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Sarah Dars, La morte du Bombay-Express

Ce livre est au croisement d’une fan de romans policiers et d’une spécialiste des langues orientales qui a beaucoup voyagé en Mongolie et en Inde entre autres. Sarah Dars, française, écrit sur la mentalité et les mœurs indienne comme si elle y était née. C’est ce qui fait son charme et ravira ceux qui sont allés en Inde du sud et connaissent ses paysages et ses habitants.

Bien sûr, son brahmane médecin détective amateur, expert en art complet du Kerala, art martial et art médical en même temps – le Kalarippayatt qui apprend à tuer et à soigner – est un peu « trop », comme disent encore les ados, trop parfait, séduisant, souple, invincible, intuitif. Mais c’est un plaisir de lire ses déductions et de suivre ses aventures. Une sorte de Sherlock Holmes en plus convivial, bien que végétarien et abstinent de tout alcool. A l’anglaise, il ne se promène jamais sans parapluie, moins contre la pluie ou le soleil que comme bâton de combat.

Doc – il ne porte que ce surnom – est flanqué d’un compère médecin à la Watson, le fidèle Arjun. Habitant Madras, ils prennent le train pour Bombay, Mumbai comme on dit aujourd’hui par nationalisme hindou anti-anglais – bien que le nom de Mumbai vienne du portugais… Le Bombay-Express se traîne sur les plaines assommées de chaleur et se tortille sur les pentes des ghats qui traversent la péninsule indienne entre deux océans. C’est lors d’une nuit à bord que, dans le compartiment des premières, une femme en sari synthétique meurt d’un incendie, la porte verrouillée.

Qui l’a fait ? S’est-elle suicidée par le feu comme les veuves traditionnelles qui suivent leur mari dans la mort ? Mais le sien de mari, le jeune producteur de Bollywood Bijal, fils de la célèbre star Tâmrâ, tous deux dans le même train, est bien vivant. Il est fusionnel avec maman et dédaigne sa jeune Priyânka, fille d’un magnat de l’industrie probablement épousée pour sa dot – que son père a finement cantonnée pour éviter que le mari ne mette la main dessus. Alors, est-ce un meurtre ? Mais quid de la porte verrouillée ? Et que vient faire le trop beau secrétaire de Bijal dans cette affaire, lui qui a tiré le signal d’alarme mais est retourné dans son compartiment immédiatement après ?

A Bombay, aux 18 millions d’habitants sous la mousson, l’enquête policière piétine et Doc joue les intermédiaires entre la famille du mari, dont il soigne la star éprouvée par ces événements, la famille de la morte, qui soupçonne fortement l’époux bollywoodien Bijal, et la police, dont l’inspectrice névrosée irascible ne sait comment avancer. Il en profite pour établir un régime pour Kaustubh son beau-frère, dont l’épouse Kamalâ cuisine trop bien pour son tour de taille. En se promenant, il est pris à partie par un malfrat à qui il fait son affaire – sans le tuer. Raghunâth le jeune secrétaire bengali disparaît, il se sent menacé, Doc le recherche. Est-il coupable de quelque chose ?

Doc le brahmane expert en arts du Kerala, se veut un homme complet, un sage qui déverse sa bienveillance sur ses semblables trop accrochés par leurs émotions. « Il devait être en plus ferré sur la philosophie, la morale, la stratégie, et capable, par conséquent, de participer à des joutes verbales comme à toutes sortes d’affrontements purement doctrinaux » p.200. Mais si cette mort n’était au fond qu’une sinistre plaisanterie ? Un rire du destin ? Un karma qui se gondole ?

