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Sophie Chauveau, Manet, le secret

sophie chauveau manet le secret

« Manet représente la plus grande révolution artistique de l’histoire de l’art », n’hésite pas à écrire l’auteur p.486, qui est tombée amoureuse de son modèle. Non de l’homme, mais du peintre ; non de sa peinture, mais du bouleversement qu’elle engendre. Elle enlève cette biographie au galop, comme elle sait le faire, passant sans vergogne sur les doutes et les interrogations des biographes à propos de cet homme si « secret ». Le livre se lit très bien et l’on y apprend une foule de choses sur l’époque. Manet est né en 1832 et mort en 1883, ce qui lui fait connaître la révolution de 1848, le coup d’État de Napoléon-le-Petit et l’étouffement de l’empire, la défaite humiliante face à la Prusse, les ravages de la Commune et la réaction bourgeoise qui aboutira, des années plus tard, à la République. Dommage cependant que cette fameuse révolution picturale, répétée à longueur de chapitres, soit si peu expliquée…

Édouard Manet est l’aîné d’une fratrie de trois, dans un ménage de fonctionnaire bourgeois rigide et conventionnel. Il essuie les plâtres avec son père et se rebelle très tôt, vers 12 ans, jusqu’à refuser l’école et de faire son droit – comme il était de bon ton à l’époque. C’est tout juste si, soutenu par sa mère et par son oncle, il obtient de s’engager comme apprenti marin pour le concours de Navale.

edouard manet evasion de rochefort 1881

Ce pourquoi toujours il chérira la mer et peindra les nuances de flots en expert (comme Le combat du Kearsage ou L’évasion de Rochefort). Il embarque donc à 16 ans comme pilotin et va jusqu’au Brésil. Il y connait les filles libérées et son sexe explose en elles. Il en est ébloui, illuminé, et ne sera plus jamais pareil face au puritanisme étriqué de sa miteuse classe sociale à Paris.

edouard manet le combat du kearsarge et de l alabama 1864

Dommage cependant qu’il en ramène – nous suggère la biographe – une syphilis carabinée (déguisée tout d’abord en morsure de serpent et plus tard en tabès) dont il finira par mourir à 51 ans. Exactement comme son père.

edouard manet le dejeuner sur herbe 1863

Rebelle aux écoles, aux conventions et aux études – mais très bien élevé et courtois -, il est en revanche très attentif aux relations humaines. Son oncle maternel, ancien officier royaliste, le prend sous son aile et l’emmène petit visiter le Louvre et voir la peinture ; sa mère invite, lorsqu’il est adolescent, une jeune Hollandaise à venir donner des cours de piano. La belle joue divinement et les frères Manet sont tous sous le charme. C’est Édouard qui va s’enhardir le premier et coucher avec elle jusqu’à lui faire un enfant. Pour Sophie Chauveau il n’y a aucun doute, Léon est bien son fils ; pour d’autres biographes, rien n’est sûr.

edouard manet enfant au chien 1862

Quoiqu’il en soit, Édouard Manet va s’attacher à l’enfant, tout comme son frère (dont on dit qu’il pourrait aussi être le fils), et va le peindre aux divers âges de sa vie. Avec un chevreau, aux cerises, à la pipe, en fifre, en lecture, au déjeuner à l’atelier, au chien (l’enfant triste reporte toute son affection sur la bête). Léon, falot et allergique lui aussi aux écoles, restera fidèle toute sa vie à son « parrain » Édouard. Mais être fils de son parrain (à supposer qu’il l’eût su) ne devait pas être drôle tous les jours dans la société corsetée et victorienne de la France du Second empire, puis des débuts de la IIIe République ! Car Édouard Manet épouse la domestique pianiste Suzanne… mais ne reconnait pas l’enfant qu’elle a (en est-il vraiment le père ?).

edouard manet la peche 1863

Le seul tableau où Léon apparaît avec ses deux parents, Suzanne et Édouard, est dans La pêche en 1863 ; encore est-il représenté centré sur lui-même et son chien, de l’autre côté de l’anse où le pêcheur lance ses lignes… Est-ce pour cela qu’Édouard assure par testament à Léon une certaine part de sa fortune au moment de mourir ?

