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Georges Minois, Le diable

Ce petit opus d’un docteur en histoire agrégé de l’Université fait utilement le point sur cette particularité occidentale qu’est le diable. Un concept qui n’existe quasiment nulle part ailleurs : Satan est absent de l’Ancien testament et Sheïtan se fait très discret dans le Coran. Quant aux Grecs et aux Romains, ils l’ignorent : pour Platon, le mal est l’absence de Bien, un non-être ; le polythéisme grec fait du bien et du mal deux forces inhérentes à la nature. Les maux humains sont dus au destin et aux frasques des dieux et l’on en est parfois responsable (Achille à Troie, Ulysse en son périple, Œdipe et son père). Le diable n’apparaît que dans l’extrême monothéisme, dont le christianisme est la pointe avancée : il est inséparable de Dieu, sa face sombre, le revers de sa médaille. Car comment un Dieu réputé parfait aurait-il pu créer un monde aussi mauvais ?

On l’ignore trop souvent, « Satan est né dans les milieux sectaires apocalyptiques juifs » p.4. Yahvé est ambivalent, ordonnant l’extermination des adversaires de son peuple élu, envoyant des épreuves via des anges messagers. Le Satan signifie « l’obstacle » et fait partie de la cour de Dieu, serviteur fidèle de Yahvé (Livre de Job, Zacharie) ; il prend plus d’autonomie au IVe siècle avant avec l’affirmation du pouvoir sacerdotal qui lave Dieu de la responsabilité du mal. Le démon a été inspiré des mythes cosmiques babyloniens, cananéens et zoroastriens où un héros positif combat un monstre négatif (Gilgamesh/Huwawa, Marduk/Tiamat, Ninusta/Anzu, Baal/Mot, AhuraMazda/Ahriman).

Le diable est en revanche omniprésent dans le Nouveau testament, inspiré des milieux sectaires qui bouillonnaient au tournant du 1er millénaire en Palestine (Esséniens). Les Evangiles canoniques sans le diable seraient sans signification : ils le citent 188 fois ! Jésus s’incarne sur terre pour le grand combat de Dieu contre le Mal qui, lui, s’incarne dans les possédés, induit les tentations, inspire les reniements (Pierre) et les trahisons (Judas). « Seule une explication cosmique de l’origine du mal peut ainsi justifier la nature divine du Christ » p.27. Le serpent de la Genèse ne pouvait dès lors rétroactivement qu’être le diable, « ce qu’aucun texte biblique ne dit » !

La littérature apocalyptique non retenue par l’Eglise assure la transition entre Ancien et Nouveau testament. Des anges de Dieu se révoltent et s’unissent aux femmes humaines, engendrant des géants qui répandent le mal que sont le sexe et la technique. Ce sont des activités d’orgueil qui visent à créer comme Dieu… Naît alors la théorie du complot : « Les membres de ces sectes s’imaginent être les élus du Seigneur, le petit reste promis au salut, rejetant les ennemis d’Israël mais aussi la masse du peuple infidèle dans le camp de l’Adversaire, de Satan, devenu responsable du mal, et qui va être vaincu dans la grande lutte cosmique qui s’ouvre » p.22. Tous les millénarismes resteront sur ce schéma : des croisades en l’an mille à la terreur révolutionnaire, des procès staliniens au féminisme le plus contemporain qui rejette comme « le diable » le mâle blanc dominateur capitaliste – et souvent juif – dont Weinstein est l’incarnation caricaturale la plus récente (juste après Polanski).

Le christianisme aura dès lors la permanente tentation du dualisme des deux mondes antagonistes avec les gnostiques, les manichéens, les Bogomiles, les Vaudois, les Cathares – sans parler de la Kabbale juive. Bien que le diable ne soit pas un dogme catholique, dès la fin du IIe siècle de notre ère il est devenu le personnage central de la foi. Pour saint Augustin, Satan reste un ange, mais qui a péché par orgueil ; il fait partie du plan de Dieu pour laisser le choix de la liberté de faire bien ou mal, d’obéir ou non. Saint Thomas accorde au diable une place éminente, détaillant toutes les façons qu’il a d’influencer l’être humain. Le catéchisme 1992 de l’Eglise catholique n’en fait qu’« une voix séductrice opposée à Dieu ». Ce sont les moines médiévaux qui vont amplifier et déformer le diable jusqu’au mythe : « Moines et ermites, issus de milieux populaires, menant une vie de privation et de solitude, sont assaillis de tentations, d’hallucinations, et sont facilement la proie de troubles nerveux, physiques, psychiques attribués à l’action du diable » p.36. L’anti-Christ est le bouc émissaire facile de ses propres turpitudes : c’est pas moi, c’est l’autre ; je n’y peux rien ; je suis une victime, irresponsable… Cette culture de victimisation sévit encore largement de nos jours. Ce n’est pas la personne qui cède mais le séducteur qui force ; ce n’est pas la tentation qui est condamnable mais le tentateur ; ce n’est pas la faiblesse morale mais l’emprise de l’Autre ! Les démons chrétiens sont comme les Juifs : « ils sont partout ».

La peur du Malin est une forme du pouvoir des clercs d’Eglise, institution qui reprend les traits des anciens dieux païens pour mieux les dénoncer, le chamane cornu de la grotte préhistorique des Trois-Frères, le Cernunnos gaulois, les Thor et Loki vikings, le dernier changeant d’apparence et prenant toutes les formes – comme le diable est censé faire. « L’Eglise, en condamnant tous les plaisirs terrestres, contribue à renforcer l’attrait du diable, dont le caractère ambigu se reflète fort bien dans les hésitations des artistes » p.41. La beauté du diable fait de lui un Apollon séducteur tandis que la monstruosité le rend bestialement sexuel, ogre trapu, velu et fort comme Gilles de Rais, donc fascinant.

Les grandes peurs de l’an mille font faire passer le diable de bel éphèbe païen à bouc en rut barbare et repoussant. Le Concile de Trente exige que le diable soit représenté laid ! Mais Satan disparaît dans l’art classique, revenu avec la Renaissance aux canons grecs. Il faut attendre le baroque pour qu’il fasse son retour, avant le romantisme. Du 14ème au 16ème siècle, c’est « la grande chasse au diable » en Occident. L’Eglise de Rome, pressée par les rois qui secouent sa tutelle, en butte aux hérésies, confrontée aux Sarrazins et aux Juifs accusés de pratiques « pas très catholiques », crée l’inquisition et les bûchers des sorcières. Elles sont accusées de sabbat (« tous les jeudis vers minuit ») et même « les enfants sont torturés et brûlés avec les adultes » jusqu’en 1612 ! Les protestants comme le pouvoir civil ne sont pas en reste. Les manuels de démonologie et de sorcellerie sont « un vrai catalogue des fantasmes de clercs névrotiques imaginant tous les types de perversions, sexuelles en particulier, se déroulant au cours des sabbats » p.56.

Les exorcismes publics deviennent un théâtre propre à frapper les imaginations et à assurer le pouvoir de l’Eglise sur les âmes en insufflant la peur de Dieu et de son clergé. Ce dernier est déclaré dès l’an 416 seul apte à exorciser le démon (ce sera un monopole officiel catholique en 1926 !). Paul VI ne supprimera qu’en 1972 l’ordre des exorcistes dans l’Eglise. Les procès en sorcellerie touchent surtout les femmes rurales pauvres car ce sont elles qui tentent le plus un clergé frustré, forcé au célibat, d’autant que dans les campagnes peu éduquées subsistent encore des rites bacchiques de fécondité. « Ce sont les clercs eux-mêmes qui, par leurs traités, affirment l’existence de la sorcellerie et des sabbats et en répandent la croyance, en se basant sur des aveux extorqués par la torture et qui correspondent à l’idée qu’ils se font de l’action démoniaque dans le monde » p.59. Les procès staliniens se dérouleront de la même façon en faisant « avouer » aux membres du parti considérés comme traîtres au grand Staline des crimes que leurs accusateurs inventent et qu’ils leur font signer sous la torture ou celle de leurs proches, gamins compris. Les rois reprennent cette politique pour réprimer ceux qui leur font de l’ombre : Philippe le Bel contre les Templiers, contre le pape Boniface VIII ; le pape lui-même contre les évêques de Troyes et de Cahors. Plus tard, les missionnaires attribueront la résistance des indigènes au Démon.

