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Thierry du Sorbier, Le stagiaire amoureux

thierry du sorbier le stagiaire amoureux
Drôle de second roman en forme de conte social, dont le style hésite malheureusement entre Flaubert et San Antonio. A mon avis, le premier chapitre est raté et la fin tourne court – ne reste que le corps qui, lui, a quelque séduction. Non sans quelques délires verbaux parfois, un brin horripilants, comme cette litanie sur la pluie dans le monde entier page 154 (qu’est-ce que ça vient faire dans l’histoire ?).

Nous sommes dans la France profonde, provinciale, mais en un pays mythique où toutes les agglomérations portent des noms de fromage : Avesnes, Époisses, Feta-sur-orge, Mozarelles, Brie-Comte-Robert, Saint-Paulin-sur-Morbier. C’est dans ce dernier, un village de 332 habitants perdu dans la campagne fermière que le directeur du Courrier d’Avesnes, feuille de chou locale, va envoyer le stagiaire qui lui a été imposé par le copinage politico-affairiste de province. Le directeur ne supporte pas l’aspect chafouin et nonchalant du jeune premier, qui fait du gringue à Mademoiselle Brégeon, aussi jeune et bien roulée.

Jamais un seul fait-divers à Saint-Paulin-sur-Morbier ; c’est un lieu oublié qui se fait oublier, tout entier tourné vers l’élevage des vaches, la maturation des fromages et la cueillette des champignons. Le monde entier peut s’arrêter de tourner que le village continuerait de ronronner. Tourner, justement, un réalisateur en vogue d’Hollywood y songe. Il ne sait pas quel film il veut faire, ni à quel endroit, mais il produit de la pellicule au kilomètre comme il sait faire du succès. Il suffit d’un gros capitaliste de producteur, d’une brochette de starlettes et de musculeux connus des écrans, et surtout d’un endroit isolé où être bien tranquille pour laisser macérer l’histoire en train de se faire.

Coïncidence artiste, le stagiaire et le réalisateur vont être présents au même moment dans un même lieu. Sauf que les deux ne vont pas se rencontrer. Le stagiaire en journalisme avait pourtant un scoop en or, étant données les célébrités sur place ; le réalisateur avait pourtant une intrigue intéressante dans les histoires collectées par le stagiaire. Mais non, le pro reste un pro de la prod, le stagiaire un spongieux stagiaire de passage. Il s’affiche au bras d’une actrice ou de deux (on ne sait plus), mais il est au fond amoureux bien conservateur de la seule Mademoiselle Brégeon.

Vous avez une brochette de personnages incertains, une actrice américaine dingue de fromage, un technicien américain shooté au beaujolais-coca, un paysan-fromager noir coupé en neuf morceaux (on ne sait pourquoi), un maire rural fondu de champignons. Aucun personnage n’est approfondi ; une fois présentés, ils restent en décor sans nouer l’intrigue, le meurtre étrange n’est pas élucidé, ni un début de piste même offert. On se demande pourquoi l’auteur a choisi ces caractères et ce qu’il a pensé en faire. Nous restons dans les travers et, à la fin, tout le monde se replie sur son petit monde. Comme si « la France » allait rester la France éternelle des campagnes avant l’industrie.

S’y ajoute donc une satire (assez facile) des travers contemporains : tyrannie des petits chefs, culte de l’informatisable et des déductions au pif tirées des tableaux Excel (manque la pensée-PowerPoint pour faire plus vrai), endormissement conservateur de la presse régionale, haine du style littéraire, paparazzi qui deviennent les vrais journalistes qui vendent. Mais c’est un peu court, à peine abordé, jamais mis en scène pour en faire une histoire.

Promesses non tenues, imagination sans structures, roman qui hésite à trouver son style, le lecteur est frustré, surtout à la fin. Hop ! en deux chapitres de quelques pages, l’intrigue journalistique, amoureuse, policière et campagnarde s’arrête brusquement. Avec autant de délicatesse qu’une grève RATP un vendredi soir à l’heure de pointe. Qu’a-t-il voulu raconter, Sorbier ? A-t-il voulu s’amuser seulement, en dilettante ? C’est un peu court, c’est un peu dommage. L’éditeur a-t-il fait jusqu’au bout son travail d’éditeur ?

