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Le dernier complot

Toute crise désoriente les esprits peu sûrs d’eux-mêmes ; la raison fuit devant la croyance. Ce pourquoi les religions font recette particulièrement en ces moments-là :

  • Autour de l’an mil c’était l’Apocalypse, qui prépara l’élan des croisades comme celui des bâtisseurs de cathédrales (les deux faces d’une même foi) ;
  • dans les années 1970 au moment des deux chocs pétroliers (1973 et 1979), la Malédiction satanique de l’Associé du diable exigeant l’Exorciste ;
  • à la fin des années 2010, c’est désormais la Cabale de l’Etat profond contre le Blanc moyen que des hordes d’immigrés orientaux ou latinos doivent envahir en Europe et aux Etats-Unis tandis que leurs gènes seront submergés par le Mélange et leurs enfants, selon Q, éradiqués par le kidnapping, le soutirage du sang, le viol et la torture. Le viol comme arme de guerre, ce n’est pas nouveau mais fait toujours recette.

Le sang serait destiné à l’adénochrome qui donnerait aux puissants longue vie. Rien de nouveau sous le soleil, boire le sang était déjà considéré comme prendre la force de son ennemi durant la préhistoire et les Romains accusaient déjà les chrétiens d’égorger les petits enfants, ce que le Moyen-Âge reprendra pour les Juifs. Inutile non plus de décortiquer cet adénochrome : il n’est que l’oxydation de l’adrénaline en laboratoire qui sert contre l’épilepsie et pour guérir les hémorroïdes (donc les épanchements du Q). On le fabrique industriellement et chacun peut le trouver facilement sous les noms des médicaments Adona, Phleboside, Anaroxyl, Medostyp ; pas besoin de saigner des enfants… Mais cette preuve ne sert à rien car ce qui compte est la croyance.

Or nul être sensé ne peut rien contre un croyant. Il est imperméable à tout, sauf à la force. Les islamistes le savent bien qui s’intoxiquent d’Allah (et certains de haschisch) pour devenir assassins. La foi rend blindé, robocop discipliné du gourou, soumis au dieu vengeur. L’empathie envers les enfants maltraités est humaine ; elle conduit tout naturellement à croire, donc à suivre aveuglément ceux qui sont contre. Jusqu’aux absurdités qui ont conduit au Pizzagate en 2016 et, rien qu’en 2020, à la tuerie allemande de Tobias Rathjen et à l’accusation de vendre des enfants sous le nom d’armoires par l’entreprise de meubles Wayfair à Boston !

La pédocriminalité est, avec le nazisme, le fantasme le plus violent du Mal au début du XXIe siècle. De quoi en avoir un orgasme, bien plus qu’avec les égorgeurs d’Allah. Être nazi, le rêve ! On peut tout faire, tout se permettre, on est le plus fort. Violer les enfants, rendre esclaves les femmes, torturer le mécréant, égorger l’apostat. On peut transgresser tous les tabous, surtout juifs et chrétiens, donc les Commandements de la Bible, l’inverse même de la morale américaine. Être antéchrist une bonne fois pour jouir de tout sans entraves, c’est atteindre le septième ciel sans attendre l’au-delà. Dès que vous reconnaissez cet Ennemi absolu du nazi pédo – le Diable incarné – si vous n’êtes pas pervers, vous vous trouvez forcément dans le camp du Bien. Hein ? des doutes ? vous seriez donc pervers ? Soyons décent, inutile de penser, suivez : le Bien sait tout. Il encadre la morale. Il est le Q, la puissance réactive en électrotechnique. Il vous donne des règles simples à suivre. Restez dans les clous et avec les bons : croyez !

