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Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu

philippe de villiers le moment est venu de dire ce que j ai vu
Philippe de Villiers est de droite, dans sa version « légitimiste » détectée par René Rémond, cela ne fait aucun doute – et je ne suis pas de son bord. Ce n’est pas une raison pour ne pas le lire car, comme tous les humains intelligents qui réfléchissent sur leur pratique, il énonce quelques vérités bonnes à entendre.

Ce parler-vrai détonne dans une classe politique engluée de moraline et réduite aux 300 mots du politiquement correct que formate l’École nationale d’administration. L’auteur en sort, il sait ce qu’il dit : « ce n’est pas une école, c’est un moule, un laminoir sémantique (…) vous en sortez (…) le cerveau formaté (…) et le cœur vide » p.21. Son livre est donc plaisant à lire, empli de « révélations » et de formules bien frappées. Pas étonnant à ce qu’il soit la meilleure vente des livres politiques 2015 selon les libraires.

Ce qui plaira aux lecteurs avides de confidences people est le portrait qu’il dresse de quelques politiciens français encensés en leur temps. Disons qu’il les replace dans leur inanité au regard de l’histoire.

  • Chirac : « Pour lui, les mots n’ont guère de sens » p.32. Démagogique, il a une « affectivité profuse sur l’instant » p.33 – ce pourquoi les Français l’aiment – mais « il ne sait quoi penser » p.35 et surtout, « il s’en fout ».
  • Giscard : « Son œil de colin froid » p.40 montre qu’il « appartenait à un autre monde, le monde anglo-saxon » p.42. Ingénieur des âmes, il veut intégrer la France dans une Europe fédérale libérale et atlantiste.
  • Mitterrand : le grand roublard séducteur, créa la performance en incitant Yves Montand à présenter le tournant de la rigueur de 1983 comme un moment positif pour la France. L’émission Vive la crise, en 1984, fait avaler le revirement vers la globalisation libérale : des mesures pour débloquer les capitaux et décider du maintien du franc dans le Système monétaire européen. C’est aussi Mitterrand qui suscite SOS racisme avec BHL, Pierre Bergé et Harlem Désir, en 1984 toujours, pour promouvoir la haine de soi et, par réaction, le Front national – cela afin de déstabiliser la droite. Mitterrand lui-même l’avoue à l’auteur (p.135). « Sous couvert d’antiracisme, SOS racisme sauve le racisme. Fabriquer des racistes pour mieux les dénoncer. Provoquer et nourrir la haine pour s’en repaître » p.110. Villiers n’a pas de mots assez durs pour cette entourloupe politicienne – que la gauche benêt continue d’alimenter aujourd’hui.
  • Sarkozy : « Moi qui le connais bien, je ne crois pas qu’il mente. Il est dans l’instant. Et c’est l’instant qui change. C’est un capteur d’ondes (…) Sur le fond, il ne change pas (…) il est Américain, du ‘parti républicain’, citoyen du monde (…) Il n’a pas de doctrine. Il veut simplement être aimé » p.295.
  • Delors, Camdessus, Lamy, Lagayette, Peyrelevade : tous démocrate-chrétiens « iraient bientôt coloniser les instances internationales (…) partir évangéliser au nom de l’économie œcuménique mondialisée, toutes les nations » p.50.

Il a un jugement sans nuances sur la politique, que je partage. « Je suis entré en politique par effraction. Et j’en suis sorti avec dégoût. Aujourd’hui, je la déteste » – c’est dit dès l’introduction, p.9. Que ceux qui veulent se faire mousser en transformant leurs projets en mensonges se lancent dans l’arène. Pour ma part, et je crois que beaucoup d’électeurs partagent ce point de vue, je n’ai pas besoin d’être élu pour exister. S’il faut des candidats qui se dévouent, bien peu sont dignes de rester en politique au bout de quelques mandats…

