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Sur le chemin des treks andins

Vers le kilomètre 82 de la ligne d’ENAFER, que nous atteignons, nous sommes désormais sur « le chemin des treks ». Nous buvons un coca ou une cervoise à 2 sols et demi lors d’une pause devant une boutique d’adobe sur le sentier. Deux chiots, sept cochonnets noirs et un chaton viennent se faire admirer.

Montée dans les eucalyptus. Chaleur. Nos porteurs se mettent à l’aise car le frais de la haute montagne est fini. L’un d’eux a un air très juvénile sous son casque de cheveux noirs. Il a enlevé son pull pour se reposer de sa charge. Descente au rio, puis dure remontée sous le soleil. Il ne faut pas avoir peur du dénivelé dans ce pays ! Au sommet de l’éminence, nous découvrons une nouvelle vallée qui coupe celle que nous suivons. Plantée au carrefour sur la pente en face, s’élèvent une cité inca et la forteresse qui commande le passage. Nous allons quitter la vallée de l’Urubamba pour remonter la vallée de Kusichaca et nous sommes au croisement. Descente jusqu’au nouveau rio, puis remontée jusqu’à la forteresse. Nous pique-niquons dans ses murs. Le site se nomme Pulpituyo.

Nous passons ensuite un moment dans la cité qui s’élève un peu plus haut, sur des terrasses aménagées. Elle comprend douze quartiers, regroupés par quatre. Selon l’usage, elle a une fonction religieuse (une pierre huaca se trouve là), une fonction administrative (gérer l’agriculture et l’entretien des terrasses), et une fonction militaire (au croisement de deux vallées stratégiques). Les ruelles qui courent entre les maisons en ruines sont rectilignes. Nous redescendons les terrasses par un « escalier flottant », bâti de grosses pierres dépassant du mur comme les barreaux d’une échelle.

La montée qui suit est raide, alternant avec de courtes descentes. Un bar sous chaume est installé en haut d’une montée et permet de se désaltérer de l’effort. Deux « sacs à puces » (Choisik dixit) et quelques poules à bonnet et collerette rôdent alentour. La fille d’une douzaine d’années qui sert semble un peu demeurée ; elle est très lente à comprendre ce que l’on veut, que l’on parle espagnol ou non, et met un temps fou à rendre la monnaie. Je lui demande « de l’eau avec gaz » pour Gisbert, elle « n’en a pas ». Un peu plus tard, Choisik en ouvre une. Passent trois garçons blonds en short, tee-shirt et sandales dans les 18, 15 et 12 ans. Par ressemblance ils doivent être frères. Ils parlent français entre eux. Qui sont-ils ? Ils semblent accompagnés d’un couple péruvien. Font-ils partie d’un groupe ? Ces mystères agrémentent la marche sur ce sentier plutôt fréquenté. Les résoudre n’est pas utile, le jeu est d’échafauder les hypothèses. Camélie parlant de Gusto, son mari : « il prend soin de son matériel parce que son matériel lui coûte, pas sa femme. » Gusto et Camélie sont tous deux dans l’enseignement dont ils aiment incarner l’archétype lorsqu’ils se sentent contestés par la société civile. Tous les profs se voient en élite nationale, ils « appartiennent à l’E.Na ». Mais en trek les rôles s’effacent vite, ils apparaissent vivants et très sociables. Lui est fonctionnaire d’université, elle est professeur de français. Fortune : « il faut toujours passer devant les autres avant de se moquer. » Ces ragots amusent dans la monotonie du chemin.

Ce soir, il y a au moins quatre camps de touristes différents, installés sur les divers endroits plats du village de Huayllabamba. Certains se perdent pour rejoindre le nôtre depuis le sentier, et cela les fait râler ; ils ont l’impression « d’avoir fait de la distance en plus » ces fonctionnaires de la randonnée ! D’après l’engin de Gisbert, nous sommes installés ce soir à 3000 m. Après une toilette assez complète dans le torrent qui dévale de la montagne, en aval des camps, vient l’heure du tarot. Nous sommes toujours les cinq mêmes, acharnés chaque soir, après avoir installé nos affaires dans les tentes, nous être rafraîchis et avoir remplis nos devoirs scripturaux (pour ceux qui prennent des notes). Un Manuel tout crasseux de sept ans vient nous demander comment on s’appelle et parler un peu pour obtenir des pop-corn. Périclès, qui parle un peu plus l’espagnol (il révise sa Méthode en 90 jours tous les soirs) lui dit qu’il en aura s’il va se laver les mains. Il y va. Dans maintenant deux mois et demi, Périclès saura parler espagnol.

La nuit tombe à 18 h pile, comme chaque soir. Le pisco tombe, aussi ponctuel, à cette heure-là. L’instituteur de l’école locale, « le professeur Fortunato », est invité à dîner avec nous par Choisik qui le place entre « ceux qui parlent espagnol », Périclès et moi. La conversation porte sur la scolarisation. Il s’occupe de 26 gamins des environs, répartis entre quatre niveaux d’âge, de 6 à 14 ans. Il n’est pas cher payé et bien isolé dans cette vallée, pas marié faute d’argent. Il nous envie un peu de prendre l’avion et de voir le monde. Ses élèves sont un peu ses enfants car son métier est sa seule vie. Ici est son troisième poste. Il a commencé à 28 ans après trois années d’école normale. Il nous demande combien nous gagnons ; il est difficile de lui répondre honnêtement, en fonction des écarts de niveaux de vie. Faut-il lui dire le vrai et le laisser effrayé et amer ? Faut-il tenter de traduire en équivalent local et en termes de statut social ? On ne peut traduire directement nos salaires en sols, au taux de change actuel, même si Périclès s’y essaie. Il faut plutôt raisonner en fonction de ce que l’on peut faire avec la même somme : les loyers, l’alimentation, les prix des trains et des hôtels, ne sont pas équivalents chez nous et ici. Malgré cela, nos réponses l’incitent à nous demander aussitôt de l’argent « pour son école ». Je réponds fort diplomatiquement que nous avons aidé déjà une école pauvre de la montagne, quelques jours auparavant, là où les touristes ne passent que très rarement, et que je dois en référer au groupe pour savoir ce que l’on peut faire. Choisik, qui l’a invité, aura à s’en débrouiller demain.