L’effroi du petit Blanc paupérisé, la peur du Grand remplacement par les colorés dans le monde blanc, font monter l’insécurité intime et culturelle. Les errements des gouvernements trop technocratiques qui ne savent pas et décident en aveugle tourmentent la passion politique : sur la pandémie (Castex et le casse-tête des Qltes et le Q de Tobin appliqué à la rentabilité des pistes skiables) ; sur l’économie (Hollande qui voulait réduire le chômage tout en augmentant massivement les impôts !). Le sentiment démocratique de ne jamais être entendu (les gilets jaunes), entraîne ressentiment et méfiance. Tout ce qui est dit par le pouvoir et par les élites devient mensonge et entraîne par réaction la tendance à faire l’inverse, en ado rebelle qui n’a jamais su grandir :

  • Le masque ne sert à rien ? – Si, si au contraire, j’en veux un !
  • Le masque devient obligatoire ? – Non, non, je me sens libre de ne pas le porter !
  • Pas de vaccins ? – Mais que fait le gouvernement ?
  • Des vaccins bientôt disponibles ? – Je me méfie, je ne me ferai pas vacciner, ils pourraient contenir des nanopuces de contrôle par les GAFAM ou des produits abrutissants pour le FBI ou la CIA… (tous les monstres fantasmés du Complot, le numérique IA et l’empire américain)

Rien de rationnel là-dedans, que de la rumeur, de la croyance, de l’abandon de soi à la horde de ceux qui pensent « bien » – c’est-à-dire comme sa bande. Dans les années 1970 le complot était celui des multinationales, dans les années 1990 la Trilatérale, c’est désormais Davos le forum des riches et des puissants bientôt immortels par transformisme et régnant par l’intelligence artificielle augmentée par la 5G… (tant qu’à faire, amalgamons tout). La nanopuce, est-ce la crainte d’avoir enfin du plomb dans la cervelle ? Ou de garder la cervelle dans le Q ?

Tout événement majeur déstabilise : la crise financière puis économique et sociale 2008 ; la pandémie 2019 et la crise de la mondialisation 2020 aggravée par un Trump agressivement tweeteur. Chacun cherche alors à se rassurer et à retrouver ses marques. Pour cela trois choses :

  1. Donner un sens (même absurde) pour reprendre le contrôle – le délire paranoïaque est toujours très logique ; il n’en reste pas moins un délire hors du réel
  2. Agir pour résister – faire n’importe quoi mais faire – pour avoir le sentiment de garder prise
  3. Se sentir relié, donc s’affilier à une tribu de croyants, à une communauté de religion (de religere, relier), à des gens qui pensent comme vous et vous confortent dans le nid – même au prix du déni.

La théorie du Complot trouve des échos parmi les plus fragilisés, les perdants, les « esclaves » (au sens métaphysique de Nietzsche), ceux qui sont incapables de penser par eux-mêmes ou d’oser seulement le faire. Ils préfèrent suivre la foule, lyncher en cœur dans l’anonymat de masse (c’est pas moi c’est l’autre), manifester sans projet, casser des biens publics pour se plaindre des moindres biens publics, faire du bruit pour ne pas entendre.

Il n’existe plus de vérité autre que celle à laquelle on croit ; plus de faits autres que ceux qui nous intéressent ; plus de débat entre gens de raison évoluée mais la haine entre bêtes d’instincts primaires. Plus de régime démocratique mais la guerre civile. Aux Etats-Unis, nous n’en sommes pas passés loin au moment de la défaite de Trump. En France ? ça vient… Comme toujours depuis des décennies les petits intellos français imitent ce qui vient des Amériques. Et rarement pour le meilleur.

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La Neuvième Porte de Roman Polanski

Ce film à demi français est adapté d’un roman d’Arturo Pérez-Reverte intitulé Le Club Dumas. Il met en scène le libraire aventurier new-yorkais Dean Corso (Johnny Depp) qu’un riche client, Boris Balkan (Frank Langella), engage via son expertise pour une mission. Il a, les jours précédents, acheté l’un des trois seuls exemplaires subsistant du livre satanique Les neuf portes du royaume des ombres, écrit au 17ème siècle par un certaine Aristide Torchia brûlé en place publique par l’Inquisition pour pratiques démoniaques. Le livre, condensé d’un ouvrage plus ancien écrit, dit-on, par le Diable lui-même, permettrait de l’invoquer et d’acquérir invincibilité, pouvoir et immortalité.

