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Parole

Je suis surpris que tant de gens, aujourd’hui, sacralisent autant la parole. A l’heure de l’écrit, de l’image, du « signe », seul « ce qui est dit », de façon officielle, publique, par une personne « ayant autorité », est considéré.

Les informations des scientifiques, reprises par les journaux ou la télévision, entrent par un œil ou une oreille et en ressortent par l’autre. Les gens restent indifférents ou sceptiques, dubitatifs. Ils en ont trop entendu et « attendent de voir », on « ne leur fait pas ». Ainsi la dégradation du climat dû à l’industrie est-elle restée durant des décennies un prêche dans le désert. Il suffit en revanche qu’un histrion de télé, un « intellectuel médiatique » ou un homme de pouvoir reprennent l’information, pour qu’on l’entende et que chacun réagisse alors selon « la » morale en vigueur. C’est ainsi que naissent en France les « polémiques » et que les « scandales » arrivent.

Prenons la maladie dite de la vache folle, née de l’alimentation en farines animales d’herbivores, et ses conséquences humaines, la maladie de Creutzfeld-Jacob. L’information est connue depuis des années déjà. Je me méfie moi-même de la viande de bœuf. Non que je pense que le muscle des rôtis et biftecks puissent être infectant, mais j’effectue un boycott citoyen visant à forcer notre glorieuse Administration, si lente, si lourde, si irresponsable, tellement tiraillée par des lobbys contraires, a secouer sa mauvaise graisse pour justifier sa prétention à « servir l’intérêt général ». Une traçabilité claire et contrôlée est-elle vraiment établie ? L’information était dans l’air mais peu étaient comme moi à en tirer les conséquences. Il a suffi que le président de la République le dise pour que 87 % des Français sondés se mettent à le croire, 13 % déclarant n’en avoir rien à faire. Peu importe que Jacques Chirac ait agi à l’époque par tactique politicienne, pour détourner l’attention des affaires, du temps où il était maire de Paris, ou pour mettre en porte-à-faux le gouvernement socialiste empêtré dans les intérêts syndicaux des catégories ayant intérêt au statu quo. Peu importe : il l’a dit, donc c’est devenu « vrai ».

Même chose dans les entreprises. Bouche-à-oreille et bruits de couloir, confidences internes ou regards extérieurs, font passer l’essentiel des informations importantes. Mais ces informations n’existent dans la réalité les esprits que si la hiérarchie les exprime « officiellement » par une note ou lors d’une réunion. La vérité tombe ainsi comme une parole divine. Étrange superstition des mots à l’heure des échanges en continu des réseaux, du mobile et de l’Internet !

Notre culture latine, catholique, monarchique et jacobine n’y serait-elle pas pour quelque chose ? Il y a quelques dizaines d’années, au temps de mes études universitaires, j’avais déjà été frappé de la survivance du sacré qui entourait le « cours magistral » des professeurs. Cela des années après la grande remise en cause de mai 1968 et la fameuse « réappropriation » de la parole. Alors qu’il existait d’excellents manuels publiés sous le regard critique des pairs, mis régulièrement à jour, ainsi que des travaux dirigés efficaces, chaque élève se devait d’aller écouter religieusement le cours en amphi. J’étais presque le seul à ne jamais suivre un cours magistral et à apprendre plutôt dans les livres. Notre éducation ne nous a-t-elle pas conditionné à attendre le savoir des élites et l’information des interprètes qualifiés de la parole de Dieu ? Curé, notable, médecin, instituteur, adjudant, nous disent toujours comment faire. Le roi, les évêques et (dans la dissidence, ou à la télé) les intellectuels, nous disent ce qu’il faut connaître. La pensée personnelle n’est pas encouragée. C’était péché d’orgueil, que l’on contrôlait par la confession (aujourd’hui appelée repentance). Rares étaient les Montaigne ou les Pascal. Les Descartes, Voltaire et autres Hugo devaient s’exiler.

Le système a trouvé son apothéose dans le fils tyrannique enfanté par nos révolutionnaires : le système soviétique. Le citoyen pouvait penser ce qu’il voulait mais, s’il avait le malheur de l’écrire ou de le dire et qu’on l’écoute, sa « parole » devenait chose et se dressait, objective et autonome, contre lui. Les organes n’avaient de cesse, alors, d’extorquer de l’individu des « aveux », autres paroles de culpabilité contre les paroles d’expression. Comme si les mots venaient de Dieu, de la vérité même de l’Histoire, et que seuls d’autres mots propitiatoires pouvaient les contrer. Jette-on des sorts en émettant des mots ? Au siècle des réactions nucléaires et de l’intelligence artificielle, c’est à croire.

Est-ce plutôt une particularité de ma forme de mémoire qui me rend différent de la majorité ? J’ai une mémoire plus visuelle qu’auditive. Il m’est plus efficace de lire en prenant des notes que d’écouter quelqu’un. Le débit de la parole est trop lent pour mon esprit ; sa musique et son ton brouillent le fond du discours et détournent de sa logique interne. Sauf à trouver justement dans ce non-dit exprimé une information supplémentaire – ce qu’il m’arrive de trouver dans un autre contexte, auprès de dirigeants de sociétés cotées en bourse ou de financiers intéressés à me vendre quelque chose. Mais la matière même passe moins bien oralement à ma mémoire que l’écrit. Car ce qui est couché sur le papier est lisible d’un coup d’œil, objectivé et exprimé d’un seul coup, aligné noir sur blanc, disposé sur la page ou l’écran. Sa cohérence, son rationnel, passe avant le ton qui est la teinture émotionnelle de la voix. Ce qui est dit apparaît directement sans dérouler le fil du pas à pas.

Seuls les Grecs, peut-être, révéraient la vue plus que la parole. Pour eux, la lumière révélait la vérité des choses en raison, la musique servant plutôt à convaincre et à séduire. Dans l’idéal, ils connaissaient un bon équilibre entre la connaissance et la politique, entre la science et l’enseignement, entre la beauté physique du locuteur et la valeur morale qu’il exprimait. Il est vrai que, pour les Grecs, toute parole venait des hommes ici-bas et non pas de Dieu au-delà. Elle n’était qu’argument, pas une vérité révélée.

Après des siècles de culture vouée au mot, de l’exégèse biblique byzantine aux disputes orales du Moyen Âge jusqu’aux effets de tribune des parlementaires et aux prises de parole des intellectuels, peut-être le cinéma, la télévision, les jeux vidéo et l’Internet vont-ils peu à peu changer la donne ? Une mémoire plus imagée, une intelligence moins lente, moins engluée dans le carcan du vocabulaire et de la grammaire (avec ses mots tabous et ses artefacts de structures dénoncés entre autres par Nietzsche) vont-elles produire une pensée plus vive, plus équilibrée, prenant l’habitude d’aller de suite à l’essentiel avant de reconstituer pas à pas sa logique ? Nous passerions alors de la superstition des mots au sens des choses. Nous prendrions le recul nécessaire pour un jugement mieux équilibré parce que l’œil voit plus vite, plus large et plus loin que la langue. Peut-être verrions-nous alors autrement le monde ? Ou peut-être pas : car le regard rapide peut aussi être superficiel, le regard large un regard vague et le regard lointain une abstraction hors sol.

Au fond, la parole est un outil comme un autre, dont les bienfaits ou les méfaits dépendent de l’usage qu’on en fait.

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Normal s’efface, le néant s’ouvre

Monsieur le président, je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être, maintenant que vous avez le temps…

Vous avez eu raison de renoncer à vous représenter pour à nouveau cinq ans. Personne ne vous désire, tant vous avez mal incarné la fonction régalienne par vos hésitations, votre manque de clarté, votre autorité bafouée sans jamais de conséquences.

Vous avez laissé proliférer les ambitions mesquines et les critiques en l’air des petits egos en mal de médiatique.

