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George L. Mosse, Les origines intellectuelles du Troisième Reich

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J’ai déjà parlé de cet ouvrage de l’historien juif américain, né en Allemagne, qui a pu fuir le nazisme à 15 ans à quelques heures de l’obligation de visa. Je voudrais y revenir aujourd’hui non pour analyser ce qui y est dit, mais pour sélectionner ce qui fut hier et se reproduit aujourd’hui. Car, si l’histoire ne se répète jamais, les êtres humains et les sociétés ont des réactions identiques aux événements qui les mettent en cause.

S’indigner contre le nazisme est stérile, comprendre les ressorts du nazisme est utile.

Ceux qui braillent dans la rue « contre le fascisme » (ou contre Trump) sont aussi vains que ceux qui pissent dans un violon en croyant jouer la musique. Le fascisme est un état réactif de toute société menacée. Il vaut mieux comprendre ce qui menace et les moyens d’y faire face – que de gueuler pour rien dans le désert. Et c’est bien la faute de la gauche minable des Indignés, Frondeurs, Atterrés, pseudo-ministres et autres impuissants, qui n’a plus aucune idée ni projet, si l’extrémisme monte en notre pays plus qu’ailleurs en Europe et dans le reste du monde.

« Chaque pays développe son propre fascisme, approprié à son propre nationalisme », écrit George Mosse p.33. Le nazisme allemand comme le fascisme italien sont nés des unités nationales, fragiles, qu’il fallait conforter par une langue et une culture commune. Le fascisme français n’a pour l’instant jamais pris, nous n’en avons eu qu’un ersatz sous Pétain, vieillard conservateur et surtout cacochyme, qui a laissé faire sous la botte les petits agitateurs intellos séduits par la communauté masculine nazie.

Ce que montre George Mosse, étayé par une vaste documentation, est que le nazisme n’est pas une aberration : il a été appelé par des électeurs normaux, adulés par des gens normaux et suivis par la majorité de la population – comme Trump. Pourquoi ? Non par une quelconque essence satanique, comme voudrait le faire croire la morale de la bonne conscience après Auschwitz ; non par un quelconque développement des forces productives ayant secrété leur antidote par réaction, comme a longtemps voulu le faire croire la propagande marxiste stalinienne au mépris des documents historiques. Mais selon Mosse par une véritable « religion civique ». La propagande n’a aucun effet si elle ne répond pas aux attentes de la société – tout comme la publicité ne vous fera jamais acheter si vous ne désiriez pas déjà le faire.

Robert Paxton, historien américain spécialiste de la France de Vichy récemment : « je crois que le fascisme c’est avant tout le pouvoir, la prise du pouvoir, l’exercice du pouvoir. Je pense que le fascisme est aussi animé par de forts préjugés et des sentiments profonds, des sentiments d’aliénation, un désir de revanche nationale, la colère contre ceux dont vous pensez qu’ils ont poignardé le pays dans le dos«  (sur Slate.fr).

Toute société nécessite une cohésion : le besoin d’une communauté organique, une continuité historique, une normalité bien établie.

Cette normalité évolue avec le temps, mais lentement. L’imprégnation des mœurs et de l’idéologie subsiste au-delà des générations. Ce pourquoi George Mosse ne condamne en rien les « traditions », au prétexte que les nazis les auraient utilisées à leur profit. La morale n’a jamais rien à faire avec la vérité, mais bien plutôt avec le confort de ceux qui la brandissent.

La cohésion sociale se manifeste dans les rituels collectifs, que préparent la famille, qu’encouragent l’école, que la communauté locale puis nationale font exister. Le sentiment de participer à la vie politique sous le nazisme était plus fort que sous la démocratie de Weimar, constate l’historien. La faute en est non pas au nazisme – qui a su séduire – mais à Weimar, dont l’indigence de gauche fut patente. Si nous pouvions en tirer une quelconque leçon sous le président Normal…

La dimension religieuse du politique est ignorée des positivistes et des marxistes, qui croient la « science » politique presqu’aussi exacte que la science économique ou physique. Or l’adhésion à la collectivité passe par l’esthétique, par l’émotion, par les rassemblements qui permettent d’agir ensemble. Encore une fois, l’élection de Trump nous le montre après le Brexit, la débâcle socialiste aux Européennes et ainsi de suite…

C’est ici que l’Allemagne et la France divergent.

La première croit à la culture, nous croyons à la civilisation. La culture est un enracinement dans le sang et le sol des valeurs ; la civilisation une adhésion volontaire et de raison à la vie en commun. Bien sûr, ces deux concepts ressortent de l’idéal-type, des caricatures de ce qui se passe en réalité. Aucun Français n’adhère seulement par raison, mais aussi par habitude, par ses ancêtres ou par volonté de s’approprier la culture francophone, de se joindre à cette lignée historique qui va « du sacre de Reims à la révolution française », selon les mots de Marc Bloch. Aucun Allemand ne croyait complètement au pur Aryen blond et athlétique, issu des forêts de Germanie depuis les temps les plus reculés ; l’Allemagne est resté un carrefour de peuples, venus de l’est et du sud, poussés par les encore plus à l’est, et accaparant les exilés de l’ouest ou du nord (les Huguenots, les commerçant hanséatiques, les Russes germanophiles…).

Il y avait en Allemagne, bien avant le nazisme, un courant Völkish issu du romantisme qui désignait non seulement le peuple, mais son « âme ». Celle-ci était réputé issue de la terre même, des atmosphères et paysages. D’où la célébration du sang et du sol, composantes indispensables au peuple sain ; d’où la méfiance envers les villes, qui déracinent, et envers l’industrie, qui désocialise. Ce courant, un brin ésotérique, a été chanté par les Wandervögel, ces jeunes gens itinérants, randonneurs du pré-scoutisme, qui vivaient quasi nus dans la nature et célébraient le soleil et l’eau. Il a été repris par les organisations nazies, qui ont vanté le stéréotype mâle au corps classique de la beauté grecque, sculpté par l’effort individuel et la volonté collective. L’attirance sexuelle de la camaraderie masculine devait être refoulée par sublimation pour créer le type du chevalier qui se contraint, héros et chef.

