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Georges Minois, Le diable

Ce petit opus d’un docteur en histoire agrégé de l’Université fait utilement le point sur cette particularité occidentale qu’est le diable. Un concept qui n’existe quasiment nulle part ailleurs : Satan est absent de l’Ancien testament et Sheïtan se fait très discret dans le Coran. Quant aux Grecs et aux Romains, ils l’ignorent : pour Platon, le mal est l’absence de Bien, un non-être ; le polythéisme grec fait du bien et du mal deux forces inhérentes à la nature. Les maux humains sont dus au destin et aux frasques des dieux et l’on en est parfois responsable (Achille à Troie, Ulysse en son périple, Œdipe et son père). Le diable n’apparaît que dans l’extrême monothéisme, dont le christianisme est la pointe avancée : il est inséparable de Dieu, sa face sombre, le revers de sa médaille. Car comment un Dieu réputé parfait aurait-il pu créer un monde aussi mauvais ?

On l’ignore trop souvent, « Satan est né dans les milieux sectaires apocalyptiques juifs » p.4. Yahvé est ambivalent, ordonnant l’extermination des adversaires de son peuple élu, envoyant des épreuves via des anges messagers. Le Satan signifie « l’obstacle » et fait partie de la cour de Dieu, serviteur fidèle de Yahvé (Livre de Job, Zacharie) ; il prend plus d’autonomie au IVe siècle avant avec l’affirmation du pouvoir sacerdotal qui lave Dieu de la responsabilité du mal. Le démon a été inspiré des mythes cosmiques babyloniens, cananéens et zoroastriens où un héros positif combat un monstre négatif (Gilgamesh/Huwawa, Marduk/Tiamat, Ninusta/Anzu, Baal/Mot, AhuraMazda/Ahriman).

Le diable est en revanche omniprésent dans le Nouveau testament, inspiré des milieux sectaires qui bouillonnaient au tournant du 1er millénaire en Palestine (Esséniens). Les Evangiles canoniques sans le diable seraient sans signification : ils le citent 188 fois ! Jésus s’incarne sur terre pour le grand combat de Dieu contre le Mal qui, lui, s’incarne dans les possédés, induit les tentations, inspire les reniements (Pierre) et les trahisons (Judas). « Seule une explication cosmique de l’origine du mal peut ainsi justifier la nature divine du Christ » p.27. Le serpent de la Genèse ne pouvait dès lors rétroactivement qu’être le diable, « ce qu’aucun texte biblique ne dit » !

La littérature apocalyptique non retenue par l’Eglise assure la transition entre Ancien et Nouveau testament. Des anges de Dieu se révoltent et s’unissent aux femmes humaines, engendrant des géants qui répandent le mal que sont le sexe et la technique. Ce sont des activités d’orgueil qui visent à créer comme Dieu… Naît alors la théorie du complot : « Les membres de ces sectes s’imaginent être les élus du Seigneur, le petit reste promis au salut, rejetant les ennemis d’Israël mais aussi la masse du peuple infidèle dans le camp de l’Adversaire, de Satan, devenu responsable du mal, et qui va être vaincu dans la grande lutte cosmique qui s’ouvre » p.22. Tous les millénarismes resteront sur ce schéma : des croisades en l’an mille à la terreur révolutionnaire, des procès staliniens au féminisme le plus contemporain qui rejette comme « le diable » le mâle blanc dominateur capitaliste – et souvent juif – dont Weinstein est l’incarnation caricaturale la plus récente (juste après Polanski).

Le christianisme aura dès lors la permanente tentation du dualisme des deux mondes antagonistes avec les gnostiques, les manichéens, les Bogomiles, les Vaudois, les Cathares – sans parler de la Kabbale juive. Bien que le diable ne soit pas un dogme catholique, dès la fin du IIe siècle de notre ère il est devenu le personnage central de la foi. Pour saint Augustin, Satan reste un ange, mais qui a péché par orgueil ; il fait partie du plan de Dieu pour laisser le choix de la liberté de faire bien ou mal, d’obéir ou non. Saint Thomas accorde au diable une place éminente, détaillant toutes les façons qu’il a d’influencer l’être humain. Le catéchisme 1992 de l’Eglise catholique n’en fait qu’« une voix séductrice opposée à Dieu ». Ce sont les moines médiévaux qui vont amplifier et déformer le diable jusqu’au mythe : « Moines et ermites, issus de milieux populaires, menant une vie de privation et de solitude, sont assaillis de tentations, d’hallucinations, et sont facilement la proie de troubles nerveux, physiques, psychiques attribués à l’action du diable » p.36. L’anti-Christ est le bouc émissaire facile de ses propres turpitudes : c’est pas moi, c’est l’autre ; je n’y peux rien ; je suis une victime, irresponsable… Cette culture de victimisation sévit encore largement de nos jours. Ce n’est pas la personne qui cède mais le séducteur qui force ; ce n’est pas la tentation qui est condamnable mais le tentateur ; ce n’est pas la faiblesse morale mais l’emprise de l’Autre ! Les démons chrétiens sont comme les Juifs : « ils sont partout ».

La peur du Malin est une forme du pouvoir des clercs d’Eglise, institution qui reprend les traits des anciens dieux païens pour mieux les dénoncer, le chamane cornu de la grotte préhistorique des Trois-Frères, le Cernunnos gaulois, les Thor et Loki vikings, le dernier changeant d’apparence et prenant toutes les formes – comme le diable est censé faire. « L’Eglise, en condamnant tous les plaisirs terrestres, contribue à renforcer l’attrait du diable, dont le caractère ambigu se reflète fort bien dans les hésitations des artistes » p.41. La beauté du diable fait de lui un Apollon séducteur tandis que la monstruosité le rend bestialement sexuel, ogre trapu, velu et fort comme Gilles de Rais, donc fascinant.

Les grandes peurs de l’an mille font faire passer le diable de bel éphèbe païen à bouc en rut barbare et repoussant. Le Concile de Trente exige que le diable soit représenté laid ! Mais Satan disparaît dans l’art classique, revenu avec la Renaissance aux canons grecs. Il faut attendre le baroque pour qu’il fasse son retour, avant le romantisme. Du 14ème au 16ème siècle, c’est « la grande chasse au diable » en Occident. L’Eglise de Rome, pressée par les rois qui secouent sa tutelle, en butte aux hérésies, confrontée aux Sarrazins et aux Juifs accusés de pratiques « pas très catholiques », crée l’inquisition et les bûchers des sorcières. Elles sont accusées de sabbat (« tous les jeudis vers minuit ») et même « les enfants sont torturés et brûlés avec les adultes » jusqu’en 1612 ! Les protestants comme le pouvoir civil ne sont pas en reste. Les manuels de démonologie et de sorcellerie sont « un vrai catalogue des fantasmes de clercs névrotiques imaginant tous les types de perversions, sexuelles en particulier, se déroulant au cours des sabbats » p.56.

