Articles tagués : plaza de armas

Arrivée au Pérou

La nuit est belle sur les Andes, vue d’avion. Le ciel est clair, Quito et ses lumières sont comme une pelletée de verre brisé répandu sur les reliefs. Contraste des perles orange délimitant les grandes artères rectilignes et des amas blancs des éclairages publics dans les rues secondaires. A Lima, l’avion plonge dans les nuages. Il bruine un peu – la fameuse « garua » – et il fait 14°C. Nous survolons un habitat plat de béton artisanal. Seul le centre-ville a un cachet colonial espagnol. Nous descendons dans le grand hôtel antique de la ville, Place San Martin, le Le Grán Hotel Bolivar.

Nous faisons connaissance sur place avec notre accompagnatrice qui a fait vœux d’apparaître originale ce premier soir : elle porte un chapeau symbole, entièrement brodé sur la coiffe, et se fait connaître sous un prénom peu courant, « Choisik », qui a un air breton. Mais nous voici au Pérou, pays deux fois grand comme la France, entre flots pacifiques et moutonnements amazoniens, 24 millions d’habitants, 2000 $ de revenus annuels par tête. Il y a beaucoup d’enfants, mais ils meurent aussi beaucoup : 64 sur mille n’atteignent pas l’âge d’un an.

A six heures, à l’aéroport les vols internationaux ne sont pas encore ouverts, mais les guichets d’Aeroperu, la compagnie intérieure, sont déjà pleins. Les billets ne donnent droit à aucune réservation, on embarque comme on enregistre, au fur et à mesure. L’avion décolle lorsqu’il est plein.

Arrivant de Lima, il faut monter sur la gauche de l’avion pour voir la ville de Cuzco avant l’atterrissage. Les nuages ont eu le temps de se lever, il fait grand soleil. L’avion surgit d’une vallée et effectue un virage très serré autour d’un piton avant de prendre l’alignement de la piste. Cris de frayeur dans l’assistance, habituée au ronronnement de l’assistanat permanent. Nous sommes ici dans un monde sauvage, mesdames et messieurs, les Andes ne sont pas les plaines de Beauce ou du Middle-West.

L’aéroport de Cuzco perche à 3248 m d’altitude (ainsi qu’il est écrit sur un panneau de bienvenue) et les turbulences atmosphériques sont rudes dans l’air raréfié qui porte moins les ailes. L’atterrissage nous donne un avant-goût. A la sortie, nous sommes un peu ivres, fatigués déjà par l’air pauvre en oxygène. Des minibus nous conduisent à l’hôtel Royal Inka. Le patio à l’espagnole à l’intérieur est d’une grande paix après les turbulences du voyage. Nous y prenons le maté de coca devant un puits de pierres à la margelle de fer forgé, les plantes vertes, et la maquette d’église en terre cuite aux cent personnages.

Je commence la lecture des Commentaires royaux sur le Pérou des Incas, écrits vers 1600 par le métis hispano-indien Garcilaso de la Vega. Il écrit que Cuzco « prend naissance sur les versants d’une haute colline, et s’étend de toutes part sur une plaine grande et spacieuse. Elle a des rues longues et larges, et des places très grandes. » Il la compare à Rome. « Le climat de (Cuzco) est plutôt froid que chaud, mais pas au point que l’on soit obligé d’avoir recours au feu pour se chauffer. » Cela reste vrai pour nous qui venons de débarquer !

Nous partons déjeuner dans la ville, de soupe ou de pâtes arrosées de maté de coca ou de bière, selon que l’on supporte la haute altitude ou non en ce premier jour. Une fille a un malaise et s’écroule évanouie sous les arcades de la place. Tel est la puissance de ce soroche mystérieux qui a saisi les Espagnols de la conquête. Chacun peut sentir dans tout son corps qu’au moindre effort il a moins d’oxygène disponible à respirer. Il faut s’économiser, austérité physique qui rencontrait le tempérament puritain des catholiques venus ici expier leurs péchés. Ce pourquoi ils se sont accrochés à ce pays, tandis que les Anglais, pragmatiques et soucieux de confort, préféraient les grandes plaines riches du nord. Mais le corps apprend ; lorsque l’on se rend chaque année en altitude, l’adaptation se fait plus vite.