L’auteur a travaillé dans la librairie chez Locus Solus et chez Gibert, de 1973 à 2001 avant de collaborer au ‘Télé Journal’ et à la rubrique sportive de ‘Télé Z’. Il dirige aujourd’hui la boutique de chaussures Berluti, dit-on, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés.

Thierry du Sorbier, Le stagiaire amoureux, 2007, Buchet-Chastel, 204 pages, €13.20

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Marc Bloch, L’étrange défaite

marc bloch l etrange defaite 1940
16 juin 1944 : Marc Bloch est mort fusillé dans le dos par la Gestapo, un peu au nord de Lyon, il y a 70 ans. Il était historien, professeur d’université, fondateur des Annales et capitaine sur le front en 1914, résistant à 57 ans parce que laïc athée, mais « né juif ». Il est pour les Lumières et pour la société libérale issue de la Révolution, résolument hostile aux Anti-Lumières qui veulent collectiviser l’individu en troupes, en ligues, en procession, l’enfermer dans ses déterminismes biologiques, familiaux, claniques, nationaux, raciaux. La France a libéré l’Europe des obscurantismes et les Amériques des colonialismes, donnant l’exemple d’une société nouvelle (pas sans bavures ni excès, malheureusement). Le nazisme est une vision Anti-Lumières, anti-moderne, anti-individu.

  1. 10 mai 1940 : les Allemands lancent leur offensive à l’ouest, 135 divisions contre 132 pour les Français, Belges, Hollandais et Anglais.
  2. 22 juin 1940 : en six semaines les Français se sont effondrés et quémandent un armistice par la voix chevrotante d’un Maréchal de l’autre guerre qui avait 14 ans lors de la défaite de 1870.

Marc Bloch livre son témoignage, écrit à chaud entre juillet et septembre 1940. Juif alsacien depuis le 15ème siècle, français d’abord, cité cinq fois au titre de l’armée durant les deux guerres mondiales, il est avant tout « citoyen républicain ». C’est ce qui donne à son témoignage son poids, celui d’un patriote et d’un savant « qui s’intéresse à la vie », selon ses propres dires. « Nous sommes Français. Nous n’imaginons pas que nous puissions cesser de l’être », écrit-il dans une lettre aux universitaires en 1942.

« La cause directe fut l’incapacité du commandement », commence-t-il par dire (p.55). Mais une armée n’est pas seule, elle dépend d’une société qui l’arme et la soutien, des politiques qui l’orientent, d’une éducation qui forme les hommes et d’une ambiance qui constitue sa volonté. « Nos chefs ou ceux qui agissaient en leur nom n’ont pas su penser cette guerre » (p.66). Ils n’ont pas même imaginé le Blitzkrieg, cette audace de la vitesse qui teste les défenses et s’enfonce là où c’est mou, toute d’initiatives et de coups de main, empêchant un repli en bon ordre. La France, l’armée, les politiciens, les hommes, se sont trouvés désemparés devant l’irruption de la vitesse et de l’audace, ce dont ils avaient perdu l’habitude, s’ils l’avaient jamais prise !

Le matériel ? Certes, le réarmement français a eu lieu bien tard, mais il a eu lieu. Certes, il était parfois techniquement faible mais certains chars, automitrailleuses ou avions étaient bons. Ce qui a manqué est de les avoir au bon endroit, au bon moment, en éléments bien commandés… Ce qui a manqué est, autrement dit, l’intelligence, la volonté, le moral et l’organisation. Marc Bloch note chez les militaires cette « étonnante imperméabilité aux plus clairs enseignements de l’expérience », cette « sclérose mentale » (p.79) faite de dédain du Renseignement, des rivalités de services, la paperasserie d’une « agaçante minutie » qui « gaspillait des forces humaines qui auraient pu être mieux employées » (p.89), de dogmes intangibles véhiculés par les dinosaures de l’autre guerre. Ainsi ce plaidoyer du général Chauvineau, cité en annexe et préfacé par le maréchal Pétain (p.249), qui exalte les canons défensifs et méprise les chars et les avions, offensifs mais trop chers et trop lourds à manier, surtout pour des esprits étroits peu au fait des techniques.