edouard manet olympia 1863

La bourgeoisie triomphante, repue et contente d’elle-même, impose ses goûts (de chiotte), sa morale (puritaine), sa politique (conservatrice) et ses débauches masculines (théâtres, cocottes, folies-bergères et putes entretenues) – vraiment du beau monde. L’académisme en peinture montre combien le fonctionnariat et la bien-pensance peuvent tomber dans le pompier convenu et ignorer toute nouveauté. Édouard Manet est « refusé » plusieurs fois au Salon annuel. En 1863, son Olympia est un scandale national : pensez ! le portrait d’une pute à poil qui se touche la touffe, assistée d’une négresse (réputée « chaude ») et d’un chat noir (réputé diabolique et sorcier sexuel) ! D’autant que la lumière vient derrière celui qui regarde le tableau et que le spectateur se sent assimilé à un voyeur… Toute la cochonnerie est donc dans son regard – et cette ironie passe mal chez les contents d’eux. (Ce n’est pas différent sur la Toile aujourd’hui avec le puritanisme yankee et catho sur les « torses nus »).

edouard manet blonde aux seins nus 1875

« Manet comprend enfin que ce qui offusque les bourgeois, c’est leur propre abjection, leurs sales façons d’acheter et de traiter les femmes. Lui ? Il les traite si bien » p.452. Il peint toutes les femmes qu’il aime, et il aimera souvent ses modèles jusqu’à coucher avec elles tant il se pénètre d’elles en pénétrant en elles. Berthe Morisot, camarade en peinture, sera le second amour de sa vie (elle épousera son frère).

edouard manet berthe morisot au bouquet de violettes 1872

Bien que demi-mondaine, La blonde aux seins nus se révèle dans sa féminité. Rien de pire que les nouveaux riches ou les nouveaux puissants, hier comme aujourd’hui : ils se font plus royalistes que le roi, sont plus imbus que lui de leurs privilèges, plus rigoristes sur la Morale (en public) et bien pires en privé avec tout ce que l’argent et le pouvoir peuvent acheter… Le bar aux Folies-Bergères peint cet érotisme torride sous la fête et l’alcool.

edouard manet le bar aux folies bergeres 1882

Manet peint la réalité et celle-ci est insupportable à ceux qui se croient. Tout doit être rose, « idéal », montrer le paradis rêvé et non pas la sordide vérité telle qu’elle est. Le déjeuner sur l’herbe, peint à 30 ans la même année que l’Olympia, est un pied de nez à ces prudes qui déshabillent une femme des yeux sans oser jamais le leur demander en vrai. Quitte à peindre une fille nue, autant la parer du titre de « vénus » et la poser en décor mythologique – ça fera cultivé et ravira la bête bourgeoisie qui se pique de littérature sans avoir lu grand-chose. Même une « simple » botte d’asperge fait réclame : est-ce de la « grande » peinture ?

edouard manet botte d asperges 1880

Dommage que Sophie Chauveau ne mentionne pas une seule fois la photographie en train de naître, qui oblige les peintres à inventer du neuf. Édouard Manet ne s’est jamais voulu « impressionniste », même s’il a frayé la voie au mouvement où il comptait nombre d’amis. Mais à lire Sophie Chauveau, le lecteur peut croire que la seule « lutte des classes » a créé tous les ennuis et les rebuffades du peintre. Même si Zola n’est pas sa tasse de thé, criard, gueulard, ignare en peinture, adorant se faire mousser, très près de ses sous – et pas reconnaissant le moins du monde. En 1889, « tous ses amis, Monet en tête, souscrivent généreusement pour faire entrer l’Olympia au Louvre, seul Zola refuse de donner un sou. Rapiat, renégat, ou manque de goût et de cœur ? » p.474.

edouard manet stephane mallarme 1876

Heureusement, Manet n’a jamais manqué d’amis. D’Antonin Proust, ami d’enfance, à Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Nadar, Offenbach, et tous les peintres de la nouvelle école : Degas, Pissarro, Monet, Renoir, Sisley, Berthe Morisot, Caillebotte, Fantin-Latour…

Un bon livre, insuffisant pour connaître le peintre Manet (il manque notamment une liste chronologique des peintures citées), mais qui donne envie d’aller (re)voir sa peinture !

