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Misère sexuelle début de siècle

Michel Houellebecq avait raison, il y a plus de vingt ans, de dénoncer la fausse « libération » sexuelle post-68. L’exigence de la mode était de baiser à tout va, n’importe où, et avec n’importe qui. « On aime s’envoyer en l’air » décrétait un vieux couple – jeune en 1968 – dans une récente publicité pour un comparateur de vols aériens. Mais être dans le vent ne signifie pas que le vent vous porte : il peut aussi vous souffler.

Pire est la sexualité adolescente d’aujourd’hui, avant tout numérique. Le réel fait peur, la faute aux parents timorés qui enjoignent à leurs petits de ne pas faire confiance, à personne, jamais. Ni sourire dans la rue, à peine un salut (et seulement aux gens déjà connus), ne pas suivre. L’hystérie télé est passée par là avec les « affaires » médiatiques de pédophilie. Même si elles sont statistiquement rarissimes (et à 75% en famille…), pas plus fréquentes hors domicile que les homicides, et moins que les morts par accident de voiture, elles contraignent le comportement de tous, tous les jours. A force de s’enfermer, la société crée des autistes : pourquoi cette pathologie se développe-t-elle autant ces dernières décennies ?

Certains rigoristes, en général esclaves de morales religieuses jamais pensées, mettent en cause la capote, la pilule et l’avortement comme un lâcher de freins. Les femmes, désormais libérées d’une grossesse non désirée, se débonderaient. Goules hystériques, elles sauteraient sur le premier venu pour se faire jouir, allant d’amants romantiques (mais bien membrés) aux sex-boys et aux tendres sex-toys éphèbes des cougars. Mais le fantasme mâle patriarcal des religions du Livre ne fait pas une réalité. Les filles sont tout aussi tendres et affectives que les garçons et, si leur jouissance est plus lente à venir, exigeant tout un environnement physique, affectif et moral, elles n’en sont pas plus animales.

Contrairement à ce que voudrait faire croire la doxa machiste – et le commerce bien pensé. L’industrie du porno fleurit en effet d’autant plus que les outils du net sont désormais à sa disposition depuis une génération. Des acteurs et actrices payés pour cela « jouent » un rôle en exhibant leur sexe, soigneusement maquillé  (épilation, lustrage rose des petites lèvres pour les filles, huilage des muscles et viagra pour les garçons). Ils caricaturent « l’acte » en le multipliant, prenant des poses de cascadeurs, émettant des sons de jouissance comme les rires mécaniques des émissions drôles. Tout cela vise à divertir, à exciter, à vendre – tout cela n’est pas la réalité.

LA BOUM, Alexandre Sterling, Sophie Marceau, 1980

On ne fait pas des bébés dans l’outrance pornographique mais dans l’amour partagé. Et c’est cela qu’il faut expliquer aux enfants. Les tabous iniques des religions du Livre (toujours elles) empêchent les parents de jouer leur rôle de guide. « On ne parle pas de sexe, c’est grossier ; ce n’est pas de ton âge ; on verra ça plus tard ; le docteur t’expliquera ; tu n’as pas de cours d’éducation sexuelle à l’école ? » ; « pas de torse nu à table » ; « cachez ce sein que je ne saurais voir » ; « ferme ta chemise ; met un tee-shirt ; met tes chaussures ! » Ces injonctions du rigorisme puritain effrayé par le qu’en dira-t-on, que n’en avons-nous entendu ! Or ne pas dire, c’est cacher. Induisant donc la tentation de l’interdit et son revers : la solitude devant l’émotion.

Les enfants dès le plus jeune âge sont confrontés aux images pornographiques. Non seulement dans la rue parfois, mais surtout sur le net. Vousentube diffuse des vidéos sans filtre ou presque ; d’autres sites en accès libre sur Gogol permettent d’observer des corps nus s’affronter dans des halètements ou sous des coups violents, les pénis érigés comme des masses et pénétrant comme des couteaux terroristes le corps des victimes esclaves – qui ont l’air d’en profiter et de jouir, comme les mémères appelées à la consommation par les magazines à la mode lus chez le coiffeur.

Que font les parents ? Ils chialent lorsqu’on leur met le nez dedans, comme des toutous peureux la queue entre les jambes. « Je ne savais pas ; ma petite puce ! » ou « mon cher ange ! Comment penser qu’à cet âge innocent… » Ils ne voient pas parce qu’ils ne veulent pas voir. Ils se cantonnent dans leurs soucis et leurs problèmes de couple, indifférents au reste, sauf à Noël et aux anniversaires peut-être. Ils n’écoutent pas, ils ne répondent pas aux questions.

Pourtant légitimes : comment fait-on les bébés ? c’est quoi l’amour ? mes petites lèvres sont-elles trop grandes ? mon zizi est-il trop petit ? comment on met une capote ? sucer, c’est mal ? Si les parents répondaient avec naturel à ces questions intimes, sans fard mais avec raison, les enfants et les adolescents ne seraient ni intrigués par l’interdit, ni traumatisés par l’expérience. Mais voilà, les tabous ont la vie dure – sauf sur le net, où tout se trouve comme au supermarché.

Vaste hypocrisie des sociétés « morales » qui ont pour paravent la religion mais laissent faire et laissent passer sans filtre tout et n’importe quoi. Les Commandements sont affichés et revendiqués, mais nullement pratiqués. Tout comme ces « règlements et procédures », en France, qui ne durent que le temps médiatique : on fait une loi – et on l’oublie : tels l’interdiction des attroupements d’élèves devant les écoles, le voile en public, l’expulsion des imams salafistes, l’enquête sur les habilités au secret Défense, et ainsi de suite. La loi, pour les Latins, est toujours à contourner, par facilité, laxisme, lâcheté.