Seuls les niais peuvent y croire et pas Corso une seule seconde. Et pourtant… le montant du chèque et le parfum de l’aventure séduisent cet homme jeune, expert dans sa profession mais bien solitaire dans sa vie. Il aime jouer pour gagner, convaincre les héritiers des collectionneurs de vieux livres que la bibliothèque vaut cher mais que quelques exemplaires ne trouveront pas preneurs – et il les emporte à bas prix. Sa mission ? Aller consulter les deux autres exemplaires des Neuf portes qui sont au Portugal et en France, pour comparer les éditions et savoir si celui que Balkan a acquis est un faux.

Le vendeur s’est pendu deux jours après s’être débarrassé du livre. Son épouse Liana (Lena Olin), une femme mûre de 43 ans qui adore la baise, tente de récupérer Les neuf portes en payant grassement Corso, sachant que Balkan n’y consentira pas. Ce n’est pas son mari qui l’a voulu pour sa collection mais elle qui lui a fait acheter ; les pratiques sataniques décrites lui permettent d’entretenir un club de baiseurs de la haute société en Europe et de s’envoyer en l’air avec n’importe qui, comme dans la pub pour une compagnie aérienne à bas coût (et basse réputation). Elle tente sa séduction sur un Corso de 35 ans, imberbe et musclé (qui va d’ailleurs épouser Vanessa Paradis après le tournage), mais ça ne marche pas : le courtier rusé n’a pas conservé le livre dans son appartement mais l’a planqué chez un associé, libraire de livres anciens.

Au moment de partir en Europe avec de légers bagages, il va pour reprendre le livre mais trouve la boutique ouverte et son ami tué, pendu par un pied selon une gravure du livre maudit. Ce n’est que le premier des morts qui vont jalonner sa route, comme si quelqu’un le suivait particulièrement pour effacer toutes les traces des autres livres.

C’est qu’à Tolède, ville mozarabe juive où l’on pratiquait allègrement la kabbale et l’alchimie (contraires aux pratiques chrétiennes soumises à la toute-puissante Eglise de Rome), que les jumeaux libraires d’un âge avancé ont détenu et vendu le livre au mari de Liana. Ils attirent l’attention de Corso sur les gravures : si tout le livre est imprimé pareil, les gravures présentent des différences entre les trois exemplaires : une tour en plus, des clés dans l’autre mains. Certaines sont signées AT pour Aristide Torchia et d’autres LCF – pour qui ? Ce n’est pas compliqué à deviner, même si c’est déroutant autant qu’irrationnel. Mais le livre est destiné aux con-vaincus.

Dans ses visites successives aux deux collectionneurs des autres exemplaires, Corso découvre que la signature LCF est répartie entre les trois livres. Seule la réunion des trois permettrait d’avoir la clé de l’énigme. C’est ce que pense celui ou ceux qui le suivent comme son ombre pour tuer les propriétaires, arracher les gravures et brûler le livre dépareillé. Quelqu’un veut être le seul, l’Unique disciple de Satan, si celui-ci peut être invoqué.

Mais le Malin n’est pas bête, même si son chiffre le fait croire (le livre aurait été écrit en 1666). Une fille suit Corso dans tous ses déplacements et intervient à chaque fois qu’il se trouve en danger immédiat, notamment de la part de Liana et de son sbire, un nègre oxygéné qui aime frapper. Elle (Emmanuelle Seigner, épouse de Roman Polanski en 1989) a 33 ans et est en pleine forme physique, semblant glisser sur le sol pour aller plus vite et experte en combat rapproché. Le spectateur s’apercevra vite qu’elle est peu de ce monde mais plutôt le Diable incarné avec ses yeux magnétiques, son plaisir devant la violence et – puritanisme bigot oblige – sa sexualité endiablée.

Si le Malin a un candidat dans la compétition entre Liana, Balkan et Corso, c’est bien ce dernier. Le jeune homme a cet avantage de ne pas croire en Lui mais de foncer comme un rebelle, beau comme un ange déchu avec sa petite barbichette et son torse huilé. « La fille » (qui n’a pas de nom) le baisera à même la terre dans la dernière scène, devant le château de Balkan en flammes, quelque part du côté des pays cathares (tourné au château de Puivert).