  • En cause le politiquement correct du « tribunal médiatique », analogue au « tribunal révolutionnaire » sous la Terreur. « C’est le journaliste insinuateur qui distribue les bons et les mauvais points » p.16 Ivan Levaï « le malveillant » le lui a démontré lors d’une Heure de vérité en 1992. Les médias, qui veulent se faire bien voir du Mainstream, en rajoutent dans la moraline. La centralisation parisienne des médias comme la concentration des holdings accentuent ce phénomène. Ils en rajoutent aussi dans le divertissement consumériste, ainsi Le Lay de TF1 avouera sans nuance qu’il s’agit de vendre du temps de cerveau disponible pour les publicités Coca Cola. « Ce n’est pas ce qu’on dit qui compte. C’est l’impression qu’on produit » p.192. Philippe de Villiers montre comment, avec le milliardaire Jimmy Goldschmidt, il a berné les médias en commandant des sondages tout en spéculant sur l’action TF1 – afin d’avoir de l’antenne et de la notoriété. Si vous payez les sondeurs, ils vous considèrent vous donnent les quelques pourcents dans l’épaisseur du trait. Sinon, rien.
  • En cause aussi la construction européenne, qui est une déconstruction : « Le but n’est pas de faire émerger une nouvelle entité politique, mais d’en finir avec le politique » p.159. Passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses. Claude Cheysson lui avoue (p.157), l’UE est « le système de l’engrenage », on ne peut jamais reculer. Ce pourquoi le traité de Maastricht apparaît comme « un changement de régime. Le passage de la démocratie à l’oligarchie » p.156.

Député européen, Philippe de Villiers a vu les lobbyistes en action à Bruxelles. Ils servent les intérêts privés et les politiciens sont bien peu immunisés contre leurs tentations (visites, spectacles, restaurants, notes argumentées, amendements tout rédigés…). « Derrière chaque vote, il y a un lobby » p.199. Ces auxiliaires législatifs dicteraient 75% des normes européennes, remplaçant le gouvernement (politique) par la gouvernance (administration). « À Bruxelles, l’essentiel de ce qui se fait ne se voit pas » p.200. Opacité des procédures et faible contrôle démocratique livrent l’Union européenne aux industriels et aux idéologies. Pour un quart, les députés seraient membres de l’intergroupe LGBT (lesbiens-gais-bi-trans) – en quoi cela sert-il la politique ? L’Europe dépossède : « la grande aliénation, la grande dépossession, la grande infiltration » p.205, énonce Villiers.

Remembrement et agrochimie tuent la terre et le travail bien fait. « On a tué les métiers indépendants : le paysan avec la mondialisation des marchés, l’artisan avec les délocalisations, le commerçant avec la grande distribution, les pêcheurs avec les bateaux racleurs de fond qui viennent de Corée ou du Japon sur nos côtes » p.104. Où l’auteur attrape tout et ajoute au péril de mondialisation le vieux péril jaune de son enfance… Mais il n’a pas tort lorsqu’il dit que la perte d’indépendance dans le travail conduit à la perte de l’indépendance d’esprit : Karl Marx l’a décrit sous le terme « d’aliénation ». La réflexion, la durée et l’application sont remplacée par le mobile, le provisoire et le futile.

Mais Philippe de Villiers vise plus haut. Il porte un jugement sur l’époque postmoderne, devenue insensiblement post-démocratique par dessaisissement de la politique par l’administration et la bureaucratie. L’ENA, l’Union européenne et l’euro sont, pour Villiers, des démons qui, sous la beauté du diable, ensorcellent les pauvres âmes pour les lier aux lobbies industriels et financiers – eux-mêmes inféodés à Satan lui-même : l’Amérique toute-puissante via l’OTAN (p.335). Théorie du Complot ? Presque… Ce qu’il décrit n’est pas faux, les conclusions qu’il en tire sont biaisées.

Ainsi fait-il un lien entre la béatification à Rome de Marie-Louise Trichet, morte en 1759, et son vague descendant Jean-Claude Trichet, à l’époque président de la Banque centrale européenne. « Nous sommes devant un phénomène s’apparentant à la religion : le salut par l’euro, la rédemption des nationalismes coupables, l’accès, par la monnaie unique, à la fraternité universelle. On ne raisonne plus, on accomplit » p.239. Certains hauts-fonctionnaires sont peut-être des niais spirituels, justifiant de façon cucul leurs décisions économiques, mais la ménagère sait bien ce qu’elle a dans son porte-monnaie. L’euro a été une chance pour les Français : ce n’est pas la faute de la monnaie unique si les gouvernants n’osent jamais toucher aux empilements administratifs d’instances et de codes qui handicapent l’emploi. L’euro est bon aux Hollandais, aux Belges, aux Italiens – pourquoi pas aux Français ? Il ne faut pas confondre la température avec le thermomètre. Ce pourquoi le projet Le Pen (soutenu par Villiers) de sortir de l’euro ne suscite pas l’adhésion enthousiaste !