Marc Bloch photo

C’est donc bien l’esprit qui a failli face aux Allemands, cet esprit dont la France est si fière – cette acuité d’intelligence, cette légèreté de penser, cette logique de raisonnement. « Nos, soldats ont été vaincus, ils se sont, en quelque sorte, beaucoup plus facilement laisser vaincre, avant tout parce que nous pensions en retard » (p.78). Les Allemands « croyaient à l’action et à l’imprévu. Nous avions donné notre foi à l’immobilité et au déjà fait » (p.79). Pacifisme, ligne Maginot, diplomatie d’alliances – tout cela devait nous éviter de faire la guerre. Mais si la guerre survient ? C’est toute la mentalité administrative qui doit la faire… « L’ordre statique du bureau est, à bien des égards, l’antithèse de l’ordre actif et perpétuellement inventif qui exige le mouvement. L’un est affaire de routine et de dressage ; l’autre d’imagination concrète, de souplesse dans l’intelligence et, peut-être surtout, de caractère » (p.91).

Tout est dit de la mentalité française, engoncée dans l’élitisme de castes (p.193), formée dès l’enfance au bachotage (p.146), les élites composée de « bons élèves obstinément fidèles aux doctrines apprises » (p.155), révérencieux envers les puissants, soucieux de ne jamais faire d’histoires (p.127), dressées au formalisme de la tenue et de la bureaucratie (p.126) plus qu’à l’aisance du métier. Tout dans l’apparence – rien derrière. Bon élève ? – Mauvais guerrier, mauvais industriel, mauvais décideur. « L’école, la caste, la tradition, avaient bâti autour d’eux un mur d’ignorance et d’erreur » (p.201). Quand l’ennemi ne « joue pas le jeu » – ce qui était prévu par les plans (p.149) – tout s’écroule. « Jusqu’au bout, notre guerre aura été une guerre de vieilles gens ou de forts en thème, engoncés dans les erreurs d’une histoire comprise à rebours (…) Le monde appartient à ceux qui aiment le neuf » (p.158).

C’est à ce moment que l’historien se lève dans le témoin. Dans un superbe chapitre 3, l’auteur procède à « l’examen de conscience d’un Français ». L’esprit étroit, avaricieux, frileux de la France en ses profondeurs s’est révélé au moment du péril. Grands bourgeois méprisant le peuple qui avait ravi le pouvoir en 1936 (p.200), communistes plus préoccupés du pacte germano-soviétique que de la patrie, pacifistes naïfs qui confondent meurtre et défense légitime (p.174), syndicats bornés à « leurs petits sous ». Esprit petit, très petit, très pilote d’Air France 2014 : « A-t-il été rien de plus ‘petit-bourgeois’ que l’attitude, durant ces dernières années et pendant la guerre même, de la plupart des grands syndicats, de ceux des fonctionnaires notamment ? » (p.171). Qui, en France, s’intéressait au monde, à la modernité ? Qui même avait lu ‘Mein Kampf’ où pourtant Hitler avait écrit ce qu’il voulait accomplir ? En France, « toute une littérature (…) stigmatisait ‘l’américanisme’. Elle dénonçait les dangers de la machine et du progrès. Elle vantait, par contraste, la paisible douceur de nos campagnes, la gentillesse de notre civilisation de petites villes, l’amabilité en même temps que la force secrète d’une société qu’elle invitait à demeurer de plus en plus résolument fidèle aux genres de vie du passé » (p.181).

1940 paysans jeux interdits

Avons-nous compris les leçons ?