En allant nous coucher, nous contemplons un ciel clouté d’étoiles. Pour une fois, la vallée est orientée dans le même sens que la voie lactée : ne serions-nous pas sur le chemin de Machu Picchu ? A cette heure, parmi les gosses, les chiens, les vaches et autres animaux qui ont hanté le terrain depuis que nous sommes arrivés, seuls deux ânes ne dorment pas.

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Dans la campagne andine

Nous allons le long du fleuve, assagi après sa période rapide. Le chemin est campagnard, mais le périple sans grand intérêt. Choisik sait cependant avec bonheur éveiller l’intérêt pour les gens rencontrés. Nous allons ainsi voir de plus près se bâtir une maison en adobe. Les briques ont été préparées, malaxées de terre fluide et de paille, moulées, séchées au soleil. Les murs montent. On les assemble avec du mortier naturel, de la bonne boue gluante qu’un gamin de 11 ou 12 ans, le fils aîné de la maison, prend un plaisir manifeste à malaxer de ses pieds nus, en short, le polo déchiré. Il pellète ce mélange appétissant avant de le hisser tout frais et tout gluant au père, à l’étage, par un seau fixé à une corde passant par une poulie. Les deux petits frères regardent faire mais n’ont pas de tâches précises.

Plus loin, nous allons discuter avec les batteurs de quinoa, cette céréale des Andes très énergétique qui ressemble à de la semoule. Elle se bat comme le blé. La batteuse est ici une machine diesel, mais il faut enfourner les bottes coupées, recueillir la graine dans des sacs et dégager la sortie de la paille. La poussière, de terre et de brins de paille, est étouffante, et les hommes portent tous des foulards noués devant la bouche. Là aussi on travaille à partir de 12 ans à peu près. Sur ce champ, on récolte trois fois par an, nous dit le vieux, deux fois du quinoa et une fois du maïs en alternance.

Nous longeons ensuite des champs de luzerne, de petits pois, de patates. Certaines poussent encore alors que d’autres sont déjà récoltées dans de grands sacs. Bénédiction de l’équateur : l’absence de saisons marquées permet plusieurs récoltes par an. On plante à tout moment, il suffit d’attendre que cela pousse pour récolter, et recommencer aussitôt. Les patates cultivées ici sont belles, plus belles que celles de la montagne, grosses comme le poing. Un peu plus loin, les plants de patates sont en fleurs, de jolies fleurs violettes au cœur jaune.

Passage à gué. L’eau est fraîche à nos pieds nus ; elle court vite sur les galets glissants. Le rio prend des reflets bleutés, irisés, métalliques. Est-ce le ciel devenu gris ? Cette mystérieuse couleur serait plutôt l’effet d’une variété de schiste bleu qui affleure sur les rives. Nous croisons un homme portant sur l’épaule un araire comme à Ollantaytambo ; une femme porte un joug à bœufs ; un petit garçon porte un panier. Toute cette théorie va travailler les champs. Sur le chemin, nombreux sont les chiens, les cochons cherchant provende, les bouvillons broutant à l’attache, et même une chèvre.

Le camp est installé sur le terrain de foot du village de Chilea. C’est un pré bordé d’un chemin de terre et par la voie ferrée ; l’herbe y est grasse et fait les délices des vaches. Elles y ont laissé quelques traces et Gisbert fait « floc » lorsqu’il s’assoit dans sa tente. Il est obligé de la déplacer. Carène a deux belles bouses toutes fraîches dans son entrée. Les porteurs qui ont planté les tentes ne voient rien de particulier à ce voisinage, ni à ces odeurs très campagnardes. Il faut être de la ville pour en être offusqué ! Un chien dort en rond parmi les tentes. Il est affamé et peureux, comme tous les chiens d’ici qui servent de gardiens et pas de compagnons. Le ciel s’est couvert. Le vent a forci depuis le début de l’après-midi, apportant quelques minutes de pluie sur le chemin. Les trains de Machu Picchu à Ollantaytambo passent en face du camp. Les voyageurs de l’ENAFER regardent les tentes avec curiosité, sauf lorsque passe le train de luxe qui conduit les occidentaux de ruines incas en ruines incas.

Une demi-heure avant la nuit commence une partie de foot acharnée entre les porteurs et quelques trekkeurs qui n’ont pas peur de s’essouffler à 2800 m. Lorrain a fait du foot lorsqu’il avait 19 ans, « avant de rencontrer ma femme… ». Il fait merveille parmi ces amateurs des Andes. Mais dans l’obscurité qui descend brutalement les bouses comme les trous du terrain mettent à mal quelques chevilles. Périclès, qui ne se limite jamais, s’est fait assez mal. Diamantin ne joue pas au foot mais a eu « un orteil écrasé » en vidant le raft parmi les rochers boueux ce matin. Il s’inquiète des conséquences de ce bleu pour sa petite personne. Ne peut-on attraper le sida avec ça ? Le pisco sour apéritif n’atténuera qu’à peine ses récriminations médicales. Après un repas de soupe et de truite « du rio » (elles peuvent difficilement être surgelées…), Choisik offre un peu de pisco brut à ceux qui apprécient. La discussion roule alors sur l’alcool. Diamantin s’effare de ce que, à la cantine de sa « boite », « certains prennent une bouteille de vin pour quatre, le midi » ! Vous vous rendez compte ? Ce doit être le début d’une intoxication grave, n’est-ce pas ? « Quand même, nous, les jeunes (hic !) on prend de la Badoit le midi, même quand on va au restaurant. » Cette vision très XIXe siècle de l’alcoolisme « populaire » m’amuse. Boire du vin est plus un acte culturel pour accompagner le repas qu’une façon de se droguer. Il n’y a guère que les salons qui peuvent croire qu’un peu de vin « conduit » à l’alcoolisme lorsque l’on n’est pas « éclairé ». Car une bouteille pour quatre, cela ne fait guère que 19 cl par personne, à 12° d’alcool pour le vin moyen, cela fait 2.25 g d’alcool pur, à diluer par le poids de chacun et qui mettra des heures à passer entièrement dans le sang. J’ai beau commencer à le connaître, ce Diamantin, son snobisme bourgeois et son angoisse du politiquement correct me laissent toujours pantois !

