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Marlaguette

« Elle s’appelait Marie-Olga, mais on disait Marlaguette pour faire plus court et plus gentil ». C’est une petite fille convoitée par un loup, métaphore sexuelle habituelle des contes pour dire le danger des hommes tentés par l’extrême jeunesse.

La petite fille va évidemment et sans souci « cueillir des champignons » seule dans les bois. Gueule rouge et oreilles pointues, une grosse bête grise lui saute dessus. Marlaguette n’est pas plus haute que le loup sur le dessin, peut-être par terreur qui rend la bête plus grande.

Le loup l’emporte vers sa tanière mais la fillette se débat, il lui mord sa jupette ras des cuisses pour l’arracher.

En arrivant à sa caverne, il se cogne la tête et Marlaguette « fait la nique au loup », terme sexuellement connoté une fois de plus. Mais sa future vocation de mère prend le dessus, fable morale pédagogique, et sa colère tombe : « Pauvre petit loup ! » dit-elle. La « grosse bête » est devenue « petit loup », le grand méchant mâle dentu un pauvre petit garçon blessé.

Avec son mouchoir trempé à la source, eau nature régénérante, elle fait un pansement au front puis roule le grand corps sur un matelas de feuilles et de mousses et lui fait un parasol d’une fougère. Le loup qui se réveille a perdu ses pulsions carnassières et ne songe plus à dévorer/violer la fillette aux jambes nues jusque très haut sur les cuisses. « C’était nouveau pour lui d’être dorloté et, ma foi, pas désagréable ». Comme quoi les violeurs sont des mal-aimés.

Marlaguette n’est pas de ces filles qui se perdent et elle court direct à sa maisonnette pour faire « un grand pot de tisane », remède de grand-mère que les mères apprennent aux filles pour qu’elles deviennent bonnes mères et sages grand-mères à leur tour.

Herbes et tisanes sont un régime nouveau pour le loup, « lui qui se régalait de viande crue avec du bon jus saignant qui ruisselle le long des babines ». Ainsi pendant huit jours. Un carnassier végétarien n’est pas dans la nature et le geai, oiseau moqueur, se fait le porte-voix du rappel à l’ordre et prédit à Marlaguette que le loup la croquera. Vexé, le loup s’élance mais, trop faible, le manque. Cependant, il ne le loupe pas la seconde fois.

« Qui fut bien furieuse ? Marlaguette ». Et elle donne la fessée au loup qui se repens. Il ne mange plus que « des framboises, des myrtilles, des champignons, des herbes, du pain que lui portait Marlaguette ». De quoi crever.

Un vieux bûcheron, pendant d’une grand-mère pour la sagesse naturelle des nations, prend à part la fillette et lui dit que son loup est en train de mourir car un loup n’est pas végétarien, « son estomac n’est pas fait pour ça ».

Idéal crevé, Marlaguette « pleura beaucoup » ; puis « elle réfléchit toute une nuit » (ce qui est sage pour une fillette qui n’écoute en général que son coeur) et se résigne à être raisonnable : laisser le loup être un loup. L’humain ne change pas la nature par morale – la morale n’est faite seulement que pour changer les humains. Dans le livre, il est entendu que le loup « ne tuait plus maintenant que juste quand il avait faim et jamais plus ne mangea de petits enfants ». Pour les violeurs, c’est la loi qui s’en charge.

Mais voilà une écologie sans le mot qui ramène la raison sur les délires citadins. Le loup, réintroduit par les militants, est un prédateur qui tue et se répand. Tant qu’il n’a pas dévoré à nouveau de petits enfants mais seulement de vils moutons, les écolos en feront un symbole du retour à la nature. Quand les loups entreront à nouveau dans Paris pour croquer le marmot… nous verrons.

Marie Colmont, Marlaguette, dessins de Gerda, 1952, Albums du Père Castor Flammarion 2018, 24 pages, €5.25

CD audio €15.91 (idéal en voiture ! dès 3 ans)

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La région des lacs mongols

Les enyourtés ont bien dormi. Ils ont été cinq à choisir la yourte du russo-mongol plutôt que la tente. Malgré ses angoisses de minet, Francis avoue qu’il ne s’est rien passé.

Ce matin, l’herbe est givrée, il a fait sous zéro durant la nuit. Quand je vais satisfaire un besoin naturel au réveil, deux yaks s’avancent vers moi d’un pas décidé. Que me veulent-ils ? Est-ce que j’empiète sur un territoire qu’ils veulent se réserver ? Je n’y suis pas, ils veulent simplement lécher l’urine qui leur est, semble-t-il, un régal ! Ils ont besoin de sel. Ils ont brouté en grognant tout autour des tentes, la nuit, et Bo les imite parfaitement au petit-déjeuner.