Sarah Dars, La morte du Bombay-Express – Une enquête du brahmane Doc, 2002, Picquier poche 2013, 245 pages, €7,10 (liens sponsorisés Amazon partenaire)

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Le grand alibi d’Alfred Hitchcock

Tout est théâtre, même le meurtre. En flash-back, Jonathan Cooper (Richard Todd) raconte avoir reçu l’actrice Charlotte Inwood (Marlene Dietrich) qu’il admire et qu’il aime, un soir qu’elle survient affolée. Son mari a été tué – bien fait pour lui, ce violent – mais elle ne sait comment s’en sortir. Il lui conseille de faire comme si de rien n’était et d’aller jouer au théâtre dans le West End londonien, mais en changeant de robe, sa blanche étant tachée de sang. Lui ira chez elle en chercher une autre, une bleue. Mais il se fait repérer par la femme de ménage, revenue comme prévu, ce que la Inwood ne lui avait pas dit, et doit fuir la police qui, aussitôt le recherche. Ce pourquoi il se présente au domicile de sa petite amie Eve Gill (Jane Wyman), oie blanche qui rêve d’être actrice. Elle est amoureuse du garçon et, lorsqu’il lui raconte ainsi sa mésaventure, elle voit bien qu’il est amoureux d’une autre qu’elle mais veut quand même l’aider, par fidélité de camarade. Elle le mène en voiture jusqu’à la côte où son père – séparé de sa mère – possède une maison et un bateau.

Sauf que tout est théâtre, illusion, mensonge. Le récit est faux, le garçon menteur et l’amour incertain. Seul le crime est certains. Eve ne sait plus si elle aime Jonathan ; Charlotte Inwood sait qu’elle n’aime personne qu’elle-même mais fait croire à tout le monde qu’ils lui sont indispensables ; Jonathan ne sait pas se maîtriser lorsqu’il est en colère et danse sur la corde raide des apparences tout en rêvant d’aimer.

Sur ce fil conducteur, l’intrigue avance cahin-caha, entre cabaret berlinois et vaudeville à la Rouletabille. Eve se mue en détective amateur pour infiltrer la chanteuse veuve et voir ce qu’elle peut faire pour Jonathan qui ne l’aime pas et se laisse sortir de son mauvais pas comme un petit garçon. En même temps, l’amoureuse lie connaissance avec le détective inspecteur chargé de l’enquête, un Wilfred Smith (Michael Wilding) bien pâle qui se contente d’observer l’activité des insectes qu’il traque. Il regarde avec amusement Eve se démener et se fourvoyer avant de tirer les marrons du feu avec le père de la jeune fille, le commodore Gill (Alastair Sim), fantasque et contrebandier à ses heures mais bien plus subtil que sa progéniture. Il faut dire qu’Eve tient aussi de sa mère, une poivrote de salon pas très futée (Sybil Thorndike), ce qui offre quelques belles tranches d’humour anglais sur ce qu’il est séant de croire ou pas. Quant à la star Inwood, elle est femelle, araigne et manipulatrice, sans jamais un sourire, plus préoccupée de son visage et de son corps que de tout autre chose. Elle fait valser les hommes et les méprise. Elle a voulu se débarrasser de son mari encombrant et y a réussi.

En bref, rien n’est jamais ce qu’il paraît, ni les gens directement ce qu’on croie. Hitchcock met en scène trois couples, l’un ancien, et parmi les jeunes l’un délétère et l’autre qu’on espère plus normal : Jonathan et Charlotte ne sont pas faits l’un pour l’autre, l’une manipule l’un qui accomplit malgré lui les basses besognes de l’autre sans y trouver son compte ; Eve et Wilfred sont plus naïfs, plus vrais, et formeront peut-être un couple au-delà des apparences, chacun formé justement à en juger, lui comme détective, elle comme actrice débutante. Le troisième couple, celui du père et de la mère d’Eve, est d’ancien régime : chacun aime son enfant mais ils ne peuvent plus vivre ensemble, l’une trop bourgeoise cancanière, l’autre trop aventurier.

La vie est un théâtre où l’on doit juger au-delà des apparences.