Dès lors, comment ne pas voir la misère sexuelle de la génération qui vient ? Regardez successivement deux films et vous en serez édifiés. La Boum sorti en 1980 et Connexion intime, sorti en 2017. Ils ont 37 ans d’écart – une génération. Ils sont le jour et la nuit. Ils se passent tous deux en lycées parisiens, à la pointe des tendances sociologiques. Les parents des deux films sont toujours occupés et ne prennent pas le temps de parler à leurs adolescents, garçon ou fille – qui cherchent ailleurs communication et affection. Mais autant La Boum est romantique et pudique, autant Connexion intime est égoïste et mécanique. La sensualité n’existe plus, les cols sont fermés, les torses enveloppés de tee-shirts larges et de sweaters informes, les manteaux boutonnés – seules les filles s’exhibent, mais dans leur chambre et à distance, en sous-vêtements coquins, se prenant en selfies pour poster sur les réseaux.

« L’amour » s’y réduit au sexe et les caresses n’ont plus leur place : on ne se touche plus le visage, les épaules ou la poitrine, on ne se caresse pas les seins ni les tétons. Seules la bouche et la bite sont sollicitées avec pour summum « d’Acte »… la pipe. On suce dans les toilettes, on se branle devant un film – mais on ne parvient à rien sur un lit avec un ou une partenaire réelle. D’où Félix accro au porno et Luna qui se met en scène comme une star sur un site de rencontres. Chloé, 15 ans, provinciale parachutée à Paris, cherche l’amour et ne le trouve pas ; ni son amitié avec Luna (qui la manœuvre), ni son inclination pour Félix (qui l’utilise) ne sont de l’amour. Ce n’est que du sexe, égoïste, mécanique. Les ados de La Boum étaient tendres, mignons ; ceux de Connexion intime sont froids, répugnants.

Entre les deux films, le net. Outil qui est la meilleure et la pire des choses, comme tous les outils. Mais surtout la démission égoïste des parents, portée par cet individualisme du « ils n’ont qu’à se démerder » ou du « que fait l’Etat ? », déjà pointé par Michel Houellebecq dans Les particules élémentaires en 1999.

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Mai 68 en héritage

« Les vraies révolutions se font, on ne les fait pas », disait à peu près Kautsky. Ainsi en fut-il du mouvement de Mai-68, commencé le 22 mars à l’université de Nanterre. Le nombrilisme intello-parisien a forgé ce mythe que tout se serait passé en France, quelque part entre Odéon et Sorbonne, avec quelques extensions tardives du côté de Billancourt. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien. Le bouleversement de Mai a débuté vers 1955 et la guerre d’Algérie, avant de se perdre dans les sables vers 1975 après le premier choc pétrolier. Il a touché tous les pays, il a été une mutation de société.

Vingt ans après la guerre mondiale et son cortège brutal de centralisme, d’autoritarisme et de moralisme, les sociétés occidentales eurent besoin d’un peu d’air. Ce fut le printemps qui leur apporta, en Californie comme à Prague ou à Paris. Mais aussi au Mexique et à Pékin. La gestation fut longue, la révolution courte, les conséquences durent encore. Mais peut-être plus qu’ailleurs, notre vieux pays hiérarchique et catholique, césarien et jacobin, s’est trouvé mis en cause.

La modernité frappait à la porte, véhiculée par la prospérité des Trente glorieuses et par la génération nombreuse des bébés boum nés après 1945. Comme Nathanaël encouragé par Gide, la société faisait craquer ses gaines. « J’enlève mon maillot de corps, qu’on voie mon corps », chanta Souchon. Mai-68 a été ce grand monôme irrigué d’hormones et ivre de blabla. On abolissait toutes les barrières, on refaisait le monde, tout devenait possible, l’imagination se voulait au pouvoir. Dans une société corsetée, victorienne, formatée technocrates et CGT, cela fit boum !

J’étais trop jeune pour avoir participé d’une quelconque façon aux événements de Mai. Mais pas assez pour n’avoir pas constaté les bouleversements pratiques dès 1969 : plus de pions au collège, plus de carte de sortie, plus de slip sous le pantalon ni de soutien-gorge sous la chemise, la liberté d’aller et venir dans les cours, les profs qui vous appelaient par votre prénom (et non plus par le nom, à la militaire), la notation de A à E plutôt que de zéro (pointé) à vingt, fumer dans les couloirs (début d’une tabagie imposée aux autres qui a duré des années !), la guitare dans la cour où l’on bronzait torse nu en public. Mettre à jour signifiait mettre à jouir – mais n’avait pas aboli le maître à jouir et la domination « naturelle » des mâles.

Le grand bazar a accouché d’un grand remue-méninges avant de se stabiliser en nouvel équilibre – et en nouvelles conventions. Plus rien n’a jamais été comme avant. Mai 1981 a été la suite logique de mai 1968, tout comme les privatisations de 1986, les cohabitations et l’élection d’un président de rupture en 2007 avant la pantalonnade Hollande – et la réaction d’ordre qui a dégagé d’un coup, en 2017, les vieux soixantuitards accrochés au pouvoir. Exit la génération d’avant la guerre libertaire – les anciens cons-battants, comme aurait dit Lacan – on leur rendra hommage lorsqu’ils seront poilus, vers leurs 105 ans.

Pour ceux qui sont nés après, qu’est-ce que Mai-68 a donc changé ?

La façon de faire de la politique : terminées les petites magouilles dans les petits coins – vive la transparence, la participation, le bavardage en forums et congrès, l’exaltation des valeurs historiques 1789, 1848, 1981… La renaissance du christianisme en « social », du socialisme en « visage humain », du tiers-mondisme en « alter » mondialisme, de l’utopie en « écologie ». C’est pourquoi les palinodies politicardes du parti Socialiste (et sa réticence à larguer le Surmoi gauchiste) sont apparues au grand jour en 2017 comme un pur archaïsme. Mais c’est pourquoi aussi, en réaction, le moralisme solitaire d’un Bayrou a fini par faire recette auprès d’un rigoureux, voire un brin arrogant, Macron ; c’est pourquoi le volontarisme d’engagement d’un Sarkozy a réussi en campagne (pour l’exercice du pouvoir ce fut moins vrai) – et que l’abandon laxiste Hollande a fait revenir la morale (contre Fillon) et l’ordre (contre Hamon).