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C’est bien cette religion Völkish, en conjonction avec le nationalisme, puis avec les rancœurs de la défaite de 1918 et de la crise économique majeure des années 30, qui a fait émerger le nazisme. L’auteur précise, en historien : « Le nazisme n’était pas une aberration : pas plus qu’il n’était dénué de fondement historique. Il fut plutôt le produit de l’interaction de forces économiques, sociales et politiques, d’une part, et de perceptions, d’espérances et d’aspirations humaines à une vie meilleure, d’autre part » p.32.

Avons-nous aujourd’hui une telle conjonction ?

La religion écologique célébrant Gaïa la Terre-Mère que ses fils industrieux ne cessent de blesser malgré la grand-messe rituelle des COP numérotés, la défaite face au terrorisme islamique qui engendre une rancœur contre les « basanés » sans reconnaissance pour la France qui les accueille, la crise économique de la mondialisation mais surtout de l’essor technologique très rapide – cela peut-il faire conjonction comme dans les années 30 ?

La culture était alors réputée authentique, assurant l’accord de l’être humain avec les autres et avec la nature ; la civilisation était vue comme superficielle, adonnée à la simple satisfaction béate des besoins matériels, sans solidarité ni spiritualité. Ne voyez-vous rien de cet hier qui ne surgit aujourd’hui ?

Qu’en est-il de la haine envers « le capitalisme » des multinationales, contre l’avidité matérielle de « la finance » ou l’impérialisme économique, culturel et militaire des Yankees ? Le Juif a été remplacé par le Capitaliste (encore qu’on confonde volontiers les deux dans l’islamo-gauchisme à la mode). Mais le « retour à la terre », l’accord avec la nature, les aliments « bio », la vie saine détressée à la campagne, l’aspiration à la chaumière de la retraite paisible… tout cela a fait le lit des états d’âme Völkish, du nationalisme protectionniste – et du nazisme.

Si les écolos d’aujourd’hui sont aussi inaudibles (7000 militants et 17 000 sympathisant si l’on en croit leurs primaires… 0.03% du corps électoral de 47 millions !), c’est qu’ils mêlent l’eau et le feu en célébrant la nature ici et maintenant tout en prônant l’universalisme éternel et l’internationalisme hors sol.

Si les socialistes d’aujourd’hui sont devenus quasi inaudibles, c’est qu’ils restent attachés à cette chimère du « matérialisme scientifique » qui court après l’évolution du climat et l’accord écologique homme-nature sans les relier au présent des gens et des revendications de classe.

La petite-bourgeoisie allemande – qui a permis le nazisme – voyait en Hitler une « révolution de l’âme » qui ne menaçait en réalité aucun des intérêts économiques de sa classe moyenne. Le nazisme édifiait l’idéal, et désignait l’Ennemi de principe – le Juif apatride, cosmopolite et capitaliste. L’écologie d’aujourd’hui et son fade avatar déconsidéré, « le socialisme », proposent une même révolution de l’âme et son ennemi de principe – le Capitalisme industriel et financier. Mais cela ne séduit manifestement pas « la France périphérique »,  pas intello comme les bobos urbains, prête à voter – en réaliste – pour la famille Le Pen. Même s’il est à craindre que, comme sous le nazisme, la déception soit d’autant plus grande et rapide que les attentes auront été plus fortes.

Nous n’avons pas l’humiliante défaite de 1918 mais le terrorisme, issu d’une frange étroite de l’islam. La rancœur deviendra-t-elle de même ampleur pour qu’elle produise les mêmes effets ? Il suffirait selon certains d’un attentat ou deux de plus pour que… Un tiers des policiers et gendarmes seraient prêts à voter extrême-droite, si l’on en croit les médias.

Le nationalisme est-il assez puissant dans les profondeurs françaises pour emporter l’adhésion à un parti Völkish qui mêle sang et sol dans une célébration de destin ? Pour ma part, j’en doute, mais il en est qui y croient.

Reste qu’il vaut mieux comprendre par soi-même que suivre les hordes moutonnières. Afin d’avoir le choix de participer ou de se retirer, pour résister.

George L. Mosse, Les origines intellectuelles du Troisième Reich – La crise de l’idéologie allemande, 1964, Points Seuil 2006, préface de Stéphane Audouin-Rouzeau, 512 pages, €11.80

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Islam historique

Ibn Khaldoun, historien arabe andalou de l’islam médiéval, est né en 1332 et est mort en 1406, à 74 ans. Il est issu d’une tribu yéménite qui a émigré en Espagne dès les débuts de la conquête, au 8ème siècle. Il connait bien sûr enfant le Coran et les hadiths, apprend le droit et la jurisprudence islamique. Adolescent, il poursuit ses études à l’université Zitouna de Tunis où il s’initie aux mathématiques, à la logique et à la philosophie auprès d’Al-Abuli, une célébrité d’époque. Il étudie également l’astronomie et la médecine. Ibn Khaldoun lit Platon, Aristote et d’autres penseurs grecs traduits en arabe.

Adulte, il obtient quelques fonctions auprès des divers sultans qui se renversent les uns les autres, ce qui lui permet de voyager. Il rencontre même Tamerlan. Mais c’est dans le Livre des exemples qu’il médite sur l’histoire universelle… précédée d’une introduction en trois volumes.

ibn khaldoun le livre des exemples

L’historien se fait alors sociologue pour conter l’essor d’une civilisation. Pour lui, le pouvoir d’un groupe tient à la cohésion sociale, souvent d’origine ethnique (les clans de parenté). Ce sont ensuite les intérêts et les comportements qui fondent une communauté, laquelle impose sa souveraineté et crée un ordre de civilisation. La religion est l’un des éléments de la civilisation, superstructure soumise (comme chez Marx) à des déterminismes matériels et aux intérêts qui en découlent. À chaque phase de l’évolution sociale correspond un type de comportement religieux. La religion n’est pas le dessein de Dieu car le sentiment religieux se dénature en même temps que se délitent les liens de de solidarité du groupe.