La génération de la reconstruction sous de Gaulle, sans aucun doute – mais depuis ? L’hédonisme des baby-boomers en 1968, la crise de l’énergie dès 1973, la mondialisation qui court depuis les années 1980, le souci pour les ressources et le climat, l’émergence des pays neufs : tout cela compose une nouvelle guerre – économique – où il faut se battre pour exister. Pas pour massacrer l’autre au nom d’une soi-disant supériorité morale ou culturelle, mais simplement pour garder un bien-vivre.

Cette guerre-là, la France fatiguée et « moisie » n’est-elle pas en train de la perdre ? Les corporatistes sont aussi égoïstes que les syndicats de 1940, les grands patrons aussi peu soucieux des ouvriers et même des cadres, les pacifistes aussi bêlants, les bobos tout aussi dégoulinants de bon sentiments internationalistes et de générosité d’État (mais pas dans leurs quartiers), les écoles aussi bachotasses et administratives, la sélection par les maths aussi hypocrite, les grandes écoles formatent toujours de « bons » élèves forts en thèmes mais inaptes à s’adapter aux situations et aux gens (Crédit Lyonnais, Vivendi, France Télécom, grèves de 1995, CPE, Leonarda, manif pour tous, écotaxe…). Les écolos partisans du retour à la terre cassent toute recherche génétique par tabou, les socialistes courent derrière pour imposer le soin public universel, bien au chaud sous la couette, avec lien social décrété d’État dans les terroirs et assistanat industriel pour faire plus cher ce qui est de meilleure qualité ailleurs…

Marc Bloch, 1944 : « Ayons le courage de nous l’avouer, ce qui vient d’être vaincu en nous, c’est précisément notre chère petite ville. Ses journées au rythme trop lent, la lenteur de ses autobus, ses administrations somnolentes, les pertes de temps que multiplie à chaque pas un mol laisser-aller, l’oisiveté de ses cafés de garnison, ses politicailleries à courtes vues, son artisanat de gagne-petit, ses bibliothèques aux rayons veufs de livres, son goût du déjà-vu et sa méfiance envers toute surprise capable de troubler ses douillettes habitudes : voilà ce qui a succombé devant le train d’enfer que menaient, contre nous, le fameux « dynamisme » d’une Allemagne aux ruches bourdonnantes » (p.182).

Allemagne hier, Allemagne aujourd’hui. France de la lenteur, lenteur de François Hollande. Nos profondeurs mentales ont-elles changé ?

Marc Bloch, L’étrange défaite, 1940, Folio histoire 1990, 326 pages, €11.70

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La cuisine de Sherlock Holmes

Brillante idée qu’a eue Anne Martinetti de présenter la cuisine des romans policiers. Après Agatha Christie et Alfred Hitchcock, voici sir Arthur Conan Doyle, l’immortel auteur du détective à la pipe, Sherlock Holmes. Saviez-vous qu’Arthur est né et a été élevé en Écosse ? Ce pourquoi il aime les plats régionaux de ce confins picte du royaume. Entre autres spécialités du patrimoine culinaire anglais qui, contrairement aux idées reçues, est assez riche.Alimentaire mon cher Watson

L’enquête commence donc par les romans : Alimentaire, mon cher Watson ! Elle va dérouler son menu en quatre plats : les recettes du 221b Baker Street (quiconque y est allé sait bien que ce numéro n’existe pas), les plats gourmets de Londres (qui, eux, existent bel et bien !), les recettes de campagne, enfin les péchés mignons du détective.

Mrs Hudson, propriétaire du logement à l’étage loué aux deux amis, sert de magnifiques petits-déjeuners (aux dire du Dr Watson) et des buffets copieux (le bœuf froid de l’enquête Un scandale en Bohême). Que diriez-vous d’imiter la brave Mrs Hudson en servant des scones de pommes de terre en breakfast ? Accompagné de bon beurre de Normandie, comme il se doit (tout ce qui est culinairement chic à Londres vient de Normandie : le beurre, l’oie, le cidre). Ou un cake à la pomme et au cidre ? Le pain écossais, qui peut servir d’en-cas, se fait à la farine d’avoine, à la farine complète et à la bière. Quant au pâté de foie gras en croûte, vous m’en direz des nouvelles ! Filet de porc et lard maigre entourent un foie de canard entier arrosé de madère et de quatre-épices, le tout cuit en croûte solide durant deux bonnes heures à four chaud. Mrs Hudson réussit fort bien aussi la perdrix en gelée, la pintade au chou et le hareng frais aux poireaux et à la tomate. Et son pudding à l’abricot (sec) tient bien au corps dans les soirs brumeux d’automne.