La façon de considérer la culture : terminée la révérence obligée, le cours magistral des mandarins en chaire, la position dominante de l’Intellectuel-à-la-française fort de son poste inamovible, légitime de son œuvre publiée, interrogé comme oracle par les journalistes et intouchable pour le gouvernement. Sa dernière figure en fut Sartre. Bourdieu ? – c’est le tragique réduit en comédie. Mai-68 fut la tentative d’abolir la distance entre acteurs et spectateurs, entre théorie et pratique, entre politique et citoyens, entre public et privé. Nous y sommes – pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur quand chacun cherche à penser par lui-même et s’exprime via le net ; le pire quand la pie Paule épouse le pipeau dans le grand marketing médiatique qui invente « l’événement » (les Situationnistes, si imaginatifs en 68, disaient le ‘happening’) ou dénonce. On balance, comme sous l’Occupation, en tweets frénétiques tous ceux qui dévient du Mainstream et les comportements – aujourd’hui mal vus – qui ont eu lieu dans une autre époque et dans un autre contexte il y a 30 ans !… Le meilleur quand les élèves participent et posent des questions, aiment par curiosité apprendre ; le pire quand la lecture se meurt au profit du divertissement et du zapping sur écrans, quand l’éducation se réduit à l’animation socioculturelle et quand l’excès de permissivité laisse l’ado déstructuré, la famille démissionnaire, le chacun pour soi égoïste de baise bi à la carte, de divorces en recompositions. La mère Houellebecq, tard « libérée » en 68 (elle avait 43 ans) est, avec son livre provocant sur son écrivain de fils, la caricature de cet égoïsme tranquille de jouisseuse. Elle lâche un môme et le laisse à vie dans sa démerde – avec une tranquille bonne conscience de femelle libérée.

La façon de considérer les mœurs : terminée la posture sociale héritée du bourgeois victorien (sauf dans l’Administration où le grade fait encore foi, y compris à l’université). Terminée la sexualité ado coincée, on explore ses copines et ses copains, on essaie, on se lie et se sépare sans drame ou presque. Divorce, contraception, avortement, enfants nés hors mariage – c’est la grande liberté allant jusqu’aux préados en spectacle dès 69 à Amsterdam, où des limites ont été réinstaurées. Libertaire et hédoniste, égocentré mais fraternel, fusionnel et individuel – le comportement 68 est celui de l’adolescent poursuivi après l’âge. C’est charmant à 15 ans, émouvant à 25 ans, irresponsable à 35 ans, carrément bouffon à 50 ans (et grotesque à 70 ans !).

Oui, Mai-68 fut ambigu, autant réactif que modernisateur :

Il a libéré les femmes ; mais il a enfermé le féminisme dans un ghetto de ressentiment revanchard où macho rime avec facho et où le père est rejeté du couple fusionnel mère-enfant. Et quand la mère préfère jouir qu’élever, ça donne pour un Houellebecq plein de petits Fourniret.

Il a évacué la raison au profit de l’émotion, avec les conséquences évidentes du superficiel et de l’épidermique. Les bons sentiments tiennent lieu de politique, la moraline de règles de droit, le commentaire en réseau social de lynchage, la manif de bulletin de vote et l’occupation des lieux de vérité révélée ou de sens de l’Histoire (avec sa grande hache).

Il a libéré la parole – mais pour quelle « pensée » ? Tous les grands intellectuels français datent d’avant 1968 : Lévi-Strauss, Lacan, Foucault, Barthes, Deleuze, Derrida, Morin, et même Bourdieu. Aujourd’hui, il faut aller du côté des « spécialistes » pour écouter penser, mais à bas bruit, modestement : Villani, Héritier, Tirole, Klein et tant d’autres. Michel Onfray fait du médiatique, moins bien qu’Alain Finkielkraut mais en plus prolifique.

Il a libéré la société des appartenances de nature, de race, de religion et de milieu, des obligations sociales, de la révérence aux pouvoirs – mais avec cette solitude de la liberté, cette responsabilité qui écrase et « stresse ». D’où cette nostalgie de l’État-providence où tout est organisé et formaté à la soviétique, mais où chacun a sa petite place sans prendre d’initiative et où la Reproduction (sociale) laisse peu d’Héritiers sur le bas-côté (fils de bourgeois, de profs, de commerçants, d’artisans, d’artistes). D’où le retour des religions sous leurs formes rigoristes où les Commandements sont absolus et les fautes punies pour l’éternité ; les ados déboussolés exigent le fouet et le carcan moral pour avoir un guide que ni leurs parents, ni l’école, ni la société ne leur donnent ! Aujourd’hui, démerde-toi, personne ne t’attend, ni la famille, ni l’usine ou le bureau, ni l’administration de papa, ni les copains artistes, ni la société. Fais tes preuves, on verra après. Dur !…

Car c’est bien ça, au fond, Mai-68 : l’irruption de la modernité – donc de l’individualisme et de la liberté.