Vous avez laissé les Français sur une ambiguïté à la Mitterrand – sauf que n’êtes pas à la hauteur d’un Mitterrand. « Mon ennemi la finance », avez-vous dit, « renégocier le traité européen avec Mme Merkel », avez-vous affirmé, « taxer à 75 % les hauts revenus », et ainsi de suite. Vous n’avez rien fait de tout cela (c’est heureux pour la France), mais vous avez excité les nostalgiques de la gauche archaïque, des frondeurs aux atterrés, qui se présentent désormais en ordre dispersé à la primaire (s’ils sont disciplinés) et directement au premier tour (s’ils se sentent plus gros que le bœuf).

Vous avez promis d’éradiquer le chômage à peu près chaque année depuis 5 ans, en faisant une politique qui est le contraire même de celle qui peut créer de l’emploi : l’augmentation massive des impôts sur les ménages (qui tue la consommation), sur les entreprises (qui dissuade d’investir), les normes tatillonnes votées à grand renfort de surenchère par vos députés en liberté (plus contraignantes que celles de Bruxelles), la nomination purement politicienne d’une Cécile Duflot au logement (qui a fait reculer le marché, donc la construction, donc l’emploi dans le bâtiment sur au moins deux ans)…

Votre social a été remplacé par la technocratie du social, la minable petite « boite à outils » contre le chômage faite de contrats aidés en associations et collectivités (qui n’aboutissent sur rien) et sur des « formations » sans métier au bout (qui ne font que reculer l’inévitable). Ah, vous avez été lyrique sur le mariage gai (qui ne concerne qu’une infime minorité de Français), sur le détricotage des peines planchers (qui ne rendent pas les délinquants plus réfléchis mais les ramènent plus vite dans le trafic et la violence).

Peut-être avez-vous « sauvé la Grèce » que le grand méchant loup Merkel s’apprêtait à croquer, mais est-ce si sûr ? Si la puissante Allemagne a consenti à prêter pour faire durer, n’était-ce pas aussi dans son intérêt ? Vous en Sauveur, faut-il sourire ?

Certes, la gauche a toujours secrété une nouvelle religion en tordant Marx du côté messianique, puis Keynes en prophète de l’État-providence, puis en faisant de l’écologie une prophétie d’apocalypse… Mais avez-vous fait assez la pédagogie de ces illusions aux militants, aux intellos, aux Français ?

Certes, le Parti socialiste s’est réduit à une machinerie pour sélectionner des candidats, abandonnant toute ambition d’être un laboratoire d’idées. Mais n’avez-vous pas été 11 ans durant son Secrétaire général ? Vu son état actuel, on ne peut que frémir en imaginant la France après deux quinquennats de François Hollande.

Donc vous avez bien fait, Monsieur le président, de vous retirer. Vous avez su garder une dignité, laissant les egos et les moralistes se battre entre eux – puisqu’ils savent mieux que vous ce qui est bien pour tout le monde.

francois-hollande-renonce

J’aime la gauche pour son élan et quand elle est en mouvement – ai-je écris il y a quelque temps ; je n’aime pas la gauche morale, figée dans son catéchisme. Ma génération a assez subi les curés, les cocos, les maos, les trotskistes, les profs, les adjudants et les patrons pour subir aujourd’hui l’impérieuse moraline d’un « parti » socialiste. Ce mot de Nietzsche décrit cette glu édifiante qui se croit obligée d’enrober tout discours du miel des Grands mots pour qu’il soit « acceptable » aux adeptes.

D’ailleurs, « la gauche », qu’est-ce que c’est ? Jacques Julliard, son historien, en a caractérisé quatre : libérale, jacobine, collectiviste, libertaire. Vous étiez de son aile droite, en social-libéral – mais si vous l’aviez dit, vous n’auriez jamais été élu par « le peuple de gauche », qui vibre toujours aux grands souvenirs et dénie au présent tout pouvoir de réalité. Votre actuel Premier ministre de même tendance, Manuel Valls, brûle de se présenter : il sera vraisemblablement minoritaire au sein de ce parti explosé qui n’a plus rien de « socialiste » – puisque l’intérêt collectif y est sacrifié à chaque seconde aux petits intérêts privés des egos qui se poussent du col.

La gauche libérale est désormais incarnée par un jeune poulain que vous auriez pu adouber, mais que vous laissez batifoler sans soutien : Emmanuel Macron. Tant pis pour votre image dans l’Histoire – à laquelle vous tenez – puisqu’il va recomposer une gauche non jacobine et encore moins collectiviste hors du parti dont Mitterrand vous avait laissé l’héritage. Libéral mais aussi réformiste (comme Rocard), il a aussi un côté moderne, libertaire, (comme Joseph Proudhon). Il désire comme lui le moins d’État possible parce que la société – la jeunesse – est apte et aspire à se prendre en main à la base.

Tout l’inverse d’un Montebourg volontiers histrion, enflant la voix pour accoucher de quoi ? de promesses ? de réalité reniée ? Tout l’inverse surtout d’un Mélenchon adepte de la bande des quatre principes de la gauche collectiviste : centralisme, autoritarisme, fiscalité, clientélisme.

Quels sont donc les intérêts de classe sous-jacents à ces candidatures ?

  • les fonctionnaires, les urbains et une part des classes moyennes salariées avec Valls ;
  • les jeunes entrepreneurs, les professions libérales et la bourgeoisie de province avec Macron ;
  • les retraités et l’âge mûr nostalgique de l’époque Mitterrand avec Montebourg ;
  • les petit-bourgeois déclassés amers de leurs études qui n’ont servi à rien avec Mélenchon ?

Qui saura entraîner les intérêts divergents de ces groupes sociaux par une idéologie qui transcende ces clivages ? Vous n’avez pas su, trop préoccupé de vos petits jeux tactiques politiciens avec les Taubira, les Duflot, les Batho, les Cahuzac…

Les médias et vos partisans parlent de « sidération » – comme si votre décision était tombée des nues ! C’est qu’ils ne pensent pas par eux-mêmes, qu’ils se contentent de suivre et de hurler les slogans du parti, vos partisans ! « Sidérer : atteint par l’influence maligne des astres », dit le dictionnaire (même racine que sidéral) : combien ils sont loin des réalités, vos socialistes, s’ils se laissent « frapper de stupeur » (sens dérivé de sidérer) par votre décision ! Ne voient-ils pas pourtant que tous les ténors qui se croyaient sont systématiquement dégommés par les urnes ? Duflot, Sarko, Juppé, Copé… Vous-mêmes l’auriez été, probablement. Votre sagesse aura été d’anticiper.

Votre folie aura été de croire que les socialistes, que vous avez dirigés, à qui vous avez demandé votre élection, étaient capables d’intelligence sur le monde actuel et sur les changements inévitables de l’avenir proche. Or ils résistent des quatre fers à tout changement, ces soi-disant « progressistes » ! « Stupeur : engourdissement de l’intelligence et de la sensibilité », dit encore le dictionnaire. Le monde les stupéfait, comme votre décision ; ils sont hors du sens, hors du monde.

Le normal s’efface, le néant s’ouvre, ils ont déjà perdu la partie.

François Hollande sur ce blog

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Primaires, un progrès démocratique ?

Parce que la gauche les a mises en place en 2011, les primaires seraient « forcément » un progrès démocratique. Or les primaires à gauche de cette année-là ont adoubé celui qui apparaît peut-être comme le pire président qu’ait connu la Ve République, François Hollande. Indécis, pusillanime, toujours lisse et content de lui, lançant des idées comme on lance une balle à un chien pour voir s’il la rapporte, sans projet clair pour la France, intellectuellement lâche dès qu’il s’agit de gouverner pour tous les Français, il reste dans une constante stratégie d’évitement de tous les tabous de la vieille gauche socialiste. A croire qu’il avait un père autoritaire et qu’il a peaufiné cette façon d’être dans son couple et durant toute sa carrière…

Les primaires à droite, les premières du genre, remettront-elles en cause ce choix pitoyable du « moins pire » acceptable par un parti ? Nous avons sept candidats, dont une seule femme, mais deux candidats seulement intéressent les médias et ceux qui veulent gagner : Sarkozy et Juppé. Les autres ne sont cependant pas là seulement comme figurants mais ont tracé pour la plupart un programme sérieux, complet et chiffré, du projet qu’ils proposent. Gageons que, même s’ils ne sont pas choisis, le vivier des idées à droite y aura gagné, au moins dans l’opinion.

primaires-en-france

Alors, les primaires sont-elles utiles à la Ve République en France, ou non ? 