Sur nos chevaux au départ, il fait très froid, il tombe même un peu de grésil en route. Les chevaux veulent se réchauffer et pressent l’allure. Nous prenons la vallée « de l’étalon blanc », Tsagaan Azarga. Le paysage se modifie encore, la forêt s’y confirme. Nous passons même en plein dedans, d’abord à cheval, puis à pied en tirant l’animal par la longe. Le mien, qui est gourmand, est avide de toutes les plantes nouvelles qu’il n’a pas l’occasion de goûter dans la steppe. Il avise les tendres feuilles du framboisier naturel, les herbes drues qui poussent entre les rochers du sentier, les branches d’arbustes, les plants de carotte sauvage. Je le laisse goûter à tout cela, il en est tellement friand. Mais, si je l’écoutais, il passerait sa matinée à bâfrer et il faut avancer. Les Mongols ne laissent d’ailleurs que rarement brouter leurs chevaux durant la course, cela les rendrait plus lents. Ils ne sont autorisés à manger qu’à l’étape, la longe étant attachée au pommeau de la selle lors des haltes pour ne pas qu’ils puissent allonger le cou jusqu’aux herbes. Certains, plus astucieux, se couchent alors sur leur pattes de devant ou laissent carrément tomber sur le ventre pour brouter quand même !

La forêt a pris déjà les couleurs de l’automne. Les feuilles ont cette teinte jaune orangé qui illumine les paysages russes. Le sous-bois en est tout éclairé et comme joyeux malgré le ciel gris. A certains moments, à marcher à la longe parmi les rochers de granit gris affleurant, le bois plus clairsemé, l’air humide qui change de la sécheresse des plaines, je me crois revenu dans une forêt d’Ile-de-France au temps des scouts. Il y avait cette fraîcheur de l’air, cette vie pourrissante et germinative alentour, tandis que les gamins dont j’étais responsable gambadaient comme de jeunes poulains lâchés dans la nature.

La route d’aujourd’hui est plus vallonnée. Nous abordons un premier lac qui ne se forme qu’au printemps. Il n’est que marais en ce moment. Le pique-nique a cependant lieu entre deux voitures entre lesquelles les Mongols ont tendu une bâche pour nous abriter de la neige qui tombe à nouveau sur le paysage. Puis le temps s’éclaircit. Les conserves de poisson russes et les cornichons malassol nous requinquent, de même que la soupe chaude et le riz garni du sempiternel mouton. Sept sur neuf sont quand même malades dans le groupe, Gawa compris. Ils ont fièvre et courante. J’y échappe pour le moment, je ne sais trop pourquoi, peut-être parce que je me nettoie les mains avant chaque repas au gel désinfectant. Les chevaux sont de braves bêtes mais leurs bactéries ne sont pas les nôtres. Mais je bois la même eau que les autres et mange les mêmes choses.

Ma monture est toujours aussi facile, trottant et obéissant sans problème. Il n’y a que le galop qu’elle n’aime pas trop prendre. C’est un cheval un peu âgé, me dit Cruella qui le connaît des années précédentes. Il est plus calme et plus obéissant mais aussi moins disposé à courir. Le trot lui convient parfaitement, mais moins à mes fesses éprouvées par le premier canasson. J’ai quand même, grâce aux conseils des cavalières avancées, réussi à trouver quelques positions de base qui me sont naturelles à défaut d’être dans les règles. Je n’ai pas de courbatures, sauf les jambes un peu raides après un long trot.

Nous arrivons le soir au camp de yourtes d’un éleveur de yaks. Ceux qui ont froid faute de matériel adapté pourront squatter le feutre comme hier soir. Nous voyons le camp de très loin. Les tout-terrains y sont déjà arrêtés mais nous devons faire le tour du lac à cheval avant d’y parvenir. Le mien doit avoir fait le chemin plusieurs fois, comme la majorité des autres, car il s’excite toujours aux endroits prévus pour le galop et dès qu’il aperçoit les camps du soir.

Au crépuscule, les yaks qui ont besoin de sel vont lécher les flancs écumeux des chevaux ; certains se laissent faire, d’autres non. C’est assez étrange de voir ces masses poilues goûter délicatement les formes graciles des doubles poneys mongols. Les yeux brillant au flash leur donnant sur les photos des airs de loup-garou.