Car en suivant les gravures, Corse se fait voler l’exemplaire de Balkan par Liana. Il la suit avec « la fille » – qui a volé une Ferrari (évidemment rouge infernal) à un émir arabe qui l’a laissée devant un grand hôtel parisien. Dans le château ancestral des Saint-Martin (nom de jeune fille de Liana, tourné au château de Ferrières) se prépare une orgie satanique où les membres du club, entièrement nus sous leur cape noire caoutchouteuse comme une aile de chauve-souris, écoutent religieusement leur hôtesse pérorer, le livre des Neufs portes à la main.

C’est alors qu’intervient Balkan, qui était au courant du vol et de la voleuse sans rien en dire à Corso. « Blablablabla », dit-il pour se moquer des sectaires qui croient devoir invoquer le Malin pour baiser à l’aise. Il déclare avoir réuni les gravures des trois livres (grâce à son expert) et être désormais seul possesseur du pouvoir d’invoquer Satan. Il étrangle Liana devant tous et chasse les clubistes échangistes qui s’enfuient à poil vers leurs luxueuses autos garées au-dehors. Moment comique qui tourne en dérision les « pratiques » sataniques. Le Diable mérite mieux que de vulgaires baises qui peuvent se faire naturellement, sans avoir besoin de lui.

Corso s’empare de la Bentley de Liana et poursuit Balkan dans sa Range Rover (évidemment noire comme Satan – et le FBI). Ils parviennent, après quelques péripéties pour Corso, moteur noyé dans un gué que la Rover a passé sans problème) au château figuré sur une carte postale trouvée dans l’exemplaire de la baronne Kessler à Paris (Barbara Jefford). Celle-ci, handicapée, écrit une biographie de Satan fort érudite sans croire en lui ; elle est donc punie par le Diable, qui a inspiré l’un des compétiteurs (Liana ou Balkan). Etranglée (le spectateur découvre a posteriori son assassin), son exemplaire est brûlé sauf les gravures. Il ne reste à Corso que ses notes et des photocopies partielles, mais il a gardé la carte et retrouve Balkan en pleine activité.

Dans une tour de la forteresse, le collectionneur a placé les neuf gravures dans l’ordre et commence le rituel d’invocation après avoir réduit Corso à l’impuissance en le faisant « rentrer sous terre » (coincé au travers du plancher pourri). Mais l’orgueil punit ceux qui y succombent, les antiques le savaient bien qui condamnaient cet aveuglement sous le nom d’hubris – la démesure. Pas besoin de Diable chrétien pour savoir que présumer de ses forces est dommageable et se prendre pour plus qu’humain une erreur. Dans l’euphorie de son pouvoir imminent Balkan, qui a un spectateur apte à juger de son acte, s’asperge d’essence et commence à brûler : « je ne sens rien, hi, hi ! ». Jusqu’à ce que les flammes atteignent sa chair et alors il hurle. Corso, dégagé du plancher qui brûle, l’abat par charité d’un coup de pistolet.

Dehors, « la fille » l’attend devant le château en flammes, cachée dans la voiture du collectionneur occis. Elle lui explique pourquoi cela n’a pas marché : l’une des neuf gravures était un faux. Comment le sait-elle ? Le sel de ce thriller réside en ces évidences que le spectateur découvre peu à peu, sans que rien ne soit dit. Puis elle baise Corso à poil dans la poussière, prenant toutes les formes dans l’orgie, le faisant jouir comme jamais.

Dean Corso veut finir la mission, juste pour savoir. « Gagner quel qu’en soit le prix, c’est se rire des vicissitudes du destin », disent selon Balkan (qui interprète le latin à sa sauce) deux des gravures. Corso revient auprès des libraires de Tolède mais ils ont disparu. Leur boutique est en train d’être démantelée et deux ouvriers, en couchant une armoire, font tomber une feuille… justement la page de la gravure falsifiée. Elle représente la Grande prostituée de Babylone, chevauchant nue la Bête aux sept têtes de l’Apocalypse. Vue à la loupe, son visage ressemble fort à celui de « la fille ». Corso, qui a récupéré les gravures de Balkan avant que l’incendie ne détruise toute la tour, retourne au château où les neuf portes s’ouvrent pour lui dans la lumière. Grâce à son outil, il est jugé apte à se faire sataniser.