DVD Le grand alibi (Stage Fright), Alfred Hitchcock, 1950, avec Jane Wyman, Marlene Dietrich, Michael Wilding, Richard Todd, Alastair Sim, Warner Bros Entertainment France 2005, 1h45, €8,65

DVD Alfred Hitchcock – La Collection 6 Films : Le Grand alibi, Le Crime était presque parfait, La Loi du silence, La Mort aux trousses, L’Inconnu du Nord-Express, Le Faux coupable, Warner Bros Entertainment France, 10h27, €29,99

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Jean Dutourd, Mémoires de Mary Watson

Sir Arthur Conan Doyle a commis Le signe des Quatre, roman policier mettant en scène le détective Sherlock Holmes et son second le docteur Watson. Une certaine Mary Morstan, orpheline de mère, sort du pensionnat pour jeunes filles en Écosse, dirigée par la rigide mais généreuse Mrs Mc Lamuir, où son père, capitaine de l’armée des Indes l’a placée pour qu’elle y reçoive une éducation anglaise digne de ce nom. Mais il a brusquement disparu et Mary s’est placée comme dame de compagnie auprès de la délicieuse et fort riche Mrs Forrester. Le plus mystérieux est qu’elle reçoit chaque année par la poste une perle de grande valeur…

Le romancier prolifique et satiriste patenté Dutourd fait cette fois un détour dans le Londres brumeux de Sherlock. Mais il n’est pas son personnage principal, même s’il reste le ressort de l’intrigue. Mrs Forrester fait certes appel à lui pour retrouver un coffret rempli de lettres de l’empereur Napoléon III, qu’elle a intimement connu lorsqu’elle évoluait à Paris, mais ce qui compte en ce roman est son second, le docteur Watson. Alors que Sherlock, qui se prénomme en fait Jeremy, est maigre, lèvres minces, froid comme un poisson, John est athlétique, souriant et lumineux. Mary en tombe immédiatement amoureuse, et c’est semble-t-il réciproque.

Comme sa patronne et amie reçoit tout le grand monde, Mary présente John Watson à Oscar Wilde, poète fameux et critique inverti de la société victorienne autour de 1900. Selon l’auteur, c’est Mary qui fait lire le premier detective novel relatant une enquête de Holmes à Oscar Wilde et celui-ci, enthousiaste, l’encourage à poursuivre et à lui trouver un éditeur. Ce serait donc Watson qui invente le personnage de Holmes et non Holmes qui domine le pâle Watson dans son ombre. Cela correspond à la théorie de Wilde qui affirme que c’est l’art qui crée la nature et non l’inverse. Il est vrai qu’au travers de l’art, on la voit autrement.

Le détective se trouve donc embringué dans l’histoire de Mary et l’énigme des perles ainsi que dans le mystère de la disparition inopinée de son père lorsqu’elle avait juste 18 ans. Son évoquées en passant l’Inde des maharadjahs, le fort d’Agra, la guerre des Cipayes, le démon du jeu et le bagne des îles Andaman. Le capitaine Morstan, naïf et perdu depuis la mort de sa femme, s’est laissé entraîner dans une sombre histoire de trésor que les protagonistes passent en Angleterre mais se refusent à partager. Sherlock Holmes retrouvera évidemment le coffre aux trésors, élucidera la disparition du capitaine, père de Mary, et mettra hors d’état de nuire pour un temps les malfrats. Et Mary Morstan deviendra Madame Mary Watson.

Mais il rencontre une fois de plus le calculateur aigri Moriarty, professeur de mathématiques immigré de Hongrie d’où il a été chassé et ruiné dans sa prime jeunesse pour avoir contesté les Habsbourg. Moriarty est devenu le parrain de la pègre, richissime parce qu’il prélève une dîme sur les casses, et calcule les meilleurs coups qu’il peut faire avec son cerveau logicien et démoniaque.