Le départ est long et difficile ; le prétexte est qu’il a neigé cette nuit et qu’il fait froid au lever. La vérité est que l’alcool ne rend jamais les petits matins agréables, ni à la chef, ni aux Mongols qui, à son exemple, se laissent aller. Ce contretemps nous permet de réaliser quelques portraits de jeunes enfants des yourtes qui jouent, toute joie dehors, au soleil revenu.

Il nous est demandé de scinder nos affaires en trois sacs. Le premier ira sur notre dos, le second sur les yaks, le troisième restera dans une voiture. Là où nous allons, les voitures ne peuvent accéder et nous serons en autonomie complète avec les animaux pendant deux jours. En fait de yaks, ce sont surtout des vaches ou des dzös issus de croisements, mais il y a quand même un vrai yak trapu, bossu et poilu à souhait dans le lot.

Le temps de préparer nos affaires, d’un train d’alcoolique au réveil, le givre sur les tentes disparaît. Nous n’avons rapidement plus rien à faire, qu’à attendre le bon vouloir d’une Biture que « tout fait chier ce matin ».

Nous nous réfugions dans une yourte où la maîtresse de maison nous offre du thé qu’elle râpe d’une brique compacte. Elle jette les fragments dans l’eau qui bout et laisse cuire un moment. Ce n’est que lorsqu’elle retire la bassine du feu qu’elle ajoute du lait, puis un peu de sel au breuvage. Les enfants entrent et sortent, heureux de voir du monde. Il y a deux petites filles jolies et trois garçons.

L’aîné, de quelques années moins âgé, a pris Tserendorj comme son modèle et ne le quitte pas d’une semelle. Le plus jeune est le plus beau. Sa vigueur bien prise dans sa tunique mongole serrée à la taille et agrafée sur l’épaule droite, il fait petit mâle. Il doit avoir dans les huit ans et est le seul du lot à avoir les cheveux châtains clairs. L’heureux homme qui doit être son père a la même chevelure. Son nez long et un peu épaté me fait songer à Alexis enfant.

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Spaghettis aux moules

J’ai eu cette interrogation bizarre et non sexuelle, pour une une fois sur ce blog, juste avant les vacances. Je crois savoir d’où elle vient, aussi je m’empresse de vous livrer ma « recette secrète » de spaghettis aux moules.

Tout a commencé lorsque j’ai voulu varier le sempiternel plat de spaghettis à la tomates et aux olives pour faire plaisir à un mien gamin. Les pâtes aux fruits de mer étaient délicieuses. Las ! Je n’avais point de coques ni de praires. Comment faire avec les moyens du bord ?

Inventer.

spaghetti

Donc les spaghettis. Je préfère les petits diamètres (Capellini n°1), mais vous pouvez varier. Vous les faites cuire dans beaucoup d’eau bouillante salée, le temps indiqué sur le paquet, avec la quantité prévue pour 2 (ados) ou 4 (adultes). N’étant pas italien, je rajoute une minute pour qu’elles soient moins al dente et qu’elles prennent mieux la sauce.

Pendant ce temps, mettez deux cuillerées d’huile d’olive dans une poêle, faites-y revenir deux échalotes hachées et deux gousses moyennes d’ail écrasées à la lame d’un couteau (ou au poignet si vous le craignez pas l’odeur persistante).

Ajoutez le jus d’une boite de moules (250 g) ou d’un bocal apéritif, à conditions qu’elles soient nature. Mais surtout pas les moules !

Faites réduire le jus d’une bonne moitié avant d’ajouter le contenu entier d’une boite de tomates pelées (400 g). Laissez réduire au moins 5 mn, il faut que la sauce devienne sirupeuse.

Hors du feu, ajoutez alors les moules (déjà cuites) de la boite – juste pour les réchauffer. Si vous les mettez avant, elles prendront la consistance infecte du caoutchouc.

Une fois les pâtes cuites, versez-les sur la sauce, mélangez et laissez s’imprégner quelques minutes. Vous pouvez ajouter du parmesan si vous voulez, ou quelques herbes comme persil ou thym.

spaghetti aux moules

Reste à déguster. C’est tout simple, et c’est bon. A portée de tout célibataire pressé, ou d’un couple qui rentre de voyage. Tous les ingrédients se conservent des mois dans un placard.

Évidemment, vous pouvez faire la recette avec de vraies tomates fraîches mûries sur la branche et cueillies au jardin, et ajouter de vraies moules encore vivantes avant que vous ne leur fassiez subir le sort de Jeanne d’Arc dans le faitout – mais l’intérêt de ma recette est qu’elle reste facile à faire.