Au prix de la désappartenance collective et de la nécessaire responsabilité personnelle, ce qui fait peur à beaucoup. Nul doute que les sociétés libérales y soient mieux préparées par l’histoire que les sociétés autoritaires. C’est le drame des Chinois, le drame des Russes, le drame des Turcs et des sociétés maghrébines, le drame des sociétés sud-américaines. Et curieusement, en Europe occidentale, c’est le drame particulier de la France, ce « pays de commandement » qui ne sait que faire de la liberté pourtant revendiquée dans sa devise républicaine…

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Les Bronzés de Patrice Leconte

Quand les bobos s’amusaient, dans les années 1970, tout tournait autour du sexe. Sea, sex and sun, chantait Gainsbourg, en générique du film. Chacun venait au Club Med, seul ou en couple, pour baiser – si possible avec d’autres. C’est ainsi que Bernard (Gérard Jugnot) retrouve sa femme Nathalie (Josiane Balasko), que tous deux sont amoureux et mariés depuis cinq ans, mais qu’ils s’ingénient à se trouver des partenaires pour faire la nique à l’autre. Seul Jean-Claude (Michel Blanc) ne conclut jamais, cherchant sans cesse des « ouvertures », tel Sisyphe célibataire poussant son éternel rocher. Popeye (Thierry Lhermitte) est le dieu du lieu, animateur musclé qui nique plusieurs fois par jour, trois tonnes cinq de minettes dans la saison…

Ces gens-là, petit-bourgeois du siècle, pseudo-libérés après 68, viennent en Côte d’Ivoire comme ils iraient à Trouville. Ils restent entre eux, au chaud dans leur bande, passant d’un sexe à l’autre sans jamais déroger. L’Afrique alentour n’est qu’un décor de cinéma et les employés noirs – pourtant luisants, élancés et musclés – ne leur font nulle envie. Lorsqu’ils vont au village de cases, où les sollicitent des gamins demi-nus, ce n’est que pour rapporter des colifichets vendus à prix d’or et fabriqués industriellement, pas pour connaître le pays ni rencontrer leurs habitants. La mode, une génération plus tard, est aux « croisières », les villages de cases ont passé – mais l’idée est la même : rester entre soi, « s’en mettre jusque-là », flirter comme des collégiens, baiser si l’on peut (encore) – Amour, Coquillages et Crustacés titrait la pièce de théâtre du Splendid d’où est tiré ce film.

Revu près de 40 ans plus tard, le film garde quelques scène d’anthologie (la pesée des minettes, les blagues aux seaux d’eau aux nouveaux arrivants, Jugnot sous les poings du masseur, l’adolescente qui « aime la bite » selon Popeye devant ses parents, Michel Blanc qui échoue toujours… dont la copine s’est séparée « d’un commun accord » 48h après l’avoir connu, tentant un suicide au laxatif) mais il fait beaucoup moins rire. C’est que les bobos ont vieilli, et mal. Eux qui ne pensaient qu’à s’envoyer en l’air ont eu le sexe triste, ce que Houellebecq a bien décrit dans Les particules élémentaires. Déçus, frustrés, ils se posent désormais en moralisateurs : les seins nus (érotiquement peints dans une animation du club sous l’œil animateur de Martin Lamotte), le string très mini (que porte en permanence Christian Clavier), l’ensemble jean blanc à veste ouverte sur torse nu (que porte élégamment Thierry Lhermitte avant de baiser Balasko) – tout cela est désormais interdit, voire haram ! Les arrêtés municipaux comme les « je signale » des réseaux sociaux sont là pour gendarmer – sans parler de la morale de quaker véhiculée par les puritains des USA dans leurs séries globalisées. Ceux qui ont trop joui ne peuvent plus ; ils défendent à leurs rejetons de jouir comme eux, par revanche sur le destin.

La jeunesse de l’époque, plus dénudée que saine, plus longiligne que bien bâtie, était irréductiblement infantile. Ya du soleil et des nanas, Darladirladada ! Dans cette colonie de vacances pour adultes immatures, Thierry Lhermitte et Christian Clavier (26 ans), Dominique Lavanant (34 ans), étaient dans leur splendeur d’âge tandis que Gérard Jugnot et Michel Blanc allaient mûrir leur jeu et prendre de la bouteille.

Il faut avoir passé quelques jours de sa vie dans un Club Med pour comprendre combien cette époque de baise communautaire préparait l’ère narcissique d’aujourd’hui. Les bourgeois voulaient avoir du sexe sans conséquences (c’était avant les années SIDA), dans un milieu propice où les vêtements sont de trop et où l’agencement des cases offre toute liberté, sous le regard compréhensif (et un brin admiratif) de toute la société. Mais tout en gardant leur quant à soi bien bourgeois : la fausse camaraderie est manifeste quand Michel Blanc demande leurs prénoms aux deux pétasses Chazel et Lavanant, qui se racontent leur réussite sociale sur la plage. Quant à la nature, elle se rappelle aux touristes par une raie qui pique Bobo, ne causant qu’un chagrin d’amour à Gigi. Rien que ces surnoms enfantins disent combien cette génération élevée sous l’autorité s’est retrouvée perdue quand la liberté lui fut offerte ; elle s’est bien vite réfugiée dans le moralement correct, la tutelle d’Etat socialiste et la domination de classe. Comme papa.

Car le sexe est loin de l’amour : Jugnot souffre que sa femme se fasse « passer dessus par tout le camp », Lhermitte souffre de baiser sans que jamais une fille ne s’intéresse à autre chose qu’à son engin et à ses muscles de béton, Blanc souffre de ne jamais pouvoir conclure parce qu’il n’est ni beau, ni adroit, ni drôle.

On se lasse très vite des petits jeux sexuels, aussi vite que le touche-pipi en maternelle. Tout sentiment vrai ne peut qu’être absent, toute culture abêtie, réduite aux rengaines autour de la piscine ou aux sketchs plus ou moins comiques des soirées avant la danse. Ces bobos incultes, vains, égoïstes et indifférents aux autres seront mieux incarnés encore dans Les bronzés font du ski et dans Le Père Noël est une ordure.

Toute une époque !

DVD Les Bronzés de Patrice Leconte, 1978, avec Josiane Balasko, Michel Blanc, Marie-Anne Chazel, Christian Clavier, Thierry Lhermitte, Dominique Lavanant, StudioCanal 2008, 90 mn, blu-ray €15.00

Coffret Splendid 3 DVD : Les Bronzés / Les Bronzés font du ski / Le Père Noël est une ordure, StudioCanal 2004, €38.99

Le Père Noël est une ordure chroniqué sur ce blog

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Christian de Moliner, Trois semaines en avril

Dans ce roman d’anticipation politique écrit au galop, l’auteur met en scène une France qui nous ressemble beaucoup. Sauf qu’elle est sortie de l’euro et entrée dans le marasme. La guerre civile frise entre Maghrébins et Blancs, des milices plus ou moins armées tirant parfois dans le tas.