Les exorcismes publics deviennent un théâtre propre à frapper les imaginations et à assurer le pouvoir de l’Eglise sur les âmes en insufflant la peur de Dieu et de son clergé. Ce dernier est déclaré dès l’an 416 seul apte à exorciser le démon (ce sera un monopole officiel catholique en 1926 !). Paul VI ne supprimera qu’en 1972 l’ordre des exorcistes dans l’Eglise. Les procès en sorcellerie touchent surtout les femmes rurales pauvres car ce sont elles qui tentent le plus un clergé frustré, forcé au célibat, d’autant que dans les campagnes peu éduquées subsistent encore des rites bacchiques de fécondité. « Ce sont les clercs eux-mêmes qui, par leurs traités, affirment l’existence de la sorcellerie et des sabbats et en répandent la croyance, en se basant sur des aveux extorqués par la torture et qui correspondent à l’idée qu’ils se font de l’action démoniaque dans le monde » p.59. Les procès staliniens se dérouleront de la même façon en faisant « avouer » aux membres du parti considérés comme traîtres au grand Staline des crimes que leurs accusateurs inventent et qu’ils leur font signer sous la torture ou celle de leurs proches, gamins compris. Les rois reprennent cette politique pour réprimer ceux qui leur font de l’ombre : Philippe le Bel contre les Templiers, contre le pape Boniface VIII ; le pape lui-même contre les évêques de Troyes et de Cahors. Plus tard, les missionnaires attribueront la résistance des indigènes au Démon.

Les 17ème et 18ème siècle verront le scepticisme grandir, préparé par Montaigne qui, en 1588, ridiculise la chasse aux sorcières dans son essai sur « les boiteux ». En 1682 est supprimé par ordonnance royale en France le crime de sorcellerie, la supercherie de « cas » de possession démoniaques par des nonnes sexuellement frustrées ayant été éventée à Loudun en 1632 et à Louviers en 1643. Le diable devient un mythe littéraire avec le Méphistophélès de Faust qui ressemble à Monsieur Tout-le-monde (il n’a pas, comme au Moyen Âge, la gêne de devoir rouler sa queue dans sa poche, de cacher ses cornes sous un grand chapeau et de chausser de bottes ses pieds de bouc). Le mal de vivre est l’autre nom du démon, attesté chez Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix. Voltaire « considère le diable comme une autre invention de l’Eglise pour tenir le peuple en laisse » p.87. Sade récuse l’existence de Satan et Milton en fait un enjôleur.

Au siècle suivant, Dorian Gray le voit en lui par son miroir et le Mr Hyde du Dr Jekyll réduit Satan à la psychiatrie en l’homme. Le satanisme est de mode dans la bourgeoisie des grandes villes, comme le rapporte Huysmans dans Là-bas : c’est avant tout un ésotérisme sexuel, dans une époque victorienne trop répressive. Mais le 20ème siècle voit « Satan superstar ». Il est le Rebelle aux pouvoirs, le Libérateur des obscurantismes, le promoteur du progrès prométhéen. Vigny chante sa beauté maudite en porteur de lumière, Hugo chante La fin de Satan, Baudelaire le rend compagnon du désir. La fascination du cinéma rend le diable plus tentateur : le septième art n’est-il pas l’incarnation même du faux-semblant et de l’illusion ? Nosferatu incarne le mal indestructible, le Dr Mabuse l’orgueil diabolique de la science dévoyée, Rosemary’s Baby et L’Exorciste revivalisent l’image du diable qui possède sexuellement, rendant les filles pubères « victimes » et non pas actrices de leurs désirs. Le Mal, c’est les autres, au point que Charles Manson incitera sa secte à massacrer les riches hollywoodiens qui l’ont rejeté. Le satanisme est aujourd’hui une provocation ado, encouragée pour des raisons commerciales par le rock rebelle et transgressif qui pulse pour assommer l’angoisse de vivre.

Mais « tous les mouvements fondamentalistes et sectaires cultivent la hantise du diable jusqu’à l’absurde » p.107. Il s’agit de sans cesse rejouer Moi contre les autres, Nous contre les Ennemis, les forces du bien contre celles du mal : Le seigneur des Anneaux, Harry Potter, Star Wars font du combat positif contre les forces négatives les ressorts de l’histoire. Car, s’il n’y a pas de diable, il ne reste que l’homme : sa liberté, sa responsabilité, son éventuelle lâcheté. Les psychiatres, depuis Freud, font du diable l’image pulsionnelle de peur et de séduction de l’Interdit. Le sexe, parce qu’il fait l’objet de nombreux tabous, est la principale origine des maux « diaboliques » contemporains.

Georges Minois, Le diable, 1998, PUF Que sais-je ? 2000, 126 pages, €12.63 e-book Kindle €5.49

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Maxime Chattam, La théorie Gaïa

Les écolos sont (étaient ?) à la mode, la grande terreur millénariste du climat s’installe : quoi de meilleur pour faire un bon thriller ? Maxime Chattam a le chic pour plonger à pieds joints dans les peurs d’époque : avant-hier les tueurs psychopathes, hier le Mal biblique venu du fond des âges, aujourd’hui le retour des tempêtes… C’est écrit simple, au galop, avec des caractères bruts aisément reconnaissables. En bref, c’est d’époque et bien fabriqué. Mais vous n’apprendrez rien sur le climat, vous resucerez les fantasmes qui font bien dans les brunchs branchés, par exemple sur Adam Smith, et vous frémirez de toutes les émotions du temps (promotion des femmes, hantise pédophile, machos prédateurs, apprentis sorciers, théorie du Complot, services secrets, bureaucratie européenne…)

Nous sommes quelque part dans les années futures. « Depuis que les dégradations climatiques s’étaient transformées en catastrophes régulières, l’Europe avait gagné en pouvoir. Chaque pays avait décidé de ne plus travailler seul dans son coin… » (p.15). Sauf que, justement, l’un des pays a décidé de faire cavalier seul. Le pays, ou plutôt ses « militaires », c’est-à-dire un service très secret à l’intérieur du service secret. Avec cette imagination débordante qui consiste pour Chattam à transposer les fantasmes américains dans le prosaïque fonctionnariat français, voici le Complot réhabilité. Il use de même des techniques américaines d’évasion de financement, cette fois au détriment de la Commission européenne. Comme des îles désertes investies par de gros capitaux pour s’y livrer à des expériences « non-éthiques ». Ajoutez un couple de scientifiques bien sous tous rapports, dotés de trois enfants, de prénoms affronts pour les garçons (Zach ou Ben) et ragnagna pour les filles (Emma, Melissa, Lea). Secouez un peu en séparant tout ce beau monde, pimentez d’un peu de technoscience vite lue glanée sur Internet – et voilà ! Le cocktail frémissant de bulles et fort en alcool est prêt à servir.