La mode va vers la démocratie directe opposée à la démocratie représentative. Les gens, plus cultivés, plus informés via Internet (le sont-ils « mieux » ?), désirent donner leur opinion personnelle plutôt que de passer par les grandes idées vagues des partis politiques. C’est une très bonne chose… pour des élections locales, où chacun conçoit clairement les enjeux d’une politique pour lui-même, sa commune ou sa région historique. C’est beaucoup moins vrai pour des élections présidentielles, où il s’agit d’un projet pour la France dans le monde tel qu’il est : très peu d’électeurs sont suffisamment informés et formés pour avoir un jugement utile autre que de vagues idées.

Les primaires, en ce cas, confortent plutôt le jeu des partis et le bal des prétendants. La tentation est de retomber dans ces « grandes idées » qui sont le mal français (les « valeurs », l’immigration, la sécurité, l’impôt), plutôt que de tenter de les résoudre par des propositions concrètes. Pour gagner son camp, le candidat à la primaire doit forcer le trait, ce qui pousse les gens de droite à friser l’extrême-droite (souverainisme, populisme, nationalisme – voire xénophobie) et les gens de gauche à pousser toujours plus à gauche (centralisme, autoritarisme, droitedelhommisme béat, fiscalité, clientélisme – du Robespierre avec mobilisation générale). On le voit déjà à droite, la primaire exacerbe les passions, détruit l’unité de façade du parti, encourage la dictature du court terme et des sondages.

En revanche, le processus des primaires a l’avantage de proposer un arbitrage plus ouvert qu’auparavant, au-delà des seuls militants. Tous les sympathisants (qui font l’effort) deviennent juges du projet d’avenir. Evidemment limités à ceux qui ont un minimum de bagage intellectuel et scolaire pour avoir des convictions et être prêts à s’engager ; évidemment les plus urbains qui n’ont pas à faire des kilomètres pour trouver un bureau de vote. Mais voter – quelle que soit l’élection – exige toujours une démarche volontaire ; disons que la primaire exige un peu plus, puisqu’elle n’est pas obligatoire dans le processus de l’élection présidentielle. Elle rend l’offre politique moins dépendante des partis politiques, encore que les filtres imposés (parrainage d’élus plus parrainage d’un certain pourcentage de militants) reproduisent en partie l’ancien système des congrès. Mais il vaut mieux une petite ouverture qu’un grand bouleversement des règles (du style référendum ouvert).

Dans le cadre qui est le nôtre, remanié par la gauche Jospin avec le renoncement du soi-disant « gaulliste » Chirac, la Ve République élit un président tous les 5 ans (au lieu de 7) et impose des législatives dans la foulée (au lieu d’un mi-mandat). Avec le processus ajouté des primaires, c’est une année complète de campagne qui s’engage tous les 4 ans – comme aux Etats-Unis. Les politiciens de gauche étaient-ils intoxiqués à ce point des séries américaines et du soft power yankee lorsqu’ils ont créé la primaire pour qu’ils imitent à tout prix les mœurs de l’impérialisme militaire, financier, culturel et informatique qui les asservit ? Est-ce pour cela que la droite est aujourd’hui tentée par le modèle alternatif du chef Poutine ? Si les primaires américaines sont justifiées à la fois par le régime carrément présidentiel et par l’absence de partis d’idées à l’européenne, sont-elles justifiées dans le régime semi-parlementaire qui est le nôtre ?

Le système électoral à deux tours (désormais trois avec la primaire) fait que les électeurs retombent dans l’ornière de la bipolarisation ; il leur faut à chaque fois exclure le plus tiède dans leurs idées pour ne garder que le plus agressif. Ce qui apparaît comme un peu… primaire, voire primate ! Si la gauche a élu le plus synthétique en 2011, faute d’idées, la droite pourrait élire le plus bagarreur en 2016, faute de fermeté du président actuel. Dans les deux cas, est-ce un progrès démocratique ? « Le peuple » est pris dans les rails du système, difficile pour lui de s’en dépêtrer.

Vous me direz que la procédure des primaires ne concerne que ceux qui veulent bien s’y soumettre.

Sauf que sans la machine du parti, point d’élection ! Où trouver autrement les finances ? les militants colleurs d’affiches et animateurs du site Internet ? l’agencement des meetings ? L’élection est avant tout une organisation et, sans un parti, point de salut.

Il y aura des candidats libres au premier tour de la présidentielle. Avec les primaires à gauche et à droite, ils seront réduits plus qu’avant à n’être que des candidats de témoignage, sans véritable espoir de gagner. Il faudrait un raz de marée en faveur d’un changement radical pour que les adoubés des sympathisants, soutenus durant des mois par leur parti, ayant fait campagne dans tous les médias, soient balancés d’un coup hors du jeu. (C’est cependant arrivé à Monsieur Hitler en 1933…).

Seul le président en place pourrait faire dérailler de la voie toute tracée en adoubant un successeur… sur le modèle américain du colistier vice-président. Mais oui, si l’on veut copier un modèle, autant le décortiquer dans tous ses détails ! On peut rêver d’un Hollande adoubant un Macron, ou d’un Sarkozy renonçant en faveur d’un Le Maire… Je sais, on peut toujours rêver – et courir – tant le courage en politique est ce qui manque le plus depuis Churchill et de Gaulle.

En France le régime se veut depuis Charles de Gaulle la rencontre d’un homme et de son peuple, sur la base d’un projet d’avenir qu’il lui propose. Mais 5 ans, c’est un peu court pour une vision gaullienne – surtout si la campagne commence dès la quatrième année et que les députés sont pris dans le mouvement sans jamais pouvoir s’en distinguer – car le calendrier les oblige. Avec les primaires, le parlement est encore plus réduit : il ne peut avoir aucune idée hors celles de l’élu président et de son opposant – faute de ne pas être adoubé par son parti, donc pas élu. Est-ce une avancée ?

La primaire ne serait-elle en ce cas que la première étape d’un VRAI régime présidentiel ? Est-ce le rêve de la gauche jacobine ? de la droite bonapartiste ? Est-ce compatible avec l’Europe des parlements ? Ou la primaire ne serait-elle qu’un cautère sur une jambe de bois, le pansement bricolé de l’indigence politique qui veut donner l’illusion de « participer » tout en tenant fermement les rênes du pouvoir ?

A l’issue de cette réflexion, les primaires sont-elles vraiment un progrès démocratique ?

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Modèle brésilien pour la gauche ?

Plus rien à foot au Brésil, mais aussi peu de chômage… et peu de croissance (1,3%), à cause d’une politique dirigiste plutôt démagogique. En France, peu de croissance mais chômage massif. La différence ? La dépense publique : un modèle pour la gauche jacobine ?

capoeira torse nu bresil

Le Brésil a de meilleures bases que la France, son déficit public reste encore faible (3,3% du PIB) malgré des dépenses structurellement plus élevées (+11% sur les trois dernières années) que les recettes (+9,2%) ; son endettement reste autour de 58% du PIB. La contrepartie est une inflation forte (6,4%) à cause de la consommation privée et de la dépense publique qui font que la demande est supérieure à l’offre de production dans le pays. Donc l’excédent commercial est passé en déficit à cause des importations en hausse (+1,4% sur 1 an). On n’augmente pas de 10% les prestations sociales (la Bolsa Familia), on n’offre pas de nouvelles augmentations de salaires aux fonctionnaires, on ne se contente pas de relever le plancher de l’impôt sur le revenu moins que l’inflation (4,5% seulement, et pas avant 2015), sans offrir un pouvoir d’achat plus élevé, auquel la production nationale ne suffit plus. Le pays vit donc à crédit, dépendant de l’étranger, au risque de voir monter brusquement les mécontentements lorsqu’il faudra revenir à un certain équilibre des comptes. Sauf à endetter la génération suivante sans lui demander son avis.