Les 17ème et 18ème siècle verront le scepticisme grandir, préparé par Montaigne qui, en 1588, ridiculise la chasse aux sorcières dans son essai sur « les boiteux ». En 1682 est supprimé par ordonnance royale en France le crime de sorcellerie, la supercherie de « cas » de possession démoniaques par des nonnes sexuellement frustrées ayant été éventée à Loudun en 1632 et à Louviers en 1643. Le diable devient un mythe littéraire avec le Méphistophélès de Faust qui ressemble à Monsieur Tout-le-monde (il n’a pas, comme au Moyen Âge, la gêne de devoir rouler sa queue dans sa poche, de cacher ses cornes sous un grand chapeau et de chausser de bottes ses pieds de bouc). Le mal de vivre est l’autre nom du démon, attesté chez Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix. Voltaire « considère le diable comme une autre invention de l’Eglise pour tenir le peuple en laisse » p.87. Sade récuse l’existence de Satan et Milton en fait un enjôleur.

Au siècle suivant, Dorian Gray le voit en lui par son miroir et le Mr Hyde du Dr Jekyll réduit Satan à la psychiatrie en l’homme. Le satanisme est de mode dans la bourgeoisie des grandes villes, comme le rapporte Huysmans dans Là-bas : c’est avant tout un ésotérisme sexuel, dans une époque victorienne trop répressive. Mais le 20ème siècle voit « Satan superstar ». Il est le Rebelle aux pouvoirs, le Libérateur des obscurantismes, le promoteur du progrès prométhéen. Vigny chante sa beauté maudite en porteur de lumière, Hugo chante La fin de Satan, Baudelaire le rend compagnon du désir. La fascination du cinéma rend le diable plus tentateur : le septième art n’est-il pas l’incarnation même du faux-semblant et de l’illusion ? Nosferatu incarne le mal indestructible, le Dr Mabuse l’orgueil diabolique de la science dévoyée, Rosemary’s Baby et L’Exorciste revivalisent l’image du diable qui possède sexuellement, rendant les filles pubères « victimes » et non pas actrices de leurs désirs. Le Mal, c’est les autres, au point que Charles Manson incitera sa secte à massacrer les riches hollywoodiens qui l’ont rejeté. Le satanisme est aujourd’hui une provocation ado, encouragée pour des raisons commerciales par le rock rebelle et transgressif qui pulse pour assommer l’angoisse de vivre.

Mais « tous les mouvements fondamentalistes et sectaires cultivent la hantise du diable jusqu’à l’absurde » p.107. Il s’agit de sans cesse rejouer Moi contre les autres, Nous contre les Ennemis, les forces du bien contre celles du mal : Le seigneur des Anneaux, Harry Potter, Star Wars font du combat positif contre les forces négatives les ressorts de l’histoire. Car, s’il n’y a pas de diable, il ne reste que l’homme : sa liberté, sa responsabilité, son éventuelle lâcheté. Les psychiatres, depuis Freud, font du diable l’image pulsionnelle de peur et de séduction de l’Interdit. Le sexe, parce qu’il fait l’objet de nombreux tabous, est la principale origine des maux « diaboliques » contemporains.

Georges Minois, Le diable, 1998, PUF Que sais-je ? 2000, 126 pages, €12.63 e-book Kindle €5.49

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Jean d’Aillon, Béziers 1209

Le romancier de l’histoire médiévale Jean d’Aillon a déjà guidé son héros Guilhem dans 17 aventures depuis l’an 1190 ou à peu près. Le jeune chevalier a désormais trente ans, s’est marié deux fois et a deux fois perdu son épouse en couche. Il est désormais au service du roi de France Philippe qu’on dit « Auguste » dès 1185 (à 20 ans), comme prévôt de son Hôtel.

C’est alors que cette ordure de pape « Innocent » III, qui porte bien mal son nom, fulmine pour déclencher la croisade – non contre les Sarrasins qui occupent les lieux saints de Jérusalem – mais contre les sujets mêmes du roi de France, les Cathares. Ce qu’un pape ne devrait pas faire, comme le montrera plus tard un président à propos du dire – mais le pouvoir suprême rend fou. Le roi, très imbu de son autorité et peu enclin à verser le sang de ses sujets, alors même que Jean sans terre d’Angleterre le menace depuis la Guyenne et les ducs de Flandres et de Boulogne sur son flan nord-est, est réticent. Il écoute d’ailleurs les remarques de son prévôt Ussel, qui a laissé son fief de Lamaguère près de Toulouse, pour le servir.

Le clan des barons préoccupés de pillage et de gloire est à fond pour la croisade contre les hérétiques, prétexte bien connu des avides et des sans grade pour les riches possessions des autres. Les terroristes islamistes ont la même attitude de perdants qui veulent se venger d’un mode de vie hédoniste qu’ils envient et auquel ils n’ont pas accès. Le comté de Toulouse est riche, la vicomté de Trencavel aussi, et les envahir au nom de Dieu, massacrant tout le monde selon l’idée que « Dieu reconnaîtra les siens », les fait baver de convoitise.

Reste le problème Ussel, favori du roi. Un complot est donc ourdi par quelques grands barons et clercs d’église pour « éloigner » Guilhem d’Ussel le temps que le roi décide la croisade. Une puterelle est égorgée (à l’islamiste) et éventrée (à la chrétienne) pour en souiller un autel de l’église Saint-Gervais. Il s’agit d’orienter l’enquête vers les hérétiques et d’éloigner Guilhem d’Ussel vers les confins normands, d’où serait originaire la victime. Là, un seigneur félon avide de rançon, le fait enlever et le garde en prison durant plusieurs mois, le négociant contre son poids en or.

Mais le monde médiéval n’est pas celui de l’héroïsme individuel. Philippe Auguste ne fait pas ce qu’il veut, dépendant des barons et quelque peu de l’Eglise ; et Guilhem d’Ussel n’est pas seul et bénéficie de ses fidèles compagnons, ceux qu’il a fait armer chevalier et ceux qui l’ont suivi. Après le piège, la traque. En seconde partie, trépidante, l’auteur nous emporte vers la vengeance, dans un pays ravagé par la guerre et le pillage.

Car « la foi » est un commode prétexte pour violer, massacrer et piller sans remord, absout par avance par « la gloire de Dieu ». Les croisés barons du nord qui déferlent vers le sud veulent des fiefs. Mais les ribauds et ribaudes qui les accompagnent en masse ne veulent qu’assouvir leurs bas instincts de violence. Ce ne sont que femmes dénudées, défoncées et occises, enfants défenestrés ou éventrés, hommes abattus, dépouillés et démembrés.

Le pire sera Béziers, en 1209, où une sortie mal conduite par des assiégés folâtres permettra l’entrée des gueux par la poterne laissée ouverte – probablement par traitrise – et le massacre des habitants. Les dignitaires d’Eglise ont soigneusement quitté la ville la veille, non pas « nus en chemise » en laissant tous leurs biens, comme il était requis des repentis laïcs – mais avec or et bagages. L’Eglise ne perd jamais le sens de ses intérêts et les « ouailles » ont à subir la politique des maîtres – évidemment au nom de Dieu. Qui ne dit rien et laisse faire, comme s’il n’existait pas.

Flanqué de ses deux féaux Peyre et Gregorio, Guilhem va tenter de sauver ceux auxquels il tient dans cette guerre civile sans merci. Son château est à demi détruit et la moitié de ses gens massacrés, mais il sauve le reste et le trésor qu’il y a enfoui. Il ne peut en revanche sauver Amicie la parfaite, qui se dévoue à Béziers. Mais il se vengera par l’ordalie de Beaumont le traître qui l’a fait emprisonner et qui a voulu le piller. Il s’agit d’un combat à mort entre champions, que l’Eglise est forcée de reconnaître comme « jugement de Dieu » – bien qu’elle ait toujours à cœur d’interpréter par elle-même ce que Dieu veut dire.

Mais la liberté régnait encore parmi des féodalités et les allégeances, et l’Eglise n’était pas assez puissante pour imposer ses vues aux coutumes des grands barons du royaume.