C’est un thriller d’énigme bien construit et tourné somptueusement, au galop. Les acteurs sont parfaits dans leur caricature, un Balkan possédé, une Liana vénéneuse, « la fille » ophidienne, un Corso en jeune pionnier viril qui n’a pas froid aux yeux bien qu’il ait cette agaçante pratique d’allumer une clope à tout bout de champ, notamment au-dessus des livres vénérables qui valent des milliers de dollars, et de se placer toujours le dos à un danger potentiel.

DVD La Neuvième Porte (The Ninth Gate), Roman Polanski, 1999, avec Johnny Depp, Frank Langella, Lena Olin, Emmanuelle Seigner, Barbara Jefford, StudioCanal 2001, 2h08, €9.10 blu-ray €17.03

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Christine, film de John Carpenter

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Grand Prix 1984 du Festival international du film fantastique d’Avoriaz d’après le roman homonyme de Stephen King, ce film qui se passe en 1979 joue à la perfection des fantasmes américains : la peur du sexe, l’amour de la mécanique, la vengeance dans la peau.

Arnie Cunningham (Keith Gordon) est un ado mal à l’aise et couvé par sa mère ; il s’est inscrit après le lycée dans une section de mécanique. Avec ses lunettes carrées bordées de noir qui lui donnent un air de vieux et sa carrure d’avorton, il est la cible des machos qui peuplent cette formation d’ouvriers ras du front. Seul Dennis Guilder (John Stockwell), footballeur (américain) beau gosse et musclé, reste son ami et le protège mollement. Ces ados censés avoir 17 ans en ont 22 ans lors du tournage, ce qui rassit un peu trop leur jeu au détriment de la fébrilité immature propre à l’âge requis.

Arnold dit Arnie, lui qui n’a jamais osé aborder une fille, tombe raide dingue d’une carrosserie bien roulée aux lèvres sensuelles et à la robe rouge sang. Mais Christine n’est pas un être de chair, c’est une bagnole, une Plymouth Fury de 1957. Une série spéciale, puisque les Plymouth de l’époque sortaient de la chaîne en beige. Le culte de la mécanique, notamment de la voiture, est survalorisé chez les Yankees et Stephen King comme John Carpenter se moquent de ce travers machiste et carrément sexuel. Ne dit-on pas en français « rouler des mécaniques » ?

L’homme est plus amoureux de sa voiture que de sa femme ou de sa petite amie ; il la bichonne, lui donne un petit nom, lui parle doucement pour qu’elle démarre. Il la lustre et la caresse, la pénètre de clés et tubes divers pour la faire jouir à l’aide d’huile et de carburant, la fait ronronner dans les rues ou rugir sur l’autoroute jusqu’à la jouissance. On ne sait pas qui, de l’homme ou de la machine, connait le plus l’extase dans les pointes de vitesse ou dans le balancement déhanché de la suspension dans les courbes.

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La Plymouth est en ruines après 21 ans, mise en vente par le frère d’un homme qui s’est tué en elle, absorbant ses émanations volontairement par le biais du pot d’échappement. La voiture avait déjà assassiné sa petite fille de 5 ans puis sa femme – par jalousie ? Une scène préalable nous montre un ouvrier « Gros con » de la chaîne qui succombe sur son cuir, dans l’habitacle, après l’avoir souillée de son cigare et de ses pattes sales sans respect. Ce qui apparaît au départ comme un incident prend de l’ampleur à mesure que le film avance. Arnie répare son acquisition, faite en dépit de ses parents, délaisse son ami, devient sûr de lui jusqu’à l’arrogance. Il se transforme physiquement, quitte ses lunettes et s’habille pour se mettre en valeur. Comme s’il avait été pris en main par une femme – ce que l’on pensait indispensable pour devenir un homme dans ces années-là.

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Mais il est tombé sous la coupe d’une Christine jalouse qui se venge de tous ceux qui font du mal à sa carrosserie tels Clarence « Buddy » Repperton (William Ostrander), voyou renvoyé du lycée pour avoir menacé Arnie d’un couteau à cran d’arrêt et massacré sa tôle à coups de masse ; tel le gros Peter « Moochie » Welch (Arnie Malcolm Danare), copain de Buddy, qui prend les gens par derrière faute d’oser les affronter par-devant et jouit de leur écrabouiller les couilles. Lui finira écrasé… aux couilles, dans un garage, tandis que Buddy finira grillé vif par cette voiture satanique capable de rouler tout en feu. Sa couleur l’apparente au Diable, ce personnage qui hante l’inconscient biblique de ces Yankees décidément pas comme nous.