Après un début un peu laborieux sur la jeunesse de Mary, le roman prend enfin son envol avec l’énigme des perles puis la rencontre de Sherlock Holmes et de John Watson. Le lecteur est alors emporté dans un récit jubilatoire, énoncé d’un ton léger avec l’emballement d’un Stendhal et le style d’un Saint-Simon. Jean Dutourd manifeste une propension à admirer le Second empire, qui lui rappelle le XVIIIe siècle français. Pour lui, « le XIXe siècle industriel dans lequel nous avons le malheur de vivre est si abject, [parce que] la morale a tout envahi. Les riches sont devenus durs et les pauvres haineux » p.147. Le moralisme est né avec Victor Hugo « qui installe son chevalet sur le rocher de Guernesey et pendant 18 ans, peint [l’empereur Napoléon III] comme un monstre. Résultat : Napoléon III est un monstre. L’histoire est un toutou » p.164. Jean Dutourd conforte l’idée que j’ai en général de Victor Hugo. La fin du XXe siècle et le début du XXIe poursuivent cette déplorable tendance, accentuée encore par le panurgisme éhonté des réseaux sociaux.

Dutourd, moraliste lui-même côté conservateur, ne manque pas d’égratigner la bigoterie hypocrite de l’époque Victoria en Angleterre, égratignant au passage « la funeste éducation bourgeoise que reçoivent les demoiselles anglaises dans les pensions d’aujourd’hui. Sous couleur de faire d’elles des personnes bien élevées, on tue les vertus par lesquels se distinguaient jadis les filles de qualité : fierté, auteur, audace, conscience de ce qui vous est dû, et même esprit critique » p.96.

Un bon roman policier qui écume la culture au galop.

Jean Dutourd, Mémoires de Mary Watson, 1980, J’ai lu 2001, 286 pages, €4.18, e-book Kindle €6.49

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Patricia Wentworth, A travers le mur

Bas de laine et tasse de thé, l’Angleterre a connu la guerre mais reste l’Angleterre. En ce début des années 1950, un oncle riche décède et lègue par testament à une petite cousine l’essentiel de sa fortune. En revenant de Londres, où elle a été convoquée par le cabinet juridique qui s’occupe du testament, Marian Brand est pris dans un accident de train. Un jeune homme de la trentaine, Richard Cunningham, qui l’avait repérée dans son compartiment, est à ses côtés sous le wagon renversé. Ils sont indemnes, il tombe amoureux.

Lorsque Marian va prendre possession de son héritage, une grande maison au bord de la mer, elle découvre deux sœurs célibataires, venues vivre avec cet oncle et deux juvéniles, Félix le musicien et Penny son amie d’enfance. Félix est un enfant d’un premier mariage de son père avec sa nouvelle tante Florence, une grosse personne égoïste et désagréable qui ne l’a jamais aimé, pas plus que la sœur de cette dernière, la volubile et irascible Cassy. D’ailleurs, personne ne s’aime dans cette maison : « Envie, haine, malice et manque de charité. Lorsque ces quatre sentiments sont réunis, un meurtre n’est plus surprenant », cite doctement la détective amateur Maud Silver, fine observatrice de ses contemporains (p.174). Ina, sœur de Marian, mariée à ce beau merle de Cyril Fenton, acteur paresseux et dépensier qui n’aime pas travailler, est malheureuse. Elle aurait dû hériter si son oncle n’en n’avait pas décidé autrement et Cyril est furieux.

C’est l’intrusion d’une bimbo blonde évaporée, Helen Adrian, qui mandate la détective amateur Maud Silver parce que quelqu’un la connaissant bien la fait chanter, qui va nouer le drame. Tout se passe dans le huis clos de la maison divisée, où la nouvelle occupante Marian occupe un côté avec sa sœur Ina et le mari Cyril, le chat Mactavish et la servante Eliza, tandis que les deux sœurs et les deux jeunes occupent l’autre. Une porte de communication à chaque étage est verrouillée des deux côtés mais les gonds sont bien huilés.