Bien écrit en langage simple et direct, malgré l’abus manifeste du terme anachronique de psychologie de bazar contemporaine qu’est « mutique » – donné souvent pour le mot « muet ». Le souci de l’action et l’accumulation de petits détails qui font vrais, comme la nourriture et la vêture, l’usage d’un vocabulaire du temps, quoique toujours compréhensible vu le contexte, ajoute au plaisir de lecture. Les étripages ne sont pas gais, mais nous ne sommes pas au cinéma et l’imagination de chacun peut occulter à loisir le sang qui coule. L’ambiance d’époque est en revanche bien rendue et – à l’inverse de l’hagiographie à la Max Gallo – donne un air de vérité aux aventures.

Jean d’Aillon, Béziers 1209 – les aventures de Guilhem d’Ussel, chevalier troubadour, 2016, 527 pages en édition originale Flammarion, J’ai lu 2017, €8.00

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Château de Montségur et catharisme

Le guide nous fait lever à 6h15 car la randonnée sera longue, la visite du château commentée à certaines heures, et l’horaire à Foix à 18 h. Il ne fait pas encore vraiment jour lorsque nous prenons le petit-déjeuner, tout prêt dans la salle commune. Seul le vieux chien qui dormait là hier a suivi sa maitresse et est rentré chez lui. Le gros pavé de talc brut de Luzenac qui sert à caler la porte est d’une douceur sans nom à la main.

sentier cathare gorges de la frau

Nous descendons dans les gorges de la Frau, piste forestière en pente douce dans la « réserve biologique intégrale » plantée de hêtres et de conifères.

pluie gorges de la frau

Nous suivons ladite route des sapins » sous une bruine dégouttante avant de remonter, longtemps et rudement de l’autre côté : 600 m de descente et 800 m de remontée ! Nous y observons le coquelicot jaune, je n’en avais encore jamais vu.

coquelicot jaune

L’étape sera de 21 km, ponctuée par le pique-nique après les gorges et la remontée jusque sous Montségur. Mais il faut encore grimper au château, sis à 1207 m, et la billetterie n’est qu’à mi-chemin de l’escarpement ! Nous suivons le chemin de Rixende, du nom d’une bonne femme, supérieure des parfaites de Montségur, emprunté quarante ans durant par les cathares.

montsegur village

Le château actuel de Montségur n’a en fait rien de cathare : le point fortifié des Parfaits et des faydits a été détruit et celui-ci n’est qu’une ruine croisée appartenant à la famille de Lévis, bâtie en 1244 avec les pierres précédentes. C’est en fait tout le pog, long de 800 m, qui était fortifié et les seuls restes authentiques sont les fondations des maisons que l’on peut encore apercevoir à l’extérieur des remparts. Même si, sous la brume comme aujourd’hui, les ruines prennent un mystère romantique, la réalité force à dire que les ruines cathares sont un mythe d’aujourd’hui.

montsegur chateau

Environ 600 personnes pouvaient vitre sur le piton fortifié. En mai 1242, onze inquisiteurs sont tués à Avignonet par des faydits venus de Montségur. Le pape en colère oblige le roi de France à ordonner le siège du piton, commencé en mai 1243 par Hugues des Arcy. Il dure dix mois, l’hiver est rude. Le 2 mars 1244, les assiégés se rendent mais une mystérieuse trêve de 15 jours (qui fera gloser) est décrétée pour que les Cathares du lieu abjurent ou périssent. Le 16 mars 1244, ce sont 220 Cathares qui montent – certains volontairement, en croyants convaincus d’atteindre direct le paradis – sur le grand bûcher préparé au pied de la forteresse. Le village s’est installé en contrebas en 1287, sur son emplacement actuel.

montsegur chateau interieur

Le conférencier est un fils du village qui parle bien. Il captive les enfants et les adolescents montés depuis le parking mais trop peu vêtus pour ce frais qu’installe la brume. Les garçons de 13 et 15 ans se blottissent contre leur mère tandis que les fillettes de 7 et 9 ans font de même près de leur père, c’est amusant. La légende romantique du Montségur cathare est née fin XIXe, créée par le protestant républicain Napoléon Peyrat ; elle s’est enrichie par la suite de « mystères » liés aux Templiers, au Graal et aux nazis. « Mais n’oubliez pas, dit le conférencier, que les Cathares se veulent de parfaits… chrétiens : ils prennent l’intégralité du Nouveau testament. Ils étaient donc moins « hérétiques » que « puristes » ou « intégristes » de l’église des premiers temps des apôtres, en tout cas en faveur de la paix. Ils se disaient eux-mêmes « bons hommes ». »

Pour eux, Dieu étant parfait n’a pu créer le Mal, ni la corruption de la chair. Ce monde-ci est donc du Diable, radicalement hors du divin. L’humain est entre les deux, doté d’une âme qui a vocation à rejoindre Dieu à condition de le mériter. Ce pourquoi les Parfaits ne mangent point de viande, chair pervertie par la sexualité. Tant qu’elle pèche, l’âme se réincarne dans la matière. L’église catholique est donc, pour ces fondamentalistes évangélistes, du diable : trop riche, trop doctrinaire, trop cléricale, loin du pur message des évangiles. Au contraire, les cathares ne veulent recevoir le baptême qu’une fois adulte, baptême fondé en raison, comme le Christ sous l’eau de saint Jean-Baptiste. Chaque Parfait peut imposer les mains, reconnaître ou absoudre par le consolament.

Dressés contre l’Église et contre l’obéissance féodale, attirant à eux petits nobles déclassés, lettrés et bourgeois en plein essor sans espoir d’atteindre la noblesse, comment n’auraient-ils pas été rejetés, convaincus idéologiquement « d’hérésie » et vaincus ?

Ce ne sont pas les Parfaits qui se battaient, ils avaient décidé de suivre le Christ en pauvreté et bonté, faisant le serment de ne jamais tuer. Mais ce sont les faydits et leurs affidés, ces seigneurs dépossédés de leurs terres par les croisés du nord, qui défendaient leurs fiefs, femmes et enfants.

montsegur panorama

Le catharisme ne vient pas d’ailleurs, mais de la réflexion théologique elle-même. L’essor de la dialectique a fait choisir à certain le principe d’absolue contradiction : Dieu s’oppose au Diable comme le Bien au Mal, le parfait et l’imparfait. Bien loin de la sagesse chinoise de l’harmonie et du juste, la pensée platonicienne atteint avec les Cathares un délire puriste. Aucune conciliation n’est possible avec les contraires. Ce monde et cette vie-ci sont méprisables, seul l’au-delà et la vie éternelle – par le passage de la mort – valent. « Mon royaume n’est pas de ce monde », disait le Christ…

La fin du catharisme est moins due à la répression sanglante qu’à son extinction progressive grâce à a création des ordres monastiques mendiants dans l’Église officielle. Ils répondaient au désir de pureté des fidèles et au désir d’intégration des élites déclassées ou en ascension. Comme les Parfaits, ils donnaient eux aussi l’exemple d’une vie de pauvreté et d’abnégation au service des autres.

montsegur panneau indicateur

Après la visite, nous nous contentons de redescendre sur le parking où le taxi vient nous prendre pour nous conduire à Foix, sur le parvis de la gare, où certains ont garé leur voiture et d’autres prendront le train.

FIN de la randonnée sur les « chemins cathares ».

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Château de Puivert, troubadours et patous

Au matin, nous devons monter et descendre encore. La visite du château nous fait passer de 375 à 1087 m.

chateau de puivert entree

Privé, le château est bien restauré, avec des clins d’œil vers le spectaculaire, comme ce squelette enchaîné après avoir été torturé dans l’oubliette d’une tourelle dans la tour bossue

chateau de puivert squelette torture tour bossue

Ou encore ces instruments de musique sous vitrine en regard des huit sculptés en culs-de-lampe sur les murs de l’instrumentarium. Ils rappellent que les poètes troubadour étaient les bienvenus dans cette famille puissante.

chateau de puivert instrumentarium

La cour d’honneur de 100 m sur 40 est entourée de six tours de défense et d’une tour de logis de 25 sur 20 m.

chateau de puivert cour d honneur

Une autre légende de dame blanche court ici. Jusqu’en mars 1289, un lac était dans la plaine de Puivert. Une princesse d’Aragon qui aimait passer le printemps au château s’asseyait le soir sur un rocher en forme de trône, tout au bord des eaux. Un soir qu’elle était triste, elle pleura tant que les eaux du lac gonflèrent, l’empêchant d’accéder à son siège. Un troubadour lui dit être capable de lui faire retrouver son trône et fit tant que le barrage céda, emportant le lac et la dame.