Est-ce ce dont rêve la gauche ? Quitte à « remettre les pendules à l’heure » en ponctionnant « les riches » (ce qui signifie les classes moyennes, tous ceux qui gagnent plus de 3000€ par mois disait Hollande durant sa campagne électorale, et tous ceux dont le patrimoine dépasserait les 800 000€, ancien déclencheur de l’ISF) ? Le problème est qu’il y a de moins de moins de riches, et de moins en moins de classes moyennes. Piketty, dans son pavé pensum où valsent les statistiques sans qu’elles soient vraiment comparables, pointe cependant une vérité : en période de crise économique, les très riches deviennent de plus en plus riches, tandis que tous les autres s’appauvrissent – y compris les moyens riches et les faiblement riches – autrement dit les classes moyennes.

Au Brésil, la classe moyenne émerge à peine et se voit remise en cause par les limites du modèle brésilien : tensions inflationnistes, taux d’épargne et d’investissement historiquement bas, investissement en recul (3 trimestres consécutifs, -2,1% sur 1 an). Seul l’investissement de productivité, donc l’épargne et le travail justement rémunéré, crée la classe moyenne – pas l’intervention d’État qui n’est que coup de pouce ou assistanat.

bresil anti foot

Pour éviter les tensions entre l’offre (qui peine à suivre) et la demande (pléthorique en raison de la dépense publique et des prestations sociales), les taux d’intérêt brésiliens ont été relevés (à 11% depuis le mois d’avril contre 7,25% un an plus tôt), rendant le crédit plus cher. Les exportations (-3,3% sur 1 an) ont été pénalisées par le recul des ventes de produits manufacturiers, puisque la production industrielle retombe dans le rouge à cause de l’inflation intérieure (-0,3% m/m en avril et -0,5% m/m en mars). Les entreprises créent moins d’emplois et les salaires réels ralentissent, faute de prix stables pour l’exportation, et faute d’investissements (de 20,2% à 18,2% du PIB entre 2010 et 2013). L’inflation décourage d’épargner, donc d’offrir aux banques les dépôts permettant les crédits aux entreprises ; le taux d’épargne intérieure (déjà bas) est passé de 18% à 14,6% du PIB. Conséquence : pour la première fois depuis le fin 2011, la consommation privée recule (-0,1% contre une moyenne trimestrielle de +0,6% en 2013), la confiance des ménages atteint des niveaux proches du plus bas historique 2009.

Seule la hausse des prix des matières premières, surtout café et soja (leader mondial), soutient la balance commerciale. Ce sont principalement les incitations fiscales qui attirent les capitaux étrangers pour couvrir les besoins de financement du pays. Ce qui entraîne une surévaluation du real (+ 8% depuis janvier contre $) et un real fort pénalise les exportations (tout comme un euro fort pénalise l’exportation française, incapable de produire du haut de gamme fiable à forte image de marque – ce que font excellemment les Allemands).

Le modèle de croissance reposant sur la consommation privée et publique montre qu’il engendre de sévères déséquilibres. Et c’est ce modèle que voudraient la gauche radicale, voire la droite extrémiste ? L’économie brésilienne a besoin de réformes de fond pour l’équilibre budgétaire dans la durée (ce que préconisait Keynes), des gains de productivité des entreprises et un environnement plus favorable à l’investissement. La France aussi, n’en déplaise à la gauche radicale et aux croyants des yakas.

L’analyse de conjoncture du Brésil par BNP-Paribas

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Luciano Canfora, La démocratie comme violence

luciano canfora la democratie comme violence

L’historien philologue italien de l’université de Bari édite en ce petit opuscule la première critique antique, probablement la plus ancienne, de la démocratie. Le texte de cette Constitution des Athéniens est attribué à Xénophon, qui n’en est sans doute pas l’auteur. Écrite vers 429-424 avant notre ère par un oligarque athénien en exil qui avait fait de la politique sa vie, cette œuvre sous forme de dialogue entre lui et un démocrate orthodoxe, nous apprend beaucoup sur notre démocratie d’aujourd’hui.

Nous avons hérité de la tradition du droit établi, supérieur aux lois de circonstances votées par l’Assemblée. La Constitution, les Droits de l’homme, les Principes généraux du droit, les Chartes des libertés et les Conventions internationales protègent les individus de l’arbitraire. Même si « la loi » se veut souveraine, « les principes » peuvent s’opposer à elle pour garantir un minimum de libertés.

Rien de tel dans l’antiquité. Le demos ne voit que son propre intérêt et impose à tous ses décisions légales. Il s’agit bien de la suprématie d’une partie du corps social (même majoritaire) sur l’ensemble, et pas d’une égalité formelle de tous. Le droit des minoritaires est de se taire, comme le disait si bien Laignel, député socialiste en 1981 : « il a juridiquement tort car il est politiquement minoritaire ». Le droit c’est moi, dit la majorité jacobine, se prenant pour le tout. Mélenchon ne dit pas autre chose, Marine Le Pen probablement non plus.

Rien d’étonnant à ce que pour Aristote comme pour Platon, « la démocratie » en ce sens soit la tyrannie des médiocres. « Partout sur terre, les meilleurs sont les ennemis de la démocratie – dit le Pseudo-Xénophon – Car c’est chez les meilleurs qu’il y a le moins de licence et d’injustice et le plus d’inclination au bien ; mais c’est chez le peuple que l’on trouve le plus d’ignorance, de désordre, de méchanceté : la pauvreté les pousse à l’ignominie, ainsi que le manque d’éducation et l’ignorance qui, chez certains, naît de l’indigence » p.22. Le peuple n’est pas inconscient pour cela, la démocratie est cohérente, dit l’auteur. « Le ‘peuple athénien’ sait bien distinguer, parmi les citoyens, les honnêtes gens des méchants. Mais, tout en le sachant, il préfère ceux qui lui sont favorables et utiles, même si ce sont des méchants, et il hait les honnêtes gens, justement parce qu’ils sont honnêtes » p.35. Plutôt le grand Méchant con que l’austère équitable, « pas assez à gauche, ma chère » comme disent les bobos qui se croient peuple.

Ce système démocratique, totalitaire et jacobin, aboutit dans l’histoire à ce que l’on sait : la Terreur de 1793, le coup de force léniniste en 1917, l’appel au peuple mussolinien puis hitlérien (tous deux élus « démocratiquement »), la monopolisation du pouvoir des Castro, Mao, Pol Pot et autres tyranneaux. La démocratie comme violence de tous sur tous, menée par quelques-uns dans une guerre civile où les opposants sont des ennemis à abattre ou (plus gentiment) des malades à rééduquer. Athénagoras, chef des démocrates de Syracuse vers 415 avant JC, prônait de frapper d’avance les adversaires politiques, de les punir « déjà pour ce qu’ils veulent, sans en avoir encore les moyens » p.65. Délit d’intention, délit d’opinion, délit de pensée : la pente est rapide de la réprobation politique à la condamnation morale – et à l’interdiction juridique, appliquée par la force.

Je n’ai aucun goût pour les histrions comme Dieudonné, Noir anti-impérialiste qui accuse les Juifs d’être à la source de tous les maux, mais sa récente interdiction par le fait du Prince montre que le droit, en France, reste mal admis par une partie (un parti ?) de la société. Si le militant humoriste enfreint la loi, le condamner pour des faits établis et contrôler l’application de l’amende ou de la peine, aurait mieux valu que l’interdiction préalable. Jamais l’antisémitisme n’a été aussi fort qu’après ce coup de force – assimilant volontiers et sans nuance antisionisme (opposition à la politique d’Israël en tant qu’État envers les Palestiniens) et antisémitisme (condamnation de gens en raison de leur appartenance raciale ou religieuse).