C’est dans les clubs selects de mâles dominants et dans les restaurants huppés de Londres que Sherlock déguste la terrine de courgettes au thym, un délice avec les viandes rouges. Notamment le ragoût de joues de bœuf appelé Londoner stew. En entrée fine, le soufflé au cheddar de Mrs Saint-Clair vaut la disparition de son mari ! Sherlock enquête, non sans que son fidèle Watson n’exige le thé de cinq heures avec sandwiches au concombre sauce raifort – ou des crumpets de Mr Tiffany. Ne pas oublier d’acheter les feuilletés au porc de la gare Victoria si l’on doit prendre le train. La vapeur est lente et met l’Écosse à une journée de Londres. On aura eu soin de déjeuner d’un solide rôti de bœuf au Yorkshire pudding la veille, même si l’on n’est pas dimanche, où le plat est de tradition. Un Apple pie terminera fort joliment le repas.

bacon omelette

Dans la campagne anglaise, rien de tel que les repas d’auberges. Enfouies dans le rural, les chambres sont vieillottes et glaciales, mais le pub sert des plats roboratifs bien utiles pour affronter la boue et la bruine. Velouté d’asperges du Kent, œufs en gelée de Westville Arms, tarte verte du Peak district, valent autant que le gibier en croûte ou le Heavy cake des Baskerville. C’est une brioche sucrée à la poitrine fumée idéale en pique-nique sur la lande. De quoi attirer les chiens au crépuscule… A moins qu’une bonne tourte au lapin ne vous fasse songer à la petite Alice et à ses merveilles. Ou la sole en filets, cuite à l’étouffée de poireaux sauce câpres sur les bords de mer. La province recèle aussi ses rivières à truites, servies au croustillant de bacon, ou ses vieux brochets, mis en quenelles dans le Berkshire. Un blanc-manger aux amandes, vieux plat médiéval tout droit importé de Normandie en 1066, fera office de crème dessert fort agréable. A moins que vous ne préfériez le gâteau de poires du Devon ou le cake de Cornouailles aux écorces confites.

Parmi les péchés mignons de sir Arthur Conan Doyle, je préfère le poulet froid sauce aux airelles et le Scottish Parliament cake. Cet étouffe-élus allie la farine et le beurre au gingembre, quatre-épices et whisky. Mais dans les rivières d’Écosse, on pêche encore le saumon. Servez-vous du poisson frais pour le monter en terrine. Ce saumon à l’écossaise a ceci de particulier qu’il est agrémenté d’une farce au foie de veau et aux raisins secs.

Riche idée que ces cent recettes qui ont, chacune, une histoire policière à raconter. Philippe Asset photographie avec talent l’Angleterre surannée de l’époque Victoria, sa porcelaine, ses services en argent et ses serviettes brodées.

Anne Martinetti, Alimentaire mon cher Watson ! photographies de Philippe Asset, avec la collaboration de la Société Sherlock Holmes de France, 2010, éditions du Chêne, 256 pages, 98 recettes, €25.00

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Cuisine italienne, histoire d’une culture

Voici un livre savoureux, par deux professeurs d’histoire des universités du nord de l’Italie. Comment s’est constitué ce qui est devenu de nos jours « la cuisine italienne » ? De cette mosaïque de terroirs à l’international-food connue de tous : macaronis, pizzas, spaghetti bolognaise…

Car l’Italie est avant tout un espace physique et mental, bien avant que le pays ne s’unifie à la fin du 19ème. Elle est ouverte sur trois mers, aux poissons différents ; elle a des échanges avec la France et l’Allemagne, mais aussi avec l’Espagne et le Levant. Le premier livre de cuisine italien date du 13ème siècle, le ‘Liber de coquina’, probablement écrit à Naples.