chateau de puivert cle de voute

La salle des gardes ne servait pas de salle d’armes. Elle serait plutôt l’équivalent du bureau et servait à entreposer les archives et rendre la justice. Le sol est au niveau de la cour et des cousièges suivent les degrés des escaliers. Cette salle voûtée de 8 m sur 7 force l’humilité par son dépouillement.

chateau de puivert salle des gardes

À la redescente, nous empruntons un autre chemin qu’à la montée. Le « chemin des troubadours » est ponctué de panneaux explicatifs qui nous en apprennent beaucoup sur la poésie occitane des XIe au XIIIe siècle. Les trouveurs de la fin’ amor, chevaliers-poètes cadets de famille, s’inspiraient des chants arabes hispaniques et idéalisaient leur dame, à laquelle ils étaient fidèles comme à leur seigneur. Comme le proclame avec forfanterie Peire Vidal de Toulouse, ils savaient « ajuster et lier si gentiment les mots et le son ». Ils disaient la longue patience qui purifie le désir, le chagrin qui mûrit la perfection intérieure, la joie d’aimer par la seule présence de la dame, sans même lui parler ou la toucher – ce qui donné notre sens de notre mot « courtoisie ».

chateau de puivert ruines

Transposition hétéro de l’amour homosexuel d’al-Andalus, mais aussi traduction en poèmes de ce désir réfréné du catharisme pour qui la chair est le diable, austérité elle-même à la convergence du platonisme pour qui le Bon et le Beau sont radicalement hors de ce monde mais où le désir charnel doit amener par degrés. Plus prosaïquement, ce sont les chevaliers sans fortune ni avenir, déclassés, qui chantaient ainsi leur frustration de ne pouvoir s’établir et baiser, dédaignés des nobles dames. Ils apparaissent à la première croisade et déclinent à la croisade des Albigeois, lorsque le pouvoir royal a triomphé en Occitanie, faisant reculer la langue d’oc.

chateau de puivert logis

De retour au gîte pour y prendre nos sacs à dos et le pique-nique à emporter, le taxi nous transporte plusieurs kilomètres jusqu’à 820 m d’altitude ; nous devrons monter jusque vers 1300 m par le GR 7, dans un chemin forestier vers le plateau de Langarail. Le soleil se couvre durant le pique-nique très copieux (un demi-pain bourré de salade, tomate, œuf dur, mayonnaise plus une banane et une tranche de gâteau). Le pré derrière les sapins se couvre de nimbus descendus bas ; il fait frais et la visibilité tombe.

patou plateau de Langarail

Nous rencontrons un troupeau de brebis, annoncé par ses clochettes, puis deux patous qui surgissent en aboyant, tous crocs dehors. Ce sont de gros chiens blancs des Pyrénées qui ont la garde des troupeaux. Tout petit, ils sont élevés au milieu des moutons qui deviennent ainsi leur famille. Toute menace sur le troupeau est perçue comme une menace sur eux-mêmes et les chiens, en général par deux, maintiennent une zone de protection autour des moutons. Ils n’attaquent pas s’ils ne sont pas attaqués mais dissuadent en aboyant, crocs sortis.

Notre guide local sait comment faire devant ces chiens de berger qui font bien leur travail. Il nous immobilise, nous demande de rester groupés, sans aucun geste agressif ; il leur parle doucement, « oui, le chien, t’es beau, oui, tu fais bien ton travail le chien, oui… ». Nous reculons lentement pour laisser le troupeau à distance, manifestant ainsi nos intentions. Ne pas crier, ne pas courir, ne pas caresser, ne pas brandir ou lancer, ne pas fixer dans les yeux, descendre de vélo. Il y a bien des dépliants écrits aux gîtes, et quelques panneaux sur le sentier, mais rien ne vaut l’expérience directe pour ce savoir-vivre face aux chiens patous.

brouillard plateau de Langarail vache

Nous croisons plus tard un troupeau de vaches allaitantes, à contourner lui aussi, car ce sont les vaches qui pourraient nous encorner si nous approchions de trop près de leurs veaux.

Au repos sur l’herbe, parmi les fleurs des prés, l’une d’entre nous attrape des tiques. Elle a peur de la maladie de Lyme mais le guide sort sa crème solaire (pour les amollir) puis sa pince à tique (plus étroite que celle pour chat) et dévisse adroitement la bête. Il ne faudra s’inquiéter que si une plaque rouge survient dans quelques jours ou semaines mais lui-même, comme nombre de gens qui ont couru dans les herbes jambes nues et torse nu étant gamins, est porteur de la bactérie sans qu’elle se manifeste.

clandestine fleur

En forêt, nous avons vu la rare fleur violette parasite des arbres appelée Clandestine. Tout à côté d’une énorme fourmilière de près d’un mètre cinquante de haut et près de deux mètres de diamètre.

Puis nous sommes montés interminablement sur la crête, dans le brouillard qui faisait ressembler nos suivants ou précédents à des fantômes bossus parfois munis de grandes ailes pour ceux qui avaient mis la cape. Je me suis retrouvé en Norvège avec les trolls. Du Pas de l’Ours, nous ne pouvons voir le pog de Montségur ; il est dans les nuages. Nous passons le col de Gacande à 1352 m. Le « village occitan » de Montaillou, qui a donné envie au guide d’approfondir l’histoire des Cathares comme à moi de venir ici, est de l’autre côté de la crête.

brouillard plateau de Langarail

Nous sommes heureux d’arriver enfin au gîte de Comus, à 1300 m. Dommage qu’il faille descendre au village avant de remonter sur le bitume d’une bonne centaine de mètres pour trouver le gîte communal neuf, situé dans les hauteurs ! Il est ouvert depuis quatre ans seulement, l’ancien était dans l’école désaffectée, plus bas. Il est tenu par Madame Pagès, dynamique cuisinière qui compose des confitures poivron-tomate ou céleri branche ! Même l’apéritif est une composition originale de vin, épices et eau de rose maison. Elle nous sert des cailles farcies avec un gratin de pommes de terre, suivies d’une tarte aux noisettes du coin. Elle nous offre même une liqueur de menthe qu’elle a confectionnée.

gite de comus

Trois autres randonneurs occupent des chambres dans le gîte, une anglaise qui passe ici son diplôme d’accompagnatrice en moyenne montagne et deux marcheurs catalans.

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Château d’Able

Le lendemain matin nous voit passer dans le pays de Sault par Joucou, « village de 25 habitants mais 2 enfants », nous dit une artiste qui emballe ses créations en bois pour vendre à une foire.

joucou

L’église, qu’elle nous ouvre, est entretenue par les habitants ; il ne s’y tient qu’une messe par an.

joucou eglise

Plus bas, près du lavoir public, se dressent encore les ruines d’une église abbatiale précarolingienne, attestée dès 768, à la mort de Pépin le Bref, mais qui a rayonné pendant plus de sept siècles sur le pays de Sault. Elle aurait été détruite par un glissement de terrain. Un cerisier gorge-de-pigeon nous offre ses fruits mûrs à point. La fontaine est décore d’un ours et d’un dragon « par les jeunes de Limoges et de Joucou », comme il est proclamé dans un coin.

joucou eglise abbatialle precarolingienne

Nous suivons le sentier forestier de hêtres et de conifères qui commence au centre du village, le long de la rivière Rebenty. Il nous conduit au pont romain d’Able à arche unique, étroit comme la largeur d’un char d’époque, que nous traversons. Les ruines du château d’Able, détruite au 16ème, se trouvent au-dessus ; elles ne présentent aucun intérêt.

pont romain able sur riviere rebenty

Nous traversons une forêt avant de pique-niquer sur un pré herbu et fleuri du causse de Nébias. Au loin la montagne Saint-Barthélemy, 2348 m, au pied du lac du Diable, est enneigée. Au gros village de Belvis, 185 habitants, le vent tombe à petite brise. C’est à ce moment que le guide m’indique que le vin qu’il préfère est le Minervois du domaine Sainte-Léocadie, à Aigne. Avis aux amateurs, je n’ai pas goûté.