Il se trouve qu’un matin Helen est retrouvée morte sur la plage, le crâne fracassé. Qui l’a fait ? Est-ce le maître-chanteur ? Le jeune Félix très amoureux ? Le mari Cyril toujours en quête d’argent ? Ou encore quelqu’un d’autre ? Notre détective Maud va évidemment enquêter, à sa manière tranquille, soutenant une conversation en apparence anodine tout en tricotant des chaussettes de laine grise pour son neveu écolier Derek. L’inspecteur Crisp est chargé de l’enquête, sous la supervision du commissaire March, ami de Miss Silver.

Le lecteur sera égaré par les coupables possibles et leurs mobiles, tandis que la conclusion se profilera fatalement, non sans quelques observations fines sur la société oisive de l’Angleterre comme sur les sentiments amoureux des jeunes personnes. Non sans, aussi une certaine touche de sensualité,: « Le jeune homme surgit sur le palier, la veste de pyjama entrouverte, une mèche rebelle dressée sur la tête comme le plumet d’un heaume. Il avait hâtivement passé un pantalon » p.300. Il s’agit de Félix, coléreux et fragile, que son amie Penny aime en secret depuis toujours.

Patricia Wentworth, A travers le mur (Through The Wall), 1952, 10-18 Grands détectives 1995, 318 pages, €1.85 occasion, e-book Kindle €9.99 

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Patricia Wentworth, Au douzième coup de minuit

Nous sommes le 31 décembre 1941 dans l’Angleterre en guerre. Sir James Paradine, qui dirige une société d’armement, a convoqué toute sa famille au réveillon pour une communication importante : l’un d’entre eux a trahi sa confiance et doit « venir se confesser » à son bureau avant les douze coups de minuit. S’il fait amende honorable, tout sera pardonné et ne sera pas dénoncé. Paradine invite également son ingénieur Elliot Wray l’auteur des plans volés. Il est marié à sa fille Phyllida mais séparé depuis un an par les intrigues de son épouse et mère adoptive Grace Paradine.

Le discours de réveillon est un choc, chacun se regarde en chien de faïence, effaré. Irène, l’une des filles de James, est rentrée chez elle avec son mari, inquiète pour ses enfants, dès 20h45 ; les deux neveux Mark et Richard partent dans leurs appartements à peine plus tard. Les femmes qui restent passent au salon, les hommes les suivent pour le café un quart d’heure après. Sir James Paradine s’est alors retiré dans son bureau. Les uns et les autres y défilent, sous divers prétextes, mais certainement pas, affirment-ils, pour « se confesser ».

A minuit deux, un cri dans la nuit : le maître de maison est passé par-dessus le parapet haut de soixante centimètres de sa terrasse. Il est tombé et gît mort sur la pelouse. La police, alertée, conclut à un meurtre : les blessures sur ses jambes montrent qu’on l’a violemment poussé.

Dès lors, qui l’a fait ?

Dans ce huis-clos délicieusement suranné, Dora Amy Elles, née en 1878 en Inde et qui a pris par décence de rigueur le pseudonyme de Patricia Wentworth (« qui valait la peine »), va agiter les petites cellules grises. Des dix à table, un est coupable, peut-être deux, qui sait ? Commence alors l’enquête dans un fauteuil qui consiste à reconstituer minutieusement l’ambiance, les antagonismes et les emplois du temps afin d’éclairer les actions de chacun.

Miss Maud Silver, vieille fille sagace qui « ressemble à une institutrice en retraite » (p.128), détective amateur comme la future Miss Jane Marple de la concurrente Agatha Christie, se trouve par hasard dans la petite ville. Connue par une relation d’amis, elle est conviée par Mark Paradine, premier neveu et principal héritier, à conduire une enquête discrète qui ne mettra pas en danger la réputation de la famille. Avec son air de paisible tante et son tricot, elle inspire confiance et sait soutirer des renseignements sans le montrer.

Nous sommes dans l’entre-soi convenable et dans l’intelligence des situations. La raison va démêler les fils des actes et les émotions qui les ont produits. La fin sera une demi-surprise mais la toute fin une double surprise.