Luciano Canfora – inscrit sur les listes du Parti communiste italien comme candidat européen – n’hésite pas à critiquer ce genre de démocratie (en 1982…) : « la prévention est souhaitée non seulement à l’encontre des délits d’opinion, mais encore assurément à l’encontre des simples opinions, en fonction du présupposé qu’il est difficile de surprendre un complot antidémocratique en acte et sous-entendu que, de toute façon, s’en apercevoir quand le complot existe déjà signifie intervenir trop tard » p.65. On aimerait que le ministre de l’Intérieur ait la même force pour interdire les sites juifs qui dénoncent nommément avec photos, téléphone et adresse à l’appui les démonstrateurs de « quenelles ». Je trouve choquante cette façon de « loi du talion » qui rappelle les dénonciations de Vichy et le lynchage sans jugement des Noirs par le Ku Klux Klan. Je connais la vraie quenelle, je ne sais d’où vient le mot dieudonnesque, mais ce geste potache antisystème s’apparente plus à un salut à l’arabe main sur le cœur qu’à un geste « nazi » anti-juif. Nul ne pourra-t-il plus « faire un geste » sans être aussitôt accusé d’arrière-pensées mauvaises ? Définies arbitrairement par une infime minorité paranoïaque qui y voit on ne sait quoi ? Ce sont les actes qu’il faut punir, pas les intentions. Est-ce la guerre civile que l’on veut ?

La justice doit passer en silence, mais implacablement – et la justice civile, pas la justice administrative qui est juge et partie. L’antisémitisme est un délit : que fait la ministre ? Où en est l’exécutoire des décisions jugées ? Pourquoi ne saisit-on pas les recettes des spectacles, comme le fisc sait si bien le faire sur les salaires lorsque les impôts ou amendes fiscales ne sont pas payées ? Doit-on toujours, en France, passer par l’autoritarisme et les mouvements de menton faute de décision des responsables à faire appliquer la loi qui existe et l’autorité de la chose jugée ?

L’étude de Luciano Canfora, il y a plus de vingt ans déjà, a le mérite de pointer d’où vient l’erreur : dans la démocratie comme tyrannie de masse. Et dans son antidote : édicter le droit, faire respecter le droit, appliquer le droit. Or le droit, chacun sait, est n’est pas en France un pouvoir indépendant : il reste à la botte.

Luciano Canfora La démocratie comme violence, 1982, traduit de l’italien par Denise Fourgous, éditions Desjonquères 1989, 79 pages, €9.03

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Jacques Julliard, Les gauches françaises

René Rémond l’a voulu pour la droite, Jacques Julliard l’a fait pour la gauche : une analyse en « familles politiques » plus qu’en partis éphémères. Pour Julliard, il existe un « invariant de gauche » depuis la Révolution. S’il y a trois droites (légitimiste, orléaniste, bonapartiste), il y a quatre gauches (libérale, jacobine, collectiviste, libertaire). Qui accomplissent d’ailleurs une « révolution » : partie du libéralisme des Lumières, la gauche en revient au libertaire post-68 ; elle retourne à l’individu après avoir erré du côté des collectivismes.

jacques julliard les gauches francaises

La gauche serait partie d’une révolte individualiste contre la société d’ordres de l’Ancien régime. Mais le mouvement ouvrier vers la fin du XIXe pousse la gauche au collectif, jusqu’au collectivisme de masse du XXe siècle. C’est la droite qui récupère l’individualisme.

Pour Julliard, il y a une profonde différence entre la gauche XIXe et la gauche XXe siècle : un appauvrissement de l’imaginaire. En cause, la fuite du peuple au profit des professionnels de la politique, dont le parti communiste a représenté l’acmé. La politique dit le Bien pour la société qui, elle, n’a qu’à se taire et bien voter. Le social a été remplacé par la technocratie du social, ce qui change beaucoup de choses : manque la fibre… D’où le retour à l’individuel de la gauche d’aujourd’hui après l’effondrement de l’eschatologie « scientifique » communiste. Droits de l’homme jusqu’aux droits des mœurs plutôt que lutte des classes jusqu’au changement social. Car la gauche s’en est aperçue : on ne change pas la société par décret.

Jacques Julliard traque ces gauches lors de « nœuds » historiques (en référence à Soljenitsyne) qui sont des périodes charnière où les idées mutent avec la politique. Pour donner de la chair au tout, l’auteur établit des couples de figures historiques où le vécu côtoie la symbolique pour donner des trajectoires (ex. Robespierre et Danton, Chateaubriand et Constant, Thiers et Blanqui, Mendès-France et Mitterrand…). Même politique, mais chaque fois deux façons radicalement différente de l’incarner – à gauche. Bien sûr il manque des figures, Proudhon notamment. Bien sûr il manque des femmes (Louise Michel, Simone Weil), mais c’est qu’elles manquaient singulièrement en politique, la république ne leur ayant donné le droit de vote qu’en 1945.

L’originalité de la gauche française par rapport aux autres gauches européennes ? L’aspect religieux. Pour Julliard, la Révolution a été le renversement du religieux (préparé depuis déjà un siècle par les philosophes et, depuis plus longtemps par le scepticisme dû aux guerres de religion). La gauche a été le parti athée qui voulait émanciper l’individu de toute détermination. Problème que Julliard n’évoque guère : Dieu est mort mais son besoin existe, par quoi le remplacer ? La gauche n’a-t-elle pas sans cesse secrété une nouvelle religion en tordant Marx du côté messianique ? puis Keynes version État-providence après 1945 ? enfin le catastrophisme écolo depuis les années 1970 ? Quelle gauche nous délivrera du biblique, puisque le socialisme ne serait selon lui que l’Évangile mis en œuvre ?

Pour l’auteur, les Français sont partagés entre l’utopie et le radical-socialisme, ils ne sont en rien sociaux-démocrates car il y a longtemps que les syndicats ne représentent plus les travailleurs mais une caste retreinte de professionnels politisés. Dommage que les Français y soient allergiques, car « l’aspiration sociale-démocrate, non seulement ne s’est pas réduite, mais est devenue dominante dans le monde entier », avouera-t-il au Nouvel Observateur)…

La gauche aujourd’hui veut incarner la justice alors que la droite incarnerait l’efficacité. D’autres disent que la gauche est la liberté des contraintes volontaires, la droite l’assentiment et l’adaptation à ce qui survient. Mais le propre du bonapartisme, dont le gaullisme fut successeur, était justement d’incarner la synthèse de ces fausses oppositions (ordonnances de 1945, la participation, la politique qui ne se fait pas à la corbeille, etc.). Ce courant autoritaire et social, est-il de droite ou de gauche ?

La distinction droite-gauche garde-t-elle du sens aujourd’hui ? La politique se déroule encore dans les partis, mais ceux-ci sont réduits à une machinerie pour sélectionner des candidats, ils ne sont pas laboratoires d’idées. C’est une « opinion » cristallisée en mouvements sociaux sur certains sujets précis (le nucléaire, le gaspillage, le climat, les homos, l’insécurité, les méthodes d’apprentissage de la lecture, etc.) qui font les idées qui s’incarnent en action politique. D’où ce catalogue de « mesures » de tout candidat présidentiel, cette « boite à outils » de tout président élu où manque le projet d’avenir, la vision globale.

Jacques Julliard est issu d’un milieu radical-socialiste et catholique, agrégé d’histoire à Normale Sup avant de devenir syndicaliste UNEF, au SGEN, à la CFDT. Quoi d’étonnant à ce qu’il se pose en libertaire au sens de Proudhon ? Joseph Proudhon, occulté en France pour cause de marxisme aligné sur Moscou, serait selon Julliard « la contrepartie de toutes les tares de la gauche » : le moins d’État possible parce que la société se prend en main à la base. L’histoire l’a incarné dans la Commune. Il y aurait moins besoin de politique parce que les humains pourraient vivre sans être gouvernés. Internet et réseaux sociaux remplacent de nos jours partis et congrès obsolètes. Quoi de plus ridicule que le rituel du Parti socialiste par exemple ? Sympathique idée qu’il faudra du temps à réaliser tant l’esprit français est formaté statuts, hiérarchie, autorité… Est-ce pour cela que Jacques Julliard quitte le Nouvel Observateur, où il a été chroniqueur 40 ans, de 1969 à 2010, pour Marianne ?

La représentation divorce de plus en plus du pays réel et ce serait l’un des rôles de la gauche que d’inventer de nouvelles formes de participation démocratique. Pierre Rosanvallon a écrit de bonnes choses sur le sujet. Julliard au Nouvel Observateur cité plus haut : « Hollande est dans l’obligation d’inventer un nouveau logiciel social-démocrate au temps de la rigueur économique qu’impose la période ».