belvis

Dans le bois qui s’étend après le village, les écoles ont créé du Land art sous la voûte envoutante. C’est un peu naïf, souvent cucul, parfois inventif, en tout cas scolaire (je vous présente le plus joli…). Je ne suis pas convaincu. Puisqu’il s’agit d’écrire un mot sur une pierre pour contribuer à une « œuvre » qui est une boite à vœux, M. écrit « épectase » ; il est féru des particularités du dictionnaire, M., il se documente en autodidacte sur des sujets parfois pointus qui laissent pantois. Est-ce que ce mot est pour lui une tension de l’homme vers Dieu ? Il serait bien protestant… Ou serait-ce un mot joli pour dire l’allongement de la verge (qui est la manifestation terrestre de la montée au paradis comme le vécurent Félix Faure et Jean Daniélou) ?

belvis land art ecolier

Au sortir du bois s’élève un monument aux résistants des maquis de Picaussel, 1943-44.

maquis de picaussel 1943

Le hameau La Malayrèdes nous offre sa fontaine rafraichissante et son église où, sous les voûtes sonores, M. pousse le chant religieux en l’honneur de Marie.

la malayredes eglise

Mais après l’extase, la chute : une descente pentue par « le sentier 13 » (2 km), traitresse aux chevilles et interminable nous conduit, par la forêt. C’est casse-pattes, créateur d’ampoules aux orteils, ennuyeux au possible.

belvis foret

Nous rejoignons le « sentier K » jusque dans la plaine sèche où plusieurs kilomètres nous séparent encore du gîte. Le chemin fait une boucle pour contourner une zone boueuse et nous avons l’ennui supplémentaire de tirer un bord loin de notre destination avant d’y revenir ! Nous avons sous les yeux, bouchant l’horizon, la crête du château de Puivert que nous visiterons demain.

chateau de puivert

Un passage à gué sur des plots nous conduit jusqu’à un lac artificiel, où une curieuse bouée munie de battoirs aériens sert à brasser l’eau. Deux gamins s’ébattent en slip tout au bord après l’école, un Killian de sept ans bien bâti et un Stéphane de dix ou onze ans un peu mou. Ledit Killian vient chercher une glace à la buvette, où l’on semble bien le connaître, ce qui nous permet de connaître les prénoms. Nous nous posons juste un instant dans l’herbe face au lac, tant nous avons la plante des pieds et les chevilles fatiguées. Nous aurons marché 28 km aujourd’hui, selon le GPS, confirmé plus ou moins par le podomètre de M.

Nous ne sommes pas fâchés du tout de rejoindre, au centre du village près de l’église de Puivert, 521 habitants, le gîte Les Marionnettes. La nuitée en gîte coûte 15€ par personne, le dîner 16€ et le petit-déjeuner 6€ ; si l’on veut une chambre, il faut payer 36€ + 0.40€ de taxe de séjour. Sa terrasse donne sur une pelouse ombragée par un gigantesque cerisier et surplombe la rivière Blau dont le fonds sonore est calmant et l’atmosphère rafraichissante. Un titi de douze ans en débardeur macho, qui sert d’exemple à un short et lunettes de neuf ans, nous indique le musée du Quercorb (arts, traditions, instruments de musique médiévaux), mais nous sommes trop fatigués par le chemin et la descente pour y aller voir. Nous rencontrons enfin une progéniture, dans cette campagne à l’abandon.

Le dîner sur la terrasse nous sustente en soupe de légumes verts, filet de dinde aux oignons, pâtes et ratatouille de conserve, enfin un fraisier confectionné par la dame, paraît-il très moelleux (je ne suis pas dessert et n’en prends pas). Elle et lui sont Parisiens, émigrés ici à la retraite depuis quelques années. Nous sommes si fatigués, meurtris et déshydratés, que nous allons nous coucher à 21h30. La nuit n’est même pas entièrement tombée.

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Château de Puylaurens

Du soleil et du vent, ce matin. Une bonne odeur de café filtre parmi les lattes de séparation d’avec la cuisine. Après avoir chargé nos sacs sur le dos et quitté le gîte, nous poursuivons la piste jusqu’au village de Puylaurens, parmi les genêts en fleurs qui embaument au printemps comme en Bretagne.

puylaurens

Le château, qui appartenait à l’abbaye de Saint-Michel de Cuixa en Roussillon,  est perché sur son piton dédié à Laurent (puy laurens), au confluent de deux vallées, couleur de falaise comme lui. En face du pont qui mène au village s’ouvre une minuscule mairie-école avec une courette de récréation en ciment devant. Trois toilettes sont adossées dans un coin. Cette école primaire minuscule, qui devait rassembler plusieurs niveaux de classes comme j’ai connu jadis, accueillait les déjà rares enfants du cru. Elle est aujourd’hui désaffectée.

puylaurens au pied du mur

Nous grimpons au château par un chemin forestier. La billetterie n’est pas ouverte, bien qu’il soit passé dix heures ; la fille qui la tient est en retard et ne surgit en trombe d’une Clio qu’une vingtaine de minutes après l’horaire déclaré. Nous montons parmi l’arboretum aux pancartes qui indiquent les espèces, dont le camerisier que je ne connaissais pas. Le vent souffle toujours et il fait froid, côté ombre. Le château culmine à 697 mètres au-dessus de la vallée de la Boulzane, chemin naturel vers la grande cité de Carcassonne. Il a, comme souvent, sa légende de dame blanche. Il faut dire que Blanche de Bourbon a fait un bref séjour dans le château et a laissé son nom à une tour.

puylaurens assommoir

La porte principale est ouverte dans le rempart sud, seul accès en moins forte pente ; divers aménagements défensifs filtrent l’entrée, dont un assommoir, des archères à arbalètes, puis une barbacane. Une fois entrée, un mur percé d’ouverture pour le tir, arbalètes et armes à feu, a été ajouté ! N’entrait pas qui voulait. Pour accéder à la porte d’entrée de l’enceinte supérieure, résidence du seigneur, il fallait passer sur un pont de bois ; on en voit encore les supports de pierre.

puylaurens cour interieure

La muraille épouse le rocher autour d’une cour intérieure d’environ 60 m sur 25.

puylaurens muraille

Une tour « ouverte à la gorge » intrigue : ce terme signifie qu’elle n’a pas de mur côté intérieur, afin qu’elle ne serve pas de point d’attaque si un assaillant réussit à s’en emparer. Une poterne dérobée s’ouvre au nord. Malgré ces dimensions, la garnison est restée réduite, 25 sergents au temps de Simon de Cauda, qui tenait le château vers 1260.

puylaurens tour ouverte a la gorge

L’aristocratie du Fenouillèdes est favorable aux cathares, les registres de l’Inquisition signalent une importante communauté à Puylaurens et dans les châteaux voisins.

puylaurens enceinte

Après la visite, le pique-nique. Puis nous reprenons la piste, en descente vers Axat, à 248 m, traversé par l’Aude et précédé de son tunnel ferroviaire « de la Garrigue », foré en 1901 pour la ligne Carcassonne-Rivesaltes. Le centre-ville d’Axat est quasiment désert. Il y aurait 623 habitants aujourd’hui selon l’INSEE, mais pas un môme à jouer, ni dans les rues, ni sur le stade, en ce mercredi après-midi. Dieu sait pourtant que, dès qu’un môme vit quelque part, il ne peut s’empêcher de sortir pour jouer ou taper le ballon ! Les commerces sont fermés, la mairie en travaux, seul « le » restaurant propose des menus à des prix parisiens : 15.50 € pour une salade au camembert chaud, 11.50 € pour des tagliatelles beurre-parmesan… Le grand bâtiment sur la pente était jadis une école avec pension, puis a été vendu à EDF, enfin a été occupé par un centre des Impôts ; le bâtiment est désormais privé et offre des appartements en location. Mais le moindre T4 offert par l’agence immobilière coûte 650 € par mois !

axat

Le taxi nous transfère au gîte du hameau de Labau, occupé en fait par une seule personne qui se fait appeler « Pati ». Il a un locataire à copine et petite fille, tous venus s’isoler en famille. Le propriétaire est arrivé ici « avec des potes en 68 » et s’est mis, comme c’était la mode d’époque, à élever des chèvres. Ils ne se coupaient pas les cheveux et les enfants allaient tout nu, sales comme des peignes. L’individu est resté seul, peu à peu la copine et les copains qui avaient fait des petits quittaient la rude vie communautaire agricole pour retourner à la ville chercher un emploi de fonctionnaire…

Il se présente à nous les dents jaunes, en short et tee-shirt troué, en plein travaux de maçonnerie comme depuis 45 ans. Mais il est subventionné pour ses chèvres car il « entretient l’espace rural », autrement délaissé. Pati qui se trouve bien ici : les chèvres lui suffisent et l’herbe qu’il cultive le fait rêver. Il a élevé quelques chevaux de Mérens ou poney ariégeois qui ressemblent étrangement aux chevaux magdaléniens peints sur les parois des grottes. Mais la bête est destinée plutôt à la monte et au trait, mode des années 70 qui est passée avec la crise économique depuis 2008. Ces chevaux noirs robustes et résistants auraient tirés les canons de Napoléon durant la campagne de Russie.