Vous ne vous ennuierez pas. Mais vous serez pris pour un niais et c’est cela qui est désagréable. Que l’auteur présente comme une évidence la dégradation du climat en tant que réaction de la planète comme organisme est déjà hasardeux ; c’est prêter une « âme » à des matières mues par des lois physiques. Que l’auteur aille plus loin en présentant comme une théorie acceptable celle de l’être humain qui a bien réussi possédant en son sein les germes de sa destruction, tout comme les dinosaures hier et les espèces des quatre autres extinctions massives avant-hier, est plus vaseux. Mais qu’il fasse de l’agressivité poussée à son extrême la variable-clé de l’adaptation des meilleurs, voilà qui sent tranquillement son nazi. L’auteur ne s’en rend probablement pas compte mais il accuse carrément Adam Smith, le père du libéralisme, d’être à l’origine de l’égoïsme du profit, de la concurrence sans frein et de la culture du résultat. « Nous grandissons dans un système socio-économique qui nous façonne dès l’enfance, et ce depuis deux siècles » (p.310).

Tous les poncifs sont réunis : libéralisme = fascisme, c’est ce que disait la propagande de Lénine. Adam Smith serait préfasciste alors qu’il est l’auteur non pas de Mon combat mais de La théorie des sentiments moraux. C’est peut-être l’excès de liberté plutôt que de discipline, mais ce n’est pas le libéralisme qui crée par caractères acquis des tueurs en série, spécimens qui développent l’égoïsme de la jouissance immédiate au détriment des autres, avec la meilleure efficacité dans la réalisation du fantasme et une joie cruelle de faire souffrir longuement ? Car le libéralisme est adepte de la modération par des contrepouvoirs – dont l’éducation et la justice.

Chattam vous fera donc le récit de deux enfants de 6 ou 7 ans – évidemment « nus » – longuement trimballés et terrorisés par les psychopathes évadés de l’île du docteur Grohm (un avatar – comme par hasard allemand – du Docteur Moreau).

Quoi de réaliste dans tout ce fatras d’idées reçues et de bonnes intentions ? Pas grand-chose. Oui, le climat change, comme tout change sur cette planète depuis qu’elle existe. Sommes-nous sur la fin du réchauffement cyclique initié il y a 15 000 ans et qui ne serait peut-être pas étranger à la disparition de Neandertal ? Possible. L’industrie, accentue-t-elle le réchauffement ? Probable. Connaissons-nous une dérive génétique à cause de la concurrence et de l’individualisme ? N’importe quoi ! Staline était-il « capitaliste » pour être responsable de 22 millions de morts ? Et Mao ? Et Pol Pot ? Et les racistes du Rwanda ? Et les islamistes ?

A l’inverse, c’est probablement dans les pays capitalistes qu’il y a le moins de morts lorsque le libéralisme fonctionne au quotidien. L’argument des deux guerres mondiales, timidement objecté par l’auteur, décidément léger, ne tient pas : ces deux guerres sont le fait du nationalisme, pas du libéralisme. Les régimes militaires autoritaires ne font pas bon marché des règles de la liberté ou de négociation sur le marché. La lutte pour la vie, le lebensraum, l’éradication des minorités ethniques, la promotion de la race « pure », ne sont pas des fantasmes issus d’Adam Smith – pas même de Charles Darwin. L’écolo-gauchisme à la mode ne fait pas une pensée. Il récupère tous les poncifs marxistes contre l’industrie en les mêlant d’accusations propalestiniennes. La théorie Gaïa apparaît dans ce livre pour ce qu’elle est : une foutaise. Faire peur pour mieux imposer son idéologie. Agiter le millénarisme pour que chacun se « repente ».

A force de se vouloir « vendeur », Maxime Chattam récupère des théories bien scientifiques, piquées ici ou là et résumées en deux lignes « pour les nuls ». Il finit par fabriquer des thrillers formatés par la nouvelle marchandisation de l’édition. Que reste-t-il de la littérature, même policière ?

Et que reste-t-il du discours moralisateur quand celui qui le profère profite aussi bien du système marchand ? Le plus démago des thrillers de Maxime – à vous décourager de lire la suite. Je me suis d’ailleurs arrêté longtemps avant d’y revenir.

Maxime Chattam, La théorie Gaïa, 2008, Pocket thriller 2010, 500 pages, €8.30 e-book Kindle €9.99

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Eloi Laurent, Social-écologie

L’auteur, économiste à l’OFCE de Science Po, utilise la méthode Fitoussi : la compilation de recherches en économie et sciences sociales pour délivrer un message. Ce qui est une excellente chose, ces recherches étant peu accessibles au commun. Mais le fil conducteur de la compilation est candidement idéologique : montrer que la seule écologie possible est socialiste, qu’on ne peut sauver le monde (et réaliser l’Histoire) qu’en suivant la « raison » sociale-écologique. D’où les deux parties : envisager et gouverner, chacune en deux sous-parties, la 3ème sous-partie du 1 étant une extension d’exemples de la 2ème sous-partie. Nous avons donc, avec ce livre, un objet sociologique pétri de bonnes intentions mais entaché de millénarisme.

La loupe socialiste sur l’écologie

L’écologie devrait être au-dessus des partis puisqu’elle touche l’ensemble de la planète, donc l’existence de tout le monde. Or elle semble prendre la suite de Dieu (eschatologie chrétienne), de la Raison dans l’Histoire (Hegel), puis de la nécessaire réalisation du communisme (Marx réalisé par Lénine et Staline)… La science sociale est utilisée pour démontrer ce ‘dessein intelligent’ qui aboutirait « naturellement » à cet écolo-socialisme sauveur. Évidemment, avec cette loupe, « le capitalisme » n’est pas un système d’efficacité économique mais un égoïsme du profit ; évidemment, le clivage gauche-droite ne saurait être dépassé car les pauvres ont toujours raison dans l’Idée pure, même si tous les êtres vivants sont les victimes ; évidemment, il est nécessaire de « faire payer les riches » tout en assurant une décroissance – comme hier les nobles léguaient leurs biens aux monastères pour assurer leur salut.

