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Gustave Flaubert, Le candidat

Pour sa première – et heureusement seule ! – pièce de théâtre, ce fut un four (Le sexe faible ne compte pas, elle était la pièce de Louis Bouilhet que Flaubert a terminée par fidélité à son ami). Elle fut retirée en 1874 après quatre représentations. C’est que Gustave est un naturaliste, pas un matamore. Or il faut au théâtre accentuer le trait, forcer la caricature, donner l’illusion – simplifier (d’où le succès du théâtre aujourd’hui dans les collèges). Flaubert exècre l’illusion ; il lui préfère les petits faits vrais.

Le candidat est une comédie sur la politique. Flaubert aurait pu en faire une satire, ce qui était dans son tempérament. Il l’avait commencé dans L’éducation sentimentale avant de poursuivre avec Bouvard et Pécuchet et le fameux Dictionnaire des idées reçues. Hélas ! il ne réussit qu’à être plat. Son candidat est d’accord avec tout le monde – le type même du démagogue qui veut surtout accéder au pouvoir pour les honneurs. Il se dit donc légitimiste devant le comte qui veut le soutenir avant de virer libéral devant l’industriel qui le pousse, de se dire républicain face à son mentor en politique, puis carrément « socialiste » (le pire !) devant les ouvriers venus en populace brailler dans son salon. Cela aurait pu être du plus haut comique… si l’ornière du déjà-vu répétitif ne finissait par lasser.

Rousselin, le candidat, est un bourgeois riche retiré des affaires qui s’ennuie en province ; il se dit que le titre de député ne déparerait pas une carte de visite. Aucune conviction, aucune mission, aucun service : il s’agit seulement de se placer. Le comte de Bouvigny est un aristocrate ruiné par les révolutions, qui est légitimiste par désir surtout de conservatisme social ; il n’est candidat avec « ses » paysans que pour « faire barrage » (comme on dit aujourd’hui) aux affreux révolutionnaires que sont les républicains, les libéraux et les socialistes ou pour « faire pression » sur Rousselin afin qu’il marie sa fille à son fils : rien de positif, seulement une réaction. Gruchet, industriel de filature en mauvaise posture financière, se veut républicain et joue le démagogue avec « ses » ouvriers, mais il ne s’agirait pas d’encourager la chienlit (comme disait le général) : il n’est poussé à la candidature que par Murel qui veut lui aussi « faire pression » sur Rousselin afin qu’il finance son journal – Gruchet se retirera de la candidature après avoir négocié la remise de sa dette auprès de Rousselin. Lequel se retrouve donc au milieu, qu’il prend pour le « juste » milieu (comme disent aujourd’hui les socialistes). S’il est favori, malgré sa peur de ne pas l’emporter, c’est qu’il ne fâche à peu près personne en général, mais seulement certains en particulier – ce qui se négocie avec de l’argent et des honneurs. Il a surtout une fille, Louise, à marier. L’attrait de la fortune et de la position sociale vaut bien pour les adversaires un bulletin de vote…

C’est donc un constant mélange de politique et de famille, de corruption et de maquignonnage, qui se développe autour de Louise. Elle aime Murel, le mentor en politique de son père et principal actionnaire du journal local qui « fait l’opinion » (comme on le croit encore aujourd’hui alors que les gens votent bien souvent pas comme on croit). Mais son père hésite à la donner pour le prestige social au fils du comte, un gandin niais et religieux sans métier, ou à Murel, qui va le faire élire et qui aime la donzelle. Laquelle en pince pour lui bien que son père finisse par la « vendre » au vicomte pour assurer son élection. Quant à Julien le journaliste poète, jeune premier romantique qui aurait pu être sympathique, il n’est qu’un exalté miséreux, qui plus est amoureux d’une femme mûre, l’épouse Rousselin de 38 ans ! L’époque sait bien, avec Balzac, que « La femme de trente ans » connait son acmé et que la suite n’est que progressive ruine. Le spectateur ne peut adhérer à cet amour incohérent et surtout passé de mode.