Pati retape les bâtiments tout seul, à ses heures de loisir, il tient aussi tout seul aussi le gîte de 25 places. Autant dire que le ménage est rarement fait, sauf les draps, et les moutons courent allègrement sous les lits, au grand dam de Josiane qui s’est malencontreusement penchée pour chercher je ne sais quoi.

diner gite de labau

Après un Rivesaltes bruni en apéritif devant la cheminée qui tire mal (nous sentons encore la fumée plusieurs jours après), le dîner est somptueux. Carottes râpées salade du jardin avec sauce au gingembre (souvenir indien), gigot d’agneau de son élevage bien arrosé et cuit à la perfection, très moelleux, haricots verts, et melon du Maroc bien sucré.

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Château Saint-Pierre de Fenouillet

Nous quittons l’accueil paysan dans un paysage humide des pâturages de Haute Corbières au vent établi. Nous montons dans les alpages parmi les génisses à robe grise, puis dans la forêt de feuillus (hêtres et chênes) dont le chemin est amorti de feuilles mortes. La grimpée est rude jusqu’au plateau, au-dessus duquel roulent les nuages échevelés par un vent violent. Nous aurions pu apercevoir le puech de Bugarach, pas loin à vol d’oiseau, trop connu pour sa position imaginée dans le calendrier maya, mais il reste dans la brume.

pature abandonnee caudies

La resdescente sur l’autre versant passe par une pâture abandonnée depuis la mobilisation de 1914, malgré une tentative de retour à la terre dans les années 70. Le lieu est trop isolé, trop dur à vivre. À l’estive, vaches à lait et chevaux de randonnée sont mis au pâturage, mais le berger ne monte qu’une fois tous les deux ou trois jours pour faire son inspection. De la ferme de 1914 ne subsistent que les murs, et un petit engin chenillé post-68, un étang devant et une belle allée de frênes.

chevaux pature libre

Nous joignons la vallée par « le chemin du facteur » qui passe par les bois, un pierrier et un plat. Nous pique-niquons au soleil qui revient. Seul le vent n’a pas faibli et fait siffler la cime des pins sylvestres. Le « bar » nous attend à Caudiès-de-Fenouillèdes, la fontaine publique à trois becs juste au-dessous de la mairie.

caudies de fenouilledes

Un lion de bronze, qui la surmonte, est dédié au fondateur de l’arrosage, Casimir Benet Hoche, maire de Caudiès né en 1811.

casinir benet hoche maire de caudies

Le village traversé, dont la ligne de chemin de fer touristique peu passante en cette saison, le chemin monte dans la forêt vers Notre-Dame de Laval, dont le parc a servi de terrain de jeux aux ados cathos jusque dans les années 1960.

foret notre dame de laval

Aujourd’hui désertée faute de scouts, elle est le point de départ du chemin de la gorge Saint-Jaume, une fente de calme et de fraîcheur en sous-bois. Il faut faire attention où l’on met les pieds car le chemin est parfois entamé sur ses bords et nulle photo ne doit être faite sans s’arrêter, sous peine de choir dans le ravin.

gorges sainte jaume

Le château vicomtal de Saint-Pierre surmonte le village de Fenouillet quasi désert, sauf un chien qui promène en laisse son maître. L’église est fermée et le château s’étale en ruines éparses sur la hauteur, un vrai catharnaüm ; nous n’y montons pas. Il est construit sur le modèle du castrum, qui incluait le donjon du seigneur (enceinte haute) et les maisons du village entourée d’une enceinte basse. Tout le monde s’y côtoyait.

fenouillet chateau de st pierre

Sur la hauteur en face, un autre château dresse ses ruines, celui de Sabarda. Il a supplanté le premier avant d’être lui aussi délaissé lorsque les temps furent venus.

fenouillet chateau de sabarda

Il nous reste à monter un quart d’heure dans la forêt pour trouver la piste qui mène au gîte d’Aygues-Bonnes (les bonnes eaux) à 5 km de là, sis à 630 m d’altitude. La piste est plate, creusée d’ornières et de virages, elle sent bon la résine mais reste fastidieuse à parcourir en fin de journée. Nous aurons parcouru 25 km et 1000 m de dénivelés cumulés aujourd’hui. Le gîte est un hameau de trois fermes dans un vallon au bout de tout, à 10 km de Puylaurens. L’accueil y est aussi « paysan », mais plus aimable qu’hier. On me sert du sirop de menthe à l’arrivée, deux gros chiens et un panneau indiquent que je suis au bon endroit.

Nous avons beaucoup de place et les filles décident de faire gîte à part dans une autre pièce. Nous dormons à l’étage d’un loft dont le rez-de-chaussée comprend une autre chambre, la douche et le coin cuisine et salle de séjour, avec sa cheminée au feu de bois. L’hiver, il doit faire bon se réfugier dans un tel gîte alors que le froid et la neige sévissent au-dehors.

gite aygues bonnes

Nous dînons avec les fermiers dans la salle commune de la ferme, qui donne directement sur la piste. Après un épais muscat de Rivesaltes, une soupe d’orties et consoude, du veau aux olives accompagné de tagliatelles et un crumble de pomme au gingembre. Lui a du mal à formuler les mots, elle a pris « pas mal de congés » pour aller randonner un peu, « voir les paysages » qu’elle ne voyait que de loin, à titre professionnel et en voiture !

Une chatte noire vive, que nous voyons filer jusque derrière la fenêtre où, depuis l’extérieur, elle observe les intrus que nous sommes dans son univers, a donné naissance avec un chat siamois à quatre petits. Le couple dont le fils s’est émancipé a gardé l’un des chatons, qu’ils ont appelé Bouchon, peut-être parce qu’il est de couleur semi-siamoise. Il joue, câline, en un mot séduit plus que tout. Mais il est effrayé de voir tant de monde et se réfugie sous les coussins du canapé dans un coin de la pièce. Les éleveurs nous disent faire peu de frais pour leurs bêtes, calculant même pour le chien la qualité-prix. Le chien idiot qui avait sauté du pick-up en marche et s’était cassé la patte a quand même eu droit au vétérinaire mais, au vu de la facture, il n’aurait pas été soigné si un devis avait été fait… Ils élèvent une cinquantaine de vaches à viande, dont une s’est perdue hier soir, d’où la rencontre avec nous en fin de journée. La pâture est pauvre et ils s’en sortent tout juste.

Ce pourquoi ils font « accueil à la ferme », label à cahier des charges qui leur permet de voir du monde et de facturer 10€ la nuit plus 16€ le repas par personne. Ils ont même accueilli un groupe de femmes pilotes d’Abu Dhabi l’an dernier, venues marcher sous voile. Le label « accueil paysan » oblige à obéir à une charte éthique des professionnels agricoles : paysans, retraités, acteurs ruraux et pêcheurs ou ramasseurs d’algues. Ce réseau associatif né en 1987, étendu à 23 pays du monde, comprend plus de 800 adhérents en France et environ 400 à l’étranger. Il a été reconnu par le ministère du Tourisme en 1998 et est devenu Fédération Nationale Accueil Paysan (FNAP) en 2000, reconnu par le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’environnement.

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Emmanuel Le Roy Ladurie, Montaillou village occitan

le roy ladurie montaillou village occitan

J’avais 20 ans lorsque j’ai lu ce livre pour la première fois et je viens de le relire pour une randonnée en pays Sabarthès. Il explore les registres d’inquisition de l’évêque de Pamiers Jacques Fournier, juriste et enquêteur méticuleux qui deviendra pape en 1334 sous le nom de Benoît XII. Il n’hésitera pas à faire arrêter une année toute la population du village au-dessus de 12 ans ! L’Église, à cette époque, était totalitaire : qui ne pensait pas comme elle était suppôt du Diable. Montaillou est un village fermier des pré-Pyrénées ariégeoises, vers 1300 m d’altitude. L’isolement, la vie très communautaire, les frasques des curés catholiques, font se tourner volontiers les habitants vers le catharisme 50 ans après la chute de Montségur. Le catharisme est un christianisme populaire, de bon sens, régénéré des origines sur l’exemple des apôtres mêmes. L’Église catholique le déclare « hérésie » par un coup de force moral, afin de disqualifier ces idées qui ne passent pas par ses clercs et pour punir ceux qui ne payent pas l’impôt d’agnelage.