Malgré ces aspects déplaisants, noyau idéologique dur enrobé du sucre rose de l’idéologie, ce livre offre quelques pistes qui font réfléchir. Moins sur la « théorie » que sur la gouvernance. La théorie se résume au progrès saint-simonien selon lequel « l’homme construit des institutions pour changer et vie et maîtriser en partie son évolution ». Que l’homme soit social, Locke l’avait dit avant Marx, mais qu’il soit déclaré « socialiste » est un choix personnel à l’auteur. La dérive est affirmée mais non démontrée. Nos sociétés seront-elles plus justes si elles sont plus soutenables ? Ou bien la raréfaction des ressources et la lutte pour les biens exacerbera-t-elle les tensions sociales et individuelles ?

Il semble que – malgré la somme des « recherches » ici filtrées selon le dogme – la seconde l’emporte sur la première ces dix dernières années… Il faut se rendre compte que les sciences sociales sont myopes : elles ne peuvent démonter que ce qui existe déjà, pas anticiper ce qui n’existe pas encore. D’où les soubresauts de la bourse et les crises économiques, que chacun explique parfaitement… une fois qu’elles sont arrivées. La compilation Eloi Laurent porte sur le passé encore riant aux ressources abondantes, aux États-providence, à l’émergence limitée du « tiers » monde. Quant au futur…

L’auteur penche nettement pour le socialisme politique, donc pour la méthode Coué du volontarisme public. Pourquoi pas ? Mais ne pas trop rêver : ce n’est plus l’Occident qui impose sa morale au monde entier, mais le jeu des puissances. Chacune a intérêt à préserver en commun ce monde fini, mais pas au point de renoncer à sa place. D’où les échecs répétés des grand-messes écolo mondiales et des limitations d’émissions universelles. Faut-il attendre la réalisation du communisme sur la planète pour préserver l’environnement ? Certaines affirmations de l’auteur le laissent penser : « les inégalités de revenus et de pouvoir sont une cause fondamentale » des problèmes d’environnement (p.27). Autrement dit, jamais le paradis ne pouvant être atteint ici-bas, l’écolo-socialisme devrait être repoussé aux calendes. Est-ce bien raisonnable ?

Comment évoluer pour la planète ?

D’autres arguments sont plus utiles au débat, penchant volontiers vers Tocqueville plutôt que vers Marx. Pour Elinor Ostrom, il existe un autre chemin que l’alternative simpliste État ou marché pour assurer le développement soutenable : la diversité institutionnelle. Les hommes dans l’histoire ont su inventer d’une façon pragmatique des institutions de coopération. Aujourd’hui, les pays mûrs, éduqués, riches, savent se protéger par des normes antisismiques, antipollution et pro-santé (additifs alimentaires, agence du médicament…). Une société d’individus libres et responsables, à même de former des associations volontaires, est plus proche du libéralisme politique que du socialisme à la française…

Les pays démocratiques sont plus attentifs que les pays autoritaires selon Amartya Sen, car le système démocratique protège du pouvoir excessif des castes naturelles en promouvant les réseaux d’alerte et la pression politique. Et la démocratie n’est certes pas l’apanage du socialisme ! Il suffit de voir comment sont comptabilisés les votes des Congrès du PS, ou protégés les puissants caciques du parti comme Frêche, Guérini ou DSK, ou minimisée la corruption des élus… Certes, le débat démocratique est myope et lent, mais l’alternative à la démocratie est la contrainte. La Chine communiste est-elle plus efficace en matière d’environnement que les pays occidentaux ? On voit bien que non. Pire encore est la Russie… Malgré le rythme court terme des élections, la démocratie permet aux idées de s’exprimer et aux citoyens sensibilisés au durable de se mobiliser. Les débats sont larges et approfondis, permettant la réflexion sur le temps long, par-delà les élections courtes. L’action est flexible car l’information et libre et la politique ne dépend pas de bureaucraties centralisées.

La décroissance n’est qu’un slogan pour faire peur, pas un objectif de soutenabilité : « Le développement économique n’est pas néfaste ou bénéfique en soi : son effet écologique dépend du niveau des inégalités et du niveau d’exigence démocratique des sociétés et des gouvernements » p.149. Mais un développement économique sans contrepoids démocratique conduit à un sous-développement humain par un environnement non soutenable. Mentionnons pour exemple l’assèchement de la mer d’Aral par le volontarisme cotonnier de l’étroite caste du PC d’URSS. Ou l’attrait pour la Bombe au Pakistan, au détriment de la masse démographique illettrée laissée en déshérence.

Le développement d’éco-industries, selon Eloi Laurent, doit décarboner (utiliser moins d’énergies fossiles), désénergiser (faire des économies d’énergie et rendre celles-ci plus efficaces), enfin dénaturaliser (augmenter la productivité des ressources naturelles consommées). Il est amusant de constater que cette rationalité de produire le plus avec le moins est l’essence même… du capitalisme dans l’histoire. Étant entendu que ledit capitalisme n’est pas le démon social créé de toutes pièces dans la philosophie de Marx, mais la technique d’efficacité économique fondée historiquement sur la comptabilité en partie double, les villes franches, l’essor du crédit et des parts d’aventure, l’informatique et l’organisation de la productivité.

Dès lors, la critique rose d’Eloi Laurent tombe à plat.

Insister sur la dimension humaine du développement ? Mais bien sûr, qui est contre ? Même Apple veut vendre ses iPhone, iPad et autre iMac pour rendre heureux ses clients. Est-ce que le Minitel de feu le Monopole d’État avait cette ambition ? Il avait plutôt pour devise : « qu’ils prennent ce qu’on leur donne ».

Qu’il faille donc réguler les délires de la finance, augmenter la mesure du PIB de ratios mesurant le bien-être, compenser les inégalités sociales par un filet collectif – quoi de plus légitime ? Mais faut-il obligatoirement voter « socialiste » pour cela ? Le Bien n’est-il que dans le camp des roses ? Toute plante différente serait-elle une mauvaise herbe ? Quelle écologie serait-ce là ?