Nous faisons le tour de la Plaza de Armas avec ses églises, ses arcades, nous longeons les rues vers le marché. Nous ne cherchons pas à visiter mais plutôt à humer l’ambiance, à aborder un lieu vivant où s’imprégner du pays. Le marché est l’un de ces sas d’accueil. On trouve de tout dans de marché de Cuzco, des changeurs officiels à la carte accrochée en évidence sur la poitrine, des vêtements, des sacs de charge pour isoler les sacs à dos dans le reste du voyage, des pulls et couvertures en laine d’alpaca, si douce au toucher. Des indiennes sans âge, informes sous leurs robes sacs qui cachent leur fortune accrochée à la ceinture, trônent parmi les légumes qu’elles viennent vendre depuis leur village de la campagne. Des gamins cuivrés toujours très habillés tiennent la caisse dès qu’ils ont l’âge de savoir compter, ou vadrouillent à deux ou trois, marchandant un fruit ou une sucrerie à quelque étal. « Buenas tardes, seniores, compra me ! », achète-moi, sont les complaintes qui nous accompagnent. Choisik nous a bien recommandé de faire attention à nos portefeuilles, appareils photos et bijoux facile à voler dans une bousculade.

La fille qui a le mal d’altitude reste au lit et Peter, un jeune homme venu directement de San Francisco ce matin, a sommeil. C’est donc un groupe croupion qui traverse simplement la place pour aller dîner dans une gargote à l’enseigne internationale : « restaurante pizzeria ». Mais cela n’est fait que pour attirer l’Américain moyen. On peut y trouver sans problème les mets typiques du pays, que nous nous empressons de goûter. L’on y trouve la crème de maïs (soupe légère), l’avocat farci aux légumes (goût très fin), le bœuf émincé sauté aux oignons servi avec de grosses frites (choix moins heureux). La table est longue, les conversations partielles. Choisik est perpétuellement excitée comme si elle avait bu. Nous découvrirons que c’est son tempérament habituel, enthousiaste et boute en train. Elle nous explique qu’elle vit dix mois sur douze en Amérique du sud, de la Bolivie à la Terre de Feu. Elle accompagne des treks, est équipière de bateau à voile vers le Cap Horn, fait des reportages, texte et photos, pour des magazines français. Elle mène une existence bien remplie. Le vin rouge de Tacama est bon, le pisco sour d’entrée offert par le patron enivre très vite les précaires de l’altitude. Il a toujours ce goût acide de citron vert et la force du marc de raisin en arrière-goût. Le blanc d’œuf colle le tout. Il est difficile d’en boire du très bon car la préparation est délicate et la qualité des ingrédients primordiale

Dans le petit parc en face du restaurant, des étudiants amoureux se tiennent par couples, sur chacun des bancs. Cuzco est une ville universitaire. Deux solitaires attendent leur moitié. Un gros chien s’approche d’un couple qui s’embrasse en silence. Curieux, il s’assoit sur son train et regarde la scène.

Catégories : Pérou-Bolivie, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Visite libre de La Havane

Aujourd’hui est la « journée supplémentaire » gratuite et non prévue, en raison des changements d’horaires de la compagnie de charter pour le retour. Nous sommes libres d’aller et de venir, ce qui est un vrai luxe après deux semaines de groupisme forcé.

Nous partons à quatre de l’hôtel Kohly, peu après 9h, à pied vers le centre-ville. Nous prenons la 42ème rue jusqu’à la 5ème avenue (on se croirait à New-York) afin de voir de plus près les vieilles maisons coloniales rénovées qui servent aujourd’hui majoritairement aux ambassades. Nous passons devant Big Ben, l’horloge. Puis devant les ficus centenaires de l’église Santa Rita moderne, au toit en barque renversée. Nous passons le fleuve Almendares par le tunnel routier. Nous voici, de l’autre côté, sur le Malecon.

la havane balcon

Le restaurant « 1830 » propose son chic cossu. Quelques pêcheurs noirs, désœuvrés, traquent le pescado sous la tour. Ils regardent le large, inaccessible à ceux qui n’osent pas se lancer. Nous suivons la promenade du front de mer jusqu’au bout de ses huit kilomètres. Les grands immeubles récents précèdent les façades délabrées, rongées, la suite s’étant parfois carrément écroulée. Plus on se rapproche du centre, plus les immeubles sont décrépits. Plus l’heure avance vers midi, plus on rencontre de monde. Les Jineteros, dragueurs de femmes et de touristes de tous sexes, tentent d’engager la conversation pour gagner quelques dollars. Nous ne sommes pas des clients pour leurs sourires aux dents blanches aiguisées. Il s’agit le plus souvent de jeunes, des collégiens aux universitaires, avides de gagner quelques dollars sans s’investir physiquement. La version femme draguant les touristes mâles est plus rare, du moins en ce jour et à cette heure.

