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Henry Bogdan, Les chevaliers teutoniques

La chevalerie fait rêver depuis que l’athéisme s’est répandu en Occident ; la croisade teutonique fait rêver depuis que les nationalismes sont revenus en force dans une Europe en perte de vitesse dans le monde. Ce petit livre, écrit à la fin du siècle dernier, survole l’histoire de l’Ordre des chevaliers teutoniques depuis ses origines jusqu’à nos jours. Il est évidemment incomplet, donc frustrant pour ceux qui veulent des détails, mais remarquablement construit pour ce qui veulent connaître cet ordre chevaleresque.

L’Ordre de Sainte-Marie des Allemands, appelé des chevaliers teutoniques, est né des croisades. Un moment rattaché à l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean, il est devenu un ordre papal à part entière en 1191. Il avait pour mission la protection des chrétiens en Terre Sainte et le soin aux blessés des guerres incessantes contre les musulmans. Les chevaliers sont à la fois militaires et moines, ce qui allie la guerre à la spiritualité, tout comme le kibboutz, le communisme ou le scoutisme. Il ne faut pas négliger cette aspiration totale qui anime les humains à servir dans une communauté. Comme moines, les chevaliers et les frères soignent les blessés tout en accomplissant les rites chrétiens comme des prêtres ; comme guerriers, ils luttent contre les païens et les infidèles.

Beaucoup de livres ont été écrits sur les chicayas des chevaliers des nations occidentales en Terre Sainte, et surtout sur l’intransigeance orgueilleuse et inepte de la papauté en ces lieux qu’elle ne connaissait que de loin. C’est plutôt la diplomatie des Grands-maîtres qui a permis de conserver quelques dizaines d’années supplémentaires Jérusalem et la côte aux mains des chrétiens. Mais la poussée de l’islam était trop forte et toute présence occidentale a été éradiquée de Terre Sainte.

Les chevaliers teutoniques se sont alors repliés sur l’Europe, où il possédait des commanderies dans divers pays. C’est la Pologne qui leur a demandé d’aller évangéliser les confins de la mer Baltique et d’y établir des forteresses pour protéger les chrétiens. Ce sera dès lors une lutte constante entre les Vieux-Prussiens et les Lituaniens tous deux païens, les Russes et les Polonais tous deux chrétiens, aidés parfois par les Allemands. Les Grands-Maîtres teutoniques s’y useront et nombre de chevaliers de l’Ordre périront dans des guerres meurtrières. C’est cependant l’Ordre teutonique qui fondera l’État prussien et bâtira les villes de Königsberg, Dantzig et Marienburg.

« Le système hiérarchique de l’ordre reposait sur l’existence d’une élite, les frères–chevaliers, encadrant militairement les hommes levés dans les campagnes, renforcés par des croisés appelés à l’occasion. Ce système a bien fonctionné jusqu’à la fin du XIVe siècle. » p.174. Ensuite, ce fut le déclin. Le recrutement des frères-chevaliers s’est fait plus rare car l’esprit de croisade avait disparu du fait que les populations étaient désormais chrétiennes. L’activité consistait plus qu’à administrer les provinces et à faire de la politique avec les féodaux alentour qu’à évangéliser. Le recours à des mercenaires payés s’est fait plus nombreux, engendrant des tensions avec les chevaliers, jusqu’à leur humiliation dans la forteresse de Marienburg. Le recours à l’impôt pour lever ces mercenaires a suscité une opposition grandissante des sujets de l’Ordre tandis que les intérêts commerciaux des Polonais a entraîné de constantes querelles sur l’accès à la mer Baltique depuis l’intérieur du continent et a poussé aux guerres.

Le schisme protestant a affaibli le pape tandis que la guerre de Trente ans a affaibli l’empereur germanique au profit des nations qui commençaient à émerger dans les pays allemands. L’ordre s’est sécularisé en Prusse orientale devant l’annexion par la Pologne de la Prusse occidentale et le Grand-Maître s’est rallié à la réforme protestante. Au XVIIIe siècle tous les Grands-Maîtres appartiendront à la maison d’Autriche et l’empereur Napoléon Ier a dissout l’ordre en 1808. Il est né à nouveau en 1834 comme institution religieuse et militaire dans les États autrichiens, avant d’être une fois de plus dissous par les nazis en 1938. Il a été autorisé par les puissances occidentales d’occupation après 1945 comme organisation caritative. Aujourd’hui, l’Ordre effectue des actions sanitaires et hospitalières, et assiste les personnes âgées et handicapées.

L’Ordre des chevaliers teutoniques n’a pas été une institution ésotérique, même si certains Grands-Maîtres frayèrent avec la Franc-maçonnerie à l’époque des lumières. Il n’a pas été non plus la pointe avancée du nationalisme germanique comme certains nazis l’ont pensé pour servir leur idéologie, mais a été appelé par les Polonais contre les païens qui les menaçaient au bord de la Baltique.

Au total, l’Ordre teutonique a été original parmi les ordres nés des croisades siècle, bien que moins important que les Templiers et les Hospitaliers. Quiconque effectue un voyage dans les pays baltes se doit de connaître cette histoire qui a fondé l’Etat prussien contre la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie.

Henry Bogdan, Les chevaliers teutoniques, 1995, Tempus Perrin 2002, 227 pages, €8.50

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Le dernier complot

Toute crise désoriente les esprits peu sûrs d’eux-mêmes ; la raison fuit devant la croyance. Ce pourquoi les religions font recette particulièrement en ces moments-là :

  • Autour de l’an mil c’était l’Apocalypse, qui prépara l’élan des croisades comme celui des bâtisseurs de cathédrales (les deux faces d’une même foi) ;
  • dans les années 1970 au moment des deux chocs pétroliers (1973 et 1979), la Malédiction satanique de l’Associé du diable exigeant l’Exorciste ;
  • à la fin des années 2010, c’est désormais la Cabale de l’Etat profond contre le Blanc moyen que des hordes d’immigrés orientaux ou latinos doivent envahir en Europe et aux Etats-Unis tandis que leurs gènes seront submergés par le Mélange et leurs enfants, selon Q, éradiqués par le kidnapping, le soutirage du sang, le viol et la torture. Le viol comme arme de guerre, ce n’est pas nouveau mais fait toujours recette.