Pour sa réflexion de haut vol, Philippe de Villiers en appelle à Alexandre Soljenitsyne, qu’il a reçu dans sa propriété de Vendée. Il fait du dissident russe le « mythe universel de la conscience dressée » p.76. Le lecteur apprend d’ailleurs combien les Vendéens étaient cités en exemple de Terreur réussie par Lénine, au début de la révolution. Vendéens comme dissidents sont une insurrection contre l’Idéologie, mythe que le vicomte reprend à son compte.

« Vendéen de père lorrain et de mère catalane » p.54, Philippe de Villiers vante sa réalisation du Puy-du-Fou, « l’anti-Disney » où « le rêve consumériste fait place au rêve historique » p.55. Volontiers libertaire, version féodale, il n’hésite pas à comparer sa gestion à l’autogestion de type yougoslave vantée par la Deuxième gauche des années 1970. « Pas de subventions, pas de dividendes, c’était un capitalisme sans capitaux, une création sans marketing, où l’on n’y développait pas la culture du profit, il n’y avait pas de droits d’auteurs et tous les bénéfices étaient réinvestis » p.52. Aversion catholique contre l’argent, aversion de caste nobiliaire contre la production – puisqu’il suffit de naître.

Il oppose cette culture enracinée au chaos post-68 globalisé où la « génération morale » prône le droit « à la différence » pour promouvoir un multiculturalisme militant où tout vaut tout – afin d’en finir avec « la tradition assimilatrice de la France ». Dans les années 70, on dénonce la France collabo pour susciter la « honte d’être Français », ce qui « tue l’espoir ». « Mai 68 fut le berceau de la nouvelle société bourgeoise (…) agents actifs ou idiots utiles d’un nouveau capitalisme » p.87. Ni frontières, ni limites, seul compte le « marché du désir » : tout est monnayable, la consommation infinie comme le désir ; tout est interchangeable, jouir est se dépenser – donc un devoir (Pierre Bergé) – ce qui dispense de penser. « État post névrotique, désinhibé », cerveau disponible.

« Peu à peu, le patriotisme allait devenir une pathologie, la frontière une déviance, la nation une mare aux diables xénophobes » p.67. Les élites ont trahi. L’anticolonialiste Georges Boudarel, devenu tortionnaire par idéalisme gauchiste auprès du Viet Minh sous le nom de Dai Ding, est reconnu en 1991 au Sénat où il représente le CNRS, sa trahison amnistiée, ses « droits » universitaires rétablis, son nom blanchi… Et toutes les belles âmes de gauche – sauf Lionel Jospin – de soutenir ce suppôt du « camp progressiste » qui a torturé des Français pour le bien de l’Humanité !

Contre la « maladie du vide » (Soljenitsyne, cité p.340), Philippe de Villiers appelle à remettre l’esprit au-dessus de la matière – de façon bien chrétienne et platonicienne. Identité est souveraineté, dit-il face à Poutine, qu’il admire.

Peuple sain enraciné contre élites corrompues et nomades, spiritualité de tradition (donc catholique) contre les nouveaux immigrés (donc islamistes), glorification de la vie contre l’agrochimie, l’avortement et le dénigrement de soi – il y a de tout chez Villiers. Un tout qui forme une constellation en forme de droite légitimiste : terroir, régions, corps intermédiaires, souveraineté, la nation en corps organique. Ne manque qu’un roi pour l’incarner, un non politicien pas obligé d’être élu… Mais revenir avant 1789 est-il un idéal ?

Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, 2015, Albin Michel, 348 pages, €21.50
Format Kindle €14.99

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Pierre Rosanvallon, La contre-démocratie

pierre rosanvallon la contre democratie
Dans cet ouvrage « écrit en 2005 », le professeur au Collège de France Pierre Rosanvallon, ancien conseiller économique de la CFDT pour l’autogestion de 1969 à 1973, veut « sortir de cette impasse » qu’ont représenté Jean-Paul Sartre, « chantre de l’utopie coupable du siècle » et Raymond Aron, « modèle de lucidité mélancolique ». Ni « engagement aveugle », ni « raison glacée » – telle se veut l’analyse de « la politique à l’âge de la défiance » (sous-titre du livre).