C’est délicat, simplement présenté, éminemment psychologique, et nous replonge dans les mœurs de la haute société anglaise où les relations entre gens du même milieu comptent bien plus que leurs talents à la ville.

Patricia Wentworth, Au douzième coup de minuit (The Clock Strikes Twelve), 1945, 10-18 Grands detectives, 1994, 253 pages, €1.99 occasion e-book Kindle €8.99

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Christian de Moliner est mort

Né fin 1956, Christian de Moliner est décédé d’un cancer génétique rare en ce début septembre 2021. Fils d’un chef de chantier dans le bâtiment et d’une femme de ménage, aimait-il à dire, il a fait ses études à Dijon jusqu’à l’agrégation de mathématiques. Marié et papa d’une fille, il a enseigné au lycée Henri-Wallon de Valenciennes, principalement en classe préparatoire, avant de prendre une retraite anticipée pour cause de maladie.

Il a publié deux livres d’informatique, plusieurs thrillers politique, un roman apocalyptique et un roman de science-fiction, ainsi que des romans d’anticipation politique sur fond d’émeutes ethniques, reflétant son pessimisme politique sur l’avenir de la société française.

Pour diffuser ses convictions alarmistes (cependant raisonnables), il n’a pas hésité à collaborer à des médias numériques plus enclins à l’idéologie et à la croyance qu’à la vérité des faits, tels Breizh-infos, Boulevard Voltaire du complotiste Thierry Meyssan qui nie que les attentats du 11-Septembre soient dus aux islamistes, Causeur, et Atlantico. Comme je l’écrivais dans la première note consacrée au roman envoyé alors par son attachée de presse, cette dispersion polémique n’est pas la meilleure façon de bâtir une œuvre d’écrivain.

J’ai connu Christian en septembre 2016 pour son livre Panégyrique de l’empire, un roman inabouti bien que d’une certaine profondeur. Il avait l’ambition d’être un auteur mais peinait à construire une histoire détachée de ses « fantasmes et obsessions » comme il aimait à le dire. Il était nettement meilleur dans le roman d’anticipation, surtout politique comme 4 heures et 52 minutes, son ultime roman qui vient de paraître fin août de cette année. Mais on peut citer aussi La croisade du mal-pensant, La guerre de France ou L’année du Front.

Plus ludiques et plus appréciées, ses nouvelles de la chatte détective Jasmine Catou – la fourrure intime de son attachée de presse parisienne – donne une autre face de son talent : l’inventivité logique des énigmes. Il fait mentir l’adage selon lequel s’il y a des chiens policiers, on ne connait aucun chat policier. Maintenant, vous pouvez en connaître un.

J’ai déjeuné plusieurs fois avec Christian de Moliner, il était de grande taille, de paroles douces et d’une urbanité choisie. Il racontait simplement ce qui lui arrivait et l’urgence pour lui de délivrer toutes les histoires que son imagination fertile créait, avant que le crabe ne mette un point final à sa plume. Il avait tout récemment publié en texto en même temps que sur un réseau social la chronique étape par étape de sa mort annoncée.

Je conserve de lui un souvenir ému tant la volonté de lutter pour écrire est un signe de vie. J’espère avoir été pour ses derniers jours un maigre réconfort en publiant un compte-rendu de son tout dernier livre. Pour le souvenir.

24 œuvres de Christian de Moliner chroniquées sur ce blog

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Christian de Moliner, Les aventures de Jasmine Catou

Cinq nouvelles neuves pour la chatte détective, assistante d’attachée de presse parisienne. Qui a dit qu’il n’y avait pas de chat policier ? Cocteau, qui affirmait que son nom n’était pas le pluriel de cocktail, en jugeait d’après les minets qui l’entouraient, tandis que les flics de son copain Genet étaient plutôt des chiens. Mais cette boutade est infirmée par Christian de Moliner lorsqu’il met en scène avec subtilité l’art et la manière, pour une chatte observatrice et aimante, de communiquer avec les humains.

