’inflation, à condition d’entretenir le bien. Le long terme montre que la plus-value est en gros inflation+1%. Mais si l’inflation revient, elle ne s’envole pas, scrutée par tous les économistes, les marchés et les banques centrales. Et lorsque l’inflation est basse, le cycle de l’immobilier est plus sensible aux taux d’emprunt et à la sécurité du placement. Celle-ci va du bien placé facilement vendable à la fiscalité du patrimoine (donc l’ISF, les taxes foncières et d’habitation, les droits de mutation et de succession). Les taux remontent et la fiscalité aussi, ce qui réduit l’intérêt de l’actif immobilier sans toutefois l’abolir.

Alors, krach ou pas ?

Nous ne croyons pas au krach français dans l’immobilier. Les particuliers n’empruntent pas à taux variable comme dans les pays anglo-saxons, mais à taux fixe. Ils ne prennent donc pas un crédit revolving qui leur permet d’extraire du revenu supplémentaire de la hausse de leur bien immobilier, mais remboursent régulièrement à un taux maximum de 30% de leurs revenus annuels. Les banques françaises sont restées traditionnelles à cet égard, ce qui leur a évité les déboires spéculatifs des banques irlandaises, espagnoles et anglaises.

Le cycle ?

Il est en général de 6 à 10 ans, déterminé par l’endettement. La durée moyenne de détention du logement est en moyenne de 7 ans en France, ce qui explique le cycle. Il ne faut pas oublier que lorsque l’inflation est très basse, l’emprunt est plus difficile à rembourser puisqu’il ne s’allège pas au fil des années. En contrepartie, les taux d’emprunt sont bas aussi (bien que toujours supérieurs à l’inflation), ils permettent un endettement plus long, jusqu’à 25 ans. La durée du cycle actuel en est évidemment affectée.

Le dernier creux immobilier de 1997 a connu son top en 2007. La correction 2008-2009 a duré 18 mois, ce qui paraît peu puisque la précédente avait duré 5 ans. Mais la situation n’est pas la même :

  • Nous avons vu la faible inflation et l’allongement des emprunts
  • Les banques avaient fait de la spéculation immobilière en tant que promoteurs au début des années 1990 – pas à la fin des années 2000.
  • L’attrait du placement refuge après les années de bulle des actions était beaucoup plus fort que dix ans avant (krach 2000 des actions technologiques, krach des subprimes 2007).
  • La comparaison en euro des prix français par rapport aux pays voisins est nouvelle dans ce cycle (l’euro n’existe que depuis 2000), ce qui valorise notre territoire vaste et assez peu peuplé, ou le prix comparé du m² parisien par rapport à Londres, Berlin ou ailleurs.
  • La rareté du foncier dans Paris engendre une offre faible qui maintient des prix élevés pour les bons emplacements.
  • Par rapport au cycle précédent, l’effet transport (TGV et avion low cost) a favorisé l’achat de résidences secondaires ou de fermettes par les étrangers.
  • Il n’y a ni emballement généralisé et autoentretenu des ventes, des prix et du crédit, ni comportements spéculatifs allant jusqu’à revendre plus cher des promesses de vente comme en 1989 !

Mais il ne faut pas extrapoler la situation française d’après la situation parisienne. Nous devrions avoir un dégonflement des prix global, mais pas de krach brutal ni généralisé. L’immobilier bien placé et socialement désiré restera un bon placement, soit de prestige si l’on veut l’habiter, soit d’investissement si l’on veut le louer. Se méfier donc des prix soufflés dans des quartiers loin des centres, mal isolés et soumis aux transports aléatoires. Mais se souvenir que ce qui est rare est cher.

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