Leigh Cabot (Alexandra Paul), la plus belle fille du lycée, est draguée par Dennis avant d’être captée par la magie d’Arnie. Mais, après la surprise des premières relations, elle se voit délaissée au profit de sa rivale Christine. Si le sexe va à Leigh, l’amour va à Christine. La bagnole tente de l’étouffer dans l’habitacle, au cinéma en plein air où Arnie et elle viennent de s’engueuler. Pourquoi cet intérêt exclusif que le garçon porte à sa mécanique, de tôle, au détriment de la sienne, de chair ? Leigh n’a-t-elle pas des yeux de chiot et des seins en bombe comme tous les acnéiques en rêvent ? Sauf qu’Arnold est possédé par ce démon d’engin en robe rouge qui le venge et le rend invincible.

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Dans ces années, l’ayatollah Khomeiny en Iran a fait multiplier les prix du pétrole par trois entre janvier 1979 et décembre 1981 : consommer de l’essence sans compter avec des suceuses aussi goulues que les lourdes Plymouth montées dans les années 50 devient un péché. Confondre la matière inerte avec la création de Dieu est un autre péché, même si les yeux de Christine s’allument tout seul, si elle s’exprime par l’autoradio qui diffuse des vieux tubes, et si elle rugit de rage en écrasant ses ennemis. Pour punition divine, Dennis intervient en statue du Commandeur aux manettes d’un gigantesque Caterpillar (pendant viril de l’auto Christine), avec Leigh en appât pulpeux, hypnotisée par la lueur des phares. Arnie va finir empalé par un éclat du parebrise de sa maitresse et Christine se fera monter par l’engin mâle encore et encore, jusqu’à finir en cube compressé dans une décharge. Dans l’outrance, c’est très américain.

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Outre l’adolescence, la culpabilité du sexe, l’amour pécheur avec la mécanique, le film critique de façon acerbe les parents destructeurs au travers de leur hypocrisie. Les mensonges, proférés par bons sentiments, masquent l’égoïsme possessif de ces petits-bourgeois américains qui répugnent à voir leur enfant grandir et quitter le nid, aller aimer ailleurs. Ils veulent tout régenter, tout contrôler, tout orienter. La fille est en général le moyen de transgresser ; c’est ici la voiture.

Les personnages secondaires ne manquent pas d’intérêt, comme Will Darnell (Robert Prosky) en gras garagiste mâchouillant éternellement sa chique d’une lippe désabusée ou Regina Cunningham (Christine Belford), mère d’Arnie, vraie jument castratrice du genre qu’on appellera plus tard Executive Woman.

Toute la musique est composée par John Carpenter et Alan Howarth et rythme sur de vieux airs de rock’n roll cette alternance d’émotions et de frissons qui font vibrer le spectateur.

Ce n’est pas un grand film, mais il révèle les dessous pas très propres d’une Amérique dominatrice et sûre d’elle-même – jusqu’à tenter de dresser ses propres rejetons au Bien. Orgueil, fanatisme, brutalité : nous comprenons pourquoi l’adolescence fragile pouvait, en ces années-là, préférer la machine à la femme. Et, en 2003, torturer et dézinguer sans état d’âme des Aliens – pourtant humains irakiens.

DVD Christine (John Carpenter’s Christine), film de John Carpenter, 1983, avec Keith Gordon, Roberts Blossom, Christine Belford,  Sony Pictures 2006, €7.99 

Stephen King, Christine, Livre de poche 2001, 411 pages, €7.90

e-book format Kindle, €7.49

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Yasushi Inoué, Vent et vagues

yasushi inoue vent et vagues
A la fin du XIIIe siècle, alors qu’une France de 20 millions d’habitants fonde à Paris son collège de Sorbonne et bâtit son État centralisé avec Philippe Auguste, le mongol Kubilai, petit-fils de Gengis Khan, conquiert la Chine des Song et la Corée ; il rêve d’envahir le Japon, cette petite île qui résiste encore et toujours aux envahisseurs. L’orgueil n’est pas le moindre de ses défauts, ni le sens politique la moindre de ses qualités. Kubilai sait diviser pour régner, alterner chaud et froid pour se faire craindre et obéir.