La dynamique du violent et du productif est à l’origine de l’histoire arabe. Ibn Khaldoun explique la conquête fulgurante par quelques milliers de bédouins d’environ 35 millions de sujets perses et byzantins jusqu’en Espagne, de 634 à 720, par l’écart entre des guerriers résolus et des peuples désarmés. Les producteurs sont riches, donc mous et pacifiques ; ils se soumettent à qui les protègent, la liberté ne les intéressent pas, seule la prospérité est pour eux essentielle. Ils font soumission donc volontiers aux loups faméliques ultra violents, qui les exploitent mais sans jamais tuer la poule aux œufs d’or. Les sédentaires sont conquis avant même que les conquérants ne se manifestent… Ainsi la France en 40.

Telle est bien cette geste mythique que « l’état islamique » tente de reproduire. Quelques milliers de djihadistes sans pitié asserviraient à « la foi » (mais surtout aux intérêts matériels des nouveaux maîtres), quelques dizaines de millions de pacifistes productifs proche-orientaux et européens, nombreux et grassement imposables. Le moyen-âge a montré combien 2% de la population pouvait s’imposer aux 98% restants si sa volonté de puissance était sans faille. Lénine a réitéré l’expérience sur l’immense territoire russe, non sans mal mais avec un certain succès. Il suffit donc d’en revenir « aux origines » de la dynamique musulmane pour retrouver la puissance et la gloire.

Mais les daechistes n’ont pas lu jusqu’au bout Ibn Khaldoun. Celui-ci note aussitôt que les conquêtes ne durent pas. Dès que l’État prédateur est installé par les guerriers pour ponctionner l’impôt, ces mêmes guerriers deviennent de peu d’utilité. Jouent alors les fameuses bases matérielles des intérêts bien compris, et c’est le système d’État qui assure la protection, plus les guerriers personnellement, qui voient s’effriter peu à peu toutes leurs solidarités claniques. Le sultan veut se dégager de sa tribu pour assurer son pouvoir personnel et appelle, pour ce faire, des sédentaires vaincus aux fonctions civiles. La violence ne peut que s’éroder avec la puissance pacificatrice de la bureaucratie d’État…

empire islam carte

L’effondrement les tribus arabes en Perse, au profit des Turcs seldjoukides, puis des Mongols avec la prise de Bagdad en 1258, a altéré la puissance des guerriers, donc la religion musulmane. C’est l’islam, dit Ibn Khaldoun, qui a créé « le peuple » arabe : leur empire historique est dû à leur foi intransigeante et exclusive. La religion s’est liée à l’État par le djihad. Mais la victoire des Turcs a brisé le lien et a rendu l’islam religion comme les autres, où la guerre sacrée est absente et où la force réside dans l’économie sédentaire. Dès le 11ème siècle, la division est consommée entre sédentaires et bédouins, productifs ou savants et tribaux violents. L’islam « modéré » est issu des marges de l’empire, des Turcs, des Berbères, des Mongols – pas des Arabes. Ainsi se crée le soufisme – tandis que le djihad reste bien l’islam originel.

Depuis 1979, l’islam radical sent donc son heure venue pour ressusciter l’élan des premiers temps, aussi apocalyptique qu’un nouveau cycle. Il s’agit de terrasser la Bête des « perversions et abominations » en obéissant à la lettre à la voix même d’Allah, sans réfléchir, car Allah sait mieux que tous ce qui est bon pour tous. L’Égypte de Sadate a trahi la cause arabe en reconnaissant Israël ; l’URSS athée a envahi l’Afghanistan, ce qui discrédite tout « progressisme » socialiste ; la révolution chiite de Khomeiny en Iran montre que le Grand Satan est un tigre de papier et qu’un État théocratique est possible ; le terrorisme de la Kaaba à La Mecque montre la naissance d’un radicalisme de pureté, attirant la jeunesse déboussolée. Tout cela durant la seule année 1979… Qui a dit que nous n’étions pas prévenus ?

L’objectif est de fanatiser les croyants par l’islam littéral, le seul « vrai islam » historique, pour en faire des guerriers aiguisés dont la violence sans borne permettra d’asservir les populations pacifiques amollies par la consommation et les loisirs, vite « choquées » par toute manifestation de pure virilité machiste. C’est ce romantisme identitaire qui rassemble la « communauté » des croyants dans le dar al-islam, tandis que tout le reste de la planète est décrétée zone de guerre : à piller et à réduire à volonté. Il s’agit bel et bien d’un projet « politique », dont l’idéologie est l’islam du seul Coran et dont l’instrument est cette fraternité utopique des « frères » unis en vol, viol et violence – allant jusqu’à forcer des petites filles de 9 ans, puisque le Prophète l’a fait.

Qui a dit que nous n’avions pas tous les éléments pour le comprendre ? Oui, l’islam historique, celui des premiers temps, encourage la violence et la haine – il faut le dire. Donc pousser les musulmans qui ne s’y reconnaissent pas (la religion est toujours dans l’histoire, elle peut donc évoluer) à dire combien ils ne sont pas d’accord. Certains le font, pas sûr que, du côté « gauche » (dont l’autre sens est « maladresse ») on ait vraiment compris. A court terme, François Hollande cause, il cause bien, mais ce ne sont encore que des mots.

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Démocratie et grands principes

La démocratie est l’exercice concret du pouvoir par les citoyens, directement (référendum) ou par représentation (élections). Les grands principes sont ces devoirs de la morale qui viennent soit des coutumes généralement admises (common decency), soit de catégories philosophiques (considérées comme « universelles »), soit de commandements religieux.