Mais le ‘modèle’ italien date du 15ème siècle, recyclé par la ville, lieu d’échanges et de production imprimée. Il note la fonction de passeurs des commerçants arabes ; ce sont eux qui introduisent par exemple l’aubergine depuis l’Espagne et la Sicile, considéré longtemps comme « met de juif » ; ils introduisent aussi dès le haut Moyen âge les agrumes et le sucre de canne. Haricots verts, fenouil et choux-fleurs n’apparaissent qu’au 16ème siècle, la tomate fin 17ème seulement dans la cuisine, à Naples, sur influence espagnole, la pomme de terre au 18ème comme substitut de farine lors de disettes et le poivron au 19ème siècle, considéré comme « vulgaire ». La méridionalisation de la cuisine italienne (huile d’olive, tomate, aubergine, poivron, ail, anchois, poissons de roche) est née seulement au début du 20ème siècle, avec le tourisme balnéaire !

Manger à l’italienne, c’est surtout manger herbes et légumes. Le chic médiéval, c’est la viande ; celle issue de la chasse des nobles ou des élevages de porcs dans les forêts germaniques et gauloises. Les régions italiennes connaissent surtout les végétaux, qui poussent bien, quelques céréales et le poisson. L’Eglise et sa coutume de faire maigre pousse à alterner chair riche et jeûne (plus de 100 jours par an !).

Les nobles et les bourgeois des villes peuvent faire venir du frais à grand frais ; les pauvres des campagnes sont condamnés à ce qui pousse en saison et aux conserves, en général salées ou séchées, ce qui forme un goût particulier. Ce goût, justement, se distingue selon la classe : qui est riche aime l’épice et le sucre – rares et chers – ; qui est pauvre se contente de sel et des herbes aromatiques et préfère l’aigre au doux. Minestrone, polenta et rizotto sont plats de pauvres.

Et les pâtes ? C’était aussi un plat de pauvres, mais « les Romains connaissaient déjà, comme d’autres populations de la Méditerranée et d’ailleurs, la pratique de pétrir la farine avec de l’eau et de ‘l’étaler’ en une large feuille appelée ‘lagana’ – la future lasagne – qui était ensuite découpée en bandes avant d’être cuisinées. » p.84 Ce n’est qu’au Moyen Âge que la méthode de faire bouillir la pâte dans l’eau, le bouillon ou le lait est apparue.

Les pâtes sèches seraient dues aux Arabes (dans les recueils de cuisine du 11ème siècle) pour se garantir des provisions lors de leurs caravanes à travers le désert. Les pâtes longues seraient elles aussi dues aux Arabes, selon des images du 14ème, siècle où apparaît d’ailleurs en Italie la fourchette, tant il est difficile de manger des pâtes brûlantes et glissantes avec les doigts… Les pâtes se mangent systématiquement avec du fromage ; l’usage de la tomate en sauce n’est adopté que vers 1820. Quant aux raviolis, ils dérivent de la tourte et désignaient autrefois la seule farce.

Un chapitre est consacré à la diététique. Dès la Renaissance, on se préoccupe du bon équilibre alimentaire, fondé en premier sur les distinctions entre aliments « chauds » et « froids » du médecin grec Galien (2ème siècle). D’où ces associations étranges, qui subsistent jusqu’à nos jours comme le melon/jambon de Parme, la poire avec le fromage ou la salade en début de repas pour « ouvrir » l’appétit.

La « réduction » bourgeoise réduit le nombre de mets en vue d’économie et de santé, valorisant l’épargne et la tempérance, pour se différencier des seigneurs dont la profusion et le décor sont pure ostentation.