Inoué, en cette chronique historique romancée, ne conte pas la vie de Kubilai, non plus qu’il n’écrit un roman. Il ne s’intéresse au Khan que par la contrainte qu’il a présenté par deux fois pour le Japon, menacé d’être envahi par une flotte de près de 2000 bateaux portant quelques 100 000 hommes (si les dénombrements d’époque peuvent faire foi). A chaque tentative, en quelques années d’intervalle, la Corée a été saignée à blanc par les réquisitions en bois, en riz, en artisans navals et en soldats. « Le peuple fut harcelé par d’innombrables tâches ; les délais terriblement pressants passèrent aussi rapidement que la foudre, dans un cortège de souffrances », relate une chronique du temps citée p.165.

A chaque fois, malgré la saison d’été entamée, des typhons ont dispersé la flotte et coulé la plupart des bateaux. La dernière tentative a été repoussée de justesse, les troupes ayant débarqué, mais les Japonais se sont battus comme des sauvages pour les repousser : « un peuple de loups sanguinaires qui aiment tuer », dit un Chinois du temps remémoré p.161. La mer a fait le reste, vent et vagues se liguant pour empêcher les envahisseurs de revenir. Curieusement, à chaque tempête, les généraux de l’expédition sont parmi les rares rescapés. Kubilai aurait pu soupçonner une volonté défaillante ou un souci de leur personne plutôt que de sa gloire, mais il n’en a rien été.

Le pire a été le général Hong Tagu, un Coréen félon élevé chez les Mongols et déjà bien en cours auprès du Khan, à 16 ans. D’une beauté de statue, pâle et froide, il vouait une haine implacable à ses frères de race, se voulant le bras armé sans pitié du Mongol. Kubilai devait se divertir à faire servir les renégats, les dressant à dompter leurs compatriotes. C’est un plaisir sadique qui n’échappe jamais aux ordures, dont aujourd’hui les islamistes de DAESH : ils prennent un plaisir malin – satanique – à faire décapiter les Blancs par d’autres Blancs. Kubilai, en dictateur absolu dans l’histoire, n’a pas failli à cette façon de faire la guerre, la terreur imposant sa volonté bien plus que le prestige ou la puissance.

Inoué conte les péripéties de cet âge d’après les chroniques historiques coréennes, bien documentées sur la période. Il garde un ton détaché, l’imagination du romancier n’étant qu’à peine mise à contribution pour souligner quelques traits de psychologie des personnages, les paysages au printemps ou sous la neige. Ce style plat est redoutablement efficace pour faire passer toute l’horreur de ce rêve d’empire de mille ans, de la manipulation des grands et de l’exploitation forcenée des petites gens pour les faire servir aux entreprises guerrières démesurées d’un despote cruel.

Le Japon, en 1281, l’a échappé belle ; et c’est la mort de Kubilai en 1294 qui sonna le glas de cette mégalomanie qui vaut bien celle de Hitler, six siècles plus tard. La Corée en a réchappé aussi, l’acculturation mongole menaçant ses mœurs et sa façon de vivre comme sa religion bouddhiste. L’auteur montre combien, peu à peu, de renégats haineux en noble coréens soucieux de plaire, le costume mongol a pris mode à la cour, la coiffure mongole (tête rasée sauf une natte) s’est imposée jusqu’aux enfants demi-nus des rues, le métissage forcé ou de complaisance a lié Corée et Mongolie… Une civilisation apprend peu d’une autre ; lorsqu’il y a choc, il y a renforcement ou désagrégation, assimilation des allogènes ou suicide culturel. La Corée a bien failli disparaître sous la barbarie mongole… quant au Japon, l’auteur laisse imaginer ce qu’il en aurait été.

Yasushi Inoué, Vent et vagues – le roman de Kubilai Khan, 1963, Picquier poche 1996, 288 pages, €9.00

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