Nous sommes dans une ville « périphérique », selon la typologie de Christophe Guilluy, un endroit du nord-est où l’industrie s’est écroulée, laissant les immigrés en ghetto. Aux futures élections municipales, le maire sortant, plus ou moins compromis (mais n’est-ce pas plutôt de l’arrangement politique ?) va se trouver confronté à une liste blanche et à une liste islamiste. La première veut supprimer les subventions aux religions, la seconde imposer la charia financée par les impôts.

Un face à face entre bande rivales d’adolescents voit tirer un Blanc au nom d’immigration plus ancienne, et s’écrouler un Arabe de 13 ans. Fatima, une prof beur qui passait par là s’indigne et stoppe l’affrontement. Paris décide d’instaurer la loi martiale, comme dans une quarantaine de villes de l’Hexagone. Le capitaine Xavier Dubernard est envoyé relever les parachutistes de la ville.

Lui croit à la République égalitaire et laïque, lui veut négocier ; l’en-face, Arabes et Blancs ne veulent pas. Le tireur – 18 ans – se retranche dans un bâtiment et est tué par l’adjoint de Xavier, un lieutenant arabe… Car lui, militaire, ne croit plus à la République égalitaire et laïque, bloqué dans sa carrière par un plafond de verre malgré ses états de services. Il cède aux sirènes islamistes du caïd local, El Assam, qui lui rappelle quelles sont ses origines. La guerre civile va-t-elle commencer ?

C’est sans compter avec Fatima, beur mais pas musulmane, qui en a soupé des machos méditerranéens qui prennent leur plaisir et abandonnent leurs gosses aux fatmas bonnes qu’à ça. Elle-même est orpheline, délaissée par un djihadiste parti se perdre en Syrie. Elle décide de se révolter contre la violence en organisant une grande marche, puis une chaîne humaine. Toutes deux ont du succès, malgré les tentatives de récupération politique. Fatima en profite pour tomber amoureuse de Xavier, qui n’est pas insensible, malgré sa Nicole qui lui reste à Paris.

Mais la haine est plus forte que la République, et le caïd donne des poignards à trois ados bronzés pour qu’ils aillent zigouiller l’apostate – que lui-même, en tribunal islamique à lui tout seul, à fatwaisé pour « justifier » – au nom de Dieu – le crime.

Ce qui fut fait – mais El Assam est pris par l’armée et (on le suppose) jugé. Il aurait mérité douze balles dans la peau mais n’a pas eu le temps de prendre les armes qu’il avait pourtant achetées au trafiquant de drogue arabe du coin. Le capitaine Xavier s’est bien défendu, gérant la situation explosive avec le moindre mort. Mais c’en est trop. Certains militaires rêvent de prendre le pouvoir…

Suite au prochain numéro ? Car ce roman est un peu le prolongement du Pays des crétins, qui se passe dans une semblable ville quelques années avant nos jours.

Depuis sa parution en avril, Marine Le Pen a échoué à dresser la France colorée contre la blanche – mais peut-être n’est-ce que partie remise ? Un redressement à la Erdogan est-il possible en exaltant la nation et chassant tous les trublions bronzés ? Ou bien un parti islamiste, comme dans Houellebecq, finira-t-il par prendre un pouvoir délaissé par les politiques ?

Bien écrit, sans fausses notes (sauf une, la propension du capitaine Xavier à proposer le mariage à toutes ses conquêtes), ce thriller politique à la fois tient en haleine et fait réfléchir sur l’avenir et sur la civilisation. « France, mère des arts, des armes et des lois » ? Ou grand foutoir multiculti où monte la guerre entre religions ?

Christian de Moliner, Trois semaines en avril, 2017, éditions du Val, 144 pages, €13.00

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

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Démocratie et grands principes

La démocratie est l’exercice concret du pouvoir par les citoyens, directement (référendum) ou par représentation (élections). Les grands principes sont ces devoirs de la morale qui viennent soit des coutumes généralement admises (common decency), soit de catégories philosophiques (considérées comme « universelles »), soit de commandements religieux.

Il peut y avoir écart théorique entre l’exercice du pouvoir dans la cité et les grands principes moraux ; mais comme la cité est dans l’histoire et obligée de la vivre, les grands principes ne peuvent parfois être appliqués en même temps.

Dans le cas individuel, nous avons ce qui compose une tragédie. Ainsi Antigone, écartelée entre la fidélité à la cité et à son oncle, et la fidélité aux devoirs religieux et à son frère. Ainsi Albert Camus, plus proche de nous, qui déclarait « Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice » (Maison des étudiants de Stockholm, le 12 décembre 1957).

Dans le cas moral, la hiérarchie des principes est légitimée par l’universel : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit ; une norme est objectivement valable si elle est valable pour tout être raisonnable (Kant), ou si elle est acceptable par les autres (Rawls, Habermas). Par exemple, Camus considère la révolte comme légitime jusqu’à ce que la liberté totale de se révolter rencontre sa limite : celle de tuer. Car donner la mort est incompatible avec les raisons mêmes de se révolter, qui sont l’exigence de justice pour tous les hommes. Ainsi s’explique la réponse de Camus sur la justice : si c’est là VOTRE justice, alors que ma mère peut se trouver dans un tramway d’Alger où on jette des bombes, alors je préfère ma mère à cette injonction totalitaire qui utilise le terrorisme pour imposer sa pseudo-justice.