Et fort aimée des ados.

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Cuisine italienne, histoire d’une culture

Voici un livre savoureux, par deux professeurs d’histoire des universités du nord de l’Italie. Comment s’est constitué ce qui est devenu de nos jours « la cuisine italienne » ? De cette mosaïque de terroirs à l’international-food connue de tous : macaronis, pizzas, spaghetti bolognaise…

Car l’Italie est avant tout un espace physique et mental, bien avant que le pays ne s’unifie à la fin du 19ème. Elle est ouverte sur trois mers, aux poissons différents ; elle a des échanges avec la France et l’Allemagne, mais aussi avec l’Espagne et le Levant. Le premier livre de cuisine italien date du 13ème siècle, le ‘Liber de coquina’, probablement écrit à Naples.

Mais le ‘modèle’ italien date du 15ème siècle, recyclé par la ville, lieu d’échanges et de production imprimée. Il note la fonction de passeurs des commerçants arabes ; ce sont eux qui introduisent par exemple l’aubergine depuis l’Espagne et la Sicile, considéré longtemps comme « met de juif » ; ils introduisent aussi dès le haut Moyen âge les agrumes et le sucre de canne. Haricots verts, fenouil et choux-fleurs n’apparaissent qu’au 16ème siècle, la tomate fin 17ème seulement dans la cuisine, à Naples, sur influence espagnole, la pomme de terre au 18ème comme substitut de farine lors de disettes et le poivron au 19ème siècle, considéré comme « vulgaire ». La méridionalisation de la cuisine italienne (huile d’olive, tomate, aubergine, poivron, ail, anchois, poissons de roche) est née seulement au début du 20ème siècle, avec le tourisme balnéaire !

Manger à l’italienne, c’est surtout manger herbes et légumes. Le chic médiéval, c’est la viande ; celle issue de la chasse des nobles ou des élevages de porcs dans les forêts germaniques et gauloises. Les régions italiennes connaissent surtout les végétaux, qui poussent bien, quelques céréales et le poisson. L’Eglise et sa coutume de faire maigre pousse à alterner chair riche et jeûne (plus de 100 jours par an !).

Les nobles et les bourgeois des villes peuvent faire venir du frais à grand frais ; les pauvres des campagnes sont condamnés à ce qui pousse en saison et aux conserves, en général salées ou séchées, ce qui forme un goût particulier. Ce goût, justement, se distingue selon la classe : qui est riche aime l’épice et le sucre – rares et chers – ; qui est pauvre se contente de sel et des herbes aromatiques et préfère l’aigre au doux. Minestrone, polenta et rizotto sont plats de pauvres.

Et les pâtes ? C’était aussi un plat de pauvres, mais « les Romains connaissaient déjà, comme d’autres populations de la Méditerranée et d’ailleurs, la pratique de pétrir la farine avec de l’eau et de ‘l’étaler’ en une large feuille appelée ‘lagana’ – la future lasagne – qui était ensuite découpée en bandes avant d’être cuisinées. » p.84 Ce n’est qu’au Moyen Âge que la méthode de faire bouillir la pâte dans l’eau, le bouillon ou le lait est apparue.

Les pâtes sèches seraient dues aux Arabes (dans les recueils de cuisine du 11ème siècle) pour se garantir des provisions lors de leurs caravanes à travers le désert. Les pâtes longues seraient elles aussi dues aux Arabes, selon des images du 14ème, siècle où apparaît d’ailleurs en Italie la fourchette, tant il est difficile de manger des pâtes brûlantes et glissantes avec les doigts… Les pâtes se mangent systématiquement avec du fromage ; l’usage de la tomate en sauce n’est adopté que vers 1820. Quant aux raviolis, ils dérivent de la tourte et désignaient autrefois la seule farce.

Un chapitre est consacré à la diététique. Dès la Renaissance, on se préoccupe du bon équilibre alimentaire, fondé en premier sur les distinctions entre aliments « chauds » et « froids » du médecin grec Galien (2ème siècle). D’où ces associations étranges, qui subsistent jusqu’à nos jours comme le melon/jambon de Parme, la poire avec le fromage ou la salade en début de repas pour « ouvrir » l’appétit.

La « réduction » bourgeoise réduit le nombre de mets en vue d’économie et de santé, valorisant l’épargne et la tempérance, pour se différencier des seigneurs dont la profusion et le décor sont pure ostentation.