Un an déjà et toujours rien.

Jacques Julliard, Les gauches françaises 1762-2012, 2012, Flammarion, 940 pages, €23.75

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Pékin il y a vingt ans

Le long vol sans escale d’Air France dure neuf heures et quarante cinq minutes. Il passe au-dessus de la Scandinavie, puis de la Sibérie. L’avion est plein en cette mi-février 1993. Pas une place n’est libre dans le Boeing 747 « combi » : voilà qui est rentable et justifie tant l’apéritif au champagne que le Bourgogne rouge au repas – luxe qui a disparu depuis de la classe éco.

gamine chine 1993

A Pékin, nous accueille une aérogare immense où les formalités sont réduites. Nous roulons 35 km en bus sur une route encombrée où la vitesse est limitée. On construit « une autoroute pour la fin de l’année », nous apprend le guide officiel qui parle un français fleuri. Le paysage offre l’image d’un pays constamment en chantier où tout est à reconstruire depuis la Révolution culturelle. La Chine a quitté le tiers-monde miséreux pour se hisser au rang des pays émergents.

gamin pekin 1993

Pas de mendicité, une relative propreté par terre, aidée par des campagnes périodiques de mobilisation citoyenne. L’activisme moral et pédagogique, venu d’en haut, jette des milliers d’hommes dans des opérations renouvelées de reboisement et de construction. Ceci après des campagnes précédentes qui les avaient fait déboiser et détruire – telle est l’idéologie, le pouvoir d’une société pyramidale, et l’impact du maître d’école qui se prenait pour le maître de l’empire du milieu. Sur les chantiers devant nos yeux je vois peu de matériel et beaucoup d’ouvriers. Ils ont l’air de travailler lentement, mais le nombre et la durée font le résultat. Dans la ville même de Pékin, beaucoup de constructions apparaissent récentes. Ce n’est que béton. Les appartements sont doublés de vérandas vitrées pour chauffer les pièces au soleil d’hiver. Pékin est un chantier en perpétuelle construction. Pas de centre. L’architecture y est « soviétique », purement utilitaire et bon marché, sans souci esthétique.

peyrefitte boulet chine

Avant de partir, j’ai lu sur la Chine. Les romans truculents de Lucien Bodard bien sûr, de son enfance comme fils de consul en Chine, La mère de Pearl Buck quand j’étais ado, et les livres poétiques de Victor Segalen. L’essai d’Alain Peyrefitte, Quand la Chine s’éveillera avait marqué, l’année de sa parution, mon entrée en science politique. Mais il s’agit d’une vision jacobine fascinée par les ressemblances avec la France louisquatorziènne que tout les politiciens français veulent perpétrer depuis de Gaulle jusqu’à Mitterrand.

Durant mes études, j’étais baigné dans le maoïsme parisien qui allait de la logorrhée marxiste disséquant les cheveux en quatre Vérités ou trois Principes, à l’infantilisme braillard des hormones. Je me suis donc plongé dans la vie enchantée de Mao par Han Suyin, célèbre écrivain d’époque, en deux tomes, Le déluge du matin et Le premier jour du monde. Il m’a bien déçu : c’est une suite de chromos révérencieux, sans aucun esprit critique ; on croirait lire la vie de Saint-François par une dévote. Les œuvres mêmes de Mao Tsé-toung, achetées à la librairie Norman Béthune boulevard Saint-Michel (qui étaient au programme de Sciences Po), sont des recueils de préceptes scolaires niveau d’école primaire.

jeunes pekin 1993

Cela paraît incongru aujourd’hui, mais il y avait un engouement extraordinaire chez les étudiants intellos, après 68, pour l’instituteur révolutionnaire chinois. C’était loin, la Chine, personne n’y voyageait sans être étroitement encadré et le mythe demeurait puissant. Mao renouvelait le marxisme stalinien, le vieux parti communiste moscoutaire. Les partis et sous-partis se multipliaient comme dans un plan de Science Po : PCMLF, Gauche prolétarienne, Mao-spontex (spontanéistes) de Vive la révolution, NAPAP, la Cause du peuple… Mao a séduit tout ce que la France comptait d’intellos-médiatiques, ou presque, par militantisme, compagnonnage ou simple capillarité de caste : Jean-Paul Sartre, Alain Geismar, Jean-Luc Godard, Michel Foucault, Serge July, Maria-Antonietta Macciocchi, Alain Badiou, Gérard Miller, Philippe Sollers, Julia Kristeva, Jean-Pierre Le Dantec, Serge Daney, Olivier Rolin, les Broyelle du Nouvel Obs, les catho-normaliens des éditions du Seuil avec Jean-Luc Domenach, Claude Mauriac et Jean-Claude Guillebaud, François Wahl, Jean Lacouture et même Roland Barthes. Par antiautoritarisme mal placé, car celui qui disait aux ados gardes rouges « feu sur le quartier général » ne visait qu’à conserver son propre pouvoir personnel, que ses stupidités avait affaibli. Le « grand bond en avant » a tué par famine au moins 30 millions de personnes, l’industrialisation ratée des campagnes a produit un « acier » inutilisable, et ainsi de suite.

Mais la croyance reste sourde et aveugle à tous les témoignages contre : Simon Leys n’a pas été entendu par ces soi-disant « libérés » intellos de la rue d’Ulm. Il a fallu attendre les massacres – indéniables – du Cambodge en 1975 !

Je suis resté sceptique devant cet engouement religieux pour Mao, mais j’en ai retenu une leçon : le plus grand libérateur en apparence est un tyran qui se révèle. Méfiez-vous de Mélenchon…

1989 06 Chine Tiananmen manifestationsLa Chine est une grande civilisation, très ancienne, où la culture avait atteint un point remarquable. Mais son éradication brutale et sans précaution, perpétrée par le maoïsme, a créé une sorte de Frankenstein dont on ne voit pas comment il pourrait évoluer sans revenir sur le passé. La vraie vie des Chinois de la fin des années 1980 a été bien décrite par Marc Boulet, Dans la peau d’un Chinois. Son récit au ras des gens vient de ce que, journaliste, Marc Boulet s’est déguisé en Chinois ouïgour et a peaufiné sa pratique du mandarin pour se fondre dans la vie quotidienne.

Tien An Men massacre 1989

La révolte des étudiants, ouvriers et intellectuels à Pékin du 15 avril au 4 juin 1989 pour dénoncer la corruption et réclamer une démocratie plus libre, ont abouti au massacre de la place Tien An Men qui a fait quelques milliers de morts. Le Parti n’est pas prêt à libérer le peuple du joug communiste, malgré l’ouverture du marché à l’enrichissement personnel. Depuis 1993, la richesse a explosé mais le régime n’a pas bougé, la corruption demeure et les libertés démocratiques sont étroitement contenues. Mais il y a Internet en plus. La visite de la capitale, à ce titre, en février 1993 et quatre ans après la répression Tien An Men, est une expérience. Humer l’atmosphère locale permet d’en apprendre plus que toutes les études savantes.

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Larmes à gauche

Qu’elle était belle, la victoire ! Emportée à… 1.5% de plus qu’un sortant agité, sur fond d’anti-sarkozysme forcené et d’anti-richesse proclamée en temps de crise. On allait voir ce qu’on allait voir ! On a vu, le conseil des sinistres d’hier reste dans la ligne : Hollande est dans le fromage, il a fait son trou et se tient coi, bien au chaud dans la fonction. Has been la gauche caviar, il se préfère chou de Bruxelles, réinventant le Merkhollande, qui est au Merkozy ce que le Maasdam est au Leerdam, « un fromage au lait de vache à trous, avec une saveur douce et un arrière goût de noisette » (Wikipedia). Des manques, un goût fade, l’arrière-goût nostalgique… C’est ça la politique « normale » quand on a quitté la campagne électorale.