Dans le cas collectif, c’est le choix des priorités. Le gouvernement de la cité ne peut autoriser à la fois la plus grande liberté et exiger que quiconque respecte la loi, condamner la peine de mort de façon absolue et faire la guerre, respecter à la fois la cohésion sociale et pratiquer l’hospitalité maximum envers les étrangers. En politique, il s’agit non d’absolus mais de hiérarchie ou d’alternance : la liberté existe – jusqu’à ce que la loi ou la liberté du voisin la contraigne ; la peine de mort n’est pas admise – mais légitimée en cas de légitime défense, de résistance armée aux forces de l’ordre, et en cas de guerre ; l’asile politique est légitime mais l’immigration économique est contrainte – et peut-être des quotas doivent-ils être institués afin que la population arrivante ne se concentre pas en ghetto mais s’assimile progressivement ; l’égalité de tous est revendiquée, mais les aides aux moins chanceux ou moins lotis est instaurée.

En démocratie, les principes les plus légitimes ne peuvent pas cohabiter dans le même temps. Ils ne peuvent surtout pas faire l’objet d’un compromis ou d’une « synthèse ». Il n’y a pas de « juste milieu » entre la liberté d’expression et le blasphème. Il y a soit l’un, soit l’autre. « En matière de presse, il n’y a pas de milieu entre la servitude et la licence. Pour recueillir les biens inestimables qu’assure la liberté de la presse, il faut savoir se soumettre aux maux inévitables qu’elle fait naître. Vouloir obtenir les uns en échappant aux autres, c’est se livrer à l’une de ces illusions dont se bercent d’ordinaire les nations malades… qui cherchent les moyens de faire coexister à la fois, sur le même sol, des opinions ennemies et des principes contraires » Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, II, 3.

sale afiste

Ces « malades » qui braillent « pas d’amalgame » devraient se demander pourquoi les terroristes naissent dans les idéologies totalitaires, avant-hier le communisme et le nazisme, hier le gauchisme italien, allemand ou français, il y a peu les Palestiniens et aujourd’hui même la religion musulmane dans sa lecture intégriste. Oui, il y a bien du marxisme dans Marx, même si Marx n’eut probablement pas été « marxiste » au sens où les années 1960 l’ont déformé. De même y a-t-il de l’islam dans l’islamisme, comme du christianisme dans l’Église de l’Inquisition.

Ceux qui accusent « les autres » (jamais eux-mêmes) de « jeter de l’huile sur le feu » sont des lâches qui refusent de voir, d’analyser et de comprendre. Ils préfèrent le déni, « surtout ne rien faire qui pourrait…» remettre en cause leur petit confort intellectuel, fonctionnaire ou bourgeois. Le problème n’est pas l’huile, mais le feu : qui met le feu ? Ces indécis le cul entre deux chaises sont les soumis de Houellebecq, des irresponsables qui refusent d’assumer leur position intellectuelle ou politique. Ils font de nécessité vertu en parant leur lâcheté du beau mot de « prudence » – en bons adeptes du « principe de précaution » des nations malades, des pays vieillis et des âmes faibles.

Ce n’est pas insulter l’islam que de caricaturer les imams et le Prophète, démontrait Raphaël Enthoven : c’est au contraire intégrer l’islam dans la république, en France où l’ironie et l’esprit critique sont des traits nationaux. Appliquer sans tabous à toutes les religions les mêmes principes, c’est élever l’islam au rang des autres. Refuser qu’on le « critique » ou qu’on s’en « moque » serait au contraire une preuve de mépris. Pire même, n’est-ce pas insulter « Dieu » que de croire qu’il est incapable de se défendre, lui l’Omniscient Tout-Puissant ? A-t-il besoin de vermisseaux ignares, qui ne savent pas lire le texte qu’il a livré et qui croient aveuglément – plus que Dieu lui-même ! – n’importe quel autoproclamé savant ? Charlie avait sur ce point raison, il est vraiment « dur d’être aimé par des cons ».

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Sur la gauche bobo

La gauche libertaire est l’une des 4 gauches définies avec brio par Jacques Julliard mais c’est la plus visible – et c’est contre elle que je m’élève parce qu’elle qui occupe les médias en boucle (intellos, experts autoproclamés, universitaires qui ont fait 68, etc.) Il ne s’agit pas de Manuel Valls, de Pierre Joxe ni de certains autres, mais de la constellation des « conseillers » et autres intellos « de gauche » bobo, ultra-parisiens (rapport Tuot sur « la société inclusive », préconisations Terra Nova sur les nouvelles majorités électorales, etc.).

Les dessinateurs de Charlie (et l’économiste) étaient de la génération d’avant, antiautoritaires (antigaullistes et antisoviétiques) dans la lignée de la Commune de Paris, sans être vraiment anarchistes (ils se déclaraient pour le droit).

Ce qui m’agace dans les assauts « d’émotion » et de « vertu républicaine » de la gauche intello-médiatique impériale à la télé, à la radio, dans les journaux est cette posture « d’indignation »… sans aucune conséquence pratique. « Ah non, pas interdire le voile ! Ah non, pas publier de statistiques ethniques ! Ah non, pas de classes de niveaux, tous pareils ! Ah non, il ne s’agit pas de guerre ! Ah non, l’islam n’est pas une religion à dérive totalitaire ! »

« Islam violent ? You dare ! » : IMAGE CENSUREE en juin 2019 A LA DEMANDE DES AUTORITES PAKISTANAISES

C’est la même posture du déni que la gauche sous Jospin à propos de la délinquance et du « sentiment » d’insécurité. On a vu ce que les électeurs de base en ont pensé le 21 avril 2002

Les spécialistes de l’islam savent bien expliquer la distinction entre foi et politique, entre islam et dérives wahhabite puis intégriste, puis terroriste. Mais les intellos ne le font pas, soucieux avant tout d’éviter « l’amalgame », la « stigmatisation » et autres dénis de réalité : ils parlent sans savoir, comme d’habitude, se précipitant pour occuper la première place à l’audimat de l’indignation.

caricatures mahomet

Pourquoi ne constituent-ils pas CONCRETEMENT un Comité de vigilance des intellectuels comme la gauche en 1934 après les émeutes nationalistes du 6 février contre les parlementaires ? C’est ce sur quoi je m’interrogeais dans ma note d’avant-hier. Ce serait un laboratoire de réflexion, une force de propositions trans-partisane, traduisant dans les faits cette « unité » qu’ils revendiquent – tout en restant jusqu’ici dans leur fauteuil confortable.