Au matin, le soleil éclaire le massif de la Veronica aux glaciers immaculés. Des écoliers passent sur le pré, en route pour l’école un peu plus haut. Ils ont le visage et les mains lavés, les cheveux coiffés, la raie faite à l’eau. Deux chiens mendient du pain dont un beau noir et beige qui s’apprivoise rapidement, remerciant d’un coup de langue ses donateurs. Mabel et Gisbert content leurs mésaventures de la nuit, surtout cette omniprésente odeur de purin qui les a accompagnés dans leur sommeil, les vaches ayant agi avec enthousiasme et constance autour de leur tente.

Nous repassons le pont dans le village avant de grimper de façon abrupte. Le chemin suit longuement le flanc de la montagne. Nous croisons des cactus de différents types où sont accrochés des lichens appelés ici « barbes de vieux ». Un colibri noir au long bec en pipette aspire le nectar des fleurs rouges du cactus en voletant.

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Col de Tiliruay au Pérou à 4300 m

Nous grimpons à flanc de montagne, puis plus rudement, parmi les alpacages (pacages à alpagas). Une lagune noire s’étend devant nous ; il s’agit de Ianacocha, « le lac noir », son eau est glacée – j’y trempe la main pour voir. Le col de Tiliruay est passé à 4300 m. La montée est très dure. Cette année, c’est le souffle qui me manque un peu, pas le cœur, ni les jambes ; je ne m’entraîne plus assez. Au cairn du col, chacun pose sa petite pierre. Les porteurs passent en même temps que nous ; ils sont d’habitude devant, ou derrière. Le lac que l’on aperçoit de l’autre côté, en contrebas du col, s’appelle Pokacocha, « le lac blanc ». Eau claire, mais glacée aussi. Le sol est parsemé de touffes d’herbe ichu, vivace et raide comme les épis sur la tête des gamins. S’accroche aussi à ras de terre une végétation d’altitude parmi les rochers gris qui affleurent comme les os d’un vieux dragon.

Nous nous adossons à un gros rocher de la moraine glaciaire, devant le lac blanc à nos pieds. Il nous protège du vent qui monte de la vallée et souffle fort au col. Notre repas est chaud ! Ce qui est bienvenu. Le réchaud à pétrole fait merveille pour le poulet sauce au vin. Les nuages vont au col, au-dessus de nous. Effet de la lune pleine ? il ne pleut pas, ce qui arrive pourtant à chaque passage ici selon Juan. Les groupes mangent presque toujours sous les capes de pluie ; pas le nôtre.

La descente qui suit est assez longue ; elle s’effectue lentement parmi les pierres et les ruisselets qui rejoignent le rio. Nous croisons des troupeaux mêlés de lamas, alpacas, moutons, chevaux, chiens, et même des gosses. Un petit chien laineux fait craquer Choisik qui joue un moment avec lui avant de lui donner des restes de cochon d’hier soir qu’elle avait pris pour la route !

Nous nous arrêtons dans un enclos de pierres prévu pour les animaux. Dans la maison d’à côté, une vieille est accroupie sur le pas de sa porte, trois tout-petits autour d’elle. Elle ne parle que le quechua. Choisik lui donne une bougie, une boite d’allumettes et un savon d’hôtel. Elle explique par geste que ça sent bon mais que cela ne se mange pas : c’est pour se laver. Une fois précédente, elle avait donné une savonnette ainsi et elle avait vu un gamin la bouche pleine de bulles quelques instants après ! Plus loin, les hommes retournent la terre à grands coups de la curieuse bêche des Andes, faite pour pénétrer les terrains les plus difficiles : un long manche recourbé, plus grand qu’un homme, un fer plat et long au bout, et un appui sur le manche pour pousser avec le pied. Deux hommes manient chacun une bêche tandis que le troisième retourne les mottes ainsi faites à la main. Le sillon creusé est profond d’une vingtaine de centimètres et la terre bien retournée. C’est artisanal, mais efficace.

Le brouillard monte de la vallée et nous envahit peu à peu. Nous rencontrons encore deux femmes qui filent la laine en gardant sous une couverture un paquet de patates cuites à vendre. La plus jeune est jolie, elle a les yeux bridés, le teint coloré et un chapeau plein d’épingles-à-attirer-l’attention. Mais elle a à peine 14 ans. Choisik discute avec elles, mi-espagnol, mi-quechua (c’est Juan qui traduit), elle leur donne des savons d’hôtel, aussitôt enfilés sous la robe au-dessus du sein, avec les objets précieux à ne pas laisser dans les maisons ouvertes à tous les vents. Choisik demande si nous pouvons les prendre en photo. Elles sont ravies, elles sont là pour cela.

Un troupeau de lamas passe dans le nuage qui nous couvre, le regard vif, les oreilles dressées, la lippe frémissante. Ils sont dans leur élément. Un peu plus loin, il commence à pleuvoir. La lumière devient celle d’un aquarium, le paysage celui de Norvège en hiver : gris, humide, glacé. La pluie persistante noie tout dans une poudre d’eau fine : la silhouette d’une maison basse, le muret pierreux d’un enclos, un gamin qui passe, boursouflé d’épaisseurs, empaqueté de ponchos, un chien mouillé, plusieurs alpacas gonflés de laine… Nous nous mettons en marche automatique, sans rien voir, sans plus dire un mot. Le camp est toujours un peu plus loin. Heureusement, le terrain descend et le vent glacé est tombé avec la pluie. Il fait moins froid. Pluie, « c’est ainsi que t’a créé le Créateur du monde, Pachacamac Viracocha », chantaient les vieux incas, fatalistes.