Le sang serait destiné à l’adénochrome qui donnerait aux puissants longue vie. Rien de nouveau sous le soleil, boire le sang était déjà considéré comme prendre la force de son ennemi durant la préhistoire et les Romains accusaient déjà les chrétiens d’égorger les petits enfants, ce que le Moyen-Âge reprendra pour les Juifs. Inutile non plus de décortiquer cet adénochrome : il n’est que l’oxydation de l’adrénaline en laboratoire qui sert contre l’épilepsie et pour guérir les hémorroïdes (donc les épanchements du Q). On le fabrique industriellement et chacun peut le trouver facilement sous les noms des médicaments Adona, Phleboside, Anaroxyl, Medostyp ; pas besoin de saigner des enfants… Mais cette preuve ne sert à rien car ce qui compte est la croyance.

Or nul être sensé ne peut rien contre un croyant. Il est imperméable à tout, sauf à la force. Les islamistes le savent bien qui s’intoxiquent d’Allah (et certains de haschisch) pour devenir assassins. La foi rend blindé, robocop discipliné du gourou, soumis au dieu vengeur. L’empathie envers les enfants maltraités est humaine ; elle conduit tout naturellement à croire, donc à suivre aveuglément ceux qui sont contre. Jusqu’aux absurdités qui ont conduit au Pizzagate en 2016 et, rien qu’en 2020, à la tuerie allemande de Tobias Rathjen et à l’accusation de vendre des enfants sous le nom d’armoires par l’entreprise de meubles Wayfair à Boston !

La pédocriminalité est, avec le nazisme, le fantasme le plus violent du Mal au début du XXIe siècle. De quoi en avoir un orgasme, bien plus qu’avec les égorgeurs d’Allah. Être nazi, le rêve ! On peut tout faire, tout se permettre, on est le plus fort. Violer les enfants, rendre esclaves les femmes, torturer le mécréant, égorger l’apostat. On peut transgresser tous les tabous, surtout juifs et chrétiens, donc les Commandements de la Bible, l’inverse même de la morale américaine. Être antéchrist une bonne fois pour jouir de tout sans entraves, c’est atteindre le septième ciel sans attendre l’au-delà. Dès que vous reconnaissez cet Ennemi absolu du nazi pédo – le Diable incarné – si vous n’êtes pas pervers, vous vous trouvez forcément dans le camp du Bien. Hein ? des doutes ? vous seriez donc pervers ? Soyons décent, inutile de penser, suivez : le Bien sait tout. Il encadre la morale. Il est le Q, la puissance réactive en électrotechnique. Il vous donne des règles simples à suivre. Restez dans les clous et avec les bons : croyez !

L’effroi du petit Blanc paupérisé, la peur du Grand remplacement par les colorés dans le monde blanc, font monter l’insécurité intime et culturelle. Les errements des gouvernements trop technocratiques qui ne savent pas et décident en aveugle tourmentent la passion politique : sur la pandémie (Castex et le casse-tête des Qltes et le Q de Tobin appliqué à la rentabilité des pistes skiables) ; sur l’économie (Hollande qui voulait réduire le chômage tout en augmentant massivement les impôts !). Le sentiment démocratique de ne jamais être entendu (les gilets jaunes), entraîne ressentiment et méfiance. Tout ce qui est dit par le pouvoir et par les élites devient mensonge et entraîne par réaction la tendance à faire l’inverse, en ado rebelle qui n’a jamais su grandir :

  • Le masque ne sert à rien ? – Si, si au contraire, j’en veux un !
  • Le masque devient obligatoire ? – Non, non, je me sens libre de ne pas le porter !
  • Pas de vaccins ? – Mais que fait le gouvernement ?
  • Des vaccins bientôt disponibles ? – Je me méfie, je ne me ferai pas vacciner, ils pourraient contenir des nanopuces de contrôle par les GAFAM ou des produits abrutissants pour le FBI ou la CIA… (tous les monstres fantasmés du Complot, le numérique IA et l’empire américain)

Rien de rationnel là-dedans, que de la rumeur, de la croyance, de l’abandon de soi à la horde de ceux qui pensent « bien » – c’est-à-dire comme sa bande. Dans les années 1970 le complot était celui des multinationales, dans les années 1990 la Trilatérale, c’est désormais Davos le forum des riches et des puissants bientôt immortels par transformisme et régnant par l’intelligence artificielle augmentée par la 5G… (tant qu’à faire, amalgamons tout). La nanopuce, est-ce la crainte d’avoir enfin du plomb dans la cervelle ? Ou de garder la cervelle dans le Q ?

Tout événement majeur déstabilise : la crise financière puis économique et sociale 2008 ; la pandémie 2019 et la crise de la mondialisation 2020 aggravée par un Trump agressivement tweeteur. Chacun cherche alors à se rassurer et à retrouver ses marques. Pour cela trois choses :

  1. Donner un sens (même absurde) pour reprendre le contrôle – le délire paranoïaque est toujours très logique ; il n’en reste pas moins un délire hors du réel
  2. Agir pour résister – faire n’importe quoi mais faire – pour avoir le sentiment de garder prise
  3. Se sentir relié, donc s’affilier à une tribu de croyants, à une communauté de religion (de religere, relier), à des gens qui pensent comme vous et vous confortent dans le nid – même au prix du déni.

La théorie du Complot trouve des échos parmi les plus fragilisés, les perdants, les « esclaves » (au sens métaphysique de Nietzsche), ceux qui sont incapables de penser par eux-mêmes ou d’oser seulement le faire. Ils préfèrent suivre la foule, lyncher en cœur dans l’anonymat de masse (c’est pas moi c’est l’autre), manifester sans projet, casser des biens publics pour se plaindre des moindres biens publics, faire du bruit pour ne pas entendre.

Il n’existe plus de vérité autre que celle à laquelle on croit ; plus de faits autres que ceux qui nous intéressent ; plus de débat entre gens de raison évoluée mais la haine entre bêtes d’instincts primaires. Plus de régime démocratique mais la guerre civile. Aux Etats-Unis, nous n’en sommes pas passés loin au moment de la défaite de Trump. En France ? ça vient… Comme toujours depuis des décennies les petits intellos français imitent ce qui vient des Amériques. Et rarement pour le meilleur.

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Christian de Moliner, La croisade du mal-pensant

Un prof d’université au bord de la retraite et portant un nom juif se trouve en butte à une étudiante noire gauchiste qui exige agressivement une zone réservée aux non-blancs pour « faire reculer leurs privilèges ». Le mot « race » n’existe plus officiellement dans le vocabulaire et ne « signifie » rien selon les scientifiques, mais il est revendiqué par les « racialisés » qui inversent la définition. En butte à la soi-disant inertie de l’Administration (à prouver) et au politiquement correct (socialiste ou contaminé) de l’Education nationale (réelle) et du préfet (ce qui est moins sûr), il se lance dans une croisade désespérée et sans aucun succès.