Il peut y avoir écart théorique entre l’exercice du pouvoir dans la cité et les grands principes moraux ; mais comme la cité est dans l’histoire et obligée de la vivre, les grands principes ne peuvent parfois être appliqués en même temps.

Dans le cas individuel, nous avons ce qui compose une tragédie. Ainsi Antigone, écartelée entre la fidélité à la cité et à son oncle, et la fidélité aux devoirs religieux et à son frère. Ainsi Albert Camus, plus proche de nous, qui déclarait « Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice » (Maison des étudiants de Stockholm, le 12 décembre 1957).

Dans le cas moral, la hiérarchie des principes est légitimée par l’universel : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit ; une norme est objectivement valable si elle est valable pour tout être raisonnable (Kant), ou si elle est acceptable par les autres (Rawls, Habermas). Par exemple, Camus considère la révolte comme légitime jusqu’à ce que la liberté totale de se révolter rencontre sa limite : celle de tuer. Car donner la mort est incompatible avec les raisons mêmes de se révolter, qui sont l’exigence de justice pour tous les hommes. Ainsi s’explique la réponse de Camus sur la justice : si c’est là VOTRE justice, alors que ma mère peut se trouver dans un tramway d’Alger où on jette des bombes, alors je préfère ma mère à cette injonction totalitaire qui utilise le terrorisme pour imposer sa pseudo-justice.

Dans le cas collectif, c’est le choix des priorités. Le gouvernement de la cité ne peut autoriser à la fois la plus grande liberté et exiger que quiconque respecte la loi, condamner la peine de mort de façon absolue et faire la guerre, respecter à la fois la cohésion sociale et pratiquer l’hospitalité maximum envers les étrangers. En politique, il s’agit non d’absolus mais de hiérarchie ou d’alternance : la liberté existe – jusqu’à ce que la loi ou la liberté du voisin la contraigne ; la peine de mort n’est pas admise – mais légitimée en cas de légitime défense, de résistance armée aux forces de l’ordre, et en cas de guerre ; l’asile politique est légitime mais l’immigration économique est contrainte – et peut-être des quotas doivent-ils être institués afin que la population arrivante ne se concentre pas en ghetto mais s’assimile progressivement ; l’égalité de tous est revendiquée, mais les aides aux moins chanceux ou moins lotis est instaurée.

En démocratie, les principes les plus légitimes ne peuvent pas cohabiter dans le même temps. Ils ne peuvent surtout pas faire l’objet d’un compromis ou d’une « synthèse ». Il n’y a pas de « juste milieu » entre la liberté d’expression et le blasphème. Il y a soit l’un, soit l’autre. « En matière de presse, il n’y a pas de milieu entre la servitude et la licence. Pour recueillir les biens inestimables qu’assure la liberté de la presse, il faut savoir se soumettre aux maux inévitables qu’elle fait naître. Vouloir obtenir les uns en échappant aux autres, c’est se livrer à l’une de ces illusions dont se bercent d’ordinaire les nations malades… qui cherchent les moyens de faire coexister à la fois, sur le même sol, des opinions ennemies et des principes contraires » Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, II, 3.

sale afiste

Ces « malades » qui braillent « pas d’amalgame » devraient se demander pourquoi les terroristes naissent dans les idéologies totalitaires, avant-hier le communisme et le nazisme, hier le gauchisme italien, allemand ou français, il y a peu les Palestiniens et aujourd’hui même la religion musulmane dans sa lecture intégriste. Oui, il y a bien du marxisme dans Marx, même si Marx n’eut probablement pas été « marxiste » au sens où les années 1960 l’ont déformé. De même y a-t-il de l’islam dans l’islamisme, comme du christianisme dans l’Église de l’Inquisition.

Ceux qui accusent « les autres » (jamais eux-mêmes) de « jeter de l’huile sur le feu » sont des lâches qui refusent de voir, d’analyser et de comprendre. Ils préfèrent le déni, « surtout ne rien faire qui pourrait…» remettre en cause leur petit confort intellectuel, fonctionnaire ou bourgeois. Le problème n’est pas l’huile, mais le feu : qui met le feu ? Ces indécis le cul entre deux chaises sont les soumis de Houellebecq, des irresponsables qui refusent d’assumer leur position intellectuelle ou politique. Ils font de nécessité vertu en parant leur lâcheté du beau mot de « prudence » – en bons adeptes du « principe de précaution » des nations malades, des pays vieillis et des âmes faibles.

Ce n’est pas insulter l’islam que de caricaturer les imams et le Prophète, démontrait Raphaël Enthoven : c’est au contraire intégrer l’islam dans la république, en France où l’ironie et l’esprit critique sont des traits nationaux. Appliquer sans tabous à toutes les religions les mêmes principes, c’est élever l’islam au rang des autres. Refuser qu’on le « critique » ou qu’on s’en « moque » serait au contraire une preuve de mépris. Pire même, n’est-ce pas insulter « Dieu » que de croire qu’il est incapable de se défendre, lui l’Omniscient Tout-Puissant ? A-t-il besoin de vermisseaux ignares, qui ne savent pas lire le texte qu’il a livré et qui croient aveuglément – plus que Dieu lui-même ! – n’importe quel autoproclamé savant ? Charlie avait sur ce point raison, il est vraiment « dur d’être aimé par des cons ».

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Pas d’égalité sans frontières

La visée démocratique est d’assurer à chaque citoyen l’égalité en dignité et en droits, l’égalité des chances et les filets de solidarité en cas d’accidents de la vie. L’exercice de ces droits exige la cohésion sociale nécessaire pour que chacun contribue en fonction de ses moyens, en étant d’accord sur le vivre ensemble.

Tout cela ne peut se réaliser que dans le cadre de frontières définies, territoriales et de civilisation.