Sophie Chauveau, Manet, le secret, 2014, Folio 2016, 491 pages, €8.20

Les livres de Sophie Chauveau chroniqués sur ce blog

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Commana

L’auge de sainte Anne a donné son nom à cette commune du haut Léon. Selon la légende, la construction de l’église vers 1350 a eu du mal (« sortilège », croyait-on) ; laissant faire les bœufs du chariot de pierres pour les fondations, l’attelage s’est arrêté au sommet du mamelon à l’arrondi féminin. Une fois le trou creusé, une auge de pierre contenait la statue d’une femme avec enfant – Vénus probable aussitôt attribuée à sainte Anne. D’où Com-Anna, l’auge d’Anne (ou la vallée d’Anne pour les laïcs, cum signifiant vallée et komm auge)… les scientifiques penchent même pour la linguistique, coummanha voulant dire donner une terre en fief !

eglise commana

Le clocher pointu de l’église Saint-Derrien, daté de 1592, se dresse à 57 m. Il appelait à la messe 2664 habitants en 1793, 3976 en 1846, 1108 aujourd’hui, dont beaucoup athées ou agnostiques.

calvaire eglise commana

L’un des calvaires date de 1742.

choeur eglise commana

L’église elle-même date de 1645 et l’enclos paroissial de 1592. La nef a cinq travées a les bas-côtés aussi larges que la nef centrale.

retable ste anne eglise commana

Le retable de Sainte-Anne est l’un des plus travaillés de Bretagne, tout en or et couleurs baroques sur bois. Datant de 1682, il mesure 6.2 m de large et 8 m de haut. Il a été financé par les bénéfices de l’industrie de la toile de lin, florissante depuis le 16ème siècle grâce à l’humidité qui évite au fil tendu sur le métier de casser. Sans parler des foires et marchés, célèbres dans la région, dont la dernière eut lieu en 1968. La Vierge et sainte Anne regardent l’enfant Jésus. Les niches contiennent les saints Joseph et Joachim.

charite et esperance commana

Le baptistère est flanqué de statues féminines comme la Charité et l’Espérance.

ange eglise commana

Un ange d’autel, rose et décolleté comme un adolescent, incite les fidèles à aimer leurs semblables.

retable des 5 plaies christ et st sebastien commana

Le retable des cinq plaies, de 1852, montre le Christ et Sébastien, tous deux tourmentés de percements. Pour le Christ, deux anges couronnés tiennent les épines et les clous.

porche eglise commana

Le porche d’entrée est riant.

sculptures porche commana

Bien que les sculptures du granit qui l’ornent soient diverses, vent ou souffle…

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Pointe de Saint-Mathieu

Gardant la rade de Brest au nord, la pointe de Saint-Mathieu s’avance comme un cap, un pic, que dis-je, une péninsule ! C’est un haut lieu (30 m) vénéré depuis les temps anciens car face au grand large, offrant une vue imprenable sur le soleil sombrant directement chaque soir dans la mer. Deux menhirs (évidemment dénoncés, déformés et christianisés) se dressent près de l’émetteur de Radio-Conquet (fermé en 2000), bâtiment dévolu depuis au Parc naturel marin d’Iroise.

pointe st mathieu

Le phare de Saint-Mathieu est célèbre parmi les marins quittant Brest ou remontant le couloir dangereux entre Sein, Ouessant et la côte pour rallier l’Angleterre. Son éclat blanc chaque 15 secondes porte à 29 milles. Bâti en 1835, devenu Monument historique, il est électrifié en 1937, automatisé en 1996 et sans gardien depuis 2006.

pointe st mathieu phare

Saint Tanguy, frère abusif qui décapité sa sœur (et pour cela sanctifié) fonda un monastère sur cette pointe en son siècle, le VIe. Ladite sœur Aude fut accusée par sa marâtre d’avoir fauté. Tanguy, apprenant la vérité, fit pénitence de son aveuglement face au large semé de Pierres noires, avant-goût des écueils pour atteindre l’infini dans l’au-delà. Le chœur de l’église en ruines ne date que du XIIIe.