Avec le 19ème siècle apparaît la cuisine de restaurant comme un ordre quasi militaire : on parle de « chef » et de « brigade », l’uniforme est blanc pour signifier l’hygiène en cuisine et noir pour le service, effectue comme une cérémonie. Tandis que naît le « gastronome », dandy expert en auberges et menus, la « cuisine » devient la pièce principale de la famille dans les maisons et les appartements.

L’alimentation est très conservatrice car on se veut tel qu’on mange ou ce qu’on mange nous construit. La cuisine italienne évolue entre habitude et progrès, marmite à vapeur de M. Papin (1681), froid artificiel (18ème siècle), conserves de M. Appert (1810), fours à température constante (19ème siècle), réfrigération (années 1960 seulement dans le populaire)… L’internationalisation de la cuisine italienne ne prend son essor qu’après la Seconde Guerre mondiale : le terme « pizza » est encore inconnu du ‘Larousse gastronomique’ en 1938 !

Comment l’homme fait des nécessités physiques (manger) et des contraintes économiques (ce qu’on trouve, et à prix abordable) une culture. La cuisine, comme le reste, est le fruit de l’histoire, elle dit l’apparence et le prestige, le statut social, la tradition et la nouveauté, le bien-être et l’austérité. Culture, oui : « Qu’est-ce que la gloire de Dante, à côté de celle des spaghettis ? » se demande Prezzolini en 1954. N’importe quel inculte américain ou autre connaît les spaghettis – mais qui connaît encore Dante Alighieri ?

Alberto Capatti & Massimo Montanari, La cuisine italienne – histoire d’une culture, 1999, préface de Jacques Le Goff, Seuil 2002, 423 pages, €22.14

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Montaigne à table

L’austère Montaigne serait-il épicurien ? Bien sûr ! L’adepte de la vie bonne aime les sens, dont celui du goût. Mais avec modération. Pas la modération des fonctionnaires du social dont la seule justification est de vous régenter la vie mais la vraie, celle du corps apaisé et repu selon sa complexion. « C’est une absolue perfection, et comme divine, de jouir loyalement de son être » dit Montaigne (Essais III, 13, 800). Le corps est le seul guide raisonnable et le sage tiendra l’équilibre entre son appétit et se rendre malade. Pas de modération par principe mais une modération par santé, chacun selon ses capacités, suivant son mouvement.

Christian Coulon, professeur émérite à Science Po Bordeaux et auteur de livres sur la cuisine gasconne, explore avec bonheur et érudition ce terrain mal défriché de Montaigne à table. Non sans humour, ni critique féroce envers les régionalistes qui croient découvrir en cette figure périgourdine l’ancêtre de la gastronomie-qui-fait-la-réputation-internationale-de-la-région. Fi ! Ni le maïs (qui sert à gaver les oies), ni la truffe (laissée aux cochons), ni l’aubergine, ni la tomate, ni le poivron (qui font les délices de la cuisine basque), ni la pomme de terre (célèbre en sarladaise), ni le haricot (qui fait le cassoulet) n’étaient encore parvenus en France ! La cuisine « éternelle » des régions a été inventée au XIXe siècle avec l’essor du tourisme bourgeois et le nationalisme d’ambiance.

Michel Eyquem de Montaigne ne savait pas faire la cuisine, il le dit. Il ne connaissait rien aux plantes mangeables, ne sait pas comment lève le pain ni faire le vin et est inapte à trancher les viandes. Aucune de ces petites choses pratiques de la vie quotidienne n’intéresse son esprit. Peu habile de son corps, il se dit de nature rêveuse. Il déteste ces grands banquets politiques où la frime de cour en jette aux provinces. Mais il aime manger. Il se jette avec appétit sur « les viandes », avalant hâtivement le service à la française où les plats restent peu de temps sur la table.

Montaigne mange ce qu’il a et notamment ces mets paysans de son enfance, le pain bis, le lard et l’ail. Comme il est aristocrate, il a accès à la viande, surtout conservée au sel et garnie de sauces grasses aux épices. Contrairement à la mode, il préfère le poisson. Avec la mode, il se gave d’huîtres et de melon, tout récemment venu d’Italie, pays qui donne le ton de cour au XVIe siècle. Il apprécie aussi l’artichaut dont la reine, venue de Rome avec le légume, était folle. Il aime beaucoup le vin, mais le blanc ou le clairet qui est du vin de l’année. Il en boit 75 cl (une bouteille actuelle) à chaque repas mais le coupe d’un tiers d’eau.