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Il ne s’agit pas d’ériger des barbelés (comme aujourd’hui en Hongrie et en Israël, hier en Europe avec le rideau de fer), ni même de revenir au souverainisme gaullien (traditionnellement nationaliste) de la génération passée. Les valeurs de démocratie parlementaire, majoritaires en Europe, ne doivent pas être bradées au non de « l’urgence » ou des « circonstances ». Devant les drames syriens ou libyens, l’Europe doit rester terre d’accueil – et offrir une hospitalité digne (même si elle est définie comme temporaire) aux demandeurs du droit d’asile. Mais confondre immigration de peuplement et immigration sous peine de mort est une imposture des politiciens. Ils doivent avoir le courage de dire à leurs peuples qu’accueillir les vies menacées n’est pas la même chose qu’accueillir « sans frontières » la misère du monde. A ce titre, l’allemande stricte Angela Merkel apparaît plus dans le ton des Lumières que le falot hésitant François Hollande, dont on se demande s’il incarne les « valeurs de la république » ou si ce ne sont, pour lui, que des mots. Il est vrai que le gauchisme des tribuns populistes ou des féministes arrivistes, et jusqu’aux frondeurs de son propre parti, lui font manifestement peur. La multiplication des « il faut que nous puissions… il faut que nous puissions… » dans son discours d’hier montre combien il pose de préalables, conscients et inconscients, à toute action.

Cette « gêne » des politiciens, particulièrement français, tient à ce qu’ils récusent « l’identité » nationale au profit d’un universalisme aussi vague que creux. Et lorsque les politiciens ne savent plus ce que signifie « être français » (sinon résider en France, d’après certains bobos de gauche…), le peuple de France ne veut pas voir « diluer » sa manière de vivre et ses mœurs dans un melting pot sans but ni queue, ni tête. Les Français sont accueillants à la misère du monde (voyez toutes les associations d’aide aux migrants) ; ils refusent cependant qu’on leur impose (par lâcheté) d’accepter que les miséreux viennent imposer leur foi et leurs façons. cela se comprend. La France, comme l’Europe, ne peut être accueillante aux menacés pour leur vie QUE si elle est sûre d’elle-même, de ses valeurs et de sa civilisation. Pour cela, il lui faut un espace, délimité par des frontières, et une charte du « vivre ensemble » commune à laquelle tous les postulants à s’installer soient soumis. C’est le rôle du politique que de définir le territoire, les règles, et de les faire respecter : où sont donc ces pleutres au moment où les enfants se noient à leurs portes ? Ne rien faire est pire que décider car, au moins, le peuple sent qu’il a des décideurs et pas des couards à sa tête.

Les enfants devraient être heureux de vivre (voir ci-dessus), pas mourir pour rien (voir ci-dessous).

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Plus généralement, dans un monde qui se globalise et qui devient plus dangereux, les petites nations fermées sur elles-mêmes sont amenées à disparaître. Je crois en l’Union européenne qui harmonise le droit et fait discuter entre eux les pays voisins, comme en la Banque centrale européenne qui assure la liquidité au grand ensemble monétaire, tout en surveillant les risques financiers du système international. Même si l’affaire grecque a été mal gérée, revenir au « franc » et aux petites querelles d’ego entre politiciens avides de dépenser sans compter pour leurs clientèles me paraît dépassé. Ce serait une régression, un renferment sur soi, avec barrières protectionnistes et montée de haine pour tous les hors frontières (pour ceux qui étaient là, rappelez-vous les années 50…)

Mais en contrepartie, la tentation des fonctionnaires européens de niveler les cultures au profit d’un politiquement correct neutre, où la diversité des projets politiques et la diversité des approches paralyse la décision, me paraît tout aussi une impasse. Les palinodies du Conseil européen sur l’accueil des migrants en est un exemple, le faux « débat » sur la Grèce également : si les Grecs veulent rester dans l’euro, ils doivent obéir aux règles définies en commun et acceptées précédemment par leurs gouvernements ; s’ils veulent sortir, ils le votent et l’on aménage leur repli. Un peu de clarté serait nécessaire aux citoyens.

La convergence du droit est utile à l’Europe, la convergence des cultures non. C’est la diversité qui fait la concurrence économique (selon les règles pour le bien-être des citoyens), et la diversité encore qui fait l’originalité culturelle du continent. Les exemples de la Chine et de la Russie, unifiées sous un empire centralisateur, montrent que le progrès humain avance mieux dans les ensembles de liberté que dans les ensembles autoritaires en termes de curiosité scientifique, de création culturelle, d’innovations techniques, d’entreprises. La Cour européenne des droits de l’homme et sa définition neutre, par exemple, de « la religion » montre combien ses jugements peuvent être biaisés, incompréhensibles et inefficaces. Car le neutre nie le particulier. Qu’y a-t-il de commun entre le christianisme, dont le modèle est le Christ pacifique tendant l’autre joue et rendant à César son dû, et l’islam, dont le modèle est le croyant guerrier qui veut convertir la terre entière à la loi unique (charia) et se bat même contre ses propres démons (djihad) ? Regarder chaque religion en face, c’est reconnaître en l’autre sa différence, donc le respecter – tout en pointant bien les règles communes que tous les citoyens en Europe doivent eux aussi respecter, comme partout ailleurs.

La France est paralysée parce qu’elle a abandonné beaucoup à l’Europe, mais l’Europe est paralysée parce que nul politicien national ne veut se mettre dans la peau d’un citoyen européen. Parce qu’il n’existe qu’en creux : vous ne comprenez ce qu’est « être européen » qu’uniquement lorsque vous allez vivre ailleurs qu’en Europe…

L’Union européenne doit avoir des frontières sûres et reconnues : à l’est, au sud (le nord étant pour les ours et l’ouest pour les requins). Le flou entretenu sur les frontières au nom de l’intégration sans limites est dommageable pour l’identité de civilisation européenne (identité qui n’est en rien une « essence » figée, mais qui évolue à son rythme et par la volonté de ses membres – pas sous la contrainte extérieure). D’où les partis nationalistes qui ressurgissent ça et là, un peu partout, et qui montent en France même.