Disons-le tout net, cette étude, très riche, fait penser. Même en vacances.

Elle ouvre des perspectives sur l’exercice de la démocratie, la représentation et le malaise contemporain. Elle incite à abandonner l’idée de modèle (qui bloque le débat français par la crispation sur les zacquis) au profit de celle d’expérience (qui propose d’aller voir ailleurs et de revenir sur les projets abandonnés dans l’histoire). Elle se situe dans la suite d’une œuvre dense d’historien pour la France de la souveraineté (La démocratie inachevée), du suffrage universel (Le sacre du citoyen) et de la représentation démocratique (Le peuple introuvable) – tous réédités en poche.

Évacuons tout d’abord quelques agacements. Souvent l’auteur évoque « le libéralisme », en son sens politique. Malheureusement, il ne le définit jamais et en use comme d’un mot-valise, d’un mot-fourre tout, voire une injure. Il reste en cela dans la parfaite « croyance », cette doxa de gauche franco-française pour initiés, pas au niveau d’une recherche à vocation internationale. Le « libéralisme » rosanvallonien est évoqué soit comme une « défiance » ontologique envers la tentation du pouvoir (qu’il trouve chez Montesquieu), soit comme un « équilibre institutionnel » figé de poids et balances (le régime américain), soit dans la méfiance envers le peuple irrationnel (avec les doubles assemblées ou la saisine de constitutionnalité), soit chez les « sages » qui paraissent un peu vieillis (Condorcet, Benjamin Constant et Alain), voire même « le monde chinois » p.41.

Il oppose à ce brouillard « le projet démocratique », guère plus défini, sinon qu’il est le sien, dans la lignée de Rousseau, Marat et de l’autogestion des années 70. Pénétrant un peu plus loin dans le livre, on s’aperçoit très vite que Rosanvallon monte en épingle une sorte de tropisme français qu’il tente d’analyser dans son devenir, en opposition quelque peu artificielle aux régimes anglais et américain. Ces derniers, à le lire, fonctionnent très bien sans avoir à être réformés tous les 20 ou 50 ans ; en revanche, le régime français ne cesse de se dégrader et de se retester… Si la France peut être dite « plus » démocratique, c’est que rien n’y est jamais achevé, toujours à reprendre sur l’ouvrage – pas plus intelligente que les autres, mais nettement moins souple.

Autre agacement, « le populisme » : Rosanvallon lui consacre tout un chapitre, mais les « perversions » qu’il y voit sont toujours à droite ; celles de gauche sont évacuées en une ligne, comme si elles n’existaient pas ou avaient peu d’importance !

Dernier agacement, le concret : dès qu’il est réclamé par le raisonnement, l’auteur l’évacue d’une pirouette jargonnante. Cette tactique propre aux syndicalistes fait bien dans les conseils de surveillance (j’y ai assisté). Elle permet au représentant de « la base » de se poser comme égal au « patronat » par le vocabulaire, en impressionnant les « camarades » par le théâtre des mots compliqués qui donnent l’impression d’avoir dit beaucoup de choses. Las ! elle est peu efficace dans un ouvrage de réflexion sur la chose politique. Un exemple, dans le chapitre de conclusion : « Il faut reprendre aujourd’hui cette idée (médiévale) de constitution mixte, mais dans un sens différent : c’est la démocratie elle-même qui doit être comprise sur ce mode, non pas en tant qu’elle résulterait d’un compromis entre principes concurrents, d’égalité et de liberté par exemple, mais en tant qu’elle est composée de l’addition de ces trois dimensions qui peuvent se compléter et se conforter pour permettre de progresser vers un auto-gouvernement des hommes » p.319. Comprenne qui pourra – notamment le politicien (même de gauche) qui voudra en tirer une application pratique.