Le philosophe est adaptable et curieux. Il aime aller voir ailleurs, voyageant en Allemagne et en Italie, et rien de mieux que la table pour y connaître une culture. C’est que manger n’est pas seulement se nourrir. C’est découvrir les mets de la nature, combler son corps de sensations et ouvrir son esprit à la conversation. En sage à l’antique, Montaigne n’aime rien tant que deviser autour d’un banquet. La table est lieu de sociabilité où le vin délie les langues et les mets ouvrent à l’économie. La maîtrise de l’appétit comme le goût de manger à bonne santé prouvent le gouvernement de soi. Point de « principes » diététiques, de convenance sociale ou de restriction « bio » (dirait-on aujourd’hui) : il faut goûter de tout et s’emplir à satiété, l’équilibre étant celui de soi, de son corps plus ou moins apte, de sa propre complexion. « Je me défends de la tempérance comme j’ai fait autrefois de la volupté », déclare Montaigne (Essais III, 5, 611). C’est au bon goût et à l’appétit de régler les voluptés de table, pas à la médecine qui, dès cette époque, prenait l’allure d’une morale autoritaire.

Montaigne est curieux du monde et tout est bon à son philosophique intérêt, surtout ce qui le met hors de l’habitude. Il découvre ainsi la profusion d’écrevisses en Allemagne, dont il apprécie les vins blancs non coupés. Il s’étonne de ces choux hachés salés servis chauds ou en salades (qu’on appelle désormais choucroute), et l’usage de servir la viande aux fruits (pommes, poires, airelles). Le pain aux épices (cumin, maniguette, fenouil) le ravit bien plus que le froment sans sel qu’il a coutume de manger chez lui. Mais il n’aime pas la bière.

L’Italie, tant vantée du temps comme modèle gastronomique imitée à la cour de France, le déçoit par ses vins, troubles et indigestes, mal vinifiés et qui ne se gardent pas. S’il note surtout le protocole du repas, ce théâtre de la table mise en scène avec usage de la serviette et de l’assiette, il préfère les repas des petites auberges où l’on s’intéresse à ce qu’il y a dans l’assiette. Il mange moins de viande (elle se conserve mal en raison de la chaleur) mais apprécie le veau que les Italiens cuisinent de diverses façons. Il se goinfre de poisson, bien plus abondants en Italie qu’en pays gascon. Il découvre les oranges, les citrons, les olives, les salades aux herbes, tout ce qui n’existe pas chez lui. Il mange cru l’artichaut et les fèves, ce qui ne se fait jamais en Périgord, et les truffes blanches émincées simplement à l’huile d’olive et au vinaigre. Il goûte à la moutarde de fruits sucrée, spécialité italienne, et s’empiffre de melon, de coing et de jujube.

Il aime manger, plaisir simple loin de la gastronomie du discours. Son comportement à table est une sagesse mise en pratique. Elle nous fait découvrir un Montaigne tout à soi, ouvert, sensuel, tempéré, aimant la sociabilité et l’exploration des autres coutumes. L’auteur pousse le talent jusqu’à nous proposer en fin de volume douze recettes pour Montaigne, composées par lui aujourd’hui, selon ce qu’il aime. Vous saurez ainsi élaborer une soupe de melon, une salade de fonds d’artichauts aux fèves, une pintade aux aromates, une moutarde de fruits italienne, et même ces sauterelles grillées mexicaines en honneur des cannibales !

Un ouvrage court et plaisant qui donne envie de goûter à Montaigne.

Christian Coulon, La table de Montaigne, 2009, Arléa, 187 pages, €15.20

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Ile du Soleil et La Paz

Nous arrivons sur la presqu’île bolivienne de Copacabana au bord du Lac Titicaca. La visite de la cathédrale s’impose. La vente de l’eau bénite, c’est à droite. Très joli monument recouvert de faïences. Les visiteurs désirent-ils une voiture, une maison ? Il suffit de le demander à la vierge noire et de déposer un cierge.

Un catamaran nous mène à la Isla del Sol (l’île du Soleil). Elle abrite d’intéressantes ruines précolombiennes : le complexe culturel Intiwata. Selon la tradition orale, le dieu Soleil se serait réfugié lors du « Chamaj Pacha », le temps du déluge et de l’obscurité. Manco Kapac et Mama Okilo, ses enfants, débutèrent ici le périple qui les amènera plus tard à fonder Cuzco.

Retour sur la terre ferme et direction La Paz, 4200 m d’altitude. Capitale administrative, fondée le 20 octobre 1548 par l’Espagnol de Mendoza, elle est la capitale la plus haute du monde. C’est aussi la seule ville où les riches, au lieu d’être en haut de la ville, résident tout en bas (où l’altitude se fait moins sentir) et les pauvres tout en haut ! Elle est entourée d’une centaine de pics enneigés de plus de 5000 m de haut et est dominée par l’Illimani.