Non seulement la pièce ne fait pas rire mais elle n’est pas engagée : l’auteur met tous les partis sur le même plan. Certes, l’opportunisme est le principal ressort de la politique, avec les intérêts particuliers et la corruption – encore eût-il fallu le mieux montrer. Une pièce politique qui est apolitique est un comble ! C’est tout régime représentatif qui se trouve ainsi dévalué, les individus étant peints comme des coquins qui ne poursuivent que leurs propres buts égoïstes au détriment de tout « intérêt général » (comme disaient les gens de 1789). Le suffrage « universel » (tout récent à l’époque) se réduit à la foire d’empoigne des petits intérêts qui se négocient en coulisse, les commerçants exigeant les libertés de faire et moins d’impôts, les paysans illettrés tenus par le curé voulant qu’on suive leur comte traditionnel et ses intérêts de caste, les ouvriers livrés à leurs instincts et pulsions restant sans conscience sociale (comme les gilets jaunes et Black blocs d’aujourd’hui).

Des candidats sans envergure et des électeurs sans jugement… n’est-ce pas encore un peu le cas de nos jours ?

Gustave Flaubert, Le candidat, 1873, Livre de poche 2017, 224 pages, €4.10

Gustave Flaubert, Œuvres complètes IV 1863-1874 : Le château des cœurs, l’Education sentimentale 1869, le Sexe faible, le Candidat, La queue de la poire, Vie et travaux du RP Cruchard, Gallimard Pléiade, édition Gisèle Séginger, 2021, 1341 pages, €64.00

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Sebastian Haffner, Histoire d’un Allemand

sebastien haffner histoire d un allemand

Écrit à chaud après son exil en 1938, les souvenirs de Sebastian Haffner montrent pas à pas la montée du nazisme, non seulement dans les urnes et dans la rue, mais surtout dans les esprits et dans les cœurs. Après tout leur prise de pouvoir est « légale », après tout « ce n’est pas si terrible », après tout le parlementarisme a échoué… L’auteur, aryen de bonne famille, était magistrat stagiaire à Berlin. Mais les nazis se sont assis sur le droit comme sur le reste, pour eux, seul le « bien de la race » constitue le droit, autrement dit celui du plus fort. Tout l’héritage de Kant est balancé aux orties au profit du monstre Hegel.

Le manuscrit devait être édité à Londres en 1940 lorsque la guerre éclate ; il restera dans les tiroirs jusqu’à ce que les fils de l’auteur, à sa mort, le redécouvrent. S’il est utile aujourd’hui, c’est pour l’histoire bien sûr, mais surtout peut-être pour ce qui, dans l’histoire, se répète : la lente et progressive adaptation au pire, la fausse indignation vite assourdie par l’habitude, les liens sociaux, familiaux, nationaux qui font que l’on accepte – comme tout le monde – ce qui nous révulsait hier. Alors que la montée des nationalismes populistes et des autoritarismes tribuns monte en Europe – et en particulier en France – lire Sebastian Haffner a quelque chose de salubre. Vous ne pourrez pas dire « je ne savais pas » : tout est décrit !

Certes, la dépression des porte-monnaie due à la crise de 1929 a suivi la dépression des cœurs après la défaite de 1918, mais la montée du nazisme a été celle de la violence et de l’entre-soi, celle du Collectif contre l’individu, celle de la Revanche contre le sort déterminé par les plus forts. Le nationalisme détruit la civilisation, l’unanimisme la personne, le narcissisme l’humanité. Qui serait immunisé contre la capitulation morale ? Les Russes avec Poutine ? Les Turcs avec Erdogan ? Les Américains avec Trump ? Les Français avec Mélenchon ou Le Pen ? Allons donc !…