C’est que le bonhomme est un perdant-né. Son couple a naufragé après avoir perdu un bébé fille à la naissance ; sa maitresse de rencontre porte le voile en musulmane syrienne et leurs relations restent platoniques depuis des années ; son métier d’enseignant sur l’histoire l’ennuie et les étudiants sont rares ; son grand livre sur les croisades n’apporte rien et reste inachevé. Comme souvent chez l’auteur, le personnage de velléitaire maladroit et fatigué prend le pas sur tout le reste. Ce qui n’encourage en rien le lecteur…

J’ai eu du mal à entrer dans l’intrigue et n’ai pu adhérer à aucun personnage. Outre l’avocat, cynique mais réaliste et pragmatique, et le doyen de l’université qui sait nager dans le politiquement correct, les autres personnages sont falots. La maitresse rapportée n’apporte rien au thème de la croisade. Elle l’aurait pu, par son exemple d’épouse qui sait se sortir de la tradition. Les démêlés avec le règlement universitaire et la justice sont bien décrits et c’est ce qui reste solide dans l’histoire mais aurait mérité d’être développé et précisé par des références aux textes de lois réels. Après tout, ce genre de mésaventures peut arriver, autant savoir de quels instruments dispose « la loi républicaine ».

Le reste n’est pas encourageant, suite de dénis lamentables où s’englue le croisé qui n’exploite ni son origine juive, ni les moyens modernes de filmer ou d’enregistrer les invectives, ni les alliés « blancs » qui se proposent spontanément, ni sa maitresse femme et musulmane (deux statuts valorisés, qu’il aurait pu en outre faire « violer » par un racialisé pour rajouter un autre statut valorisé), ni les médias pourtant avides de scandales en tous genres (surtout de genre !)… Il n’a aucun projet personnel, aucun idéal affirmé, allant jusqu’à laisser penser qu’il vaudrait mieux se faire royaliste ou fasciste si l’on veut survivre en tant que Blanc en France. Nous ne sommes même pas dans « la croisade des enfants » qui suivaient la mode (les niais de l’époque et pas les prépubères) mais dans le suicide assisté d’un adulte mal dans sa peau.

Le thème, polémique jusqu’à la caricature, pourra intéresser les excités lors des présidentielles de 2022. J’apprécie l’écriture, meilleure que dans certains romans précédents.

Christian de Moliner, La croisade du mal-pensant, 2020, Les éditions du Val, 164 pages, €9.00 e-book Kindle €4.50

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Kingdom of Heaven (Le royaume des cieux) de Ridley Scott

Le Moyen-Âge vu comme une période de contrastes entre la matérialité bestiale de la force et du désir de possession des barons, et la quête de pureté spirituelle incarnée par la morale chevaleresque.

Sire Godefroy (Liam Neeson) a beaucoup joui et beaucoup baisé dans sa jeunesse ; il est allé en Terre sainte pour acquérir des terres mais il sent la vieillesse le rattraper et se souvient d’un fils qu’il a laissé, un bâtard qu’il veut ramener pour prolonger sa lignée. Le baron d’Ibelin (une bourgade aride proche de Jérusalem) est brave et avisé, aimé du roi lépreux, mais très attaché aux biens matériels – dont ce « fils » qui est pour lui comme une propriété.

Revenu au pays en 1184 juste pour prendre le garçon, il trouve Balian (Orlando Bloom) en jeune homme adulte, que la mort en couche de sa fille suivie du suicide de sa femme laisse brisé. Il lui avoue qu’il est son père, qu’il a pris mais aimé sa mère à sa façon et qu’il le requiert pour Jérusalem. Mais le garçon ne veut rien, Dieu l’a abandonné. Il refuse.

C’est alors que le curé (Michael Sheen), gras à lard et brutal cynique, lui dit qu’il a fait trancher la tête de la morte pour qu’elle grille en enfer sans pouvoir en sortir. Apercevant la croix de métal de sa femme que le religieux s’est accaparé avant de la mettre en terre à l’écart de l’église, Balian lui enfonce un fer rougi au feu qu’il est train de forger pour lui donner un avant-goût de cet enfer brandi comme une menace : mieux vaut l’ici-bas que l’au-delà. Puis il le jette au feu avant que celui-ci ne se propage dans la forge. Meurtrier, il doit alors abandonner le village et ces misérables paysans qui ont peur des foudres cléricales. Il part à la poursuite de ce père à peine vu pour aller avec lui à Jérusalem. Là, pense-t-il, lui seront remis ses péchés et ceux de son épouse.

Mais l’évêque ne l’entend pas de cette oreille et, pour affirmer son autorité, envoie une troupe se saisir du jeune homme. Que son père défend, avec ses suivants en route pour la croisade. Bagarre, flèches, plaies d’épée ; le sang gicle en abondance, la chair est pantelante – cette violence réaliste tout au long du film l’a fait interdire « aux moins de 12 ans ». Les sbires de l’évêque sont vaincus, le groupe décimé se porte vers la Terre sainte via le port italien de Messine, où embarquer.

Sire Godefroy, atteint d’une flèche cléricale, décède, mais pas sans avoir formé son fils à se battre et l’armer chevalier. Serment, baffe (pour qu’il se souvienne), don de l’épée, tout est expédié mais solennel. La promesse du chevalier est analogue à celle des scouts du XXe siècle : « Soit sans peur face à tes ennemis. Soit juste et droit pour être aimé de Dieu. Dit toujours la vérité, même si cela doit te coûter la vie. Protège les innocents, et garde-toi du mal ». Cœur pur et cœur vaillant dans la même âme, la tête en pureté et le courage dans les organes.

Le père évacué, le fils embarque sur une nef. Une tempête méditerranéenne lui inflige le naufrage sur les côtes de Palestine ; il ne sauve qu’un cheval. Rencontrant deux Sarrasins, il ne veut pas se battre mais l’un d’eux le défie – et il le tue. Mais il fait grâce à l’autre, l’apparent serviteur Imad (Alexander Siddig), à qui il déclare qu’ayant connu le servage, il ne supporte pas qu’un autre humain soit soumis. Tous sont égaux devant Dieu car créés aptes à distinguer le bien du mal.