pointe st mathieu abbaye

Mais le nom de la pointe fait référence à Maze, Mathieu en breton. La légende veut que des marins locaux aient rapporté par commerce le corps de saint Mathieu depuis l’Égypte ou l’Éthiopie (la géographie n’est guère fixée dans la légende). Une tempête, fréquente en ces lieux, les firent invoquer l’intercession du premier Évangéliste… et voici que le roc se fendit, protégeant les vaisseaux. Ils inhumèrent leur sauveur dans l’abbaye bâtie au-dessus. Des pirates sont venus plus tard l’enlever pour l’emporter jusqu’en Italie C’est lors des croisades que le vicomte Henri 1er de Léon aurait rapporté la seule tête du saint évangéliste retrouvé, pour la confier aux environs de 1206 aux moines. Quand on sait les cimetières entiers de « crânes de saint » et les forêts de « bois de la vraie Croix », on ne peut qu’être sceptique et se dire que c’est la foi qui sauve.

pointe st mathieu canons

Même la République laïque et anticléricale respecte ce lieu d’élévation où l’air vous saisit autant que la lumière. Un monument aux marins morts durant la Première guerre mondiale a été élevé par Quillivic, sexe massif érigé vers le ciel et qui répond aux sexes d’acier des canons rouillés que les jeunes garçons adorent tripoter ou monter pour jouer aux mâles. Trois gamins métis de 8 à 11 ans s’y livraient avec délices quand nous passâmes, en une bacchanale que leur mère impuissante s’efforçait de calmer on ne sait pourquoi. N’est-ce pas le temps des vacances ?

pointe st mathieu large

Mais la patronne de la chapelle (restaurée en 1861) reste Notre-Dame de Grâce, puissance supérieure au saint apôtre en tant que Mère de Dieu. Son pardon (en procession) a lieu le premier dimanche de septembre, jour dit-on où la Vierge naquit.

pointe st mathieu sud

Les biens du clergé deviennent biens nationaux à la Révolution et, en 1796, les bâtiments du monastère sont vendus pour servir de carrière. Un mur du dortoir subsiste, donnant la mesure de la quiétude des Bénédictins en ce lieu : face au couchant, une banquette de pierre sous chaque fenêtre permettait de méditer sur l’infini marin, analogie terrestre de l’infini divin.

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Son et lumière à Kergroadez

A 15 km au nord de Brest, sur ses terres du bas-Léon, François 1er marquis de Kergroadès décida en 1598 de faire bâtir un château. La demeure, de style « Renaissance bretonne » fur achevée en 1613. 2013 fête les quatre siècles des vieilles pierres, devenues Monument historique.

Kergroadez carte

Delphine et Franck Jaclin, propriétaires ayant fait fortune dans la communication, ont restauré l’ensemble depuis une douzaine d’années, faisant feu de tout bois : visites guidées, arboretum, animations toute l’année, concerts, ateliers enfants, hébergement en gîte et pour mariages, forfaits touristiques, vente de bois de chauffe, culture de légumes, salon de thé… Telle est la rançon de la démocratie pour se faire pardonner d’être propriétaire. En 1684, les commissaires de la réformation du domaine ont refusé le titre de château à la demeure et la Révolution l’a pillée avant de la transformer en hôpital militaire.

kergroadez 2 chateau

L’été 2013 voit le Tantad de Granite, association de bénévoles, organiser un son et lumière autour du château sur le thème de l’expédition Lapérouse, partie en 1785 et qui n’est jamais revenue, naufragée en 1788 à Vanikoro dans les îles Salomon.

kergroadez 1 costumes 18eme

Le rendez-vous permet d’organiser les centaines de visiteurs en attendant la nuit tombée (plus de 300 le soir où nous y fûmes). Six groupes sont plus maniables qu’une foule compacte entre les animations.

kergroadez 3 caleche devant chateau

Nous avons commencé par voir l’enrôlement d’un équipage pour les navires du Roy, allant du paysan mal dégrossi qui signe avec une croix au mousse d’à peine dix ans pris parmi les spectateurs, non sans une certaine appréhension du gamin ainsi désigné à la vue de tous.

kergroadez 4 embauche de matelot

Le théâtre d’ombre est une projection vidéo dans la nuit noire comme dans un four entre les arbres denses du parc, sur laquelle des acteurs miment l’embarquement des marchandises, des bêtes et des hommes.

kergroadez 5 herboriste

Le jardin de l’apothicaire met en scène les herboristes du bord, chargés de remplir leurs coffres de médecines et d’herbes. Les acteurs en costume, dont un jeune page noir facétieux, met de la gaieté dans la pose docte de Messieurs les médicastres.