Car la France socialiste a peine à incarner une identité nationale dans cet ensemble flou européen. L’universalisme, la mission civilisatrice, la culture littéraire existent ; mais c’est une identité du passé. Que dire d’universaliste aujourd’hui, sinon des banalités de bonnes intentions jamais suivies d’effets concrets, ou avouer une soumission plus ou moins forte aux empires alentours (l’argent américain ou qatari, la brutalité russe, la croyance islamiste) ? L’Éducation « nationale » veut délaisser l’histoire « nationale » pour en souligner dès le collège ses péchés (esclavage, colonialisme, collaboration, capitalisme) – sans présenter de modèles positifs auxquels s’identifier, à cet âge de quête. L’histoire est-elle notre avenir ? Si François Hollande l’affirme du bout des lèvres, dans un discours convenu en juin au Panthéon écrit probablement par un technocrate, ce n’est qu’un mot creux comme le socialisme sorti de l’ENA en produit à la chaîne. Dans le concret, ce « mouvement » qu’il appelle semble sans but. Consiste-t-il à s’adapter au plus fort dans le monde – comme le montre la loi sur le Renseignement ? Où au vent de la mode chère aux bobos qui forment le fond électoral du PS, prônant une vague multiculture furieusement teintée américaine ?

France Vidal de la Blache

L’écart est moins désormais entre la gauche et la droite qu’entre les nomades globalisés hors sol et les sédentaires solidaires nationaux. Reste, au milieu, l’Europe – mais elle ne fait pas rêver, trop tiraillée, trop honteuse, sans objectif clair.

Les grandes idées en soi sont des moulins à vent. Il ne s’agit pas de céder la morale au cynisme des intérêts, mais d’élaborer une morale pratique. Entre deux légitimités, la politique doit adapter les moyens possibles. Il faut désormais sauvegarder la sociabilité au détriment de l’hospitalité car, comme le disait Michel Rocard, nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde – même si nous devons en prendre notre part. Les conditions d’un bon accueil est de préserver la cohérence de la société. Ce qui exige le rejet de ceux qui refusent de suivre les règles, qu’elles soient de mœurs, économiques ou religieuses. Pour qu’il y ait vie commune, il faut le désirer ; qui n’en a pas envie n’a pas sa place – ce qui est valable aussi bien pour la Grèce que pour l’islam salafiste.

A l’époque où la modernité agite non seulement la France et l’Europe, mais plus encore les grandes masses aux frontières que sont la Russie et les pays musulmans, la « république moderne » chère à Hollande (reprise à Brossolette et Mendès-France) reste à construire. Lui n’a pas même commencé. Au lieu de mots creux et des yakas de tribune, établir des frontières distinctes pour dire qui est citoyen et quels sont des droits, quels sont ceux qui sont accueillis au titre du droit d’asile, faire respecter la loi sans faiblesse contre les autres, les hors-la-loi (salafistes, UberPop) ou les non-citoyens illégaux (imams interdits de territoires et qui sont revenus prêcher dans les mosquées – comme l’avoue Nathalie Goulard, député). Les repères d’identité française dont parle Patrick Weill dans son récent livre – égalité, langue, mémoire, laïcité par le droit – doivent être appris, compris et acceptés par tous ceux qui aspirent à vivre en France. L’assimilation, dit Patrick Weill, est le fait d’être traité de façon similaire. L’égalité en droits n’est possible que s’il existe un consensus minimum sur cette culture du droit.

L’éternelle « synthèse » du personnage actuellement à la tête de l’État comme s’il était à la tête d’un parti est non seulement fadasse, mais inefficace : elle entretient l’insécurité sociale, culturelle et militaire.

Il n’y a pas d’égalité sans frontières définies : qui est citoyen ou accueilli, avec quels droits, sur quel territoire.

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Hollande est-il dans l’impasse ?

Pas facile de gouverner, surtout lorsqu’on a été élu sur un malentendu (contre l’histrionisme de Sarkozy) et que l’on est issu d’un parti sectaire, tétanisé par le pouvoir. Il y avait déjà peu d’idées avant, il n’y a plus aujourd’hui aucune idée au parti socialiste : le désir s’est éteint avec l’orgasme. L’agence de notation financière Standard & Poors vient de dégrader la note de la France à double A « seulement ». Piaillements dans le volailler politique !

Le Figaro voit se confirmer que la France suffoque sous le poids de sa fiscalité, tandis que le gouvernement se montre incapable d’engager une réduction des dépenses publiques. On parle de blocage, toute marge de manœuvre coincée entre impôts et chômage, les deux au maximum du supportable. Jean-François Copé dénonce, c’est de bonne guerre, un « déni ahurissant » du gouvernement. On pointe ailleurs, avec plus de raison, qu’à Marseille et en Bretagne le gouvernement sort le chéquier pour étouffer le mécontentement « au profit de ceux qui se sont montrés les plus bruyants, voire les plus violents » (L’Alsace). Les impôts rentrent moins et les dépenses continuent de filer.

Pour le gouvernement Hollande, la cure est la seule politique possible, réduire le déficit est la seule façon de récupérer des marges entre taux d’emprunts d’ État raisonnables et cohésion sociale. Nous le croyons volontiers – sauf que c’est l’exacte politique menée par le gouvernement Sarkozy en 2011 – qui fut pourtant dénoncée en son temps par Hollande : ignorance de la crise ou mauvaise foi politicienne ? Paul Krugman (prix d’économie 2008 en l’honneur d’Alfred Nobel) célèbre cette version optimiste en trois notes sur son blog : « Je maintiens mon appréciation : S & P n’a pas vraiment évalué le risque de défaut Français, il tape les Français sur les doigts pour ne pas s’être suffisamment engagés à démanteler l’État-providence. » La seule concession de Hollande aux grognements a été de reculer l’échéance de deux ans (et probablement plus). L’erreur du président a probablement été de croire au retour imminent de « la croissance » comme si de rien n’était, avec une inversion assez rapide de la courbe du chômage. Il pensait 2.5% en 2013 et pas 0.2%…