Reconnu à Jérusalem par les compagnons de son père – on dit qu’il lui ressemble, ce qui ne saute pas aux yeux dans le film… – il fait la connaissance de Sybille (Eva Green), sœur du roi mariée au templier Guy de Lusignan (Marton Csokas), soudard sans grande cervelle. Il est présenté à Baudouin IV (Edward Norton sous masque), jeune roi lépreux qui l’assure de son amitié, lui disant combien il fut fier, à 16 ans, d’avoir vaincu Saladin (un Kurde devenu sultan). Il conserve depuis un équilibre précaire fait de mutuel respect entre l’occupation des lieux saints et la masse démographique musulmane prête à déferler depuis la Syrie. La gloire de Dieu se pourrit de l’intérieur, la lèpre dévorant la chair tandis que le militarisme templier (caricaturé) dévore la paix.

Balian va mettre en valeur ses terres et trouve l’eau nécessaire à l’irrigation avec beaucoup de travail. Ce qui lui importe est le bien de ses gens avant la défense de la religion. Car juifs, chrétiens et musulmans sont mêlés dans le pays, tous ont le même lieu saint de Jérusalem et, au fond, peu importe qui occupe la terre matérielle. La foi est dans la tête et dans le cœur, selon le serment chevalier, pas dans les possessions terrestres. Faire le bien, assurer la justice et protéger les faibles est plus important que les simagrées superstitieuses des églises, et c’est avec outrecuidance que l’on fait parler « Dieu » ou « Allah » pour massacrer tous ceux qui ne pensent pas comme vous. « Qu’est-ce que Jérusalem ? Nos lieux saints sont bâtis sur les ruines du temple juif que les romains ont abattu. Les musulmans ont battis leurs lieux de culte sur les vôtres. Qu’y a-t-il de plus sacré ? Le mur ? La mosquée ? Le sépulcre ? Qui est légitime ? Nul n’est légitime. Tous sont légitimes », déclare Balian lorsque la stupidité bornée des soudards templiers a rendu la guerre inévitable et – avec elle – la chute de Jérusalem.

« Ce qu’on sème on, le récolte », lui dira Imad, qui se révèle l’un des lieutenants de Saladin lui-même. L’Orient extrême appelle cela le karma, le destin que l’on se forge par l’enchaînement des causes et des conséquences. « Tu restes seul le gardien de ton âme », rappelle le roi lépreux au jeune baron.

Le roi voudrait désigner Balian comme son dauphin en épousant sa sœur Sibylle et en faisant exécuter Guy de Lusignan son mari pour avoir enfreint la trêve. Mais Balian ne s’achète pas, il ne veut pas régner par la mort de son rival. Lorsque Baudouin IV décède, sa sœur se range aux côtés de son mari en femelle moralement piteuse et avide d’une existence opulente (personnage un peu faible). Malgré les avertissements répétés, les Templiers se jettent sans préparation au-devant de l’armée sarrasine ; assoiffés, épuisés, ils sont aisément vaincus et Renaud de Chatillon (Brendan Gleeson) comme Guy de Lusignan sont exécutés. L’armée sarrasine marche sur la ville sainte, symbole aux yeux des musulmans. C’est à Balian que revient sa défense.

Il résiste suffisamment, et avec assez d’intelligence, pour impressionner Saladin (Ghassan Massoud), qui ne tient pas plus que cela à Jérusalem, sinon pour contenter ses propres fanatiques. Dans le marchandage usuel du pays, il laisse la vie sauve à tous les survivants, et le passage vers les terres chrétiennes, à condition qu’on lui livre la ville (dans les faits il a réclamé une rançon pour chacun). Ce qui est fait. Balian abandonne ses terres et son titre et convainc par son exemple la « reine » qui n’a plus rien sur quoi régner de le suivre en France.

Le film ne dit pas s’ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants (le bonheur étant toujours associé aux enfants dans la tradition). Ce qui importe est que Balian ait conservé son cœur pur et sa vaillance, reprenant simplement sa forge tel qu’auparavant.

Sauf qu’il ne croit plus guère en Dieu, surtout pas en l’Eglise et en ses faux-culs parasites de clercs. L’évêque patriarche de Jérusalem (Jon Finch) ne pensait qu’à fuir en égoïste, l’évêque français qu’à assurer son pouvoir temporel contre les barons, le curé de paroisse qu’à s’approprier les maigres biens des morts par la menace de l’enfer éternel. Foutaises que tout cela ! Faire le bien, assurer la justice et protéger les faibles est plus important que la lettre des rituels et des révérences. Ni Dieu ni maître, au fond… Et lorsque le roi Richard Cœur de lion vient convier « le défenseur de Jérusalem » à venir avec lui à la Troisième croisade, Balian refuse, ne se présentant que comme « maître forgeron ». Faire bien son métier, à sa place, l’âme fière mais en paix. A cette hauteur morale, la tolérance va de soi ; le fanatisme et l’intégrisme ne sont que la révélation d’étroitesse d’esprit et de petitesse d’âme.

Il existe une version longue du film avec des intrigues secondaires, mais je préfère quant à moi la version ramassée dont le message est bien plus puissant : peu importe qui l’on est, l’important est de rester sire de soi. Il est requis de préférer la morale chevaleresque aux biens matériels – ne pas vendre son âme, pas même aux dieux brandis par les religions pour assurer le pouvoir des prêtres ici-bas.

Être chevalier n’est pas réservé aux occidentaux ni aux chrétiens : Saladin et Imad, musulmans, se montrent tout aussi justes et soucieux des gens. A l’inverse, certains barons pillards et les reîtres Templiers montrent bien peu d’esprit chevaleresque (ce qui, pour ces derniers, n’était pas la vérité).

Peu importe qu’il y ait romance amoureuse fictive et erreurs historiques dans ce film, ce qui compte est son message et il est clair – même s’il ne saurait plaire à l’engeance des petits intellos critiques qui détestent les gens exemplaires parce qu’ils mettent en lumière, par contraste, leur propre lâcheté. Orlando Bloom a été prix du meilleur acteur européen en 2005, signe que le public est plus sain que le renfermé médiatique.

DVD Kingdom of Heaven de Ridley Scott, 2004, avec Orlando Bloom, Jeremy Irons, Liam Neeson, Ghassan Massoud, Eva Green, Edward Norton, Khaled Nabawy, Brendan Gleeson, 2h15mn, €9.20 blu-ray €15.46

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Histoire du Christianisme, des origines au moyen-âge

alain corbin histoire du christianisme

Sous la direction d’Alain Corbin, l’Histoire du christianisme publiée au Seuil courant 2007 aborde avec 4 auteurs, 52 contributeurs, 6 cartes, 459 pages et en 4 parties cette religion. Il détaille ses diverses espèces (catholique, protestante, orthodoxe), dans ses espaces particuliers (Méditerranée, Europe, Amérique…), avec ses formes de piété (culte marial, culte des reliques, Purgatoire, hérésies). Il évoque quelques grandes figures (François d’Assise, le curé d’Ars, saint Thérèse), et ses conséquences culturelles ou artistiques (cathédrale, image tridentine, missions outremer). De quoi acquérir une base de culture religieuse en un seul livre – et compléter les notes précédentes.