kergroadez 6 page 12 ans

La cour intérieure du château réunit les officiers autour d’un grand banquet de départ. La poularde énorme, apportée par le maître queux plus apte à goûter le cidre qu’à diriger son équipe de mitronnes piaillardes, devra contenter une douzaine de personnes, dont le mathématicien Louis Monge.

kergroadez 8 marmitonnes

Engagé comme astronome, efféminé porté sur les étoiles et qui craint déjà le mal de mer, il sera débarqué pour cette raison à Ténériffe – et sera le seul survivant de l’expédition…

kergroadez 7 banquet la perouse

Un passage au lavoir pour écouter cancaner les lavandières en français et en breton, celles du village et celles du château, toutes la langue fort bien pendue. Le lieu se révèle une sorte de Facebook avant la lettre, où chacun se déballe, tout en observant sa voisine. Les « amis » se cliquent l’une l’autre en « publiant » à haute voix leurs nouvelles.

kergroadez 9 cancaner au lavoir

La façade sud du château donne le départ pour l’embarquement avec le défilé des calèches et des chevaux, ainsi que l’adieu final au public, passé minuit. La brume venue de la mer, qui tombe depuis une couple d’heures, ajoute à la magie de l’histoire.

C’était une belle soirée famille, les enfants ravis, les adultes éblouis. Il y avait même des bancs pour s’asseoir devant chaque animation. « Pour les seniors » ont dit les organisateurs – pour « les adultes », m’ont traduit les ados formatés au jargon éducation nationale. Un grand parking dans un champ, à l’extrémité de l’allée d’arbres centenaires conduisant au domaine, permettait à chacun de ne pas se sentir à l’étroit.

Château de Kergroadez

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Bien manger en Bretagne

La Bretagne a ses cochonneries, qui font les algues vertes. Mais aussi de bons produits, développés au fil du développement.

Pays pauvre longtemps voué au pain noir et à la bouillie d’avoine pour agrémenter la cueillette de coquillages et le fretin retour de pêche, la fin 19ème a vu se développer l’élevage et le tourisme, d’où le beurre, les galettes et les biscuits. Volailles, fruits et légumes sont venus compléter céréales et crustacés. Il suffit d’aller y voir pour goûter.

Sur la table bretonne, une soupière attend. Elle recèle un consommé de moules de la baie du Mont Saint-Michel tout simplement fait. Prenez moitié eau, moitié vin blanc de Muscadet. Faites-y cuire 20 mn les blancs de quatre poireaux très finement émincés, salez peu, poivrez bien. Faites par ailleurs ouvrir les moules à sec dans un faitout chauffé. Décoquillez, filtrez le jus rendu, ajoutez-le aux poireaux. Au dernier moment, pour ne pas les cuire élastiques, assemblez moules et soupe pour servir avec deux cuillers de crème. C’est court, facile et excellent !

Vous aurez pris au préalable un apéritif à votre goût. Le nôtre a consisté de cidre de Dol, mais vous pouvez aussi goûter au muscadet nantais, aux lisières de la Bretagne.

Suivra un poisson, dont la côte rocheuse regorge. Nous avons testé le bar de ligne de Roscoff grillé au four à peine paré d’huile et de Johnnies (les oignons roses, de Roscoff) mais bourré de fenouil sauvage récolté au bord du chemin (mettez les pluches verts du fenouil de supermarché si vous n’en trouvez pas). Pas plus de 15 mn par livre s’il est frais, à 180°. Vous pouvez aussi le passer au gros sel avec la main, sans en faire une croûte, il sera plus iodé.

Aliment de base des marins depuis le 17ème siècle, car bourré de vitamine C et se conservant bien, l’oignon rosé a été développé sur la côte, et Roscoff s’en est fait une spécialité. Les Johnnies sont ces jeunes garçons qui partaient en Angleterre vendre à pied leurs tresses rosées dès le début 19ème.

Nous avons cuisiné un autre jour du maquereau pêchés en baie de Morlaix aux échalotes, à la poêle, dans un peu de beurre. La cuisson est rapide et se voit à l’œil. Ajoutez-y quelques pommes fruits en dés, qui vont bien avec le fenouil en pluches et la chair du maquereau. Si les gosses sont routiniers (ils le sont souvent), n’hésitez pas à servir avec des pommes de terre sautées, elles vont bien aussi aux échalotes.