Pour le reste, La contre-démocratie est une utile analyse. Contre-démocratie ne signifie pas « anti-démocratie » mais plutôt contreforts à la démocratie. Comme ces piliers qui soutiennent les murs des églises, les pratiques contre-démocratiques font elles aussi partie de ce tout qu’est une démocratie. Elles en sont même la face moderne émergente, selon l’auteur.

Quelles sont ces pratiques ? Elles sont toutes celles qui surveillent, empêchent et jugent. Par elles, la société en son entier fait pression sur les gouvernants, soit pour les accompagner par sa vigilance, soit pour les corriger lorsqu’ils dérapent. Le citoyen moderne est donc loin d’être passif. S’il boude les pratiques institutionnelles comme l’élection ou la loi parlementaire, il participe par ses opinions, associations, expertises, manifestations, études, dénonciations, lobbies. La légitimité (acquise par un vote impartial) n’est pas la confiance (qui se mérite par les actes et avec le temps). Les « pouvoirs indirects disséminés dans le corps social » organisent surtout « la défiance » face au pouvoir élu.

Notre société moderne est celle du risque, d’Hiroshima au SIDA ; de plus, elle vieillit : rien d’étonnant à ce qu’elle soit de plus en plus méfiante. D’autant que les « grands projets » radicaux (communisme, monde libre, tiers-mondisme), soutenus par des partis de masse structurés, se sont effondrés dans les années 80. « Le gouvernement démocratique n’est plus seulement défini par une procédure d’autorisation et de légitimation. Il devient essentiellement structuré par la confrontation permanente à différentes catégories de veto provenant de groupes sociaux, de forces politiques ou économiques » p.22. Il est plus facile de coaliser « contre » que « pour » car le projet retiré rassemble des blocages divers et son succès se manifeste réellement par le retrait ; le « pour » est plus nébuleux dans les aspirations, plus long et plus incertain dans sa réalisation.

Pas d’apathie politique mais une nouvelle « démocratie d’expression » par la prise de parole, « démocratie d’implication » par les moyens de se concerter – dont Internet – et « démocratie d’intervention » par les formes d’action collective (p.26). Si la « démocratie d’élection » s’est érodée, les autres sont bien vivantes.

C’est l’objet de ce livre de les étudier en détail, y compris par leurs dérives : le populisme et « l’impolitique » (la dissolution de l’appartenance au monde commun). Quand le suffrage universel n’était pas réalisé, il était utile qu’un écrivain de renom parle au nom des sans-voix. Aujourd’hui, c’est ridicule : il n’y a pas de déficit de prise de parole dans notre société, mais plutôt un déficit de compréhension, faute de méthode !

Les Intellectuels se voient toujours comme des « résistants » dont le devoir est d’alerter. Or, leur véritable travail est celui d’analyse pour comprendre le réel. Ce n’est pas du théâtre mais de la recherche ! Rendons hommage à Pierre Rosanvallon d’y participer plutôt que de monter brailler sur un tonneau.

Pierre Rosanvallon, La contre-démocratie – la politique à l’âge de la défiance, 2006, Points essais 344 pages, €9.50

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Que nous disent ‘los indignados’ ?

Les indignés espagnols initient depuis quelques semaines une façon neuve de faire de la politique : l’insurrection pacifique des non syndiqués sans-partis et au chômage. Cette jeunesse est rafraichissante, bien plus que les braillards idéologues de nos avenues pavées qui scandent du Marx ou du Guevara (sauf le mercredi et pendant les vacances) – puis s’empressent de se poser en intellos sur France Culture et dans Libération une fois leurs études passées.

Indignation : colère envers ce qui heurte la conscience morale, contre les politiciens indignes de confiance dont la légitimité apparaît imméritée. La colère n’est pas le ressentiment, elle a à voir avec la dignité et la justice, pas avec la haine sociale née de l’envie. Le ressentiment veut détruire un système, une classe et des gens haïs en faisant table rase ; la colère veut faire lever un nouvel avenir rectifié en participant à son élaboration. C’est bien la différence entre los indignados espagnols (ou la révolte arabe) – et nos intellos en herbe.