L’émergence, du 1er au 5ème siècle

Jésus est-il prophète juif ou Fils de Dieu ? Quel est ce milieu hébraïque, quelles sont les communautés chrétiennes d’origine juive en Palestine ? Les sources indirectes sur Jésus sont : la correspondance de Paul de 50 à 58 de notre ère, les Évangiles de Marc en 65 (d’après la tradition des années 40), Matthieu et Luc vers 70-80, Jean en 90-95, les Évangiles apocryphes après 120. Ce sont des mémoires, pas de l’histoire : les faits sont mêlés à une lecture théologique. Pour les auteurs historiens, Jésus n’avait pour ambition que de réformer la foi d’Israël, ce que symbolisent les 12 intimes qui l’accompagnent comme les 12 tribus. Il visait à simplifier l’obéissance à la Loi, la focalisant sur l’amour et la justice, prêchant un Dieu proche et accueillant. Il s’agit d’une mystique de l’urgence, pour la venue imminente de Dieu. Jésus se voulait solidaire de toutes les catégories sociales que marginalisait la société juive du temps, ce qui fut scandale pour une société cloisonnée. Il ne s’est dit que Fils de l’Homme (Livre de Daniel), descendant d’un David idéalisé ; ce sont les chrétiens qui l’ont appelé Messie. « Jésus n’a pas dit qui il était, il a fait qui il était » p.20.

Le christianisme atteint Rome sous Claude vers 49, la Gaule en 177, l’Afrique en 180. Paul est le passeur de culture : juif de la Diaspora en pays hellène, polyglotte d’une famille commerçante, il associait une éducation grecque reçue à Tarse à une formation de pharisien reçue à Jérusalem. « La mission paulinienne, la seule que nous puissions réellement étudier, a été organisée comme une pénétration par capillarité, qui utilise tous les réseaux de la cité antique, celle-ci fonctionnant comme une imbrication de communautés, de la plus petite – qui est la famille – à la plus grande – qui est la cité. La cellule-souche de la mission, c’est la « maisonnée », l’oikos, tout à la fois communauté familiale et communauté d’activité, exploitation agricole, atelier ou magasin (…) L’oikos antique rassemble des gens de statut différent, incluant femmes et enfants, esclaves et affranchis (…) Sa composition transcende les clivages de la société antique entre Grecs et Barbares, hommes et femmes, libres et non-libres » p.37.

La première expansion chrétienne conduit à s’interroger sur comment vivre en chrétien dans le monde sans être du monde. Comment être persécuté mais soumis à l’Empire romain jusqu’en 311. La conversion de l’empereur fait se convertir l’Empire et désormais, comment le penser en Empire chrétien ? « Les chrétiens de l’Antiquité ont usé des modes de la pensée juive, des catégories philosophiques de la pensée grecque, des techniques de discours de la rhétorique grecque et latine, pour formuler une théologie qui s’est affirmée au fil du temps » p.12. Reste à définir la foi – entre hérésie et orthodoxie, gnose et manichéisme. « Au cours du 2ème siècle, on assiste à la marginalisation des communautés chrétiennes d’origine juive (le judéo-christianisme) au profit des communautés chrétiennes d’origine païenne (le pagano-christianisme) : ce seront ces dernières qui s’érigeront progressivement en « Grande Église » p.30. Et c’est bien là où la foi rencontre le siècle, où la croyance entre en société.

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La doctrine de l’Église s’élabore au 4ème et 5ème siècle. Puis il faut édifier les structures chrétiennes, organiser les églises, établir le culte et la liturgie, christianiser l’espace et le temps, reconnaître la dignité des pauvres et pratiquer l’assistance. Partir enfin en quête de perfection par l’ascétisme et le monachisme.

« Quatre conciles œcuméniques ont fondé la doctrine chrétienne :

  1. Nicée en 325 : le Fils n’est pas subordonné et inférieur au Père mais de même substance ;
  2. Constantinople en 381 : l’Esprit-Saint est adoré et glorifié à l’égal du Père et du Fils, l’église est « catholique » ;
  3. Éphèse en 431 : affirme l’unique nature du Verbe incarné ;
  4. Chalcédoine en 451 : union des deux natures parfaites dans le Christ incarné » p.80.

Des intellectuels chrétiens vont confirmer la foi, ils sont les Pères de l’Église : Basile, Grégoire de Naziance, Jean Chrysostome, Jérôme et la Vulgate, saint Augustin. « Pour Augustin, la nature humaine est immédiatement marquée par le péché, et nous ne pouvons accéder au salut par nos mérites personnels ou nos bonnes œuvres : seule la grâce divine peut nous sauver. (Son adversaire, qui soutient le contraire, est le britannique Pélage). En accomplissant strictement la loi divine, chacun pouvait parvenir à la perfection, et Dieu devait le récompenser de ses mérites (ou le punir de ses fautes) dans la vie future » p.123.

Il est alors loisible d’annoncer l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre, au 5ème siècle dans l’Empire romain, ensuite aux marges et aux barbares.

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Le Moyen-Âge, du 5ème au 15ème siècle, n’est ni légende noire ni légende dorée

En cette période, le christianisme se consolide et s’étend. Saint Benoît, mort en 547, est le père des moines d’Occident. Grégoire le Grand est un passeur à ses dimensions. Autour de l’an mil naissent les chrétientés nouvelles : Rome, tête de l’Église latine à partir du 11ème siècle et Byzance devenue Constantinople qui se différencie. Saint Bernard de Clairvaux, mort en 1153, fonde la communauté des moines cisterciens, la cathédrale naît.

Affirmations et contestations induisent des réponses pastorales. La première croisade est lancée en 1095. « Un seul point réunit en effet les trois poussées de l’Europe latine : elles répondent toutes trois à l’appel des Chrétiens soumis à l’islam et opprimés, Mozarabes d’Andalousie, Grecs de Sicile et Chrétiens de Palestine » p.190.

ainsi soient ils cardinaux

Les hérésies fleurissent et, en 1231, le pape Grégoire IX instaure l’Inquisition pontificale, juridiction d’exception dérogatoire à tout droit, qui enquête d’office de façon totalement secrète et qui vise l’aveu. François le pauvre d’Assise, mort en 1226, crée un ordre mendiant. Thomas d’Aquin, mort en 1274, écrit sa Somme. Car il s’agit d’œuvrer à son salut, de réfléchir au Purgatoire et à l’au-delà, de réguler le culte des saints, des reliques et des pèlerinages.