Il s’agirait de réfléchir aux failles de la société française :

  1. l’immigration fantasmée : or elle est « incontrôlée légalement » (90% de ceux qui entrent chaque année le font parce qu’ils en ont le DROIT par mariage, regroupement familial, asile politique accordé ; 100% des minorités visibles nées en France SONT français, qu’on le veuille ou non) – doit-on changer le droit ? dénoncer les traités internationaux signés ? les renégocier ? invoquer une exception ? – ou les accepter tels quels, mais sans alors accuser sans nuances « l’immigration » ;
  2. la faillite scolaire : l’enseignement resté figé aux années 60, pédagogo, élitiste, matheux, méprisant, inadapté aux nouvelles populations (tous jeunes confondus) et aux nouvelles communications. « J’ai voulu, au travers de mon parcours, raconter que la fermeté à l’égard de ces jeunes est une marque de respect ; la complaisance une forme de mépris » écrit par exemple Zohra Bitan, banlieusarde d’origine et ex-PS. Distinguer la foi de la mauvaise Foi, apprendre à penser soi-même, à travailler avec les autres, à s’exprimer avec des mots (et pas en manipulant des items linguistiques !), apprendre les règles de la vie en société…
  3. la faillite du « vivre ensemble » : violé à la fois par les partis extrémistes de droite ET de gauche (à qui on laisse dire à peu près n’importe quoi) et par le gouvernement socialiste bobo (qui braque les sentiments des gens moyens et des croyants par « le mariage » gai ou le vote « des étrangers », toutes revendications communautaristes bien loin de l’Unité nationale hypocritement revendiquée). Les intellos ne cessent de critiquer, saper et déconstruire la culture occidentale, les associations communautaristes ne cessent de culpabiliser la France entière en rappelant sans cesse les croisades, la colonisation, la Shoah… alors que c’est aujourd’hui qui compte le plus : les pouvoirs autoritaires en Arabie Saoudite, en Syrie, en Algérie, etc., la corruption et le clanisme des élites politiques des pays émergents notamment africains et proche-orientaux, l’attitude d’Israël au mépris de l’ONU depuis des décennies, les petites Shoah en Bosnie, au Rwanda, au Soudan, en Palestine, en Irak qu’on laisse faire comme si de rien n’était. Comment se sentir « français » dans cette culture du mépris et de la honte permanente ? Françoise Sironi, psychanalyste et psychologue du Magazine de la rédaction de France-Culture hier, a pointé la « fragilité personnelle » des terroristes, leur « métissage » entre deux cultures, leur absence de certitudes sur ce qu’ils sont ou ceux qui peuvent les reconnaître. Le multicuturel ne fonctionne QUE lorsqu’on possède déjà une culture; on peut alors s’ouvrir aux autres cultures. Mais lorsque l’on n’est pas sûr de soi, reconnu nulle part, sans modèle de construction pour sa personnalité, le multiple en soi fait se perdre ; la tentation rigoriste des « sectes » ou des religions totalitaires est alors une tentation de facilité : « on » vous dit ce qu’il faut penser et comment il faut vivre. Le communisme a été l’une de ces « religions », il y a deux générations; c’est aujourd’hui l’islamisme radical. La liberté fait peur, il faut être armé pour être libre. Quand on ne l’est pas en soi-même et qu’on se sent impuissant, on utilise un substitut : une kalachnikov.
  4. la faillite de l’emploi : la lutte « contre le chômage » (qui touche particulièrement les jeunes et particulièrement les banlieues) invoquée comme une « priorité » alors que François Hollande pratique l’exact INVERSE : hausse générale des impôts, taxe à 75% symbolique, injures aux entrepreneurs et aux « riches », menaces (verbales) aux étrangers investissant en France (surtout pas d’amendes comme les États-Unis le font !). Comment le chômage pourrait-il reculer, étouffé par les réglementations, les taxes en cascade, l’état d’esprit anti-croissance (écolo), anti-entreprises (gauche du PS), anti-richesse (PDG Mélenchon), anti-réusssite (vieille austérité catho reprise par les jansénistes socialistes à la Martine Aubry) ? Pour la gauche, la seule « réussite » sociale ne passe que par le service d’État (la polémique anti-Macron sur les milliardaires en est l’exemple plus récent) : serait-ce « déroger » d’être entrepreneur, comme sous l’Ancien régime ?
  5. la faillite républicaine enfin : qui bâtit des lois mal ficelées, inapplicables (sur le voile…), qui fait du tortillage de cul lorsqu’il s’agit de l’appliquer (le survol « interdit » des drones au-dessus des centrales nucléaires : pourquoi ne pas les détruire sans sommation ? Il n’y a personne dedans et c’est clairement dit et répété : c’est interdit – haram en arabe) ; qui gère la délinquance par le seul répressif, tout le monde pareil, au risque de radicaliser les jeunes en prison – sans leur donner un modèle alternatif ; qui émet des incantations à « l’union nationale » tout en s’empressant aussitôt d’exclure tel ou tel (fatwa Hidalgo et consorts) sous prétexte qu’ils ne seraient pas « républicains » : c’est quoi être républicain en république ? Obéir aux lois et respecter les institutions ? Alors tous les partis légalement autorisés SONT républicains – ou alors le mot ne veut plus rien dire : la gauche intello adore « déconstruire » et embrouiller le sens commun afin de se poser en seule interprète du Bien… Faillite républicaine manifeste chez François Hollande, qui invoque l’unité dans un discours essoufflé dont il a le secret – tout en laissant son parti dire le contraire et appeler à manifester chacun sous sa pancarte : PS, PDG, écolosLV, CGT, etc. L’identité, ce serait mal à droite mais « vertueux » à gauche ? On mesure combien un Hollande n’arrive pas à la cheville d’un de Gaulle, d’un Mitterrand, ni même d’un Chirac (Allah sait combien je le considère peu, pourtant). Lui-Président apparaît comme président-croupion, technocrate à langue de bois toujours dans la synthèse horizontale sans rien de la hauteur d’arbitre au-dessus des partis requise par la fonction – encore moins l’incarnation de « la France ».