Cet écart, Victor Hugo cité par le Robert l’a démontré : « on n’est indigné que lorsqu’on a raison ». Les Français dans la rue ont des certitudes à la Hugo, le sentiment de détenir l’ultime Vérité – pas los indignados des places espagnoles. D’ailleurs les manifs parisiennes avancent, s’écoulent, cassent des vitrines en queue pour piller – pas les manifs espagnoles qui s’installent, statiques, en des lieux symboliques. Les théoriciens gauchistes ont déjà la société utopique toute prête dans leur tête, pas les pragmatiques indignés qui disent seulement ‘on est là et il faut compter avec nous’.

Carlos Paredes, entrepreneur espagnol associé d’une micro-entreprise d’informatique, explique à MyEurop pourquoi un tel mouvement spontané : « Ce que nous réclamons, c’est que le Gouvernement établisse des mécanismes pour que les gens puissent contrôler ce que font les hommes politiques. Actuellement, en dehors du vote, il n’y a pas de moyen de le faire et les élus ont carte blanche toute la durée de leur mandat. Or, le problème, c’est qu’il y a une professionnalisation de la politique et du syndicalisme qui fait que l’intérêt des élus est de rester au pouvoir le plus longtemps possible, au détriment de l’intérêt des gens qu’ils sont censés représenter. » L’Espagne est une démocratie mais il manque des mécanismes pour empêcher que les élus mettent en place des politiques qui lèsent la majorité des citoyens.

Cette revendication d’autogestion, de non-violence et de tolérance vient de loin. Elle existe aussi en France : la Résistance, le peuple contre les élites défaillantes, Camus contre Sartre, le mouvement anti guerres coloniales et la deuxième gauche avec Mendès-France puis Michel Rocard, l’aspiration européenne sociale-démocrate de Jacques Delors. Aujourd’hui encore, les citoyens français sont attirés par le centre, les sondages le montrent. Dominique Strauss-Kahn l’a un temps incarné, mais sa chute ne profite pas aux extrêmes. Les Français en ont marre des gauchistes radicaux qui veulent tout casser pour instaurer un pouvoir centralisé à leur seul profit. Ils aspirent à la paix, à la participation, aux contrepouvoirs. Comme les autres Européens.

C’est ce qu’a bien perçu Pierre Rosanvallon avec sa démocratie participative. La contre-démocratie est composée des piliers qui surveillent, empêchent et jugent. Par eux, la société en son entier fait pression sur les gouvernants, soit pour les accompagner par leur vigilance, soit pour les corriger lorsqu’ils dérapent. Pas d’apathie politique ni ces manifs fusionnelles entre soi mais une nouvelle « démocratie d’expression » par la prise de parole, « démocratie d’implication » par les moyens de se concerter (dont internet), et « démocratie d’intervention » par les formes d’action collective (p.26). Si la « démocratie d’élection » s’est érodée, les autres sont bien vivantes. Les Intellectuels se voient toujours comme des « résistants » dont le devoir est d’alerter. Or, leur véritable travail est celui d’analyse pour comprendre le réel. Ce n’est pas du théâtre mais de la recherche !

Toutes les personnes qui se réunissent à Puerta del Sol veulent un vrai changement et parlent en leur propre nom, pas en celui d’un parti. Si le campement venait à prendre fin, des assemblées de quartier sont prévues dans tout Madrid. Pas besoin de partis, de syndicats ou d’intellos en Espagne ! Chaque citoyen prend son destin en main. Dure leçon pour les Français qui aiment bien donner des leçons…

Le livre de Stéphane Hessel, ‘Indignez-vous’ est plus émotionnel qu’analytique. Son empathie généralisée est naïve, plus un constat d’impuissance qu’une ouverture vers l’avenir. Mais le succès de son opuscule ne tient pas seulement à son titre et à ce qu’on peut le lire durant un trajet en métro. Il montre la colère face aux injustices des puissants, qu’ils soient riches ou élus. A leurs postures médiatiques, leurs petites phrases, leurs coups sans lendemain. Los indignados en Espagne montrent la voie moderne à ces Français qui cherchent à rejouer sans cesse le psychodrame parisien de mai 68.

Los indignados, dossier MyEurope.info

Los indignados, Rue89

Stéphane Hessel, Indignez-vous, 2010, collection Ceux qui marchent contre le vent, 32 pages, €2.85

Pierre Rosanvallon, La contre-démocratie : la politique à l’âge de la défiance, 2006, Points essais 2008, 344 pages, €9.02

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