« Au lendemain du 4ème concile de Latran (1215) la Vierge, modèle d’obéissance au Père, est proposée comme modèle de normalisation de l’Église. A elle de montrer l’exemple aux ordres religieux, de guider les âmes à la découverte du mystère de Dieu, d’inviter les fidèles à devenir des chrétiens exemplaires » p.243. Notre-Dame de Paris s’élève tandis qu’explosent les œuvres de charité aux 12ème et 13ème siècle et que naît le culte du Saint-Sacrement.

Jean Hus, mort en 1415, est l’hérétique majeur dans cette quête de Dieu qui saisit les mystiques d’Orient et d’Occident, soucieux d’imiter Jésus-Christ. La sainte Inquisition sévit. Elle nous choque aujourd’hui, dans la suite du film « l’Aveu » et des procès staliniens, si proche d’elle dans l’imaginaire. Mais « ces actes de foi, qui choquent au 21ème siècle, n’ont pas au 13ème l’impact que l’on pourrait imaginer. Pour la majorité de la population, il s’agit de cérémonies pénitentielles et purificatrices qui réduisent une fracture et marquent un retour à l’unité et à l’harmonie. Le châtiment des hérétiques – qui ont offensé Dieu – est, pour les fidèles demeurés dans l’orthodoxie, promesse d’éternité, motif de liesse et non de deuil. La solidarité spirituelle et sociale ne se noue pas autour des hérétiques, mais contre eux. En effet, l’enjeu profondément éprouvé, tant pas les inquisiteurs que par l’énorme majorité de la population, est le salut de tous » p.202. Cette remarque sur l’Inquisition ne s’applique-t-elle pas telle quelle à la mise en scène des procès réguliers, sous Staline ? Comme aux meurtres et autres « martyres » des islamistes en Europe ? Comme quoi le monde contemporain reste imbibé de l’empreinte chrétienne, même chez les athées communistes les plus militants, même chez les musulmans intégristes…

Alain Corbin (sous la direction), Histoire du christianisme, 2007, Points 2013, 468 pages, €10.00

e-book format Kindle, €10.99

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Château de Puivert, troubadours et patous

Au matin, nous devons monter et descendre encore. La visite du château nous fait passer de 375 à 1087 m.

chateau de puivert entree

Privé, le château est bien restauré, avec des clins d’œil vers le spectaculaire, comme ce squelette enchaîné après avoir été torturé dans l’oubliette d’une tourelle dans la tour bossue

chateau de puivert squelette torture tour bossue

Ou encore ces instruments de musique sous vitrine en regard des huit sculptés en culs-de-lampe sur les murs de l’instrumentarium. Ils rappellent que les poètes troubadour étaient les bienvenus dans cette famille puissante.

chateau de puivert instrumentarium

La cour d’honneur de 100 m sur 40 est entourée de six tours de défense et d’une tour de logis de 25 sur 20 m.

chateau de puivert cour d honneur

Une autre légende de dame blanche court ici. Jusqu’en mars 1289, un lac était dans la plaine de Puivert. Une princesse d’Aragon qui aimait passer le printemps au château s’asseyait le soir sur un rocher en forme de trône, tout au bord des eaux. Un soir qu’elle était triste, elle pleura tant que les eaux du lac gonflèrent, l’empêchant d’accéder à son siège. Un troubadour lui dit être capable de lui faire retrouver son trône et fit tant que le barrage céda, emportant le lac et la dame.

chateau de puivert cle de voute

La salle des gardes ne servait pas de salle d’armes. Elle serait plutôt l’équivalent du bureau et servait à entreposer les archives et rendre la justice. Le sol est au niveau de la cour et des cousièges suivent les degrés des escaliers. Cette salle voûtée de 8 m sur 7 force l’humilité par son dépouillement.

chateau de puivert salle des gardes

À la redescente, nous empruntons un autre chemin qu’à la montée. Le « chemin des troubadours » est ponctué de panneaux explicatifs qui nous en apprennent beaucoup sur la poésie occitane des XIe au XIIIe siècle. Les trouveurs de la fin’ amor, chevaliers-poètes cadets de famille, s’inspiraient des chants arabes hispaniques et idéalisaient leur dame, à laquelle ils étaient fidèles comme à leur seigneur. Comme le proclame avec forfanterie Peire Vidal de Toulouse, ils savaient « ajuster et lier si gentiment les mots et le son ». Ils disaient la longue patience qui purifie le désir, le chagrin qui mûrit la perfection intérieure, la joie d’aimer par la seule présence de la dame, sans même lui parler ou la toucher – ce qui donné notre sens de notre mot « courtoisie ».

chateau de puivert ruines

Transposition hétéro de l’amour homosexuel d’al-Andalus, mais aussi traduction en poèmes de ce désir réfréné du catharisme pour qui la chair est le diable, austérité elle-même à la convergence du platonisme pour qui le Bon et le Beau sont radicalement hors de ce monde mais où le désir charnel doit amener par degrés. Plus prosaïquement, ce sont les chevaliers sans fortune ni avenir, déclassés, qui chantaient ainsi leur frustration de ne pouvoir s’établir et baiser, dédaignés des nobles dames. Ils apparaissent à la première croisade et déclinent à la croisade des Albigeois, lorsque le pouvoir royal a triomphé en Occitanie, faisant reculer la langue d’oc.

chateau de puivert logis

De retour au gîte pour y prendre nos sacs à dos et le pique-nique à emporter, le taxi nous transporte plusieurs kilomètres jusqu’à 820 m d’altitude ; nous devrons monter jusque vers 1300 m par le GR 7, dans un chemin forestier vers le plateau de Langarail. Le soleil se couvre durant le pique-nique très copieux (un demi-pain bourré de salade, tomate, œuf dur, mayonnaise plus une banane et une tranche de gâteau). Le pré derrière les sapins se couvre de nimbus descendus bas ; il fait frais et la visibilité tombe.

patou plateau de Langarail

Nous rencontrons un troupeau de brebis, annoncé par ses clochettes, puis deux patous qui surgissent en aboyant, tous crocs dehors. Ce sont de gros chiens blancs des Pyrénées qui ont la garde des troupeaux. Tout petit, ils sont élevés au milieu des moutons qui deviennent ainsi leur famille. Toute menace sur le troupeau est perçue comme une menace sur eux-mêmes et les chiens, en général par deux, maintiennent une zone de protection autour des moutons. Ils n’attaquent pas s’ils ne sont pas attaqués mais dissuadent en aboyant, crocs sortis.