La ville est riche en marchés. Il existe même un mercado de los Brujos, un marché des sorciers. On trouve là des herbes, des pierres magiques, des potions, des fœtus de lamas, tout pour soigner les maux. Le mercado de Buenos Aires est un marché aux spécialités par rues. En principe, les mercredis et samedis s’y déroule le Thanta Khatou où l’on vous vendra des marchandises volées. Et si vous n’avez pas le cœur sensible vous pourrez visiter la rue de la viande !

La vallée de la Lune est située à 12 km du centre. C’est un canyon dont les eaux ont érodé la roche en centaines de cheminées de fées et pitons filiformes.

De La Paz, nous nous rendons à Puno, 3870 m, visiter les ruines de Tiahuanaco. Une architecture monumentale. A l’intérieur du temple semi-souterrain de Tiahuanaco, les effrayantes têtes sculptées rappellent les têtes massues de Chavin de Huantar.

Il existait certainement un lien entre les cultes célébrés dans les deux centres religieux. Le centre du patio est occupé par trois monolithes. La culture Tiwanaku se développera durant 3000 ans à partir de la région du lac Titicaca. Cette civilisation répandit dans les Andes son savoir-faire dans les domaines de l’agriculture, des mathématiques, de l’astronomie, de l’ingénierie et disparaîtra mystérieusement au cours du 11e siècle.

Les Aymaras, en parfait accord avec leur environnement andin et lacustre, obtinrent de très hauts rendements agricoles grâce à leur irrigation, les suka collos, et à la maîtrise de la culture d’un précieux tubercule, la pomme de terre. Puno est l’embarquement pour les Iles flottantes des Ouros et l’île de Taquilé.

Hiata de Tahiti

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Déjeuner de vacances

Farniente ? Plage ? Gosses ? Trop de soleil ?

– Mangez léger, des produits simples, de la mer ou des salades aux herbes du jardin.

C’est ainsi que nous fîmes, en bord de mer, quelque part sur la côte atlantique, bien au sud de la Bretagne.

Apéritif de vin blanc. Certains ajoutent un fond de cassis pour la couleur… et pour le goût, le blanc girondin étant peu corsé.

Cueillir la menthe, un gros bouquet pour le « taboulé ». En fait de semoule, nous avions du quinoa et la recette libanaise fut adaptée largement ! Nous avons mis dedans les restes avec les herbes du jardin : menthe fraîche et persil plat. Des tomates et un poivron rouge coupé en tous petits dés, un jus de citron mixé avec un avocat qui traînait et les herbes. C’était délicieux. Ah oui ! un détail : faites griller des graines de sésame à sec dans une poêle et mixez-les avec du sel. On appelle ça du « gomasio » au Canada, pays très multicuisines. Assaisonnez votre quinoa comme ça et tout ressort plus vif.

Pour la suite, des huîtres, des n°4 du bassin d’Arcachon bien laiteuses et pleines. Juste comme elles sont, sans citron ni hachis d’échalotes, plutôt recette bretonne.

Ensuite brochettes d’agneau grillées au barbecue de pommes de pin maritime.

Accompagnées de courgettes (épluchées et lavées pour cause d’escherichia hémorragique) et cuites 10 mn au moins à la vapeur (pour tuer les bêtes, 12 mn seraient mieux). Mais elles étaient bio et déjà essayées.

En dessert ? pas de dessert, nous ne sommes pas fans. Un yaourt pour les gamins et des cerises pour les adultes, plus un carré de chocolat noir 90% Lindt avec le café.

Ça vous dit ?

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Dîner sympathique

Article repris par Medium4You

Il fait froid, la neige menace, le climat ne se réchauffe que chez les écolos. Lançons donc une invitation aux amis. Durant les fêtes, c’est de saison. Ce sera un repas chic.

Nous commencerons par un apéritif au champagne et foie gras, histoire de mettre en bouche les papilles et de lancer la conversation. Rien de tel que les bulles dans le verre (pas en bourse !) et la douceur du gras parfumé (sur la langue) pour faire pétiller les idées et rendre les mots plus doux. Contrairement aux idées reçues de ceux qui n’ont jamais essayé mais préfèrent s’en remettre au scolaire des profs de cuisine, le champagne va très bien au foie gras. Il opère par contraste, râpeux contre glissant, acide contre douceur, la longueur en bouche accompagnant la gorgée. Évitez le pain d’épice pour les toasts, j’ai préféré le tout bête pain de campagne au levain, coupé en fines tranches et grillé, avant d’en tartiner le foie gras.