ecole islamiste

Ce sont ces faillites qui fragmentent la France en autant d’égoïsmes communautaires, chacun replié sur ses petits « droits ». Dans ces interstices, les daechistes veulent frapper comme les fascistes hier, pour accentuer les fractures et monter les communautés les unes contre les autres. Ils sont aidés en cela par les suiveurs du « pas de vagues », « mieux vaut la paix », « ils ont été trop loin » et autre état d’esprit de collaboration pétainiste à l’œuvre dans toutes la société française. Et dont Houellebecq a rendu la texture dans une fiction récente – dont je reparlerai.

islamiste et gamin

Cela dans une tendance mondiale au national-quelque chose : national-islamisme daechiste, pakistanais ou turc, national-judaïsme de la droite israélienne, national-‘socialisme’ de l’extrême gauche française, national-étatisme de l’extrême droite française, du pouvoir algérien et du Poutine russe, national-jacobinisme de la majorité socialiste, national-affairisme américain, national-communisme chinois, et ainsi de suite. Qu’y a-t-il dans l’islam qui facilite la tentation totalitaire ? Est-ce différent des autres religions ? L’exigence théocratique réclame-t-elle un  État appelé califat pour les croyants de l’Oumma ? L’histoire est-elle autre ? Est-ce un simple « retard » de développement (théorie un peu ancienne et passablement condescendante) ?

Le danger radical est donc l’épuration ethnique. Je me souviens d’avoir été interloqué lorsque mon directeur de thèse, alors professeur associé à Paris 1, ministre plénipotentiaire et conseiller spécial du ministre des Affaires étrangères Claude Cheysson à l’époque (donc de gauche socialiste bon teint), m’avait dit que « finalement, la meilleure solution en ex-Yougoslavie serait la partition ethnique, comme les Turcs l’ont faits aux Grecs en 1920 »… Avait-il tort ? Pas sûr, rien n’est jamais tout blanc ni tout noir, ce serait trop simple.

ignorance et mauvaise foi islamiste

Le chacun chez soi ne conduit pas forcément à la guerre, mais limite l’épanouissement. Désolé d’être brutal, mais rester entre soi rend con. Chacun peut le constater dans les milieux très bourgeois (pour faire plaisir à la gauche) ou chez les islamistes sectaires (pour faire plaisir à la droite). C’est la même chose pour les nations : est-ce par hasard si les nations les plus ouvertes sur le monde, dans l’histoire, ont été les plus grandes et les plus prospères ? Rome, Venise, Amsterdam, Londres, New York – aujourd’hui Singapour ou Rio.

En cas de guerre ouverte (Turquie des années 20, Allemagne des années 30, ex-Yougoslavie des années 90, Russie et Syrie 2014), l’exil des « allogènes » est peut-être la solution d’urgence. Mais certes pas une solution à long terme.

Car, à long terme, le nomadisme est historique – depuis les premiers hominidés sortis d’Afrique, avant nos ancêtres directs partis du Proche-Orient vers 200 000 ans. Le mélange fortifie – à condition qu’il soit dosé. Comme le poison ou l’ingrédient de cocktail, tout est question de posologie : trop d’eau dans le whisky (ou de lait dans le thé) rend le breuvage insipide ou écœurant ; un peu d’eau ou de lait avive les saveurs, enrichit les arômes, permet d’explorer de nouvelles sensations. L’immigration est donc à la fois une chance et un danger.

Ce que je reproche à la gauche est de nier les problèmes posés par l’accueil « sans frontières » ; ce que je reproche à la droite est de nier la réalité des traités signés (souvent par des gouvernements de droite) sur le « droit » à immigrer. Il faudrait donc en débattre, mettre des chiffres fiables sur la table, sérier les problèmes posés, mieux répartir les lieux d’accueil, avoir enfin une véritable politique du logement (et pas à la Duflot !), réaffirmer clairement les droits et les devoirs, à commencer par la neutralité laïque (ce qui veut dire aussi, surtout à gauche, faire taire les ayatollahs de la laïcité militante).

paisible islamisme

Quant à « déchoir de nationalité française » les retours de Syrie, d’Irak ou autres lieux djihadistes, c’est irréaliste : un slogan populiste qui ne tient aucun compte du droit actuel. Car si vous êtes « né » français, vous ne pouvez être déchu ; seuls les doubles-nationaux peuvent l’être s’ils se comportent comme les nationaux du pays étranger dont ils sont AUSSI ressortissant. On ne peut devenir arbitrairement apatride. Ou bien l’on change le droit (et les traités internationaux que la France a volontairement signés), ou bien il s’agit de proposer des solutions applicables, comme le rétablissement de l’autorisation de sortie de territoire pour les mineurs, l’obligation de visa pour se rendre en Turquie ou la consultation par les services antiterroristes des listes de passagers d’avion dans l’UE (refusé jusqu’ici parce que portant atteinte aux libertés publiques).

poutine flingue

Nous sommes un régime démocratique (et pas poutinien), nous devons donc suivre les règles démocratiques. Ce qui n’exclut pas la force : inutile de « rétablir la peine de mort » par exemple, autre slogan simpliste (aux effets secondaires jamais évoqués…) : nous sommes en guerre parce que les daechistes déclarent la guerre et portent des armes de guerre ; la police ou les services spécialisés doivent avoir contre eux un comportement d’état de guerre, ce qui signifie tuer s’ils sont directement menacés – ou plus généralement « neutraliser » si déférer à la justice est possible. Ce qui est socialement plus pédagogique.

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