La candeur social-écologique d’Eloi Laurent a le mérite de pointer l’erreur du mouvement écolo à la française qui s’enferme dans la bonne conscience « de gauche » et la Raison du Bien. Le courant Duflot a conduit l’écologie politique dans une impasse en l’inféodant au parti socialiste. EELV, au sigle technocratique, est beaucoup moins populaire qu’hier « les Verts ». Nicolas Hulot ratissait large, Daniel Cohn-Bendit négociait en politique. Pas Cécile Duflot, qui a enfermé l’écologie dans le socialisme, réalisant une sous-secte de gauche dont chaque sondage mesure un peu plus la popularité… Nombre de citoyens préféreront bien évidemment l’original à sa copie.

C’est l’un des mérites de ce livre que de montrer sans le vouloir combien les écolos français se sont fourvoyés dans leur naïveté eschatologique, au contraire des écolos allemands.

Eloi Laurent, Social-écologie, 2011, Flammarion, 230 pages, €16.44

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Fin du pétrole mais transition nucléaire

Si le nucléaire diffuse au Japon, le pétrole est en feu dans la plupart des pays arabes et le gaz est la cassette des pays dictateurs (Russie, Iran, Algérie). Les producteurs principaux font de la répression, de l’Arabie Saoudite à Bahreïn, à la Libye de Kadhafi et jusqu’à l’Algérie, tenue d’une main de fer par l’armée. Pas question de laisser une bande de révolutionnaires s’emparer du pouvoir ! La rente est trop confortable. Les pays occidentaux avancent à grands pas (en paroles) pour défendre la démocratie, tandis qu’ils piétinent martialement pour mettre en œuvre – depuis vendredi – une initiative armée pourtant demandée par les victimes. Au nom de l’anticolonialisme ou de l’anti-islam (arroseur arrosé, nous sommes toujours accusés ? Eh bien débrouillez-vous). Au nom aussi de la transition énergétique, qui mettra bien deux générations à s’effectuer (donc pas question de laisser le pétrole et le gaz au nom des grands principes). C’est particulièrement vrai des Etats-Unis, englués en Afghanistan et en Irak déjà.

C’est que le pétrolier industriel ne vire pas comme le vélo écolo. Les politiciens verts ont beau jeu de « dénoncer » la pollution et d’annoncer l’Apocalypse imminente, la seule chose de sensée qu’ils proposent est de revenir au moyen-âge : panier bio, maison en terre, chauffage au bois, marcher à pied, à la rigueur en vélo… La majeure partie de l’énergie consommée aujourd’hui dans le monde est fossile : pétrole, gaz, charbon, bois. La seule alternative crédible industriellement aujourd’hui pour remplacer l’énergie fossile est le nucléaire. Tout le reste est bel et bon, et à développer bien sûr, mais ne remplacera pas pour notre génération l’énergie abondante et bon marché du pétrole et du gaz. Dans 30 ans oui, mais ici et maintenant ?

Alors que faire ? Consommer moins ? C’est sûr ! Mais encore ? On ne fait pas rouler les trains au solaire, ni à l’éolien ou à la géothermie. Pour ces gros machins, il faut des centrales – donc de la centralisation. Or l’intérêt des énergies renouvelables réside justement dans la décentralisation, l’utilisation juste à temps de chacun pour ses propres besoins…

Il y a donc claire incompatibilité entre l’anarchisme vaguement hippie des zécolos et le technocratisme positivistes des ingénieurs EDF et du lobby nucléaire. L’énergie propre réclame moins d’État et de l’initiative à la base ; l’énergie industrielle pour faire tourner usines et TGV réclame au contraire du pouvoir central et une technocratie d’ingénieurs. Politiquement, c’est incompatible. Faire sauter le monopole EDF, c’est faire « reculer l’État », et déjà le Parti socialiste est contre, tout comme le grand méjean-luc et l’UMP comme Le Pen. Si l’on arrête le nucléaire, il faut le remplacer.

Par du gaz venu de pays non-démocratiques au détriment des « principes » ? Par du pétrole très cher, très taxé, donc réservé aux riches ? Qui parle de ces contradictions chez les zentils zécolos ? On ne peut que prendre le virage de civilisation que lentement, comme le font les pays voisins : Autriche, Danemark, Lettonie – tous pays qui n’ont pas d’électricité d’origine nucléaire et qui vivotent. Arrêter tout, tout de suite, est infantile. Et vouloir l’imposer comme une nouvelle religion est anti-démocratique. Débat oui, anathèmes, non.

Depuis toujours, les hommes savaient que le pétrole, comme toute matière présente sur la terre, aurait une fin. Ce qui vient de bouleverser les prévisions sont les essors de pays aussi gros que la Chine et l’Inde, un tiers de la population mondiale à eux deux. L’Asie sera à l’origine de la moitié de l’accroissement de la demande d’énergie mondiale d’ici 2020, pour monter à cette date à trois fois celle de l’Europe. Il y a donc compétition pour l’énergie et la meilleure façon de ne pas faire la guerre est de diversifier ses sources. Le nucléaire en fait partie.

Le pétrole n’est pas la seule forme d’énergie mais il concentre en lui tout le 20ème siècle dans ses modalités économiques, technologiques, géopolitiques et financières. « L’or noir » a établi la puissance américaine comme au siècle précédent le charbon en Angleterre et dans la Ruhr, étant présent en abondance sur son sol. Sa particularité géologique a fait se développer la prospection, l’extraction, le transport, la transformation, le stockage et la distribution de cette matière qui n’est pas uniforme et qui se décline en multiples produits, du bitume aux carburants jusqu’aux matières plastiques. Sa concentration dans certaines zones de la planète, notamment au Moyen-Orient, a engendré sa propre politique mondiale de présence, de ménagement et de puissance, probablement à l’origine de nombre de maux d’aujourd’hui (terrorisme, problème palestinien, guerre en Irak, capitalisme de prédation, néocolonialisme chinois en Afrique, révoltes arabes…). Le pétrole produit et brasse beaucoup d’argent, ce qui attire les innovateurs comme les escrocs, les entrepreneurs comme les partis politiques. L’American way of life passe aujourd’hui par la défense de la sécurité d’approvisionnement énergétique, allant jusqu’à la guerre si nécessaire. Les importations de pétrole et de gaz sont pour les États-Unis une faiblesse qui les oblige à une plus grande interdépendance alors que toute économie d’énergie reste comme « incompréhensible » à un peuple qui a pour culture celle du « toujours plus ». La situation change, « grâce » à la crise financière puis économique, mais lentement. Les gros pick-up General Motors laissent place à des cylindrées moins gourmandes et le fameux Hummer dévoreur de carburant est vendu… aux Chinois.