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Arrivée au Pérou

La nuit est belle sur les Andes, vue d’avion. Le ciel est clair, Quito et ses lumières sont comme une pelletée de verre brisé répandu sur les reliefs. Contraste des perles orange délimitant les grandes artères rectilignes et des amas blancs des éclairages publics dans les rues secondaires. A Lima, l’avion plonge dans les nuages. Il bruine un peu – la fameuse « garua » – et il fait 14°C. Nous survolons un habitat plat de béton artisanal. Seul le centre-ville a un cachet colonial espagnol. Nous descendons dans le grand hôtel antique de la ville, Place San Martin, le Le Grán Hotel Bolivar.

Nous faisons connaissance sur place avec notre accompagnatrice qui a fait vœux d’apparaître originale ce premier soir : elle porte un chapeau symbole, entièrement brodé sur la coiffe, et se fait connaître sous un prénom peu courant, « Choisik », qui a un air breton. Mais nous voici au Pérou, pays deux fois grand comme la France, entre flots pacifiques et moutonnements amazoniens, 24 millions d’habitants, 2000 $ de revenus annuels par tête. Il y a beaucoup d’enfants, mais ils meurent aussi beaucoup : 64 sur mille n’atteignent pas l’âge d’un an.

A six heures, à l’aéroport les vols internationaux ne sont pas encore ouverts, mais les guichets d’Aeroperu, la compagnie intérieure, sont déjà pleins. Les billets ne donnent droit à aucune réservation, on embarque comme on enregistre, au fur et à mesure. L’avion décolle lorsqu’il est plein.

Arrivant de Lima, il faut monter sur la gauche de l’avion pour voir la ville de Cuzco avant l’atterrissage. Les nuages ont eu le temps de se lever, il fait grand soleil. L’avion surgit d’une vallée et effectue un virage très serré autour d’un piton avant de prendre l’alignement de la piste. Cris de frayeur dans l’assistance, habituée au ronronnement de l’assistanat permanent. Nous sommes ici dans un monde sauvage, mesdames et messieurs, les Andes ne sont pas les plaines de Beauce ou du Middle-West.

L’aéroport de Cuzco perche à 3248 m d’altitude (ainsi qu’il est écrit sur un panneau de bienvenue) et les turbulences atmosphériques sont rudes dans l’air raréfié qui porte moins les ailes. L’atterrissage nous donne un avant-goût. A la sortie, nous sommes un peu ivres, fatigués déjà par l’air pauvre en oxygène. Des minibus nous conduisent à l’hôtel Royal Inka. Le patio à l’espagnole à l’intérieur est d’une grande paix après les turbulences du voyage. Nous y prenons le maté de coca devant un puits de pierres à la margelle de fer forgé, les plantes vertes, et la maquette d’église en terre cuite aux cent personnages.

Je commence la lecture des Commentaires royaux sur le Pérou des Incas, écrits vers 1600 par le métis hispano-indien Garcilaso de la Vega. Il écrit que Cuzco « prend naissance sur les versants d’une haute colline, et s’étend de toutes part sur une plaine grande et spacieuse. Elle a des rues longues et larges, et des places très grandes. » Il la compare à Rome. « Le climat de (Cuzco) est plutôt froid que chaud, mais pas au point que l’on soit obligé d’avoir recours au feu pour se chauffer. » Cela reste vrai pour nous qui venons de débarquer !

Nous partons déjeuner dans la ville, de soupe ou de pâtes arrosées de maté de coca ou de bière, selon que l’on supporte la haute altitude ou non en ce premier jour. Une fille a un malaise et s’écroule évanouie sous les arcades de la place. Tel est la puissance de ce soroche mystérieux qui a saisi les Espagnols de la conquête. Chacun peut sentir dans tout son corps qu’au moindre effort il a moins d’oxygène disponible à respirer. Il faut s’économiser, austérité physique qui rencontrait le tempérament puritain des catholiques venus ici expier leurs péchés. Ce pourquoi ils se sont accrochés à ce pays, tandis que les Anglais, pragmatiques et soucieux de confort, préféraient les grandes plaines riches du nord. Mais le corps apprend ; lorsque l’on se rend chaque année en altitude, l’adaptation se fait plus vite.

Nous faisons le tour de la Plaza de Armas avec ses églises, ses arcades, nous longeons les rues vers le marché. Nous ne cherchons pas à visiter mais plutôt à humer l’ambiance, à aborder un lieu vivant où s’imprégner du pays. Le marché est l’un de ces sas d’accueil. On trouve de tout dans de marché de Cuzco, des changeurs officiels à la carte accrochée en évidence sur la poitrine, des vêtements, des sacs de charge pour isoler les sacs à dos dans le reste du voyage, des pulls et couvertures en laine d’alpaca, si douce au toucher. Des indiennes sans âge, informes sous leurs robes sacs qui cachent leur fortune accrochée à la ceinture, trônent parmi les légumes qu’elles viennent vendre depuis leur village de la campagne. Des gamins cuivrés toujours très habillés tiennent la caisse dès qu’ils ont l’âge de savoir compter, ou vadrouillent à deux ou trois, marchandant un fruit ou une sucrerie à quelque étal. « Buenas tardes, seniores, compra me ! », achète-moi, sont les complaintes qui nous accompagnent. Choisik nous a bien recommandé de faire attention à nos portefeuilles, appareils photos et bijoux facile à voler dans une bousculade.