Tout commence avec la plus grosse Connerie européenne : la guerre de 14, tant vantée par nos politiciens avides de rassembler autour de leurs petites personnes. « La guerre est un grand jeu excitant, passionnant, dans lequel les nations s’affrontent ; elle procure des distractions substantielles et des émotions plus délectables que tout ce que peut offrir la paix : voilà ce qu’éprouvèrent quotidiennement, de 1914 à 1918, dix générations d’écoliers allemands. Cette vision positive est la base même du nazisme » p.35. L’auteur avait 7 ans en 1914, 11 ans en 1918. Aujourd’hui l’euro de foot provoque ce genre d’exaltation malsaine chez les immatures, qui peut vite tourner à la xénophobie nationaliste chez les jeunes adultes. Et il suffit à Poutine, Erdogan ou à certains politiciens français de désigner un bouc émissaire, en cas d’attentats sur le sol national, pour ressouder les nationaux contre les allogènes.

Tout continue avec la lâcheté sociale : « Le courage civique – c’est-à-dire le courage de décider soi-même en toute responsabilité – est d’ailleurs une vertu rare en Allemagne, comme Bismarck le remarquait déjà dans une formule célèbre. Mais cette vertu fait totalement défaut à l’Allemand dès lors qu’il endosse un uniforme » p.65. Il suffit aujourd’hui en France de donner un uniforme à n’importe quel petit-bourgeois pour qu’il se croie investi d’une mission quasi divine : il se sent l’État tout entier. Le guichet de SS ou le flic imbu du Règlement n’ont pas changé depuis M. Hitler.

Et la Grande dépression économique due aux suites du krach boursier puis financier de 1929 à Wall Street, a bouleversé les fortunes : « Les jeunes et les petits malins se portaient bien. D’un jour à l’autre ils se retrouvaient libres, riches, indépendants. La conjoncture affamait et punissait de mort les esprits lents et ceux qui se fiaient à leur expérience, et récompensaient d’une fortune subite la rapidité et l’impulsivité (…) La concupiscence régnait dans une atmosphère de carnaval généralisée » p.90. Qui ne verra aucun rapport avec l’époque contemporaine, la crise de 2008, l’essor des start-up et l’histrionisme à la Dieudonné ou Hanouna ?

L’époque des grandes fois collectives a laissé la place au débat politique dispersé : « environ vingt classes d’âge, les jeunes et les très jeunes, avaient eu l’habitude de voir la sphère publique leur livrer gratuitement la matière première de leurs émois véritables – amour, haine, allégresse et deuil (…) Maintenant que cette livraison cessait, ils se retrouvaient désemparés, appauvris, déçus et ennuyés. Ils n’avaient jamais appris à vivre sur leurs réserves, à organiser leur petite vie privée pour qu’elle soit grande, belle et féconde ; ils ne savaient pas en profiter, ignoraient ce qui en fait l’intérêt. C’est pourquoi ils ne ressentirent pas la fin des tensions publiques et le retour de la liberté privée comme un cadeau, mais comme une frustration. Ils commencèrent à s’ennuyer, ils eurent des idées stupides, ils se mirent à ronchonner – et pour finir à appeler avidement de leurs vœux la première perturbation, le premier revers ou le premier incident qui leur permettrait de liquider la paix pour démarrer une nouvelle aventure collective » p.108. De nos jours, après la Résistance, le communisme, l’anticolonialisme et le gauchisme hippie-écolo de 1968, la perte de sens affecte toute une génération. Se réfugier dans le fusionnel par peur de sa liberté est le recours le plus fréquent, que ce soit dans « la musique » (les raves), le militantisme botté (les Black blocs, la CGT, les Bonnets rouges), la religion intégriste (salafistes), voire la destruction pure et simple (hooligans et casseurs). Retrouver « la souveraineté » est pour les politiciens la version édulcorée de cette même peur de liberté : l’identité traditionnelle rassure quand on ne sait pas la faire vivre.