L’offre est limitée car la planète elle-même est limitée. Nous ne voyons pas encore venir des énergies de substitution aussi souples que celle du pétrole. Les énergies alternatives sont aujourd’hui à développer mais seul le nucléaire est au point. Il ne produit que de l’électricité et de l’eau chaude avec lesquelles il est difficile de faire rouler des autos sauf à revenir à la « Bête humaine » du vieux Zola. Et se pose toujours la question du retraitement ou de l’enfouissement des déchets, dangereux et à durée de vie très longue. Il est probable que le 21ème siècle économique se focalisera sur le trio énergie-environnement-développement. Conserver un bouquet d’énergies le plus diversifié possible et varier ses sources d’approvisionnement seront les stratégies économiques intelligentes à mettre en œuvre. Mais « diversifié » veut dire aucun oukase !

Le « pic » du pétrole, ce moment où l’augmentation des réserves ne permettra plus de compenser l’augmentation de la consommation, est prévu pour notre génération, soit entre 2007 et 2034. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de pétrole à ces dates mais que nous puiserons désormais dans un stock qui ira en s’amenuisant. Notre génération ne verra pas la fin du pétrole, seulement son épuisement. Mais déterminer quelles sont les réserves de la planète n’est pas un exercice facile. Il faut distinguer entre les réserves prouvées, les probables et les possibles. Or ces chiffres sont à la fois géologiques, technologiques et politiques !

  • La prospection se poursuit et l’offshore profond offre encore des perspectives, tout comme la Sibérie des grands froids, pour découvrir de nouvelles poches d’hydrocarbures.
  • Sur les gisements connus, l’exploitation des schistes bitumineux devient possible et l’injection d’eau ou de gaz dans les poches géologiques permet une récupération plus importante du pétrole présent. C’est ainsi que le gisement texan de Means Fields n’avait pour réserves probables que 180 millions de barils en 1982 ; par injection de gaz, il en projette aujourd’hui près de 260 millions. La technologie permet d’augmenter la récupération.
  • Hors des États-Unis, et singulièrement dans les États arabes les mieux dotés, la politique de déclaration des réserves permet d’obtenir de l’OPEP des quotes-parts d’exportation. La sous-estimation à visée interne (Arabie Saoudite) ou la surestimation à visée externe (Algérie, Venezuela), deviennent donc des instruments de manipulation de la vérité.

La situation actuelle est donc la suivante : la production hors OPEP plafonne, la plupart des champs OPEP exploités sont déjà à maturité et peu de capacités moyen-orientales supplémentaires n’apparaissent possibles avant que l’Arabie Saoudite investisse et que l’Irak sorte de la guerre. Les réserves offshore du Brésil sont prometteuses mais loin des côtes et à grande profondeur, exigeant des investissements élevés, des mesures de sécurité lourdes pour les plateformes et bien des années avant de produire. Les capacités d’aujourd’hui tournent à plein et il suffit de quelques impondérables (l’arrêt de production de plateformes dans le golfe du Mexique pour cause d’ouragan ou d’accident, la guerre civile libyenne, l’arrêt de réacteurs nucléaires au Japon) pour déséquilibrer immédiatement offre et demande et pousser brutalement les prix vers le haut. Le seul moyen pour rendre plus stable cette variation de coûts est de disposer d’électricité hors pétrole : hydroélectrique, géothermique, éolienne, solaire – mais aussi nucléaire.

Le premier utilisateur de pétrole est aujourd’hui le transport (50% des usages), dont le transport routier compte pour 80%. Une écologie intelligente devrait se focaliser sur ce dernier sujet, crucial pour la planète comme sur notre mode de vie. Donc résoudre avant tout la contradiction de son discours axé sur le « ni CO², ni nucléaire ». Et ne pas laisser planer un silence assourdissant lors des grèves sporadiques des cheminots, dockers et autres « services publics » qui obligent les travailleurs à prendre leur bagnole !

Sur une génération, nous aurons ou le CO², ou le nucléaire, et probablement un mélange des deux. Amorcer un changement de conditions de vie, c’est privilégier les transports en commun, le chauffage collectif, l’énergie peu génératrice de CO². Sans faire l’apologie du seul nucléaire, considérée comme une énergie de transition avant que la technologie ne permette de s’en affranchir, je ne vois pas comment nous pourrons nous en passer. Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien mettre en œuvre dans la construction, l’isolation, la moindre consommation et la réglementation. Mais, à dire « non » à tout, on se décrédibilise toujours.

Ce pourquoi les zécolos sont des zozos qui croient faire de la « politique » en agitant les peurs millénaristes. La politique, c’est tenir compte des réalités et du temps long. Tenir compte aussi des mouvements sociaux et de ce qu’ils peuvent avoir d’égoïstes pour la planète. Le dire, mettre à plat, négocier. Une social-écologie qui tienne la dialectique de la technique, des risques et de la démocratie, comme le dit le livre prometteur d’Eloi Laurent, à paraître bientôt sur le sujet. C’est bien plus intelligent que les discours de la Dufflot.   Vouloir tout, tout de suite est infantile et faire peur est fascisant (« sadique-anal » disait Freud de cet état autour de l’âge de deux ans). L’écologie politique aujourd’hui en France n’a rien à voir avec l’écologie scientifique : c’est une croyance, une nouvelle religion avec ses frères prêcheurs et ses prédicateurs de catastrophe, ses curés en mission et son inquisition. Écrasez l’infâme !

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Cataclysme japonais et changement de civilisation

Article repris par Medium4You.