En entrée, la mousse au fenouil, avec crevettes d’accompagnement pour la saveur. Mixer du fenouil blanchi avec une cuillérée de pastis (1 bulbe pour deux personnes), ajoutez par personne un jaune d’oeuf et son blanc monté en neige (après refroidissement), de la crème fleurette montée en chantilly et deux feuilles de gélatine. Laissez au frigo deux heures au moins. C’est doux et délicat, vous verrez.

La résistance opère sur la volaille. Continuité des saveurs, un poulet au vin jaune poursuit bien la lancée apéritive. Rien n’est pire que le choc de goût entre ce qui commence et ce qui vient. Imaginez des horreurs comme des toasts aux anchois et du pastis, par exemple, de quoi vous massacrer les papilles pour la suite ! Non, je n’ai rien contre les mets du sud, mais ils doivent être mis en harmonie avec la suite. Avec l’apéritif violent, pourrait suivre un bar grillé et un tian de poivrons, aubergine, tomate – là, pas de mise à mal. Mais ce n’était pas mon choix du dîner.

Le poulet au vin jaune doit longuement mijoter pour être savoureux. Le vin doit s’être évaporé aux trois-quarts pour perdre cette amertume qu’il peut avoir brut. Pour éviter de faire gras, j’ai choisi des filets sans peau plutôt que des cuisses ou un poulet entier en morceaux. Si vous laissez la peau, faites revenir les morceaux avant de dégraisser ; si vous utilisez comme moi des filets nus, évitez de les durcir en vous la jouant scolaire (faire revenir parce que c’est écrit dans les livres)… Pensez un peu tout seul : la chair du poulet est fragile (comme celle du lapin), si vous voulez qu’elle se parfume de la sauce, laissez-la telle qu’elle sans la raidir ! Donc une échalote émincée en fond de cocotte, les filets de poulet sans peau par-dessus, versez 40 cl de vin jaune et faites mijoter 40 mn. Pas de sel. Si vous êtes un malheureux accro, génétiquement tenu de consommer vos cinq kilos de sel par an en souvenir de la gabelle, salez aux deux-tiers de la cuisson. Pour ma part, pas de sel ; le goût du vin fournit la petite pointe nécessaire à le remplacer.

Préparez durant le mijotage vos morilles (ou autres champignons de goût). Une fois lavées si elles sont fraîches, éventuellement réhydratées selon les rites parce qu’on est fin décembre, mettez-les à cuire à feu doux dans une bonne dose de crème fraîche. Il faut qu’ils l’absorbent presque entièrement. Une fois les cuissons du poulet et des champignons faites, mélangez les deux dans le plat tenu chaud.

Vous pouvez, pour la variété de goût et pour l’œil, préparer un autre légume. J’ai choisi la douceur d’un mélange de navet jaune et de pomme de terre, cuits à la vapeur. J’ai accompagné ce met tout simple d’un mélange de poireau et d’oignon revenu au beurre, pour le contraste. Le tout se marie bien avec le poulet au vin jaune. Pour déguster, nous avons poursuivi au champagne, mais vous pouvez boire un vin blanc un peu sec, du genre Chablis ou côte du Jura.

Restons Jura avec le fromage, un Mont-Dore crémeux, servi dans sa boite à la cuiller. Il est accompagné d’une salade aux herbes avec une vinaigrette aux proportions inverses du manuel scolaire : deux cuillérées de vinaigre (de Xérès) pour une seule d’huile (de noix). Avec du poivre et éventuellement un peu de sel. Les herbes ont besoin d’être avivées. J’ai mélangé à de la laitue de l’estragon et de l’aneth (une botte à chaque fois). Cela change de la banalité. Vous pouvez évidemment remplacer une herbe que vous n’aimez pas par une autre, par exemple persil plat et menthe fraîche, ou coriandre et aneth.

Le dessert fut tout chocolat, cette fois acheté en pâtisserie, chez Mulot boulevard Saint-Germain (Pierre Hermé est excellent mais vraiment cher). Mais vous pouvez finir par une glace (bien que pas vraiment de saison), une crème brûlée ou une salade de fruits.

Tout cela nous a conduits de vingt heures à minuit, tranquillement, au gré des saveurs et des bons mots. Après tout il faut vivre. Comme pour le reste, autant le faire bien.

Je vous souhaite de bonnes fêtes et un bel appétit !

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