La volaille label rouge est élevée partout, mais celle de Redon est renommée. Des cuisses de poulet poêlées à la tomate de Plougastel et à l’ail rose sont un délice simple dont il ne faut pas se priver. Dorez les cuisses dans un peu de beurre avant d’ajouter les tomates en tranches avec l’ail et de laisser mijoter jusqu’à parfaite cuisson.

Vous pouvez agrémenter de légumes variés, carottes et pommes de terre de l’île de Batz cuites à l’eau et délicieuses avec du beurre salé, chou-fleur de Bretagne bien pommé ou artichauts du Léon qu’il vaut mieux cuire en cocotte minute 25 mn tant ils sont gros.

Salade locale, melon nantais et pâté de porc Hénaff vous permettront un en-cas rapide avant la plage.

Un repas crustacé sera parfois le bienvenu, mais il faut avoir le temps et aimer décortiquer les pattes des araignées de mer et des tourteaux. Ceux de Roscoff sont bien gras et réputés.

Les gamins adorent toucher les bêtes vivantes aux étals, mais sont réticents à les travailler de la pique et de la pince une fois dans l’assiette ! Le homard de Saint-Pol de Léon, plus cher, fera un repas pour deux.

Terminez par des fraises de Plougastel – où il existe un musée qui leur est consacré. La variété Mara des bois est singulièrement parfumée et n’exige pas de sucrer. Surtout à ne pas conserver au frigo ni à laisser tremper pour les laver ! Mangez-les avant l’orage, fréquent l’été quand il est chaud. Laissez les queues avant de les passer à l’eau et égouttez.

Innombrables sont les biscuits au beurre, sablé ou dentelle, qui vous donneront la touche sucrée finale avant le café (ou l’infusion de tisane sauvage pour les randonneurs).

Un soir, après le bain en eau à 16°, ou de retour d’une longue promenade dans la lande avec le vent, ou encore glacé de grains qui se succèdent, vous pourrez goûter le fameux kouign-amann. Attention : forte teneur en calories ! La recette se compose en effet de moitié pâte à pain et pour le reste, moitié sucre et moitié beurre salé. Quand la pâte est bien levée et le pâtissier expert, le dessert sortant du four fleure bon la tablée de chaumière. Mais toute variété industrielle est à bannir car le kouign-amann, signe d’aristocratie, ne supporte absolument pas la médiocrité.

Réjouissez-vous et mangez, vous vous en porterez bien.

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Lesneven et le musée du Léon

Lesneven, pour moi, est le fief médiéval de Galeran, le célèbre chevalier de Vivian Moore. Chrétien mais rationnel, Galeran de Lesneven ne se laisse pas posséder par les croyances au Malin et autres diableries : il enquête, il observe, il déduit. Et les malignités des hommes sont le plus souvent à dénoncer que les simagrées du Diable. Lesneven, entre Brest et la plage, est la capitale administrative, le centre géographique du pays Léon. Son peuplement est avéré depuis la haute antiquité, dès l’époque préhistorique, et même pré-sapiens. Les celtes Vénètes cèdent devant Jules César en 52 avant et le Léon devient un pagus de la Civitas des Osismes. On travaillait lors le fer, le verre et la terre.

C’est au 5ème siècle après que débarquent les Bretons depuis l’Angleterre et l’Irlande. Ils sont chassés par les Romains, les guerres tribales et la démographie et trouvent en Armorique presque déserte un lieu sauvage et marin comme ils les aiment. Avec eux ils importent le christianisme. Comme les indigènes sont tièdes, ils surnomment le pays « pagan », qui signifie païen, tout en faisant référence au district romain. Des moines fondent des abbayes et des ermitages, dont saint Ronan, que figure une statue du 15ème siècle au musée de la ville. Ils sculptent les menhirs de croix chrétiennes et s’installent à l’écart des terres cultivées, sur les îles comme Enez Vraz ou dans les dunes, comme Keremma.