gamin noir gamin blanc cuba

Nous prenons une bière glacée peu après l’église Immacolada. Des lycéens reconnaissables à leur pantalon moutarde et à leur chemisette blanche ouverte par la chaleur, y déjeunent d’un sandwich et d’un cola local. Ils sont hâbleurs, rigolards et chaleureux. Ils parlent avec tout le corps, ponctuant leurs phrases de grands gestes de la main. Un jeune Noir de treize ans se dandine en balançant les épaules comme il l’a vu faire à la télé américaine. Il aborde une table voisine comme un homme, serrant la main des diplomates noirs qui prennent l’air important et enflent la voix dans leurs téléphones portables quasi inexistants ici.

la havane intérieur de cafe

La serveuse aux yeux bruns qui nous sert les bières bat des cils et suce ses lèvres pulpeuses par réflexe, tout en me parlant espagnol. Elle drague inconsciemment tout touriste qui passe, porteur des précieux dollars. Au sortir du bar, une fille étroitement moulée dans un body qui fait ressortir sa poitrine d’obus, me susurre des bruits de baisers. Marie-Jo : « c’est pour toi, ça ? ». Je crois bien que oui.

lycene pantalon moutarde cuba

En suivant la mer, des garçons à peine sortis du primaire ont retiré leurs vêtements pour jouer sur les rochers, sous la promenade. Les embruns les rafraîchissent parfois, à leur grand plaisir, mais leur jeu consiste à lancer de petits galets à deux de leurs copains restés habillés sur le Malecon. Ceux-ci ripostent en ramassant les projectiles envoyés et l’un des slips se tord de douleur pour avoir pris un galet directement dans les couilles. Les vêtus rient de cette bonne blague – macho cubaine type. Au bout du Malecon, des 14 ans en caleçon rivalisent de pompes sur le ciment, deux à deux. Ils se lancent des défis à qui en réussira le plus, pieds nus sur le béton brûlant. L’air salin émoustille leurs jeunes forces. Passent des filles portant encore ces nichons qui vous sautent à la gueule, à peine contenu par un boléro minimum. Ces poitrines afro-ibériques sont presque inexistantes chez nous où sévit la mode anorexique sur le modèle protestant.

ado drapeau cuba

Le musée révolutionnaire, devant lequel nous passons, est sur le point d’avaler sa cargaison de petits en foulards rouges, tel un ogre. Sur un côté du bâtiment, pieds nus sur la pelouse, un douze ans en débardeur exécute tout seul des roues et des soleils, des sauts avant et des retournements arrière. Quand il me voit le regarder, il en refait une série pour se faire admirer. J’applaudis en silence, battant des mains sans les claquer. Il me fait un signe. Il faut bien que s’use toute l’énergie de la jeunesse.

Nous suivons l’avenidad de las Misiones jusqu’à la calle de Obispo. En nous voyant regarder le plan, les gens sont obligeants et nous aident. Nous cherchons la cathédrale ? Facile. Nous retrouvons les rues à touristes ; ils y sont agglutinés comme à Venise, sans jamais quitter ces artères où se retrouvent leurs semblables. Nous passons un bâtiment vert pistache portant l’inscription « Cruz Verde », puis devant la pharmacie Taquerel, que nous a montré Sergio hier, avec ses alignements de bocaux antiques, l’hôtel d’Hemingway, pour aboutir Plaza de Armas, devant « le » restaurant conseillé dans tous les guides, Routard et Lonely Planet compris (sauf dans le guide illustré Gallimard) : La Mina.

la havane la cruz verde

Son patio nous attend pour le déjeuner. Les clients ne sont que des touristes – aucun cubain (trop cher ? trop surveillé par la police du régime ?). Des musiciens placés en angle jouent trop fort, des paons en liberté et quelques poules se promènent en grappillant des miettes entre les tables. Le décor est « touristique » en diable, outrageusement touristique, mais reconnaissons que l’on y mange bien. Après un mojito, le plat de porc grillé aux crevettes est très bon. Nous nous en tirons pour 22$ chacun quand même, avec eau minérale et café. Ici, les dollars filent vite, déjà 335$ dépensés depuis le début du séjour, y compris la taxe d’aéroport réservée pour le départ.