Alors, quoi, nous étions tranquilles, « maîtres et possesseurs de la nature » depuis trois siècles, selon Descartes… et patatras ? Suffirait-il de plaques continentales qui se réajustent (ce qui était prévu) pour changer de civilisation ? Presque. Il y a eu enchaînement : tremblement de terre, tsunami, accidents en cascade dans la centrale nucléaire de Fukushima à cause des routes défoncées et des installations endommagées qui ne permettent pas d’être pleinement opérationnel pour refroidir les réacteurs. Tout avait été prévu… mais dans le détail. Pas dans l’ensemble. Sortis des « modèles », rien ne va plus. Notre civilisation technique fait tellement confiance au calcul raisonnable que tout ce qui sort de l’épure est réputé ne pas exister. Dans le même temps, notre population infantilisée depuis l’école et traitée en mineure par les politiques de tous bords qui, eux, « savent pour tout le monde » (ainsi le croient-ils), panique dans l’émotion médiatique (à 9800 km de toute radiation fukushimesque) et coure se réfugier dans le doudou d’État. Ce n’est qu’un cri unanime : « Que fait le gouvernement ? »

Les vautours sont partout, ceux qui récupèrent l’émotion pour manipuler les opinions. Les zécolos se « réjouissent », jevoulavéb1di, avec une joie indécente (et préélectorale) – les Japonais seraient-ils à leurs yeux un genre de « fourmis » vaguement fasciste que la terre ne regrettera pas ? Le BHL a fait XXL lui aussi avec les révoltes “arabes”, façon DHL, aussi vite parlé que raisonné. Quant à Sarko, le célafôta est un bon moyen de se défausser de ses incompétences – surtout à gôch…

Fukushima, Tunisie, Libye, le problème fondamental est la démocratie. Donc le débat, la transparence. Sur le nucléaire comme sur les révoltes arabes et l’émigration. Depuis combien de temps dis-je sur ce blog et dans le précédent (Fugues & fougue) que l’infantilisme Mitterrand-Chirac a laissé les citoyens français à la tétée ? L’histrion actuel ne fait « participer » les citoyens que par le spectacle qu’il met en scène sur le petit écran, tout comme sa Royal challenger il y a peu. Ce n’est pas ça la politique !

Mais qui donne des leçons ? Les zécolos qui se chamaillent tant et plus entre la juge rigide, ce bon Monsieur Hulot, le sarcastique très politicien Cohn-Bendit, sans parler de l’ânonnante adolescente attardée Duflot ? Le Parti socialiste dont on se souvient (s’en souvient-on ?) combien il a été dans la ligne pure d’une démocratie idéale et pleinement transparente lors de son Congrès pour savoir qui allait être première secrétaire ? Sans parler de la primaire (je fais, je fais pas ?) et du “candidat unique” démocratiquement « choisi » tout à fait librement par le “peuple de gauche”…

Le problème de la démocratie était évoqué par Marcel Gauchet dans les Matins de France-Culture (eh oui, il y a des gens qui réfléchissent au-delà de la caméra braquée sur eux). Il est la tension entre l’individu qui, narcissique, égoïste, infantile, veut “tout tout d’suite, na !” – et la cité qui a besoin de temps long, d’examens, de débats, de négociations, d’arguments réalistes.

Par quoi remplacer AUJOURD’HUI le nucléaire ? Par ces éoliennes qui ne fonctionnent qu’un tiers du temps et dont personne ne veut près de chez lui ? Par le solaire qui ne brille que dans le nord en ce moment (pour une fois) ? Tout ce basculement d’énergie vers le renouvelable demande du temps et de l’argent (qui en a ?). Et demande surtout de CASSER le monopole d’EDF et de ses technocrates ingénieurs imbus d’eux-mêmes : il faudrait décentraliser, miniaturiser, adapter la production d’énergie à la consommation particulière de chacun. Les panneaux solaires ont un sens sur les toits, tout comme les petites éoliennes ou les ballons d’eau chauffée au plastique noir. Mais pas pour faire rouler les trains ni alimenter les entreprises. Mais dire tout cela est incompatible avec la médiAcratie, trop d’intérêts catégoriels et de lobbies seraient vexés.

Donc nous vivons la médiOcratie. La grande bêtise populiste des récupérateurs devant les caméras. Ceux qui en rajoutent d’autant plus qu’ils ne sont pas au pouvoir parce que, depuis des années, les électeurs ne les croient pas. « Yaka », clament-ils ! Yaka quoi ? Ben euh… yaka faire des TGV et des trains de banlieues et taxer la bagnole. Mais avec quoi vont rouler les TGV et les trains de banlieue ? Ben euh, avec l’éolien ou les barrages, peut-être la géothermie ou la biomasse, euh, voilà… Et pourquoi pas le charbon ? Ou le schiste enfoui profond ? Ou le gaz venu de pays non démocratiques ? Pour qui se souvient (mais s’en souvient-on ?) des élégies en faveur de l’éthanol (qui affame le peuple mexicain en faisant monter le maïs) ou des merveilles de la voiture électrique non-polluante (mais alimentée par le nucléaire et tellement plus chère à produire), on ne peut que se poser des questions. C’est « ça » la politique écolo ? Cette démagogie ?

Ne vous trompez pas sur mon propos : les écologues ont raison, mais pas les écologistes. Les premiers sont des scientifiques qui donnent des arguments ; les seconds sont des histrions qui paradent à la télé en rêvant de se faire élire. Dès lors, tout leur est bon, des peurs millénaristes aux engouements dont les conséquences n’ont pas été mesurées. Les écologues, en revanche, disent que la terre est une planète finie, sur laquelle les ressources ne sont pas illimitées et dont l’équilibre est précaire, influencé par l’humanité devenue très nombreuse. Ils ont raison. Mais le paquebot de la civilisation ne vire pas comme un vélo.

La question est donc non celle des politicards, mais celle de la civilisation. Les Japonais vivent dans une partie dangereuse de la planète. Ils n’y sont pour rien et ont beaucoup plus de dignité, à quelques dizaines ou centaines de kilomètres de la centrale touchée que les zécolos à des milliers de kilomètres, qui jouent à la bergère dans leur confortable maison de campagne en se donnant bonne conscience avec des mots.

La civilisation, c’est autre chose. C’est toute notre façon de penser et de concevoir le monde qui est mise en cause. L’arrogance technocrate, l’adoration de la raison pure, la mathématisation du monde. Les maths sont fort utiles comme outil d’appréhension du monde. Ils aveuglent s’ils sont pris pour le tout. Ce qui n’est pas calculable est ignoré ? – La nature se venge, par indifférence aux croyances. Ce qui est calculé en probabilités est « négligé » pour ses extrêmes (si peu « probables ») ? – Les faits submergent les modèles comme rien. Notre culture faustienne, alimentée par le désir et l’incessante exploration curieuse des choses disait Spengler, se meurt. Elle est désormais ‘civilisation’ : matérielle, matérialiste, comptable. Zéro défaut, précaution par principe, État papa, jouissance sans souci façon Club med ou paradis biblique. Tout ce qui sort de l’épure est à la lettre « impensable ». Donc pas pensé. Nous sommes dans la culture du déni.