Les ministres ont attaqué le thermomètre, les agences de notation, dont ils dépendent pourtant à cause de l’endettement qu’ils poursuivent. Arnaud Montebourg a, comme d’habitude, jeté « n’importe quoi pourvu que ça mousse » en déclarant tout simplement « n’accorder absolument aucun crédit à ces agences de notation ». Il prouve donc, si la langue française a encore un sens, que la note triple A français ne valait rien auparavant. Donc que les marchés sont bien bêtes de prêter à l’État français à des taux aussi ridiculement bas. L’inverse même de ce que montre Paul Krugman… mais on ne peut pas demander à une grande gueule et néanmoins ministre de connaître quoi que ce soit à l’économie, quand même ! On est en France, pas ailleurs, la politique doit toujours avoir raison, même contre la réalité. Les socialistes ont évidemment recours à la bonne vieille ficelle usée de « la faute à Sarkozy ». Lorsque la violente récession 2009 est survenue, qu’auraient-ils faits, eux, sinon de laisser filer pareillement le déficit ?

Marine Le Pen accuse l’Europe, comme la gauche bobo férue d’économisme (célafôta l’euro, célafôta la concurrence exigée par Bruxelles, célafôta Merkel, célafôta l’Allemagne). Jean-Luc Mélenchon accuse globalement « la finance » (moins il dit ce que c’est concrètement, mieux le complot fonctionne). En bref, c’est la faute à tout le monde (le thermomètre, les concurrents, les partenaires, les institutions, l’argent…) – mais ce ne saurait être la faute ni du socialisme (qui a toujours raison – mais toujours demain), ni des politiques concrètement menées depuis mai 2012 : désigner à la vindicte publique les gagneurs, décourager les innovateurs, insulter les repreneurs, taxer toute production, faire rentrer les impôts où est l’argent – sur les classes moyennes beaucoup et sur les riches très peu – car il y a très peu de riches, Thomas Piketty, pourtant gourou de la gauche bobo férue d’économisme l’avait dit et redit. Même les hochets (retardés) offerts aux entreprises, sont des usines à gaz compliquées et paperassières comme le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi avec son crédit d’impôt différé, et restent soumises au bon vouloir sourcilleux de l’Administration.

Patrick Artus, économiste de gauche rationnel et directeur de la recherche de Natixis, estime que l’agence de notation a eu raison de dégrader la note de la France. Car « compte tenu des perspectives démographiques, du système de retraite et des problèmes de compétitivité, nous ne voyons pas comment nous pourrions dépasser un taux de 1 % » de croissance dans les années à venir. « Plus grave, le déficit structurel de la France est beaucoup plus élevé qu’on le dit, car la crise nous a fait perdre des points de croissance potentielle, -6% dans l’industrie et -8 % dans la construction. » Pour respecter 3,5 % du PIB en déficit budgétaire, « contrairement à ce que dit le gouvernement, l’essentiel de l’effort est devant nous et pas derrière. Il faudra encore augmenter les impôts ou diminuer vraiment les dépenses. » Source ici.

indicateur avance croissance t4 2013 natixis

Alors, que faire ?

Maintenir les impôts, peut-on faire autrement ? mais ne plus les modifier tout le temps ni les augmenter globalement car trop c’est trop. C’est moins le niveau de prélèvement qui compte, que la tendance au toujours plus et à la remise en cause de ce qui existe : pas une semaine qui ne passe sans l’annonce à grand son de trompe (à destination de la seule gauche de la gauche ?) que l’on va taxer et encore taxer, et rétroactivement, rompant le contrat de confiance de l’épargne – dont les entreprises, l’assurance dépendance et les retraites ont pourtant tant besoin ! Le petit peuple se révolte, par texto et sans les syndicats, en « démontant » à la Bové (c’est-à-dire en détruisant) les bornes écotaxe et même les radars, sans parler – pour l’instant – des sous-préfectures. Cet écotaxe était pourtant rationnelle, acceptée aussi bien par la droite que la gauche en son temps – mais seulement par les « représentants » et par les élites. La province et les besogneux en ont assez des bobos écolos et de leur prédation justifiée par un discours hystérique sur le climat, la santé, la catastrophe planétaire. Les écolos français sont loin des écolos allemands – et là aussi, comme en économie, la comparaison est cruelle pour la France. Le seul impôt qu’il est encore possible d’augmenter sans mettre les gens dans la rue, est la TVA « normale » : le Danemark est bien à 25%. Ce serait taxer les importations aussi bien que la production nationale, donc pas si bête ; ce serait laisser à chacun le choix d’acheter des produits chers ou de consommer plus frugalement, puisque ne paye la taxe que qui achète. Mais c’est un tabou à gauche !

Réduire les dépenses publiques, mais c’est là que le bât blesse. Il touche en effet toute cette clientèle captive des élus locaux, des strates administratives, des fonctionnaires d’État et territoriaux, des syndicats et mutuelles qui vivent très bien de la prébende d’État et des monopoles de faits de la représentation, qui profitent des subsides publics de la prévention et de la formation permanente. Pas moins de six niveaux entre la commune et l’Europe : donc six administrations, six producteurs de règles et de paperasses, six délais de décision et d’arbitraire. Réduire la dépense des ministères est déjà largement engagé, on ne peut guère faire plus – sauf à réviser le maquis touffu des lois et réglementations, qui pourraient être simplifiés – et laisser plus l’armée dans les casernes au lieu de la faire intervenir au Mali, voire en Syrie : si l’on veut une politique internationale, il faut en garder les moyens. Réduire la dépense locale est possible à la marge, notamment en embauchant moins de fonctionnaires à vie, mais les collectivités ne peuvent être en déficit de par la loi (fort heureusement !), il y a donc peu de gains à tirer. Le budget de la Sécurité sociale, qui comprend trois branches, maladie, vieillesse, famille, est politiquement sensible mais peut être contenu.