La fille qui a le mal d’altitude reste au lit et Peter, un jeune homme venu directement de San Francisco ce matin, a sommeil. C’est donc un groupe croupion qui traverse simplement la place pour aller dîner dans une gargote à l’enseigne internationale : « restaurante pizzeria ». Mais cela n’est fait que pour attirer l’Américain moyen. On peut y trouver sans problème les mets typiques du pays, que nous nous empressons de goûter. L’on y trouve la crème de maïs (soupe légère), l’avocat farci aux légumes (goût très fin), le bœuf émincé sauté aux oignons servi avec de grosses frites (choix moins heureux). La table est longue, les conversations partielles. Choisik est perpétuellement excitée comme si elle avait bu. Nous découvrirons que c’est son tempérament habituel, enthousiaste et boute en train. Elle nous explique qu’elle vit dix mois sur douze en Amérique du sud, de la Bolivie à la Terre de Feu. Elle accompagne des treks, est équipière de bateau à voile vers le Cap Horn, fait des reportages, texte et photos, pour des magazines français. Elle mène une existence bien remplie. Le vin rouge de Tacama est bon, le pisco sour d’entrée offert par le patron enivre très vite les précaires de l’altitude. Il a toujours ce goût acide de citron vert et la force du marc de raisin en arrière-goût. Le blanc d’œuf colle le tout. Il est difficile d’en boire du très bon car la préparation est délicate et la qualité des ingrédients primordiale

Dans le petit parc en face du restaurant, des étudiants amoureux se tiennent par couples, sur chacun des bancs. Cuzco est une ville universitaire. Deux solitaires attendent leur moitié. Un gros chien s’approche d’un couple qui s’embrasse en silence. Curieux, il s’assoit sur son train et regarde la scène.

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Dans la sierra équatorienne

Papallacta se blottit dans un décor grandiose de roches et cascades. Aux abords du village des sources chaudes témoignent de l’activité volcanique des lieux. On se détend dans des piscines aux eaux sulfurées et aux températures plus ou moins chaudes.

Calderon, petit village, doit sa renommée d’avoir été longtemps le site d’un artisanat original en Amérique du Sud. Le masapan, sorte de pâte à sel avec laquelle on fabriquait de petites figurines peintes dans la masse et dont on ne connaît pas bien l’origine. Ces figurines sont traditionnellement placées sur les tombes en offrande le jour de Todos los Santos (Toussaint) et le Dia de Difuntos (1er et 2 novembre).

Dans la lagune de Colta, malgré la baisse des eaux, les roseaux sont toujours exploités pour faire des radeaux, les herbes aquatiques servent de pâturages. Avec l’altitude, la lagune a des couleurs étonnantes. Les eaux sont de moins en moins abondantes. En se retirant elles ont laissé des terres fertiles dans les fonds des terrains plats. Les cultivateurs y pratiquent des cultures intensives. Un monde à part, les communautés d’altitude : une piste glissante, des  maisons de terre aux toits de paille ou de zinc dispersées sur des sommets arrondis. Ici, les hautes terres sont densément occupées même les sommets au-dessus de 3600 m. La vie est rude, il fait froid, souvent humide, cultiver est un exploit, et récolter de quoi nourrir une famille entière. Une utopie ? Et pourtant…

A la sortie de Colta, la petite église de pierre de La Balbanera est la plus ancienne du pays, elle date du 18 août 1534. Elle a réussi à conserver quelques pierres debout après le séisme de 1797.

Guamote est une bourgade de 2000 habitants au sud de la province. Le jeudi est jour de marché et une foule affairée mais silencieuse emplit la ville. A la variété des ponchos, on mesure l’attraction de la foire sur les nombreuses communautés et villages voisins. Les marchandes n’hésitent pas à installer leurs herbes sur les rails du train. Le conducteur actionnera son sifflet pour prévenir de son passage.

Ah ! oui, avez-vous déjà mangé du cuy ? Avant la Conquête, c’était la principale source de protéines dans les Andes. Ici, pas d’animal de compagnie pour les enfants, le cochon d’Inde (cuy) est élevé pour être mangé, alors bon appétit ! Avec le quinoa, ultra nourrissant, ce seront 15% de protéines complètes, 55% de glucides et 4% de lipides qui accompagneront le cuy. Le riz des Andes appartient à la famille des chénopodiacées, tout comme les épinards et les betteraves. Cela pourra être arrosé de chicha.

Depuis Riobamba, nous entreprenons l’ascension du Chimborazo (6310 m)… enfin par tout à fait. En 4×4 jusqu’au premier refuge à 5000 m. L’air se raréfie, les poumons flambent même si le volcan enneigé est magnifique. Je choisirai de redescendre par le même moyen (facile) et d’admirer les lamas et les vigognes, tandis que d’autres trouveront l’énergie d’enfourcher un vélo-tout-terrain pour rejoindre l’auberge. Bravo ! (Mais il n’y a que de la descente).

Hiata de Tahiti

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Quito, capitale de l’Equateur

La capitale, est une ville de montagne à 2800 m d’altitude, encerclée de volcans enneigés, à 24 km de la ligne d’équateur. La ville est intéressante à visiter pour le couvent Amercene, la place San Francisco. Cette église date de 1535, bâtie dès l’arrivée des Franciscains qui seront suivis par les Jésuites.

Le Palais présidentiel est gardé par des soldats en costumes de Simon Bolivar, inspiré lui-même par les soldats de Napoléon 1er.  Les grilles devant le Palais sont celles des Tuileries à Paris !

Depuis le Panecillo, la vue plonge sur Quito. A 3016 m, on domine la cité et cela permet de discerner le plan en damier de son centre ancien avec ses coupoles, tours et toits de tuile.

Poursuivons, voici le lac de San Pablo utilisé par les lavandières et les pêcheurs locaux.

Le Quito colonial est  habité par les Indiens. La plupart des Indiens vivent dans la montagne, la Sierra. Les hautes vallées et le páramo froid et sec qui s’étend en altitude entre 3 et 5000 m sont peuplés par la moitié des 8 millions d’Équatoriens.

Quittant Quito, nous pénétrons un immense patchwork. Sur les flancs de la montagne, maïs, haricot et pois poussent à 2500 m. Les nombreuses espèces de pommes de terre se bousculent entre 2200 et 4000 m d’altitude. A mesure que l’on s’élève, le sol devient plus sec et les nuits plus fraîches : le blé et l’orge remplacent alors le maïs. Plus haut, ces céréales cèdent la place au quinoa, le « riz » des Andes.