la havane patio

En sortant, je veux voir le musée juste en face. Devant est une ruelle aux pavés de bois, fraîchement retraités au goudron. C’est un beau bâtiment au large patio ombré de palmiers et de kapokiers. Nous payons trois dollars pour y avoir accès. Il s’agit du palais des gouverneurs généraux, « Los Capitanes Generales », qui sert aujourd’hui de musée d’histoire de la ville. L’architecte de ce palais élevé en 1791 a un nom qui emplit pleinement la bouche : Antonio Fernandez de Trebejos y Zaldivar. Le bâtiment a servi d’Hôtel de Ville de 1921 à 1967. La cour centrale, carrelée de noir et blanc, a des arcades qui éclairent des salles disposées en pourtour où sont exposés les vestiges de l’histoire de la cité. Des carrosses, des cuivres, des marbres 19ème imitant l’antique, des restes de monuments funéraires et des objets du culte de l’ancienne église, détruite, emplissent les premières salles du rez-de-chaussée. Un bas-relief funéraire serait « le plus ancien vestige colonial conservé à Cuba » : une face d’ange joufflu surmonte une croix posée à l’intérieur d’un temple à quatre colonnes. Il avait été érigé dans l’église paroissiale de La Havane, détruite lors de l’explosion du vaisseau Invencible au 18ème siècle. Il commémorait l’endroit où une jeune fille de la noblesse avait été tuée par un tir d’arquebuse accidentel. Une statue de Christ « de l’Humilité et de la Patience » ornait, au 18ème siècle, le couvent Santo Domingo ; elle a échoué ici, offrant un corps nu, percé, souffrant, ascétique, tout à fait dans le style tourmenté du catholicisme doloriste espagnol. Saint Matthieu et Saint Luc, en bois, viennent de l’église San Juan de Latran, du 18ème. À l’étage, des « ambiances » reconstituent des salles d’époque au mobilier luxueux et à la vaisselle importée. Une salle de bain aux baignoires de marbre et aux pots de faïence, le Salon du Trône, la salle des glaces où l’Espagne a rendu le pouvoir aux États-Unis lors de la première guerre d’indépendance de Cuba le 1er janvier 1899. Une salle des Drapeaux sacrifie au nationalisme pompier tandis qu’un immense tableau présente le général Antonio Maceo agonisant le 19 mai 1895 dans un champ, sur fond de palmiers. Un canon artisanal en bronze, renforcé de tresses de cuir, date de la lutte pour l’indépendance en 1869.

colonnes cuba

Une salle aux fenêtres voilées renferme quelques peintures locales modernes. Je note un tableau de Cosume Prenza Almaguer de 1948, Cecilia, d’un lyrique achevé. Les plis et les ombres se multiplient comme sur une façade baroque ; loin de se fondre dans l’ensemble ils prennent toute leur place. La personnalité de la jeune fille ainsi peinte apparaît sophistiquée et tourmentée ! Un autre tableau de José Braulio Bedia Valdès, de 1959, présente El hijo – le fils – des jambes et un ventre d’enfant nu sur les genoux de sa mère dont on ne voit que ce détail. Du sexe du fils part une étoile filante, vers une planète dont le signe zodiacal figure Saturne. À l’emplacement du sexe de la mère est figurée une lune, lourdement symbolique. Le tout est en traits blancs sur fond bleu nuit.

Dans une autre salle, à laquelle on accède par un escalier, est installée une exposition contemporaine du peintre Pastor Perez Rodriguez. De loin, les tableaux figurent des bâtiments de la ville, la nuit, dans des couleurs éclatantes. Cela n’a guère d’intérêt croyez-vous ? Approchez-vous et regardez de plus près : des couples d’anges mâles et femelles sont installés sur les balcons, dans les chambres aux fenêtres ouvertes, sur les toits, dans les recoins sombres des trottoirs – et ils copulent allègrement ! Certains planent au-dessus de la ville, comme des rêves érotiques non encore incarnés. C’est étrange, drôle et séduisant – une figuration surréaliste.

Nous nous rendons ensuite au septième et dernier étage de l’hôtel Ambos Mundos, cher à Hemingway, pour prendre vue sur la ville. De la terrasse, nous voyons surtout les toits. La chambre du Maître existe, au cinquième étage, elle se visite sur demande, mais elle n’a plus guère d’intérêt. La machine à écrire exposée n’est pas la sienne et la vue qu’il avait est masquée par des immeubles récents !

Catégories : Cuba, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,