Ce gros pavé d’ethnographie historique pourrait être indigeste, mais à la fois le registre très près de la vie quotidienne des habitants et le style de l’auteur imagé et un brin démagogique, en font un bon ouvrage de chevet lisible par tous. Surtout à l’époque de sa parution, avant Internet et à quatre chaînes de télé seulement, où les gens un peu cultivés avaient pléthore de temps.

Deux parties dans ce monument : l’écologie puis l’archéologie de Montaillou.

La première analyse la façon de vivre : la maison et le berger. L’existence s’étend entre la domus (maisonnée au sens large, familial et domestique) et la cabane (l’élevage et la transhumance des moutons sur les hauts pâturages). Pour être passé dans la région récemment, cela n’a guère changé, l’électricité en plus.

La seconde partie creuse les mentalités, le sexe, les stratégies de mariage, l’éducation par les aînés, les parents et le village, les réseaux culturels liés au fait de savoir lire, les lieux de rencontres que sont la taverne et la messe, le sentiment de la nature et du destin, la pratique religieuse entre la Vierge et tous les saints, les prêches des bonshommes, la pauvreté et le travail, le folklore et le sentiment d’au-delà.

En 1975, il y a 40 ans, ces thèmes ont rencontré la mentalité française. Le livre s’était déjà vendu à 129 000 exemplaires fin 1978 et se trouve aujourd’hui traduit en 21 langues. L’émission littéraire Apostrophes de Bernard Pivot le 15 septembre 1978 n’y est pas pour rien, Le Roy Ladurie ayant été invité par François Mitterrand lui-même, pas encore président. Mais cet engouement « de gauche » pour Montaillou prouve la nostalgie – paradoxale pour des « progressistes » – de cette France rurale et communautaire du « bon vieux temps » qui était en train de disparaître – et que Mitterrand accélérera malgré son affiche électorale sur « la force tranquille » sur fond de clocher campagnard.

C’était la grande époque du chèvre chaud-salade, des sabots suédois et des poutres apparentes, la mode des petit-bourgeois urbains issus de paysans, pour la plupart fonctionnaires, qui se découvraient un sentiment de classe et qui ont voté avec optimisme à gauche dans les années 1975-1985. Emmanuel Le Roy Ladurie, en 1975, se met à leur portée : il parle comme eux, avec ces tics d’époque que sont « au niveau de » et l’usage dans le vent d’une pléthore de mots américains devenus ridicules aujourd’hui dans la conversation : fifty-fifty, revival, challenger, meeting… Il n’hésite pas, lui historien universitaire, à causer familier, voire cru : « A cousine du second degré, enfonce-lui tout », écrit-il plusieurs fois (dont p.437) pour dire les limites de la prohibition de l’inceste au village.

Montaillou excitant : il parle sexe et entraide, féminisme et sodomie, révolte morale contre les puissants du Nord (le roi de France) et de Rome (le pape corrompu). La fornication simple n’était pas un péché à condition que les deux y trouvent plaisir, l’homosexualité (péché des villes et des intellos) n’est pas plus grave (p.243), l’amitié se gradue entre frères, amis et compères (p.183). Un petit air de mai 68, déjà, semblait régner au village.

Montaillou occit tant : l’auteur évoque cette Occitanie opprimée comme une colonie, ces croyants égalitaires cathares réprimés, emprisonnés, brûlés, ce qui parle aux gens de gauche volontiers pro-FLN, pro-palestiniens et anticapitalistes. Par ses oppositions entre domus et cabane, mâle et femelle, adulte et jeune, lettré et analphabète, il caresse le schéma en noir et blanc d’époque, gauche contre droite, à l’œuvre dans les petits esprits. Courant souterrain de la mentalité française des années 1970 imbibée du marxisme simplifié par Staline qui interprète l’histoire avec ses œillères idéologiques, croyant « comprendre » ce qui au fond n’a rien à voir.

le roy ladurie montaillou village occitan 1

Commençait déjà le stade sans mémoire où le « patrimoine » était d’autant valorisé que chaque génération se croyait la première, après 1968, pour inventer le monde nouveau. Le registre de Jacques Fournier conte une époque sans lettrés où l’histoire populaire est à plat, sans mémoire, le grand-père appartenant déjà pour ses petits-enfants à « un temps mythologique« . L’auteur note que ce temps rencontre le nôtre (en 1975), l’inculture et le zapping de la génération toujours neuve ignorant à dessein passé et traditions, sauf pour y sacrifier en chœur dans ce collectif obligé par les politiciens qui tentent de faire croire périodiquement qu’ils représentent la France. « En notre époque de message télévisuel et de massage télé-auditif, tous deux abolisseurs des logiques livresques, les procédés de l’histoire immédiate, du suspense, de l’énigme policière et du nouveau roman retrouvent sans effort les vieilles et simplistes méthodes qu’employaient en 1320, avant la ‘Galaxie Gutenberg’, les narrations du berger, vierge d’imprimerie et même d’écriture » p.430. L’avènement des petit-bourgeois socialistes, désormais installés et vieillissants, n’a fait qu’accentuer ce travers – dont on mesure aujourd’hui les méfaits, de l’école qui n’enseigne plus au terrorisme issu du manque de sens et de la dépravation bobo des mœurs.

Le Roy Ladurie, qui avait à se faire pardonner des parents collabos sous Vichy (dont un ministre), cite Nietzsche à contresens et même Céline (ce que l’histoire de Montaillou ne demandait pas), tout en érigeant autour de cette audace un mur de politiquement correct d’époque devenu risible à la relecture. Mais c’est qu’il fallait « se positionner », montrer clairement (même dans un ouvrage qui se voulait scientifique) de qui on « faisait le jeu ».

La lecture de Montaillou aujourd’hui reste agacée de ces scories idéologiques qui gâchent l’expression. Mais la plongée dans la vie quotidienne à la fin du moyen-âge d’un village de bergers reste un grand moment de l’histoire nationale. Elle montre l’existence ancestrale des petites gens, l’oppression des puissances intellectuelles et politiques sur le bas peuple, la trahison des clercs et les dénonciations anonymes, les liens transfrontières qui se nouaient déjà par vagabondages, commerce et transhumance tout autour du bassin méditerranéen. Une sorte d’éternité moderne, si l’on ose cet oxymore… À déguster par petites doses, les 28 chapitres fournissent ample matière à plaisir et réflexion.

Emmanuel Le Roy Ladurie, Montaillou village occitan de 1294 à 1324, 1975, Folio histoire 2008, 640 pages, €11.90
Format PDF €11.99
Format ePub €10.99

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Bas de Montcuq

Dimanche 28 août 2005

Selon traité de Meaux, les remparts ceinturant la ville ont été arasés. N’en subsistent qu’une empreinte sur le plan de ville, enserrant les habitations dans un castrum fortifié où les maisons s’enchevêtrent, séparées par de rares ruelles aux noms terminés presque toujours en –ou (sauf une étrange rue de Montmartre).

montcuq rues

montcuq noms des rues 2

La défense du lieu en est facilitée. Conséquence, les commerces comme les foires ne peuvent avoir lieu qu’à l’extérieur, au-delà du rempart ou de son souvenir, sur la Promenade ou dans les rues du Faubourg. Les étrangers ne pénètrent pas dans la cité, même pour l’irriguer de leur négoce.

Aujourd’hui d’ailleurs, seul l’Hôtel du Midi se propose sur la motte et le promeneur n’aperçoit pas un chat dans les rues. En cette fin de matinée du vendredi, je n’ai vu qu’un adolescent d’âge tendre s’évertuant à pousser une brouette plus lourde que lui près du donjon, que deux Bataves en discussion avec un maçon dans une bâtisse éventrée d’une ruelle qui en descend, et qu’une ménagère sortant de chez elle à côté de l’église pour se diriger hors les murs. Même l’agence immobilière de l’ancien castrum était vide.