Le marché, c’est un creuset de formes et de couleurs virevoltantes. Le marché occupe huit places différentes spécialisées chacune dans une catégorie de marchandises : le marché métis avec les objets manufacturés, le marché indigène avec des produits bruts fabriqués artisanalement, les marchés réservés à l’approvisionnement et à la restauration, le marché aux animaux est le plus animé des 8 places. Sur un terrain vague, des dizaines d’hommes en poncho effectuent des transactions sérieuses : une vache et un mouton représentent souvent toute la trésorerie d’un Indien. Ce qui frappe sur un marché serranais, c’est le silence.

En Équateur, les Indiens portent leurs vêtements des grands jours en toute occasion, célébration religieuse, jour de marché, descente au village. Les indígenas d’aujourd’hui ont adopté les costumes espagnols du 16e. A l’époque, chaque hacienda avait une sorte d’uniforme. Le noir et l’indigo adoptés par les Saraguro symboliseraient le deuil perpétuel de l’Inca Atahualpa, exécuté par Pizarro en 1533. Le bleu indigo soutenu des Saraguro provient de l’indigofera,  plante tropicale à fèves ; le rouge vif des foulards et châles portés par les indigènes de Salacasa est tiré de la cochenille (dactylopus coccus) un insecte qui vit sur une cactée, l’opuntia ; les tissus Ikats, eux sont réalisés par un processus de nouage et de teinture avant le tissage. Les macanas, baluchons omniprésents, sont destinés à transporter aussi bien du petit bois qu’un bébé.

La foi catholique est profonde, mêlée au paganisme, cela donne des églises baroques, des couvents franciscains, des statues aux visages souffrants…

Hiata de Tahiti

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Hiata en Équateur

En quelques mots, l’Équateur est un pays situé sur deux hémisphères, kaléidoscope s’il en est. Petit par la taille, 283 560 km², il offre à ses visiteurs  paysages variés, la sierra (Cordillère), la sosta (région côtière chaude et humide), et l’oriente (fleuve Amazone et rio Napo). La jungle et les volcans, les montagnes et la mer avec, en prime, les îles Galápagos. La ligne de l’Équateur passe à 24 km de Quito, c’est le milieu du Monde ! Alors ne résistons pas.

Les Équatoriens, indigènes, noirs, métis, créoles, sont 13 millions soit 42 habitants au km².

La religion catholique s’est superposée aux croyances ancestrales et cela donne… des églises et des shamans. On honore les esprits ; le jour des morts on mange et trinque avec les défunts ; on construit sa maison au-dessus d’un fœtus de lama.

La musique et la danse gardent leurs caractéristiques anciennes. Les cajas et tinyas  (tambours), les percussions, les sifflets, les ocarinas, les antaras (flûtes de Pan), les kenas (flûtes droites) sont maintenant accompagnés par les guitares et les violons. Le charango, originaire de Bolivie, possède 5 paires de cordes et 8 frettes. La caisse peut être en bois à défaut du tatou traditionnel. La mélodie semble triste, mais les Indiens adorent les fêtes. Ils s’endettent pour organiser celles auxquelles nous assistons, où coule l’alcool durant plusieurs jours, où les danses rituelles sont rythmées par des orchestres. On y danse également  la cumbia colombienne, et le merengue.

Quant au football, il est sport national ! A signaler, rares sont les Équatoriens qui fument. Il faut dire qu’à ces altitudes les poumons doivent être préservés.

Von Humboldt a donné son nom à un courant. Le volcan Cotopaxi est le plus haut volcan en activité. Quito se situe à 2850 m d’altitude, et est peuplée par 1 million d’habitants, la ville ancienne date de 1534. Ici en Equateur on revendique l’héritage espagnol. L’épine dorsale du pays est faite de cimes déchiquetées. Les chaînes de montagnes divisent le pays du nord au sud, elles –mêmes dominées par les volcans. Pays de neige et de feu, les volcans règnent à plus de 6 000 m d’altitude. Les pentes escarpées des montagnes sont cultivées à dos d’homme, de nombreuses espèces de pommes de terre poussent entre 2200 et 4000 m. La jungle, une muraille verte, est un labyrinthe végétal qu’on atteint par les fleuves. Dans ce petit pays, la moitié de la France, la nature offre une variété surabondante de paysages des plus impressionnants.

Le plus haut volcan de tous (et le plus éloigné du centre de la terre parce que la terre est un ballon de rugby) est le Chimborazo (6310 m), l’un des plus hauts sommets des Andes. Le Cayambe se distingue, il est le sommet le plus élevé de la terre à 0° de latitude : ses 5790m sont situés exactement sur l’Équateur. De la glace sur l’Équateur !

Ô temps suspend ton vol ! De toute façon, ici le temps a peu d’importance.

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Hiata de Tahiti

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Mario Vargas Llosa, Lituma dans les Andes

Le gendarme Lituma de ‘Qui a tué Palomino Molero’ est devenu brigadier et a été muté à Naccos, un campement minier qui ouvre une route dans les Andes. Cette partie du Pérou est inhospitalière, dangereuse car froide, escarpée et sujette aux avalanches. Elle est peuplée d’Indiens tristes et, dans les années 1980, est le repaire des maoïstes du Sentier lumineux.

Leur menace est omniprésente et opère comme l’orage qui gronde toujours sur les sommets. Parfois la tempête crève et ce sont alors une douzaine ou une cinquantaine de miliciens armés, murés dans leur idéologie rudimentaire, qui viennent demander des comptes au peuple du nom du Peuple. Ils n’écoutent rien, accomplissant seulement le rituel des manuels : question, jugement, exécution. Ils sont hors du monde, dans une croisade des enfants dont ils ont la foi candide et la simplicité d’esprit. Les meneurs (ou les meneuses) leur disent où il faut aller et ce qu’il faut faire. Ils se laissent embrigader avec bonheur dans le groupe fusionnel, aveugles à toute humanité (et même aux animaux), au nom d’une Révolution dont ils n’ont qu’une très vague idée.