« Hollande (fromage de) : rouge dehors et jaune dedans », pouvait-on lire dans un improbable dictionnaire politique, blogué des années 2005 et suivantes (depuis, l’auteur déçu se réfugie en poésies). Il avait bien cerné le personnage, compétent et intelligent, mais en rien volontaire. Un Queuille, dit-on, un Chirac peut-être ? Un parfait notable Quatrième république certainement. Corrézien du centre de la France, plus à droite que Mendès-France, « d’une certaine conception de la politique placée sous le sceau de l’impuissance fataliste et cynique. Mais il est également le symbole de l’amabilité, de la simplicité, d’une honnêteté scrupuleuse, de la proximité avec ses concitoyens et d’une fidélité permanente à l’humanisme radical socialiste et à la République », dit la doxa wikipède. N’oublions pas qu’il fut le parrain politique de François Mitterrand pour sa première élection dans la Nièvre, et que François Mitterrand fut le parrain de François Hollande, président « normal » en politique… et toujours en vacances de décisions.

D’Henri Queuille, retenons la citation célèbre : « Il n’est aucun problème assez urgent en politique qu’une absence de décision ne puisse résoudre. » Chirac en avait fait sa devise, surtout ne rien faire pour ne fâcher personne, les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Hollande leur emboîte le pas, certain que la popularité dans l’histoire appartient à ceux qui ne modifient jamais les habitudes et privilèges zacquis.

  • La « Grande » réforme de l’éducation commence donc par… une semaine de vacances en plus pour les profs à la Toussaint (pardon, pour les élèves aussi, mais ils ne votent pas – et avec un cours obligatoire en plus : la Morale). Alors qu’il faudrait peut-être se poser la question des profs plus nombreux et moins payés en France qu’en Allemagne, d’établissements saupoudrés et de coûts non maîtrisés avec des « dépenses administratives » 4 fois plus grosses !… D’ailleurs, la rentrée nous a seriné les chiffres : 12 millions d’élèves et 850 000 profs. faites la division si vous êtes capables (niveau primaire) et vous aurez… 14 élèves par prof. S’il y a des classes de 35, que font les autres « profs » ? Pourquoi dépenser à former des administratifs qui ne seront jamais dans les classes ?

  • Le « Grand » changement de cap européen consiste à faire voter tel quel le texte sur la règle d’or budgétaire concocté par Sarkozy avec Merkel, mais en « communiquant » que l’esprit a changé.
  • La « Grande » mesure contre la pénurie de logement est de… bloquer les loyers et d’augmenter rapidement la CSG tout en rognant toutes les incitations fiscales, ce qui va inciter « naturellement » les acteurs privés à se précipiter pour investir pour louer ! Quant à l’État, il n’utilise déjà pas les fonds du livret A pour cause de pénurie de terrains constructibles, alors va-t-il plus se remuer malgré les gros yeux de Duflot ? Comment : il y aurait 930 terrains d’État dont 39 dans Paris qui ne sont toujours pas utilisés ? Malgré les collectivités territoriales majoritairement socialistes depuis des années et une mairie de Paris entre les mains socialistes depuis plus de 10 ans ? Est-ce que le coup de gueule de Duflot va changer quelque chose quand on sait les fonctionnaires ‘Absolument dé-bor-dés’ ? (Surtout au ministère du Logement, dont la principale activité de l’été a semble-t-il été de dresser une liste « exhaustive » des impétrants à la Légion d’honneur).
  • La « Grande » mesure contre le chômage consiste à dépenser encore et toujours pour créer des emplois publics pour « les jeunes », mais précaires, et sans formation assurée : juste une rustine. Quant à encourager l’emploi privé, les symboles vont à l’encontre des créations d’entreprises et de l’investissement étranger ! Et l’engueulade du patriote Peugeot, qui a eu le tort de maintenir trop de production en France et annonce supprimer des emplois sans licenciements pour cause de coût du travail trop élevé (notamment les charges sociales), va certainement pousser tous les investisseurs français à aller s’installer ailleurs encore plus vite. Comment affirmer vouloir des entreprises et faire jeu égal avec l’Allemagne, tout en chassant les entrepreneurs, réprimant l’esprit d’entreprise et alourdissant les impôts et taxes de tous ceux qui tentent de produire ?
  • Les autres pays se fendaient la pipe en évoquant les « 35 heures » de l’autoritaire jacobine. Ils se roulent désormais par terre de rire en citant les « 75% » du merluchon à la sauce hollandaise, l’imposition des hauts salaires des dirigeants. Existe-t-il dans le monde une mesure pareille ? Existerait-il des Steve Jobs ou des Ferdinand Porsche avec une telle imposition ? Surveiller et punir, répartir la pénurie – tel est le socialisme réalisé, du PS à la Corée du nord. Quant à la croissance, l’emploi, les salaires, ils n’ont qu’à suivre ! Tout ça c’est l’intendance : combien de ministres, déjà, ont créé une entreprise ? Combien sont d’origine fonctionnaire ? Jeunes de France : barrez-vous, écrit-on jusque dans ‘Libération‘…
  • Quant à la pipolerie, la guerre des bonnes femmes a fait rage durant l’été avec Hollande aussi fort que sous Sarkozy. Quelle est la différence ?

François Hollande rêve de redonner du temps au temps, comme Mitterrand. Sans s’apercevoir qu’on a changé d’époque. Que la crise se précipite. Que l’État ne peut plus grand-chose de positif, faute de budget, avec des impôts toujours parmi les plus élevés de l’OCDE. Que créer des commissions et « construire » de la concertation revient à noyer le poisson dans la pression des lobbies et la défense des zacquis (mot créé sous Mitterrand déjà…). Mais qu’il peut mettre des bâtons dans le roues de quiconque envisage de réussir…

Tous retraités ou fonctionnaires ! Pauvres, évidemment. Dans la « décroissance » écologique et l’austérité socialiste romaine des monastères où la « vraie vie » est ailleurs. La vision de la France à 30 ans par Michel Houellebecq dans son dernier roman est-elle sur le point de se réaliser sous le règne de François Hollande ?

Vie du président Hollande

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Indigente campagne

Politique spectacle, positionnement théâtral, appel à la Morale… Les candidats sont comme des ados qui se prennent en photo devant le miroir, gonflant les muscles, prenant des poses. Le message n’émet pas d’idée mais des images ; il ne vise pas l’électeur mais le journaliste. L’histrionisme médiatique est à son comble, en circuit fermé. Rares sont les sujets vraiment abordés, comme la confrontation des deux discours sur l’école, plutôt fouillés. Mais les Français dans tout ça ?

Mi-octobre, après de longues primaires qui ont suivi les interminables péripéties sur Strauss-Kahn et ses putes, François Hollande a été adoubé contre Martine Aubry. Pour la gauche « ça y était », ils se voyaient déjà élus, au pouvoir. Fin février, Nicolas Sarkozy est entré en campagne comme « candidat hors système ». Toujours du changement : agitation ou cynisme ?

A L’Express le 23 mars 2007, le président alors premier candidat déclarait : « Et ma rupture, ce sera celle des promesses tenues, des engagements pris, de la confiance retrouvée entre le peuple et la parole publique. Ma vie, ma passion, c’est l’action. » Le président de la République ? « C’est un leader qui assume ses responsabilités. Il dit ce qu’il pense, fait ce qu’il dit, s’engage sur des résultats, par exemple le plein-emploi. Le président, ce n’est pas un arbitre, c’est un responsable. Il doit aussi rassembler le pays et non le diviser, au service d’un projet. » L’Europe ? (c’était avant la crise) : « Il faut aller à Bruxelles pour demander trois choses : un gouvernement économique de la zone euro ; une réflexion sur la moralisation du capitalisme dans la zone euro pour récompenser la création de richesse et pénaliser la spéculation (…) ; comment utiliser l’euro comme les Américains le font avec le dollar, les Chinois avec le yuan et les Japonais avec le yen. » Les idées, on le voit, n’ont pas changé : c’est l’action qui a fait quelque peu défaut. Confiance dans la parole publique ? Au plus bas. Engagement sur les résultats, notamment l’emploi ? Échec – évidemment il y a la crise, mais les blocages réglementaires et technocratiques sont toujours là. L’Europe ? Bon, on n’est pas tout seul, mais Angela Merkel est plus populaire que Nicolas Sarkozy dans tous les pays de l’Union, il y a donc déficit d’efficacité. Rassembler ? Là on rigole franchement…

Comment faire pour apparaître neuf quand on est usé par dix ans de pouvoir, ministre puis président ? Tout le monde prend pour cible le sortant, d’où son positionnement décalé. Il veut éviter d’être acculé à son bilan, donc en appelle directement au peuple par le référendum, prônant le rationnement des parlementaires. Il se présente « contre le système » – le mot vient des Le Pen ; contre les « corps intermédiaires » – mot bonapartiste. Autrement dit la Ve République ne permet pas de gouverner et les contrepouvoirs d’une véritable démocratie bloquent la décision. Est-ce la dictature qu’il nous propose ? Ou n’est-ce que tactique : récupérer l’extrême-droite ? Pour gagner, dans l’état actuel des opinions, Nicolas Sarkozy a besoin de 60% des électeurs Front national et de 45% des centristes.