Montcuq donjon vu de loin

Montcuq a appartenu aux comtes de Toulouse et a été prise plusieurs fois par les croisés anti-Cathares. Le monde cultivé sait qui sont les Cathares depuis le beau livre de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie, « Montaillou, village occitan de 1294 à 1324 » et l’émission télévisée de Bernard Pivot alors à lui consacrée. Les Cathares sont les rhumes de cerveau de l’Église officielle dont l’idéologie, totalisante, ne supporte rien moins que la contradiction. Les catholiques de la Ligue, les terroristes de Robespierre, les communistes sous Staline et les « antis » d’aujourd’hui ne réagissent pas autrement, atavisme ancestral oblige. La tolérance n’est pas leur fort et leur fragilité de pensée leur fait toujours préférer se vautrer dans le collectif où l’on a chaud et surtout pas à penser. 83 habitants de Montcuq ont été condamnés pour hérésie, plus qu’à Montauban même. En 1274, Montcuq et le comté de Toulouse ont été rattachés au royaume de France, ce qui explique peut-être pourquoi la voiture du Maire (en 2005) est immatriculée 92.

Les Anglois prirent et reprirent la ville en 1348 et 1355 et elle leur fut en désespoir de cause donnée au traité de Brétigny. Les Montcuquois, las de tant de guerres, ont collaboré avec les Anglais et refusé de se soulever après la rupture du traité en 1369.

Montcuq ruelle

La ville perdit alors son pouvoir de juridiction au profit de Cahors mais les colombages des plus anciennes maisons n’ont pas souffert de nouvelles batailles et ont pu être conservés pour la postérité. Notamment pour les néo-envahisseurs saxons qui atterrissent à Bordeaux par Easyjet pour investir leurs livres (pounds) dans cette « Toscane française ».

L’église Saint-Hilaire, d’architecture languedocienne fin 13ème spécialement sans transept, a été brûlée par Duras (marguerite à la bouche), chef huguenot. C’était en l’an de grâce 1562 en même temps que, pour faire bonne mesure, les assaillants pillaient la ville, enfonçant les portes, perçant les tonneaux pour s’en remplir et les filles pour se vider.

Montcuq église saint Hilaire

Louis XIII ne reprendra Montcuq au RPR (Religion Prétendue Réformée) qu’en 1621 (-374 avant J.C. le Petit). Depuis, le RPR est bel et bien éradiqué, le fief est radical, illustré par Maurice Faure. La nef ne sera rebâtie qu’en 1751, reprenant des chapiteaux de l’abbaye de Marcillac-sur-Célé et le clocher ne reprendra sa tentative bénie de rivaliser avec le donjon païen et vaguement diabolique qu’en 1881. Les vitraux ne coloreront l’intérieur qu’encore plus tard, en 1892, projetant sur les dalles une vie imagée de saint Hilaire. Il fallut faire appel à M. Dagrand, maître verrier de Bordeaux.

Il y a une douzaine de saints prénommés Hilaire, sans compter les Hilarie et les Hilarion. Celui de Montcuq était docteur de l’Église (officiellement déclaré tel en 1851, l’Église a le temps). Né et devenu évêque de Poitiers en 353 (après J.C. le Grand), il combattit l’arianisme, autre hérésie, et fut exilé en Phrygie par l’empereur Constance.

Pourquoi est-il patron de Montcuq ? Peut-être justement comme haut patronage antihérétique. Arius (comme Fabius) niait l’unité et la consubstantialité des trois personnes de la Sainte Trinité, donc la divinité du Christ, remettant en cause la ligne du Parti.

Telles étaient nos aventures il y a dix ans dans cette belle région, au prétexte des blogs. Je republie ces notes en hommage à Jean-Louis Hussonnois, récemment disparu

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Amours valentin

L’amour n’est pas simple, en français. Le mot, en effet, vient du provençal et de la conception passablement romantique – platonicienne ? – qu’avaient du sentiment les troubadours.

Il a fallu se différencier de la conception féodale, pour laquelle la femme était un bien comme un autre, et le mariage une alliance d’intérêts.

Il a fallu aussi abandonner la conception antique de l’amour car, bien sûr, le terme ‘amor’ est issu du latin amare = aimer. Mais ce latin avait une connotation différente, toute pratique, élaborée par les Grecs, experts en art psychologique. « Amour » – d’où vient « amitié » – se distinguait chez eux d’éros (la titillation érotique) et de philia (l’affect sentimental).

L’amour des troubadours se veut, lui, absolu. Il concerne en premier l’amour de Dieu, puis celui de « la » Femme. Pour en avoir une idée, on peut le rapprocher de la musulmane absolue humilité devant Allah. Ou de la ‘passion’ au sens christique des Parfaits cathares. L’amour provençal n’est pas cette amitié passionnée qui mêle l’érotisme au sentiment, comme l’est l’amour grec. Il est moins ouvert et plus rigide, axé sur « le Bien » à la manière de Platon, plutôt que sur l’éventail des sujets aimables offerts par la nature. L’amour provençal, qui devient l’amour français, est résolument hétérosexuel ; il s’exalte dans le discours plus que dans les gestes ; il est un théâtre, typique d’une société de cour où la hiérarchie est respectée et les limites à ne pas franchir bien fixées.

L’amitié est « sociale », pratique, elle peut concerner le sentiment entre homme et femme et est utilisée comme tel jusqu’au 18ème siècle. Mais l’Hamour (comme écrivait par dérision Flaubert) est déjà cette exaltation passionnelle qui dominera le romantisme. Il est abstrait et absolu, sans « objet » autre qu’idéal, hors de ce monde. Une sorte d’excès malsain qui sent la fièvre, une drogue qui, à la retombée, fait mal. La réalité n’est en effet jamais aussi parfaite que l’idée qu’on se fait…

L’ardeur éthérée de la ‘fin amor’ provençale sera confortée par les interdits d’Église et par le souci du lignage, reste sourcilleux de la conception féodale et de l’ordre établi. Ce n’est qu’au 18ème siècle que le badinage retrouvera la liberté des Grecs et que le plaisir reprendra ses liaisons dangereuses. Quand l’homme choisit, il est l’amant ; quand la femme choisit, l’homme est le galant. La Rochefoucauld retrouve la subtilité de la psychologie grecque pour distinguer les moments : « Dans les premières passions les femmes aiment l’amant, dans les autres elles aiment l’amour. »

De ce siècle d’humanisme érotique, le suivant singera l’aspect sans en garder l’esprit. Stendhal se moquera des bourgeois de son temps, revenus aux mœurs féodales de la femme comme « bien à vendre » – donc vertu à préserver : « Qu’est-ce qu’un amant ? C’est un instrument auquel on se frotte pour avoir du plaisir. »

L’aujourd’hui a réinventé toutes les pratiques, de « la baise » à la Catherine Millet (partout, à tout moment, si possible sous le regard des autres) à l’amour platonique (qui reste si fort chez les adolescents) jusqu’aux diverses « amouracheries » de passage (Delteil), amourettes par amusement, « amorisme » de l’exaltation perpétuelle et sans objet (Guitton), « amoureries » du rut populaire (Céline), « amarcord » – formé sur amour et record – ou nostalgie des souvenirs érotiques (Fellini), « amiévrie » de foule sentimentale lisant des magazines (Tinan)… mille mots pour dire les mille inventions du physique, de l’affect et de l’esprit amoureux – queue, cœur, crâne : les trois étages de l’homme.

Et Valentin dans tout ça ? Le prénom vient du latin ‘valens’ qui signifie justement vigoureux, plein de force. Vous voyez où l’on veut en venir ?

Février est le cœur de l’hiver et le 14 juste le milieu. C’est à ce moment que la vie doit triompher de la mort, à ce moment qu’on doit penser très fort au printemps, à la renaissance de la nature. De toute la nature : les feuilles en bourgeon, les fleurs en bouton, les petits agneaux pour Pâques… et les poupons d’homme qui naîtront en novembre, leur mère ayant bien mangé tout l’été.

En Grèce à cette saison de l’année, Zeus se mariait avec Héra ; à Rome, des adolescents nus couraient dans la ville en fouettant les passants, surtout les filles – et plus si affinités. L’Église a récupéré l’idée, bien sûr, pour la châtrer aussi sec en la transformant en discours, ces discrets billets babillant des mièvreries aux aimées. La ‘fin amor’ provençale, toute platonique et exaltée, l’y a fort aidé !

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