En politique, 1930 voit un tournant : ce qu’on appelle aujourd’hui la démocrature. « A ma connaissance, le régime de Brüning [devenu chancelier] a été la première esquisse et pour ainsi dire la maquette d’une forme de gouvernement qui a été imitée depuis dans de nombreux pays d’Europe : une semi-dictature au nom de la démocratie et pour empêcher une dictature véritable » p.133. Le recours aujourd’hui à l’autoritarisme jacobin à gauche, ou aux ordonnances à droite, n’est-elle pas cette sorte de procédé au nom du Salut national ? « C’est un système qui décourage ses propres adeptes, sape ses propres positions, accoutume à la privation de liberté, se montre incapable d’opposer à la propagande ennemie une défense fondée sur des idées, abandonne l’initiative à ses adversaires et finalement renonce au moment où la situation aboutit à une épreuve de force » p.134. Il faut bien distinguer le passage en force du 49-3 et le résultat du référendum à Notre-Dame des Landes : dans le premier cas il s’agit de diktat d’État, dans l’autre de démocratie directe. Les opposants dans les deux cas feraient bien de faire la distinction !

Les citoyens, déboussolés et un brin indignés, s’adaptent progressivement : « On se mit à participer – d’abord par crainte. Puis, s’étant mis à participer, on ne voulut plus que ce fut par crainte, motivation vile et méprisable. Si bien qu’on adopta après coup l’état d’esprit convenable. C’est là le schéma mental de la victoire de la révolution national-socialiste » p.194. Ceux qui viennent, à petits pas, sur les positions extrêmes, lepénistes ou mélenchonienne, obéissent à ce schéma de fascination-répulsion qui fait des otages les meilleurs serviteurs de leurs bourreaux (on l’appelle le syndrome de Stockholm).

D’autant que les habitudes de la vie matérielle et bourgeoise inhibent toute révolte : il faut n’avoir rien à perdre pour se mettre en jeu tout entier ! « La sécurité, la durée ne se trouvent souvent que dans la routine quotidienne. A côté, c’est tout de suite la jungle. Tout Européen du XXe siècle le ressent confusément avec angoisse. C’est pourquoi il hésite à entreprendre quoi que ce soit qui pourrait le faire dérailler – une action hardie, inhabituelle, dont lui seul aurait pris l’initiative. D’où la possibilité de ces immenses catastrophes affectant la civilisation, telle que la domination nazie en Allemagne » p.207. Le père de l’auteur, juriste humaniste, a dû remplir un questionnaire humiliant sur ses appartenances, race et croyances, pour conserver sa pension de retraite ; il a hésité trois jours… puis s’y est résigné. Les Russes s’habituent à Poutine, les Turcs à Erdogan – et ils en redemandent. Demain les Français pourront s’habituer tout autant à qui viendra les commander.

Surtout si l’État met en scène la fusion collective, « cette camaraderie qui peut devenir un des plus terribles instruments de la déshumanisation – et qui le sont devenus entre les mains des nazis. (…) La camaraderie est partie intégrante de la guerre. Comme l’alcool, elle soutient et réconforte les hommes soumis à des conditions de vie inhumaines. Elle rend supportable l’insupportable. Elle aide à surmonter la mort, la souffrance, la désolation. Elle anesthésie. (…) Mais (…) recherchée et cultivée pour elle-même, pour le plaisir et l’oubli, elle devient un vice. Et qu’elle rende heureux pour un moment n’y change absolument rien. Elle corrompt l’homme, elle le déprave plus que ne le font l’alcool et l’opium. Elle le rend inapte à une vie personnelle, responsable et civilisée. Elle est proprement un instrument de décivilisation » p.418. Les manifs braillardes, les dégradeurs des permanences CFDT, les hooligans du foot, les djihadistes de Daech, tout ce qui veut le fusionnel au détriment de la personne avilit – et prépare au fascisme. « La camaraderie ne souffre pas la discussion : c’est une solution chimique dans laquelle la discussion vire aussitôt à la chicane et au conflit, et devient un péché mortel. C’est un terrain fatal à la pensée, favorable aux seuls schémas collectifs de l’espèce la plus triviale et auquel nul ne peut échapper car vouloir s’y soustraire reviendrait à se mettre au ban de la camaraderie » p.421.