Restent surtout ces réformes ambitieuses promises par le candidat, dont on ne voit toujours pas pointer le bout de la queue : la « Grande réforme fiscale » (qui permettrait de faire payer effectivement ceux qui ont beaucoup et moins ceux qui ont peu), la « Grande réforme des retraites » (à points pour tout le monde, mais au détriment des régimes « spéciaux » privilégiés), la réforme des collectivités territoriales (enterrée pour cause d’élections municipales en 2014 ?), le « choc de compétitivité » (qui ne choque personne tant il est timoré), la mise à plat des aides à l’emploi et à la formation des chômeurs (dont les syndicats ni les patrons ne veulent pas – les premiers parce qu’ils seraient privés de la manne financière de la formation professionnelle qu’ils trustent, les seconds parce qu’ils profitent des effets d’aubaines des embauches de jaunes ou de maintien en emploi des seniors, sans que cela n’influe sur leur politique d’embauche).

L’économie sociale et solidaire, c’est bien, mais ce n’est pas elle qui embauchera de gros bataillons de travailleurs. Le contrat emploi-jeunes permet de faire sortir plusieurs centaines de milliers de mal formés mal éduqués et non vendables des statistiques de Pôle emploi, mais ne leur donnera aucune qualification d’avenir – et fera tache sur leur CV s’ils veulent entrer en entreprise. Je ne suis pas le seul à regretter l’abandon – en rase campagne – de quasiment toutes les promesses raisonnables du candidat. Ne subsistent que les « marqueurs de gauche », dont près des deux-tiers des Français se foutent, selon les sondages, car ils n’ont pas votés POUR la gauche mais CONTRE Sarkozy : mariage gai, imposition à 75%, suppression des peines plancher, retour d’une illégale expulsée, condamnation des clients qui vont aux putes, et autres créations de salles de shoot.

Le président aurait du être aidé par un parti qui se pique de penser, le seul désir en tête, aiguillonné par une majorité parlementaire tant à l’Assemblée qu’au Sénat – mais il n’en est rien. Rien de rien ! Lui-même, Hollande, que fait-il pour relancer l’initiative ? Cet état zéro de la politique, ajouté à l’incessant changement fiscal plus agité que Sarkozy lui-même, désespère l’électorat qui paye toujours plus sans que rien ne change au fond. Dommage que l’opposition soit si indigente, entre un Copé sans idée et un Fillon velléitaire, sans aucune alternative à un improbable retour d’un Sarkozy que tous admirent mais dont aucun ne veut plus.

Peut-on pronostiquer un envol du Front national et de l’Alternative centriste aux prochaines élections européennes ? Un net recul socialiste et écologiste aux municipales de 2014 ? L’heure est sans aucun doute au « sortez les sortants ! »

Sur une idée de Daniel, je publie ci-après la traduction de la troisième des notes publiées par Paul Krugman sur son blog, après le temps de la réflexion (la première, citée plus haut, était à chaud) : Blog qu’il intitule « La conscience d’un libéral » sur http://krugman.blogs.nytimes.com/
9 novembre 2013, 12:43 « Plus de notes sur le France-Bashing »

Tout d’abord: la France a des problèmes. Le chômage est élevé, en particulier parmi les jeunes, de nombreuses petites entreprises luttent, la population est vieillissante (mais pas autant que dans de nombreux autres pays, l’Allemagne plus que les autres y compris.)

Par n’importe par quel bout je la prenne, la France ne semble pas être trop mal par rapport aux normes européennes. Le PIB a récupéré à peu près son niveau d’avant-crise, le déficit budgétaire est assez faible et la dette à moyen terme n’est pas du tout effrayante, les projections budgétaires à long terme sont en fait assez correctes par rapport aux voisins grâce à un taux de natalité plus élevé.

Pourtant, le pays fait l’objet de commentaires injurieux, plus qu’ailleurs. Par exemple The Economist, il y a un an, qui déclare que la France est « La bombe à retardement au cœur de l’Europe». Ou CNN déclarant que la France est en «chute libre».

Ce billet CNN donne effectivement quelques arguments. Il fait valoir que la France est confrontée à un « béant écart de compétitivité » en raison de la hausse des coûts de main-d’œuvre. Hmm. Mais voilà ce que j’observe des chiffres de la Commission européenne comparant la France à la zone euro dans son ensemble : (graphique coûts unitaire du travail 1999-2013, France comparée à zone euro)

Il y a un peu de détérioration, je suppose – mais c’est plus un flottement qu’une chute.

CNN déclare également, « le déclin de la France est mieux illustré par la détérioration rapide de son commerce extérieur. En 1999, la France a vendu environ 7% des exportations mondiales. Aujourd’hui, le chiffre est un peu plus de 3%, baissant rapidement. »

Hmm. Il se trouve que presque tous les pays avancés, les États-Unis évidemment compris, ont une part décroissante des exportations mondiales (l’Allemagne est une exception); le document de recherche de la Fed de New York note que cette baisse est plus ou moins en ligne avec la baisse de la part des économies avancées dans le PIB mondial due à l’essor des nations émergentes, et il décrit la France comme plus ou moins dans les clous.

Encore une fois, il ne s’agit pas de dire que la France est sans problème, la question est pourquoi cette nation modérément agitée attire la dégradation des notes et une rhétorique aussi apocalyptique.

Et la réponse est évidemment politique. Le péché de la France n’est pas un endettement excessif, en particulier la faible croissance, la productivité moche (elle a plus ou moins suivi l’Allemagne depuis 2000), la faible croissance de l’emploi (idem), ou quelque chose comme ça. Son péché est celui d’équilibrer son budget en augmentant les impôts au lieu de sabrer les avantages. Il n’y a aucune preuve qu’il s’agit d’une politique désastreuse – et, en fait, les marchés obligataires ne semblent pas concernés – mais qui a besoin de preuves ? »

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