C’est l’occasion, pour l’auteur, d’explorer un peu plus ce Pérou dont il s’est fait le chantre. Il y a ces villages perdus dans la montagne, subsistant de maigres cultures arrachées aux cailloux (patate, quinoa et maïs), d’élevage (vigognes et cochons d’inde). Il y a ces notables qui sont les cadres de la société : curé, notaire, juge, policier, instituteur, maire. Il y a ces marchands ambulants qui achètent le Pisco (un alcool fort) sur la côte et l’échangent dans la montagne pour du maïs ou de l’artisanat. Il y a ces ouvriers, encadrés par des contremaîtres et guidés par des ingénieurs, qui creusent des mines, refont les routes. Outre le curé, définitivement fermé aux ouailles, le bistrotier et le policier local, à ras de terre, sont les observateurs et les confesseurs des paysans.

Lituma et Tomás sont policiers, seuls dans une cabane qui fait office de poste. L’aîné fait raconter au plus jeune ses amours et les fantasmes permettent de passer le temps. La vie serait fade ou la tentation de se venger sur les autres cruelle, si les rêves ne venaient pas interférer. Tomás a été amoureux d’une Mercedes (une femme, pas une voiture). Elle était un peu pute mais très indépendante, il l’a délivrée d’un caïd qui la battait (et la payait). Elle n’aime personne et a quitté bien vite le jeune homme, mais… qui sait, le destin réserve bien des surprises.

Vargas Llosa aime à conter ces tours du destin.

Côté sombre, on croit avoir bonne conscience et faire ce qu’il faut mais voilà que des paysans illettrés, illuminés de marxisme mystique, décident de vous massacrer à coup de pierres (les balles sont trop précieuses pour les gaspiller). C’est ce qui arrive à un couple de trentenaires français – évidemment de gauche, évidemment profs – qui croyaient naïvement que leur idéal révolutionnaire et leurs bonnes intentions pour la cause les protégeraient des maoïstes péruviens. Ils le payent de leur vie.

Côté clair, on croit avoir perdu à jamais le grand amour de sa vie (et quatre mille dollars avec) et puis… arrive ce qui doit arriver. Je ne vous le dit pas mais ça fait chaud, et pas seulement au cœur.

A la palette des personnages, il faut ajouter ces Andes emplies d’apus, divinités des lieux qui sont sur les sommets, dans les trous et les sources. La montagne est un personnage à part entière, une sorte de dieu intangible, qui ne reste pas immobile. Elle réclame sa part de chair humaine et déclenche ses colères quand elle veut. Ou bien se laisse contempler dans sa beauté glacée : « il remarqua le splendide croissant de lune et les étoiles qui éclairaient toujours aussi nettement, dans un ciel sans nuage, le front déchiqueté des Andes ». C’est la phrase qui termine le livre et donne la clé. L’humain est bien petit dans l’énormité naturelle.

L’histoire, car il y a une histoire, est celle de trois disparitions : celle d’un albinos, d’un muet et d’un traître. Nul n’échappe aux forces supérieures : elles sont ici les malformations génétiques, la persécution des hommes et l’origine de classe. Seuls Lituma le brigadier humaniste, son adjoint plein de rêve et le couple étrange des bistrotiers, parviennent à chevaucher en partie le destin. Parce qu’ils ne sont pas impliqués comme les autres dans la société : ils ne possèdent rien, délivrent la justice ou donnent de la joie.

Ce n’est pas un hasard si le patron du troquet, ex baladin, se nomme Dionisio et sa femme Adriana. Le Dionysos de la mythologie, fils adultérin de Zeus, a épousé Ariane à Naxos et protège le théâtre tout en suscitant de grandes fêtes où le vin fait délirer les bacchantes. Dans les Andes, Dionisio et Adriana enivrent et font danser les hommes pour qu’ils se lâchent. Vivre, c’est quitter un moment le sérieux de l’existence, le travail, les patrons, l’absence de femmes, les tueurs illuminés et les avalanches de la montagne. Faire délirer est la soupape qui permet aux gens de survivre. Parfois au prix de sacrifices aux divinités et de boucs émissaires, mais c’est une autre histoire. Lituma, homme de la côte, la découvrira peu à peu.

Pour qui est allé errer sur les pentes ardues des Andes, aspirant l’air raréfié et subissant les ardeurs du soleil le jour et celles du froid glacial la nuit, rencontrant ces Indiens fermés que rien ne vient jamais dérider et ces gens des plaines perdus là pour un travail qui permet à peine de survivre, ce roman de Vargas Llosa parlera. Pour les autres, il dira la beauté et la brutalité d’un coin de cette terre, dans la queue de l’Amérique. Et si la littérature est de raconter une histoire en faisant vivre des personnages auxquels on croit, alors en voici de la grande.

Mario Vargas Llosa, Lituma dans les Andes (Lituma en los Andes), 1993, Folio, 1998, 358 pages, 6.93€

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Les îles flottantes des Ouros

Parmi les îles, 80 sont habitées par les indigènes. Ce sont des amoncellements de totoras (joncs) qui constituent ses îles. Ils servent accessoirement à construire des barques ou de fourrage pour les bêtes ; ils sont également coupe-faim pour les hommes. Le cœur de la tige de totora, très riche en iode et sert d’aliment aux adultes et aux jeunes.

L’île de Taquile fait 5,5 km de long, 1,5 km de large, elle est à 3 heures de bateau de Puno. Gare aux coups de soleil ! Il faut monter 525 marches pour accéder à l’unique village sis au sommet de l’île, à 3950 m. Ile de rêve, pas d’auto, pas de vélo, pas de chien.

Des paysages magnifiques. Les villageois tricotent gilets et bonnets. Les femmes tissent une grosse toile. L’homme célibataire porte un bonnet à pointe blanche. L’élégance masculine, c’est ici : une large ceinture, un petit baise-en-ville, un pantalon bleu marine droit, une chemise blanche à manches bouffantes et des savates. Les habitants de Taquilé vivent en communauté.