Notre guide local sait comment faire devant ces chiens de berger qui font bien leur travail. Il nous immobilise, nous demande de rester groupés, sans aucun geste agressif ; il leur parle doucement, « oui, le chien, t’es beau, oui, tu fais bien ton travail le chien, oui… ». Nous reculons lentement pour laisser le troupeau à distance, manifestant ainsi nos intentions. Ne pas crier, ne pas courir, ne pas caresser, ne pas brandir ou lancer, ne pas fixer dans les yeux, descendre de vélo. Il y a bien des dépliants écrits aux gîtes, et quelques panneaux sur le sentier, mais rien ne vaut l’expérience directe pour ce savoir-vivre face aux chiens patous.

brouillard plateau de Langarail vache

Nous croisons plus tard un troupeau de vaches allaitantes, à contourner lui aussi, car ce sont les vaches qui pourraient nous encorner si nous approchions de trop près de leurs veaux.

Au repos sur l’herbe, parmi les fleurs des prés, l’une d’entre nous attrape des tiques. Elle a peur de la maladie de Lyme mais le guide sort sa crème solaire (pour les amollir) puis sa pince à tique (plus étroite que celle pour chat) et dévisse adroitement la bête. Il ne faudra s’inquiéter que si une plaque rouge survient dans quelques jours ou semaines mais lui-même, comme nombre de gens qui ont couru dans les herbes jambes nues et torse nu étant gamins, est porteur de la bactérie sans qu’elle se manifeste.

clandestine fleur

En forêt, nous avons vu la rare fleur violette parasite des arbres appelée Clandestine. Tout à côté d’une énorme fourmilière de près d’un mètre cinquante de haut et près de deux mètres de diamètre.

Puis nous sommes montés interminablement sur la crête, dans le brouillard qui faisait ressembler nos suivants ou précédents à des fantômes bossus parfois munis de grandes ailes pour ceux qui avaient mis la cape. Je me suis retrouvé en Norvège avec les trolls. Du Pas de l’Ours, nous ne pouvons voir le pog de Montségur ; il est dans les nuages. Nous passons le col de Gacande à 1352 m. Le « village occitan » de Montaillou, qui a donné envie au guide d’approfondir l’histoire des Cathares comme à moi de venir ici, est de l’autre côté de la crête.

brouillard plateau de Langarail

Nous sommes heureux d’arriver enfin au gîte de Comus, à 1300 m. Dommage qu’il faille descendre au village avant de remonter sur le bitume d’une bonne centaine de mètres pour trouver le gîte communal neuf, situé dans les hauteurs ! Il est ouvert depuis quatre ans seulement, l’ancien était dans l’école désaffectée, plus bas. Il est tenu par Madame Pagès, dynamique cuisinière qui compose des confitures poivron-tomate ou céleri branche ! Même l’apéritif est une composition originale de vin, épices et eau de rose maison. Elle nous sert des cailles farcies avec un gratin de pommes de terre, suivies d’une tarte aux noisettes du coin. Elle nous offre même une liqueur de menthe qu’elle a confectionnée.

gite de comus

Trois autres randonneurs occupent des chambres dans le gîte, une anglaise qui passe ici son diplôme d’accompagnatrice en moyenne montagne et deux marcheurs catalans.

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Pointe de Saint-Mathieu

Gardant la rade de Brest au nord, la pointe de Saint-Mathieu s’avance comme un cap, un pic, que dis-je, une péninsule ! C’est un haut lieu (30 m) vénéré depuis les temps anciens car face au grand large, offrant une vue imprenable sur le soleil sombrant directement chaque soir dans la mer. Deux menhirs (évidemment dénoncés, déformés et christianisés) se dressent près de l’émetteur de Radio-Conquet (fermé en 2000), bâtiment dévolu depuis au Parc naturel marin d’Iroise.

pointe st mathieu

Le phare de Saint-Mathieu est célèbre parmi les marins quittant Brest ou remontant le couloir dangereux entre Sein, Ouessant et la côte pour rallier l’Angleterre. Son éclat blanc chaque 15 secondes porte à 29 milles. Bâti en 1835, devenu Monument historique, il est électrifié en 1937, automatisé en 1996 et sans gardien depuis 2006.

pointe st mathieu phare

Saint Tanguy, frère abusif qui décapité sa sœur (et pour cela sanctifié) fonda un monastère sur cette pointe en son siècle, le VIe. Ladite sœur Aude fut accusée par sa marâtre d’avoir fauté. Tanguy, apprenant la vérité, fit pénitence de son aveuglement face au large semé de Pierres noires, avant-goût des écueils pour atteindre l’infini dans l’au-delà. Le chœur de l’église en ruines ne date que du XIIIe.

pointe st mathieu abbaye

Mais le nom de la pointe fait référence à Maze, Mathieu en breton. La légende veut que des marins locaux aient rapporté par commerce le corps de saint Mathieu depuis l’Égypte ou l’Éthiopie (la géographie n’est guère fixée dans la légende). Une tempête, fréquente en ces lieux, les firent invoquer l’intercession du premier Évangéliste… et voici que le roc se fendit, protégeant les vaisseaux. Ils inhumèrent leur sauveur dans l’abbaye bâtie au-dessus. Des pirates sont venus plus tard l’enlever pour l’emporter jusqu’en Italie C’est lors des croisades que le vicomte Henri 1er de Léon aurait rapporté la seule tête du saint évangéliste retrouvé, pour la confier aux environs de 1206 aux moines. Quand on sait les cimetières entiers de « crânes de saint » et les forêts de « bois de la vraie Croix », on ne peut qu’être sceptique et se dire que c’est la foi qui sauve.

pointe st mathieu canons

Même la République laïque et anticléricale respecte ce lieu d’élévation où l’air vous saisit autant que la lumière. Un monument aux marins morts durant la Première guerre mondiale a été élevé par Quillivic, sexe massif érigé vers le ciel et qui répond aux sexes d’acier des canons rouillés que les jeunes garçons adorent tripoter ou monter pour jouer aux mâles. Trois gamins métis de 8 à 11 ans s’y livraient avec délices quand nous passâmes, en une bacchanale que leur mère impuissante s’efforçait de calmer on ne sait pourquoi. N’est-ce pas le temps des vacances ?

pointe st mathieu large

Mais la patronne de la chapelle (restaurée en 1861) reste Notre-Dame de Grâce, puissance supérieure au saint apôtre en tant que Mère de Dieu. Son pardon (en procession) a lieu le premier dimanche de septembre, jour dit-on où la Vierge naquit.

pointe st mathieu sud

Les biens du clergé deviennent biens nationaux à la Révolution et, en 1796, les bâtiments du monastère sont vendus pour servir de carrière. Un mur du dortoir subsiste, donnant la mesure de la quiétude des Bénédictins en ce lieu : face au couchant, une banquette de pierre sous chaque fenêtre permettait de méditer sur l’infini marin, analogie terrestre de l’infini divin.

