Une femme s’adresse aux femmes dans un Paris occupé. Ce recueil d’articles donnés au Petit parisien du 16 octobre 1940 au 11 décembre 1941, parmi les collabos littéraires comme Claude Farrère, Jean de La Varende, J-H Rosny jeune, Sacha Guitry, Pierre Benoît, Abel Bonnard (pour ne citer que ceux dont les noms sont restés) – jusqu’à l’arrestation de son énième mari, Maurice Goudeket, juif. Elle témoigne de la vie quotidienne dans le centre de la capitale. Le recueil est publié en 1942 sous le titre De ma fenêtre et republié corrigé en 1944 avec une préface bavarde de Francis Carco.
De sa fenêtre du Palais royal, au premier étage au-dessus du restaurant Le Grand Véfour, elle observe les passants des galeries, les putains qui font le tapin, les enfants qui jouent au sable, les chiens qui pissent sur les bosquets. Elle est voisine de la Comédie française qui reprend ses représentations, et de Jean Cocteau qui habite le quartier.
Mais Colette est avant tout présente de façon hebdomadaire pour conseiller « les chères femmes » (dont l’expression disparaît des articles une fois publiés en volume). Les événements du jour lui permettent d’évoquer ses souvenirs personnels de vieille dame et de poser une sagesse immémoriale tirée de la terre et de la campagne – thèmes chers au pétainisme. Il fait froid car l’hiver est rigoureux ? Que n’a-t-on pas posé des double-fenêtres, des portes sans jour au-dessous, des chauffages au bois ! Il faut se vêtir et ne pas sortir à la mode, en escarpins et jupes courtes avec des bas trop fins. Si les enfants n’ont pas froid quand ils bougent, dès le retour à l’appartement, il faut les vêtir plus, les abreuver de boissons chaudes.
Suivent des recettes de grand-mère pour accommoder les restes et les ersatz, comme cette « flognarde » faite de deux œufs seulement et de farine, avec à peine de sucre, qui tient bien au corps et réchauffe l’âme en souvenir du bon vieux temps à la ferme. Ou encore ces tartes à tout, aux fenouils, à l’ail des ours, aux champignons du Bois. Les châtaignes sont un bienfait, une farine des arbres qui ne coûte pas cher et même rien quand on va la récolter dans les forêts près de Paris, où elle abonde. Quant au rutabaga, tout le monde en a marre – et jusqu’à aujourd’hui.
Enfin des trucs pour bricoler les vêtements, rapetasser, faire du neuf avec du vieux. Comme récolter les vieux bouts de ficelles qui ne servent à rien pour les démêler et en faire de la bourre pour coussin, ou ficeler des journaux autour des jambes le soir, ou encore tendre du papier d’emballage entre les couvertures pour avoir plus chaud – en accueillant le chat, qui est une bouillotte à lui tout seul. En fait, « le Français » est bricoleur, la Française aussi ; le pays n’a pas d’honneur mais l’art de la débrouille. Même les scouts s’y mettent en donnant des conseils à leurs mères.
Mais Colette n’aime pas les enfants. Comme les bêtes, ils doivent se dresser. Avec l’âge, elle supporte de moins en moins le bruit des jeux, dans ce Palais Royal où tout résonne sur les murs en carré. Pourquoi les parents donnent-ils à leurs fils des sifflets de flics, des trompettes de fanfares et des pistolets à amorce de soldats ? Tant de bruit pour rien alors que les pères ont déchu en 40. Les mères démissionnent de toute éducation et laissent faire. Cris et hurlements pour jouer sont autre chose que pleurs pour quelque chose. Surtout quand l’enfant, souvent une fillette, est martyr : les journaux rendent compte du sadisme de quelques parents, dont un couple sera condamné à mort pour avoir battu comme plâtre leur gamine et l’avoir jetée dans la Seine.
Les souvenirs sont de cheminée (rien de tel quand il fait froid), de veillée en commun (rien de tel quand on se sent abandonné), de poupées de chiffons (rien de tel quand Noël n’apporte guère de jouets). Et puis le théâtre, puisqu’il reprend à sa porte, les répétitions, le music-hall.
Évidemment les bêtes, les corneilles qui tombent des clochers sur le jardin, les chats qui chassent le rat pour manger par « haine raciale ». Nécessité n’est pas gourmandise, les chères lectrices rationnées auront compris, mais le terme repris de la propagande contre les Juifs sonne un peu bizarrement. Colette se sent-elle chatte pour chasser par nécessité du temps l’ennemi héréditaire, le rat-juif ? Ou n’use-t-elle de cette expression que parce qu’elle est dans l’air du temps, comme sans y penser ? Ne pas y penser, justement, montre combien les gens les plus intelligents, comme Colette, peuvent se « laisser aller » à suivre le mouvement de l’opinion par inadvertance, moutonnant avec les moutons jusqu’à dire des horreurs qui seront ainsi peu à peu acceptées par tous.
La gauche française, qui s’est dite longtemps « morale » pour faire la leçon à tout le monde, est aujourd’hui empêtrée dans ses contradictions, soutenant à toutes forces le Hamas terroriste à vision génocidaire, tortillant du cul pour ne « pas dire » le mot « terrorisme » et l’euphémiser en « résistance ». Non qu’Israël, son Premier ministre populiste et son gouvernement réactionnaire n’aient rien à se reprocher, loin de là ! Mais ne pas dire que massacrer des civils en franchissant la frontière, violer des femmes et en faire des vidéos machos à leur gloire de barbares, prendre en otage des enfants – ne pas dire que c’est du terrorisme à condamner, voilà le premier pas vers la conversion au fascisme. Qu’il soit rouge stalinien ou noir islamiste, qu’est-ce que cela change ? Le premier pas de cette acceptation est le mot employé : « race » pour Colette hier et « résistant » pour la gauche aujourd’hui.
L’arrestation de son mari juif en décembre 1941 va remettre la vieille écrivaine sur les rails du bon sens.
Colette, Paris de ma fenêtre, Fayard 2004, 252 pages, occasion €16,00, e-book Kindle €4,99
Colette, Œuvres tome 4 (1940-54), Bibliothèque de la Pléiade 2001, 1589 pages, €76,00
Les œuvres de Colette déjà chroniquées sur ce blog
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