Avec le 19ème siècle apparaît la cuisine de restaurant comme un ordre quasi militaire : on parle de « chef » et de « brigade », l’uniforme est blanc pour signifier l’hygiène en cuisine et noir pour le service, effectue comme une cérémonie. Tandis que naît le « gastronome », dandy expert en auberges et menus, la « cuisine » devient la pièce principale de la famille dans les maisons et les appartements.

L’alimentation est très conservatrice car on se veut tel qu’on mange ou ce qu’on mange nous construit. La cuisine italienne évolue entre habitude et progrès, marmite à vapeur de M. Papin (1681), froid artificiel (18ème siècle), conserves de M. Appert (1810), fours à température constante (19ème siècle), réfrigération (années 1960 seulement dans le populaire)… L’internationalisation de la cuisine italienne ne prend son essor qu’après la Seconde Guerre mondiale : le terme « pizza » est encore inconnu du ‘Larousse gastronomique’ en 1938 !

Comment l’homme fait des nécessités physiques (manger) et des contraintes économiques (ce qu’on trouve, et à prix abordable) une culture. La cuisine, comme le reste, est le fruit de l’histoire, elle dit l’apparence et le prestige, le statut social, la tradition et la nouveauté, le bien-être et l’austérité. Culture, oui : « Qu’est-ce que la gloire de Dante, à côté de celle des spaghettis ? » se demande Prezzolini en 1954. N’importe quel inculte américain ou autre connaît les spaghettis – mais qui connaît encore Dante Alighieri ?

Alberto Capatti & Massimo Montanari, La cuisine italienne – histoire d’une culture, 1999, préface de Jacques Le Goff, Seuil 2002, 423 pages, €22.14

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Plouigneau, écomusée ‘Le village breton’

Non loin de Morlaix, sur la D172, existe le bourg de Plouigneau. L’ancien maire, agriculteur en retraite, a collectionné les instruments agricoles depuis son grand-père. Lorsqu’il s’est retiré, il a aménagé dans l’ancien corps de ferme familial un écomusée sur un siècle de vie rurale en Trégor. Les bâtiments ont été rachetés et complétés par la commune, mais toutes les collections appartiennent encore à l’inventeur.

C’est moins le quotidien d’autrefois, visible dans l’école primaire comme dans les pièces à vivre et à dormir du corps de ferme, que l’évolution des techniques agricoles qui fascine le visiteur.

Certes, tout adulte de 50 ans élevé en province, aura le brin de nostalgie de rigueur pour les pupitres à banc, percés de leur encrier de porcelaine dans lequel on versait l’encre violette pour y tremper la plume. Il fallait être « soigneux », « propre » et « attentif » – toutes ces vertus petite-bourgeoises inculquées au peuple rustre des campagnes à coups de règle. L’instituteur, qu’on appelait le Maître, n’était pas tendre avec les préadultes qu’on n’appelait pas encore préados. La société non plus, qui se faisait un devoir de les « dresser ». La trique sur le bureau d’un côté, les bons points qui donnaient droit aux images de l’autre (3 bons points pour 1 image, 3 petites images pour 1 grande était le tarif).

Mais il y avait les « leçons de choses », les problèmes pratiques (de train, de robinet, de surface de champ… tout ce qui parlait immédiatement aux esprits gamins). Il y avait aussi l’Histoire de France et ses images d’Épinal, la géographie des départements et les « sciences naturelles » dont de grands panneaux détaillaient le vocabulaire et les parties.

Après l’écurie, l’étable et sa laiterie, la soue (où sont aujourd’hui parqués des lapins noir et blanc), l’école… dans le sens de la visite. Au-dessus de la soue, la chambre du gardien à cochons, un lit, une chaise et un clou à vêtements : l’adolescent vivait dehors.

Puis l’aire de jeux bretons, la buanderie où trône une collection de fers à repasser de toutes tailles, y compris la pince de homard pour les dentelles et la résistance longue à brancher pour les cravates !

La cuisine version XIXème possède cheminée et vaisselier, support à cuillères et support à saindoux pendus au plafond.