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Quand le Mali était visitable…

On ne peut plus aller au Mali. Les 4 463 Français inscrits au consulat au 31 janvier 2011 sont désormais beaucoup moins. Selon le site du Ministère des Affaires étrangères, « Compte tenu de l’instabilité de la situation sécuritaire qui prévaut actuellement dans le pays et notamment à Bamako, il est conseillé à nos compatriotes dont la présence n’est pas indispensable, de quitter provisoirement le pays. »

Même dans la capitale, où sévissent de faux policiers ou des vrais corrompus : « A Bamako, la plus grande prudence est recommandée tard la nuit et à proximité des bars et discothèques, en particulier à l’égard des chauffeurs de taxi. »

Car le pays est sous-développé, pauvre et corrompu. Il est pays source, pays de transit et destination de trafic humain. Femmes et enfants sont soumis à la prostitution pour les deux sexes, ou à l’exploitation : domestique pour les filles, mines pour les garçons. Les mines de sel de Taoudenni sont particulièrement redoutables aux adolescents de l’ethnie Songhaï, dit-on. Selon la CIA, le gouvernement malien a identifié 198 victimes sur ces dernières années, dont 152 enfants obligés à se prostituer… mais il n’a mis en cause que 3 flagrants délits et emprisonné seulement 2 trafiquants !

Le coup d’État militaire d’officiers subalternes, il y a quelques semaines, n’a fait que précipiter la déliquescence de cet État pourtant indépendant depuis le 22 septembre 1960. Sa devise : « un peuple, un but, une foi », n’a pas grand sens et tout d’un vœu pieu. Le Mali est en effet écartelé entre les Maures, les Kountas et les Touaregs au nord et les ethnies du sud. Les coutumes et modes de vie des nomades du désert sahélien (10% de la population) et des agriculteurs des bords du fleuve Niger, dont les Bambaras, Malinkés, Soninkés, Peuls et Dogons entre autres (80% de la population), sont peu compatibles.

Le pays produit surtout du coton et des fruits pour exporter (bananes, mangues et oranges), et des céréales diverses pour sa consommation, mil, sorgho, riz, maïs, fonio et blé. Les habitants font beaucoup d’enfants, leur taux de fécondité est l’un des plus élevé au monde (6.54 enfants par femme). Cet état de fait entretient la pauvreté et l’émigration, empêchant tout développement. L’alphabétisation reste faible (26% en 2010 selon l’UNESCO) surtout chez les femmes, réduites à la cuisine, aux gosses et à satisfaire le mari. Seuls les naïfs s’en étonneront : l’islam garde 90% de la population sous son emprise. Évidemment, le taux de participation aux élections ne rassemble qu’à peine un tiers des électeurs, puisque le Coran est la seule Constitution. Même si le Premier ministre était une femme, jusqu’au récent coup d’État…

Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) sévit dans le nord. Issu de l’ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien, il n’est qu’à peine combattu par l’Algérie, probablement pour que l’armée, en agitant la menace d’un retour à la guerre civile, conserve son emprise sur le pouvoir civil à Alger. AQMI voit dans ce Mali faible et divisé un terrain d’action favorable à sa croisade religieuse. Le Mali se situe en effet dans l’entre-deux géographique et stratégique, espace sahélo-saharien et Afrique subsaharienne. Il est en outre entouré de sept voisins. Toute avancée de l’islam radical en ce pays agirait comme un coin pour fendre le continent et inoculer l’agitation islamiste au cœur des pays noirs, chrétiens ou animistes.

Les Occidentaux qui se hasardent dans la région payent un lourd tribut, la liste des assassinats et enlèvements s’allonge de mois en mois :

  1. assassinat de quatre touristes français à Aleg (Mauritanie) le 24 décembre 2007
  2. enlèvement de deux diplomates canadiens à 40 km de Niamey le 14 décembre 2008
  3. enlèvement de 4 touristes européens aux confins malo-nigériens le 22 janvier 2009 et assassinat de l’un d’entre eux le 31 mai
  4. assassinat d’un ressortissant américain le 23 juin à Nouakchott
  5. attentat suicide contre l’ambassade de France en Mauritanie le 8 août
  6. enlèvement d’un ressortissant français dans les environs de Ménaka (est du Mali) dans la nuit du 25 au 26 novembre (libéré le 23 février)
  7. enlèvement de 3 ressortissants espagnols puis de 2 Italiens en Mauritanie fin 2009
  8. enlèvement d’un ressortissant français au Niger le 20 avril 2010, exécuté par ses ravisseurs dans le nord du Mali
  9. enlèvement de 5 ressortissants français, un ressortissant togolais et un ressortissant malgache dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010 à Arlit au Niger (une ressortissante française, le ressortissant togolais et le ressortissant malgache ont été libérés le 25 janvier 2011, les autres étant toujours retenus au nord du Mali)
  10. explosion devant l’ambassade de France à Bamako le 5 janvier 2011
  11. enlèvement Le 7 janvier 2011 de deux ressortissants français à Niamey exécutés le lendemain…

L’ancien empire du Mali, fondé par le légendaire Soundiata Keïta au XIIIe siècle, est bien loin. Depuis, les empires éphémères n’ont cessé de se succéder : empire du Ghana, empire du Mali, empire songhaï, royaume bambara de Ségou et empire peul du Macina, jusqu’à la fédération coloniale appelée « Soudan » français. Les coups d’État militaires sont monnaie courante, le premier président républicain a été renversé en 1968 par les officiers conduits par Moussa Traoré qui s’est empressé d’instaurer une dictature. Il est à son tour renversé par le général Amadou Toumani Touré, dernier président élu en 2002 (après avoir quitté l’armée).

C’est ce dernier qui vient d’être renversé à son tour début 2012 par un quarteron de lieutenants… La « démocratie » civile aura duré vingt ans, courte période durant laquelle il était possible de visiter ce pays africain attachant. Hiata de Tahiti, lorsqu’elle n’était pas encore à Tahiti, l’a fait, principalement au sud. Elle va vous livrer ses impressions en quelques notes vivantes, colorées de photos dont ce billet vous présente l’avant-goût.

[Argoul]

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