Or le centre fuit : comment oser l’appeler à se rassembler lorsqu’il y aura second tour ? L’analyse politique est que la France est à droite ; que les valeurs de la « majorité silencieuse » s’extrémisent comme dans le reste de l’Europe ; que les médias comprennent des journalistes des mêmes milieux, formés dans les mêmes écoles, aux deux-tiers branchés, dans le vent, donc « de gauche ». Qu’il y a donc un pays réel opposé au pays légal – thématique habituelle d’ancien régime.

Récupérer les électeurs tentés par Marine signifie aller chasser sur ses terres : non au mariage homo, à l’adoption gai, à la recherche sur les cellules souches, à cette nébuleuse vague qu’on fourre sous le nom d’assistanat, à « l’immigration » (sans distinguer l’obligatoire due aux mariages et regroupement familial, de celle de travail due aux patrons et des étudiants attirés par notre aura intellectuelle…). Trop « d’étrangers » signifie trop de musulmans, qu’ils soient noirs ou arabes, la polémique sur la viande halal le prouve. Si ce n’est pas de la démagogie, tout ça… Et c’est en plus nauséabond. Les valeurs de la République sont autres, les Français n’évoluent pas forcément dans le sens intuitif : le vote des étrangers aux élections locales est mieux accepté qu’il y a 5 ans, la diversité au gouvernement aussi. Le staff des communicants sarkoziens le comprend-t-il ?

François Hollande, quant à lui, ne rassemble guère plus. Il veut rallier son camp, tournant le dos au reste de la France. C’est ainsi qu’il s’oppose à « l’ennemi sans visage » (la finance, les marchés, l’oligarchie, les riches, le mot race…). Il rejoue « la patrie en danger » comme en 1792 sous Robespierre, avec les accapareurs (banquiers) et les émigrés (fiscaux). Sauf que les glissements sémantiques l’emportent lui aussi vers le FN. En oubliant que le mot n’est pas la chose : que comprend le mot « système » ? comment définit-on en acte le mot « race » ? Si « La France est la solution » (comme ailleurs l’islamisme, parallèle douteux…), pourquoi le parti socialiste a-t-il si peu de diversité ethnique dans ses instances ? Pourquoi les gouvernements de gauche ont-il eu aussi peu de représentants colorés? Faire du symbolique, c’est agiter du vent, agir c’est mieux. Reconnaissons que Sarkozy, tout en stigmatisant l’immigration hors contrôle (ce que Hollande ne promet que du bout des lèvres), a mieux réussi l’intégration visible avec Rachida Dati, Rama Yade, le préfet beur.

La colère des électeurs est réelle envers ceux qui ont causé la crise et qui en profitent pour s’augmenter alors qu’ils restreignent les salaires. Mais taxer à 75% les revenus au-dessus d’un million d’euros est populiste. Cela touche quelques milliers de personnes, pas des plus malheureuses et loin de moi l’idée de les plaindre, mais le symbole est ambigu. Taxer le succès est-il encourageant ? Taxer l’héritage, pourquoi pas, mais le travail ? Confisquer est un mauvais réflexe de gauche, comme si les technocrates d’État étaient plus légitimes à dépenser que les salariés à hauts revenus. Outre que cela apparaît constitutionnellement difficile, le résultat réel serait qu’aucun revenu ne serait plus au-delà du million d’euros. Il y aura donc du caché : des dessous de table, du noir, de l’expatriation, des comptes étrangers… ou bien des passe-droits, des « niches fiscales » clientélistes. Cette réponse autoritaire aux provocations de Sarkozy encourage l’inquisition fiscale, la délation, dans la grande tradition jacobine. De quoi diviser un peu plus les Français. Est-ce cela la « bonne » politique ? Alors que l’organisation d’État n’est pas remise en cause, qui ne fout rien aux conseils d’administration des entreprises où le public est au capital, qui laisse faire les syndicats ripoux, qui ne fout rien sur les retraites chapeaux, les stock-options, les bonus, qui blanchit les mafieux du bon parti, les Haberer, les Tapie, les Dumas. Plutôt agiter une pancarte qu’agir contre les copains…

Taxer, est-ce cela la réponse au chômage ? Hollande flatte l’envie populaire et la jalousie égalitaire, cela plaît au populo, comme le montre BVA. Les CSP- (72%) sont plus nombreuses à approuver la mesure que les CSP+ (62%). Mais il ne règle rien à l’emprise de la finance… due à l’impéritie des politiciens (y compris de gauche) qui ont endetté la France depuis des décennies. Avoir moins de riches est-il préférable à avoir moins de pauvres ? Peut-on croire une seconde aux vases communicants du transfert de la richesse des uns aux autres, de la part de fonctionnaires nés dans le giron de l’État et qui n’ont jamais gagné un sou par leur propre talent d’entreprendre ? Les footeux, en général issus des milieux populaires… vont se voir taxer à quasi 100% avec la CSG et l’ISF, sur ce qui dépasse le million d’euros par an. Cela alors que leur carrière est forcément courte, puisque due à leur jeunesse.

Toute cette agitation d’évitement n’aborde pas le fond du problème : la place de la France dans la mondialisation, la place de la démocratie en Europe, la place de l’emploi dans les politiques économiques. Chacun rassemble sa bande pour la faire hurler à l’unisson, criant au populisme de l’autre camp. Désigner les riches en général comme des ennemis sans cibler la délinquance en col blanc ni distinguer le mérite personnel de l’héritage, c’est de la part de François Hollande stigmatiser les « quartiers », même s’ils ne sont pas les mêmes que ceux de Sarkozy. Désigner les étrangers, les élus et les élites multiculturelles de gauche comme responsables de l’état de la France, sans cibler l’empilement des niveaux administratifs, des réglementations touffues, des incohérences fiscales – et de ses voltefaces depuis 5 ans – est, de la part de Nicolas Sarkozy, populiste.

Valeurs républicaines contre identité nationale ? La gauche tombe dans le piège classique de la provocation droitière. Pointer la viande halal ? Ce serait raciste… alors qu’il s’agit de traçabilité pour le consommateur, ce qui devrait être consensuel. Évidemment les socialistes se rétractent sur leurs tabous et le peuple gronde. Sarkozy provoque Hollande à se radicaliser pour mieux le battre. Mais il apparaît comme jouant son va-tout. Que vont penser les centristes qu’il appellera au second tour ?

Second tour qu’il est idiot d’anticiper aujourd’hui car le premier sera un événement politique. Il changera les votes en fonction de qui sera arrivé en tête et du laminage des extrêmes. Il ne suffit pas d’additionner les voix car les deux électorats de Bayrou et Le Pen sont très fluctuants, n’étant ni à droite (conservatrice) ni à gauche (marxisante). « Probablement trop axée sur les attaques de personnes, la campagne n’est jugée intéressante que par 34% des Français, contre 65% qui ne la trouvent pas intéressante. Les Français semblent déçus par les thèmes abordés. Ils attendent qu’on parle davantage des domaines qui les préoccupent personnellement : le pouvoir d’achat (63% estiment qu’on n’en parle pas assez), les retraites (73%) et le logement (73%) ; plus que des domaines « macro » tels que la crise (43% trouvent qu’on en parle trop) et les déficits publics (34%) » (IPSOS).

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