Ce n’est pas simple mais lorsqu’un certain Pierre envoie chaque mois des roses rouges à sa maitresse sans dire qui il est, il y a de quoi s’inquiéter. Surtout lorsque la dernière carte comporte deux points d’exclamation. Qui se cache derrière ce prénom anonyme ? Un auteur ? Un admirateur ? Un dragueur ? Un sérial killer ? Jasmine a une idée et si Catou est son nom – le chat en occitan – son prénom est bien le sien. Quant au lecteur averti, il apprend page 26 que Pierre Ména..rd « aime les hommes ». Chat alors !

Lorsque sa « maman » voyage, c’est un ami dans la dèche qui la garde à l’appartement de Saint-Germain-des-Prés : son parrain. Mais ne voilà-t-il pas que, de retour des Indes, ledit parrain s’effondre dans l’escalier cinq minutes après avoir bu un thé vert chez maman ? Le docteur du rez-de-chaussée constate un empoisonnement, mais qui l’a fait ? Maman ne va-t-elle pas être accusée ? A Jasmine de se démener crocs et griffes pour dire ce qu’elle a vu et supputé.

Parrain disparu, marraine prend la suite : Armelle, l’amie de maman. Mais lorsqu’elle doit s’absenter pour faire quand même quelques courses, des cambrioleurs percent la serrure pour voler l’appartement. Jasmine a fort à faire pour déplacer Gustave le gros chien bête et Mélodie la chatte rivale qui ne peut pas la sentir. Elle délivre gros bêta et réussit à sortir de l’appartement pour alerter une voisine. C’est qu’il n’est pas simple d’être chatte en charge des stupidités humaines !

P.A.V.E. sont les initiales (fictives, je vous rassure) d’un auteur bien connu de maman qui a eu du succès il y a une décennie (un tel auteur existe bien mais il n’a pas eu le prix Goncourt). Depuis, il est sec : les affres de la page blanche, le blocage sans remède, l’incapacité à placer un mot sur une page ou même une idée sur le fil. Il sollicite son ancienne maitresse pour qu’elle lui écrive un synopsis qu’il n’aura qu’à enrober de style afin de donner une suite à son roman d’amour à succès. Et surtout conserver la confortable avance de son éditeur sur cette suite qui ne passe pas. Encore une fois, Jasmine est à la manœuvre : elle a une idée. Un dé en ivoire et la télécommande pour afficher Amazon vont suffire à proposer un projet…

Que faire lorsqu’on est chatte seule à la maison, enfermée sans croquettes, et que maman ne revient toujours pas du cheval où elle va galoper un brin ? Un accident ? Un abandon ? Un amant subit ? Quelques coups de patte et un téléphone qui vibre, voilà juste assez pour que Jasmine se débrouille. L’amie de maman fait le reste pour elle. Ce n’était qu’un accident de trottinette, pas de quoi en faire un plat !

Primesautier, touchant, inventif, le style de ces nouvelles sans prétention fait passer un doux moment à ceux qui aiment les chats comme à ceux qui ne les connaissent pas encore. Car ces petites bêtes, réputées égoïstes et indépendantes, sont tout le contraire.

Christian de Moliner, Les aventures de Jasmine Catou, 2021, éditions du Val, 89 pages, €10.50 e-book Kindle emprunt abonné

Les précédents exploits de Jasmine Catou sont rassemblés dans le volume Les enquêtes de Jasmine Catou, éditions du Val, 2020, €16.50 et même édités en anglais sous le titre Detective Jasmine Catou !

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Jasmine Catou chroniquée sur ce blog

L’auteur et la chatte ont DEUX PAGES entières dans le magazine Matou Chat du mois de juin en vente en kiosque sur le net. Et peut-être bientôt sur PODCAT, chaîne YouTube !