Si vous tracez une ligne droite entre Potosi (Bolivie) et le Machu Pichu, vous lirez la « ligne spirituelle » : Ollantaytambo, Cuzco, Pucara, Taquilé, Tiwanaku, Ouro.

Direction Cuzco. Le haut-plateau andin avec l’Isillustanichu, de rares touffes d’herbes drues, des lamas et alpagas, et si vous avez de la chance des vigognes.

Un arrêt à Sillustani pour visiter les chullpas, tombeaux pré-incas situés au bord d’un lac volcanique aux eaux émeraude, le lac Umayo. Le site de Sillustani sur une presqu’île du lac Umayo est réputé par le grand nombre de ses chullpas, étranges tours funéraires que l’on peut rencontrer en différents endroits des Andes. Ces tours coniques, dont l’une s’élève à 12 m, datent vraisemblablement du milieu du 13e siècle. Elles se composent de gros blocs de pierre, polis et travaillés selon la technique du bossage. Elles contiennent les momies des nobles Colla.

C’était un peuple héritier de la civilisation de Tiahunaco dont l’architecture est considérée par certains spécialistes comme plus accomplie que celle des Incas. Ce site à 4000 m offre de splendides panoramas sur le lac Umayo.

Hiata de Tahiti

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Ile du Soleil et La Paz

Nous arrivons sur la presqu’île bolivienne de Copacabana au bord du Lac Titicaca. La visite de la cathédrale s’impose. La vente de l’eau bénite, c’est à droite. Très joli monument recouvert de faïences. Les visiteurs désirent-ils une voiture, une maison ? Il suffit de le demander à la vierge noire et de déposer un cierge.

Un catamaran nous mène à la Isla del Sol (l’île du Soleil). Elle abrite d’intéressantes ruines précolombiennes : le complexe culturel Intiwata. Selon la tradition orale, le dieu Soleil se serait réfugié lors du « Chamaj Pacha », le temps du déluge et de l’obscurité. Manco Kapac et Mama Okilo, ses enfants, débutèrent ici le périple qui les amènera plus tard à fonder Cuzco.

Retour sur la terre ferme et direction La Paz, 4200 m d’altitude. Capitale administrative, fondée le 20 octobre 1548 par l’Espagnol de Mendoza, elle est la capitale la plus haute du monde. C’est aussi la seule ville où les riches, au lieu d’être en haut de la ville, résident tout en bas (où l’altitude se fait moins sentir) et les pauvres tout en haut ! Elle est entourée d’une centaine de pics enneigés de plus de 5000 m de haut et est dominée par l’Illimani.

La ville est riche en marchés. Il existe même un mercado de los Brujos, un marché des sorciers. On trouve là des herbes, des pierres magiques, des potions, des fœtus de lamas, tout pour soigner les maux. Le mercado de Buenos Aires est un marché aux spécialités par rues. En principe, les mercredis et samedis s’y déroule le Thanta Khatou où l’on vous vendra des marchandises volées. Et si vous n’avez pas le cœur sensible vous pourrez visiter la rue de la viande !

La vallée de la Lune est située à 12 km du centre. C’est un canyon dont les eaux ont érodé la roche en centaines de cheminées de fées et pitons filiformes.

De La Paz, nous nous rendons à Puno, 3870 m, visiter les ruines de Tiahuanaco. Une architecture monumentale. A l’intérieur du temple semi-souterrain de Tiahuanaco, les effrayantes têtes sculptées rappellent les têtes massues de Chavin de Huantar.

Il existait certainement un lien entre les cultes célébrés dans les deux centres religieux. Le centre du patio est occupé par trois monolithes. La culture Tiwanaku se développera durant 3000 ans à partir de la région du lac Titicaca. Cette civilisation répandit dans les Andes son savoir-faire dans les domaines de l’agriculture, des mathématiques, de l’astronomie, de l’ingénierie et disparaîtra mystérieusement au cours du 11e siècle.

Les Aymaras, en parfait accord avec leur environnement andin et lacustre, obtinrent de très hauts rendements agricoles grâce à leur irrigation, les suka collos, et à la maîtrise de la culture d’un précieux tubercule, la pomme de terre. Puno est l’embarquement pour les Iles flottantes des Ouros et l’île de Taquilé.

Hiata de Tahiti

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Du Pérou en Bolivie

Terre inca également, la Bolivie moderne compte 1 098 581 km² où demeurent 8 857 000 habitants.

Des Indiens quechuas pour 30%, des Métis pour 28%, des Indiens Aymaras pour 25%, des Européens pour 10% d’ascendance espagnole. Les Boliviens sont catholiques à 95%.

La Bolivie est Amazonie et Andes, nature et culture. Et si vous relisiez  les exploits du reporter à la célèbre houppette et de son chien ?…

Mêmes civilisations qu’au Pérou, même histoire : Inca, Inca, Inca.

Tout le monde connaît la musique andine de Bolivie, la vraie avec la kana, la zampona, le charango (guitare dans une carapace de tatou). Tous, avez-vous jamais dansé la lambada ?

Aux marchés, vous croisez les ponchos de différentes couleurs. Dessous sont les paysans venus vendre leurs produits ou acheter les denrées indispensables.

La religion catholique et le paganisme font bon ménage chez les Indiens. Ils adorent le soleil, la lune, la terre. Il m’a été donné t’entendre dans une église un Indien venu hurler à une statue qu’elle n’avait pas guéri son enfant alors qu’il avait prié, donné des offrandes… et rien ne s’était passé.

A genoux devant la même statue, ce paysan menaçait du poing l’objet de sa colère et lui adressait des insultes à haute voix dans l’église. Rien ne pouvait le faire sortir de sa hargne, même quand le prêtre a essayé d’intervenir. Il est parti  après son long monologue, seul et très malheureux.

Les Indiens viennent prier à l’église pour une guérison mais font venir à la maison le guérisseur (curandero) qui demandera des « honoraires » très élevés.

Hiata de Tahiti

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