Arrivent les Vikings, souples et rusés, qui razzient en un éclair et pillent à qui mieux mieux les trésors religieux, quand ils ne violent pas nonnettes ou moinillons à l’occasion. Ils sont grands, blonds, forts et rabelaisiens, mais ils savent se battre et aimer ce qui est bon, comment vivre content. C’est un chef breton, Even, qui les vaincra à Rusneven en 937, comme quoi l’imaginaire de moine a délibérément grossi ses terreurs de scribe enjuponné. Il suffisait d’être sûr de soi et de saisir ses armes, plutôt que de crier au démon et de croire aux amulettes…

Lez ar Neven, la cour d’Even, devient la ville autour d’une motte castrale, la première citadelle. Elle est bien à l’intérieur des terres, au centre du pays, elle domine. Et devient vicomtat du Léon, évêché et siège de la sénéchaussée. La plupart des églises et chapelles du pays ont été rebâties au 15ème siècle, prenant le style Renaissance grâce aux liens maritimes avec l’Italie dès le siècle suivant. Châteaux et manoirs ne sont pas en reste, témoignant de la prospérité recouvrée après la guerre de Cent ans grâce au commerce et aux productions locales comme les chevaux, le beurre, les légumes et le lin. La ville d’aujourd’hui est capitale locale, surtout réputée pour son musée du Léon et pour ses locaux scolaires qui drainent la progéniture de toute la région après le primaire. D’où le fleurissement de clubs d’aïkido, de sport et de diverses sections socialistes.

Qui se souvient d’un enfant du pays, orphelin de la Grande guerre, qui s’évade à 11 ans pour aller combattre les Indiens d’Amérique ? Repris, le jeune Auguste Montfort est enfermé à 14 ans dans un bagne dit « d’éducation surveillée » où il apprendre l’argot et les tours des mauvais garçons. Il fera tous les métiers sur les pavés parisiens avant d’être résistant puis écrivain, sous le pseudonyme d’Auguste Le Breton. Mais oui ! ‘Razzia sur la chnouf’, c’est lui !

La place centrale est nommée du nom d’un général qui fut ambassadeur de France en Russie et ministre de la Guerre en 1871, le général Le Flo (1804-1887). La particularité de son parking est qu’il est parmi les rares à exiger encore l’usage du disque de stationnement plutôt que des tickets horodatés. Le syndicat d’initiatives est cependant fort au fait de cette originalité – et il vous donne un disque puisque plus personne n’en a plus !

Les maisons en granit datant du 17ème siècle forment à la place un décor séduisant, même si l’église n’est pas à la hauteur, purement utilitaire sauf son porche Renaissance, rescapé d’un édifice disparu. Les cloîtres sont réutilisés en collège ou en musée, comme celui du Léon, qui mérite à lui seul une visite de la ville.

Sis 12 rue de la Marne, il est établi dans le cloître de la Maison d’accueil des Ursulines et date du début 18ème. Il parcourt en sept salles l’histoire illustrée du Léon. Silex taillés paléolithiques (80 000 avant), silex polis néolithiques (6000 avant), sépultures collectives en allées couvertes, puis tumulus au Bronze (2500 avant) avec bijoux, poignards et poteries, stèles en granit au Fer (600 avant), dont certaines phalliques comme celle de saint Frégant, exposée. Des temps gallo-romains restent, outre des colonnes et des fragments de peintures murales, des monnaies, des statuettes de femme dites « Vénus », moulées en série, des poteries sigillées au vernis rouge brillant d’importation, des meules à grain locales en granit, une serrure en bronze, des poids… La période chrétienne inaugure les statues en bois de Vierge et de saints, des vêtements sacerdotaux du 17ème, des ciboires et calices, une Bible de l’abbaye des Anges de 1673.

Divers dessins, gravures et peintures rendent compte des paysages et de la vie du temps. Les tableaux de Mission de Xavier de Langlais (1946) ou de Jacques Jullien (vers 1920), des bois, une halle, une croix dessinés par Charles Corcuff, sont autant de visions romantiques des usages passés. Dans la salle des meubles et costumes, des mannequins de tous âges présentent la vêture de Kerlouan début 19ème et les diverses coiffes des femmes du Léon. Les costumes du dimanche des enfants sont particulièrement mignons. Les lits clos rappellent que le froid et l’humidité étaient le lot de la plupart des saisons dans ce pays.

Au total un petit musée qui ne nécessite pas des heures mais qui laisse des images fortes sur les existences d’avant. Cela dans un cadre placide, celui du cloître dont on peut explorer ensuite les arcades, ouvertes sur un jardin aux buissons de roses rouges au merveilleux silence.

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