La cuisine version 1940 avec la cuisinière de fonte et l’abat-jour orné de perles, la TSF pour écouter Radio-Londres, le garde-manger en treillage et toujours le vaisselier.

Les chambres à l’étage n’ont pas de toilettes ni de douche : on fait dans un seau à couvercle qu’on vide au matin, et sa toilette dans la cuvette avec le broc à eau, dans un réduit qui sert à l’habillage. Les lits clos servent à se protéger du froid humide.

Un engin Motobécane tandem servait probablement aux jeunes à promener leur belle jusqu’aux foins, les jours d’été.

Tout un hangar est consacré à la culture de la terre, depuis la bêche et la binette jusqu’au tracteurs des années 1960, en passant par l’araire, la charrue tirée par les chevaux, la moissonneuse-batteuse, la tarare, et divers instruments de fer aux pointes agressives qu’on traînait sur les champs.

Les divers travaux agricoles sont représentés tels les labours, les semailles et les moissons, la fenaison, enfin les opérations de transformation que sont le battage, le séchage, le broyage, le triage, le teillage… On en apprend, des choses !

Une exposition temporaire était consacrée en juillet à la culture et au traitement du chanvre et du lin. Il existe deux graines : le lin textile et le lin oléagineux – le saviez-vous ? Moi non.

La charrue Brabant tirée par un cheval, inventée au milieu du XIXème siècle, était une avancée technologique : en acier trempé permettant des labours profonds de 40 cm, elle avait le soc tournant pour ne pas revenir au point de départ pour un nouveau sillon.

Le clou est le tracteur Titan Mac Cormick de 2.5 tonnes et de 8700 cm3, construit à partir de 1902, arrivé en France sur les pas des soldats américains de 1917. J’ai retrouvé avec plaisir le tracteur Renault type 3042 des années 1950 et 60, toujours orange, pas très puissant (2384 cm3) mais national. On le voyait partout dans les campagnes avant 1968.

Suivent des ateliers d’artisans : menuisier, vannier, forgeron, maréchal-ferrant, cordonnier, bourrelier, couturière, coiffeur, boulanger, cafetier…

L’attraction des enfants est le sabotier, car deux artisans travaillent et font démonstration. Le hêtre est le meilleur bois aux sabots car il est dur. Mais pour le travailler, il faut le creuser frais, sinon il se fend. On conserve donc les billots dans l’eau avant de les tailler.

Tout se faisait à la main, mais l’ère des machines inventé la forme : un sabot du format désiré (grande, moyenne ou petite taille) est inséré sur un pivot ; un billot de bois sur l’autre. En tournant, la machine suit les contours de la forme d’un côté, et guide le galet attelé en tandem sur le bois de l’autre. Le sabot prend forme sous nos yeux sans intervention humaine. Reste alors à le creuser à la gouge électrique.

Ce qui aurait pu être un fastidieux verbiage écolo d’intellectuel aux champs (comme tant d’écomusées…) est ici passionnant parce que très pratique et avec peu de baratin explicatif. Pas de verbiage, ni de remontée aux calendes : c’est un paysan qui explique et tous comprennent de suite. Les outils et machines collectionnées ont tous servis et ça se voit. Nous ne sommes pas dans le respect sacré pour « la tradition », mais dans le souvenir du grand-père.

C’est sans doute cette atmosphère particulière, pratique et vivante, qui fait le charme de ce petit musée. Les ados explorent et les enfants questionnent, c’est bon signe !

Écomusée ‘Le village breton’, rue de la gare (près de l’église), 29610 Plouigneau, tél. 02.98.79.85.80

  • Site habituel www.levillagebreton.fr / Nouveau site http://www.levillagebreton29.wordpress.com
  • Ouvert tous les jours sauf le samedi, 10 à 12h et 14 à 18h / Fermeture de novembre à mars
  • Adulte €4.80, ado 13-18 ans €3.50, enfants gratuits
  • Des animations sont organisées tout au long de l’année (fête des fleurs, festival des belles mécaniques, fête du cidre, fête du lin…)

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