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Maxime Chattam, Un(e) secte

Un thriller terrifiant qui se passe évidemment là où tout se passe : aux Etats-Unis. La colonisation française des esprits est un fait déconcertant qui fait mal augurer de l’avenir. A quand les « luttes décoloniales » des intellos franchouillards ? Chattam aime à faire peur en attisant les peurs intimes. Ici ce sont les insectes manipulés par une secte, qui n’est autre qu’un GAFAM de plus, une multinationale du numérique – évidemment yankee – dirigée par un juif au nom polonais comme certains autres GAFAM réels.

EneK est l’entreprise d’Edwin Kowalski, devenu milliardaire en dix ans dans le cloud et qui s’est diversifié en rachetant des entreprises de biotech. En injectant des milliards, toute recherche avance à grands pas, malgré les impasses et les limites techniques. D’autres milliards servent à acheter les politiciens, les juges, les flics, les autorités locales, pour qu’elles mettent la poussière sous le tapis lorsqu’il y en a. En bref, pas besoin du gros Q ânon pour voir qu’un Complot est aisé dès qu’on en a tout simplement les moyens.

Or Kowalski est un solitaire aigri, enfant malingre et ado méprisé. Il se venge. Adepte du Surhomme dans la version résumée wikipédé pour Américains ignares qui ne veulent pas se prendre la tête (donc très loin de la version de Nietzsche), il achète des meneurs pour recruter des hommes et des femmes de main pour son grand Dessein. Pas si intelligent que cela, même s’il se prend pour Dieu en mettant en œuvre le grand remplacement. Mais je ne peux vous en dire plus sans déflorer le sujet, ce qui serait dommage tant la sauce monte peu à peu, distillée savamment.

Tout commence par une énigme : une vieille femme qui lit beaucoup se fait bouffer de l’intérieur par araignée et scolopendre. L’histoire se poursuit par l’enquête d’un flic de Los Angeles sur un crime bizarre : un journaliste d’investigation dévoré jusqu’à l’os sans que ses vêtements soient dérangés. Elle se double d’une recherche dans l’intérêt des familles d’une détective privée de New York sur une jeune gothique suicidaire disparue. Les trois cas vont se rencontrer dans une campagne du Kansas où un camp de recherches en biotech, fermé de barbelés, montre une usine dont les cheminées crachent une grosse fumée noire. Le camp, les barbelés, la fumée… Chattam agite le mythe bien connu de l’Horreur, celui qui fait grimper aux rideaux la société, le point G des injures sur le net : le nazisme.

Car le solitaire aigri, enfant malingre et ado méprisé a beau avoir un nom juif, il est nazi ! CQFD. Bizarrement, il n’est pas pédophile alors que les deux vont de pair dans le mythe contemporain… Une erreur de casting dans la démago maximesque ? Ses SA sont des cloportes, une réduction bien connue de l’humain au bestial, sauf que les cloportes, myriapodes et autres arachnides sont ici bien réels et non pas des humains lobotomisés par la propagande. Les infects sont lobotomisés par les phéromones et obéissent à leurs dieux et maîtres pour faire disparaître sous leur venin et mandibules tous ceux qui en savent trop.

Le flic Atticus Gore au nom prédestiné, de la cité des anges, est homo et solitaire lui aussi, mais du côté du bien par la résilience de la musique métal dont il aime à s’assourdir. La détective Kat Kordell, de la grosse pomme, est célibataire et solitaire elle aussi, mais du côté du bien par la résilience de cet enfant que ses hormones désirent avant leur date de péremption. En bref, les deux vont se trouver… pour de nouvelles aventures ?

En attendant, les 550 pages sont bien troussées, captivantes, effrayantes. Et un post-scriptum indique que l’agence des projets de développement de l’armée américaine DARPA a financé dès 2007 des projets sur le contrôle à distance des insectes. Une guerre biologique en plus de la guerre bactériologique, de la guerre chimique et de la guerre atomique. La fiction pourrait donc être déjà en-deçà de la réalité.

Maxime Chattam, Un(e) secte, 2019, Pocket 2021, 550 pages, €8.70 e-book Kindle €8.49

Les thrillers de Maxime Chattam chroniqués sur ce blog

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