C’est justement ce qu’il va falloir penser, le tragique du monde entre nos naïves croyances bizounours et la réalité des éléments naturels. Vivre est dangereux, qu’on se le dise ! Pourtant, nul n’a interdit les voitures sous prétexte qu’elles font PLUS de morts par an que tsunami + tremblement de terre au Japon ? La centrale de Fukushima n’est pas une « bombe » nucléaire mais un site qui émet des éléments radioactifs dans l’atmosphère. Le troisième accident grave en 60 ans de centrales. La technique est un outil, pas une foi. Il y a des risques partout, y compris chez les fonctionnaires de l’Agence de santé, qui a su si bien « prévoir » les effets du Mediator, après le sang contaminé et la vache folle…

Il est dangereux de voir ressurgir la guerre de religion entre les technocrates matérialistes et les zécolos mystiques. Est-ce le monde qui nous attend ? Ce retour au millénarisme, à l’ordre moral, au fascisme du premier qui prend le pouvoir et règne par la peur ? Écrasez l’infâme ! disait déjà Voltaire, le vrai, pas le réseau qui usurpe son nom.

Le blog d’un Français au Japon, volontaire comme interprète à Sendaï ces derniers temps.

La catastrophe et l’État (exemple du Japon)

L’Apocalypse millénariste est de retour !

Le CICR aide les familles japonaises à se retrouver

Les questions que vous vous posez sur le nucléaire, Rue89 tente des réponses de synthèse

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Mario Vargas Llosa, La guerre de la fin du monde

Les décennies 1970-1980 aimaient lire ; la culture avait explosé dans la lignée de 1968 et chacun était avide de savoir. Les auteurs en profitaient pour se lancer dans leur ‘Guerre et paix’. Nous trouvions des ouvrages aussi bien garnis en pages que ‘Le pavillon des cancéreux’, ‘La gloire de l’empire’ ou ‘Cent ans de solitude’. Il s’agissait de décrire un univers total, une Somme au sens théologique qui dirait tout du monde et des hommes. Vargas Llosa en a profité pour sortir son pavé : ‘La guerre de la fin du monde’.

Le roman se situe en une fin de siècle, vers 1897, dans un pays neuf, le Brésil, qui vient de s’émanciper de l’empire portugais pour créer une république indépendante. Mais la république, pour les masses tenues par les curés, est le diable, le Chien comme ils disent. La république ne veut-elle pas recenser les hommes pour établir l’impôt ? Ce classement technocratique n’est-il pas le prélude à un retour de l’esclavage, aboli par la monarchie ? Tous les délaissés, les prostituées, les bancroches, les bandits se rebellent contre l’établissement de l’État. Anarchistes ou libertariens, c’est selon, ils suivent un prophète illuminé, Antonio qu’ils appellent le Conseiller. Celui-ci déclare que son royaume n’est pas de ce monde et que l’Apocalypse arrive à bride abattue, menée par les républicains, francs-maçons anglo-saxons et autres pas très catholiques. Il s’agit donc de se retirer loin des villes, dans le sertao du Nordeste, pour fonder un phalanstère. Là, dans la solitude et la prière, chacun pourra se purifier avant de se présenter devant le Père.

De cet épisode peu connu – mais réel – de l’histoire brésilienne, Vargas Llosa fait un conte philosophique. Il évoque le millénarisme, les mouvements de foule, le merveilleux qui saisit les gueux. Il compose une galerie de personnages attachants qu’il suit dans leur destin improbable jusqu’au bout. Car tout se terminera par le retour à l’ordre, trois expéditions militaires échouent devant les jagunços (bravaches ou rebelles) ; mais la quatrième, où la république a mis « les moyens » triomphe : il y aura très peu de survivants à cette guerre d’État contre communauté.

Les statuts se croisent, c’est ce qui fait le sel du conte. Le baron de Canabrava, riche propriétaire terrien, monarchiste et conservateur, se trouve déstabilisé par la foi des humbles ; ils brûlent deux de ses fermes et sa femme en devient folle. Il voit alors combien sont vains les petits combats politiciens contre la subversion de l’ordre au nom de l’Ailleurs. Il renonce à la politique au profit de son rival républicain, un jacobin à poigne, pour que survive l’État de Bahia dans la fédération du Brésil. Le révolutionnaire communard Galileo Gall (surnom qu’il s’est choisi), aspire ardemment à la révolution contre la bourgeoisie. Il prône la liberté totale et l’amour libre. Mais lorsqu’il viole la femme d’un gueux, adepte du Conseiller, dans un moment de désir reichien, il s’aperçoit que des notions aussi archaïques que l’honneur viennent se mettre en travers de l’utopie. Il n’ira pas à Canudos, village aux centaines de maisons où réside le Conseiller, qui s’est isolé en brûlant tous les alentours. Il disparaîtra dans un duel absurde, pour une femme qu’il n’aime pas et qui ne l’aime pas, simplement parce qu’il a obéit à ses instincts animaux. Un journaliste bigleux et très laid, affligé de crises d’éternuements interminables, est allé à Canudos. Non par conviction mais pour savoir la vérité. Il y découvre l’élan social de la communauté et, pour lui, l’amour que sa laideur lui a toujours refusé.

L’État, c’est la contrainte, l’anti-communauté. L’armée, c’est la bêtise, l’anti-efficacité. L’armée symbolise l’État, elle promeut les plus stupides, ceux qui ont pris du galon parce qu’ils n’ont jamais d’initiative, se contentant d’obéir aveuglément aux ordres et au manuel. D’où les pertes lorsque des soldats vêtus de flanelle, portant pantalon rouge qui se voit de loin, épuisés par les marches sous le soleil, rencontrent les paysans du cru, reposés et connaissant le terrain, camouflés par des herbes et autres ruses d’indiens. Les soldats chargent sabre au clair, ils se font allumer. C’est bravache et inutile, comme l’honneur. L’honneur est la vertu des imbéciles, la carapace rigide qui camoufle le vide intérieur. L’État, l’armée, l’honneur, forment une constellation philosophique à laquelle s’opposent la communauté, l’organisation à la base et la foi. Telle est la leçon du conte, racontée somptueusement par l’auteur.

Ne vous laissez pas rebuter par le nombre élevé de pages, vous serez captivés par cette histoire éternelle.

Mario Vargas Llosa, La guerre de la fin du monde (La guerra del fin del mundo), 1981, Folio, 700 pages

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