Les huit causes du nazisme, pointées à chaud par Sebastian Haffner sont toujours présentes… Ne croyons pas que l’histoire ne repasse pas les plats : les êtres humains restent les mêmes, avec les mêmes schémas mentaux et les mêmes réactions viscérales. Soumission de Houellebecq avait un ancêtre : Histoire d’un Allemand de Haffner.

Pour savoir ce qui peut nous arriver prochainement, il faut lire ce livre.

Sebastian Haffner, Histoire d’un Allemand – souvenirs 1914-1933, 1939, publié en 2000 et complété en 2002, poche Babel 2004, 437 pages, €9.70

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CGT-Le Pen : même combat !

La pensée gros-bras de la CGT rencontre la pensée simpliste du Front national pour résoudre d’un coup de faucille ou de marteau tous les problèmes complexes. Le yaka est la solution habituelle du populisme. Oh, non pas pour résoudre effectivement les problèmes – ils sont bien trop complexes et imbriqués pour qu’ils aient une solution simple – mais seulement pour dire à chacun ce qu’il souhaite entendre dire.

  1. A gauche le jacobinisme fusionnel à la Rousseau, où la « volonté générale » est cooptée par quelques-uns. Ils seraient plus lucides selon la CGT, plus « avancés » selon la théorie marxiste de l’Histoire, plus menaçants dans les rapports de force selon les trotskistes de FO.
  2. A droite le fascisme organique à la Mussolini, volontiers repris par Poutine ou Erdogan, au nom de l’unité communautaire nationale.

Les ennemis communs : l’individualisme, donc l’émancipation personnelle, la liberté de dire et d’entreprendre, le choix électoral. Autrement dit le libéralisme, avec ses traductions que sont la démocratie en politique, le libre-marché concurrentiel en économie et le libre-examen en sciences. L’économie ne serait pas une question de savoir mais de volonté, la monnaie pas une mesure des échanges mais un acte juridique d’Etat – qui décide souverainement de sa valeur et de sa quantité. Donc pas de science économique mais la volonté d’Etat, pas de liberté de marché mais les monopoles d’Etat, pas de régime des changes mais une autarcie non-convertible d’Etat. Quelque chose comme la Chine avant Deng Xiaoping ou la Corée du nord du Grand leader incomparable Kim Jong-un.

Pourquoi ces ennemis sont-ils communs ? Parce qu’ils viennent de la tradition protestante anglo-saxonne, bien loin de l’autoritarisme catholique ou orthodoxe (ou en Turquie musulman), traduit il y a peu dans l’infaillibilité du Pape ou du Parti.

Quoi : lire tout seul la Bible comme le voulaient les Protestants ? Donc apprendre à lire à tous, y compris aux femmes et aux humbles ? Que chacun puisse juger par soi-même – donc « se faire avoir » par les forces du Mal (patrons, consommation, désirs) ? Ou créer son entreprise pour « faire de l’argent » et pas pour « créer des emplois » ?

  • Rien de pire pour un cégétiste (qui n’a jamais lu la loi Travail mais seulement les préjugés et contrevérités dont son syndicat emplit ses tracts). L’existence est simple : il y a d’un côté les patrons – immondes, forcément immondes comme dirait la Duras – et de l’autre les angéliques travailleurs « qui n’ont que leurs bras » (en effet, on se demande où sont leurs têtes dans l’avalanche de contrevérités et le jusqu’au-boutisme sans avenir qu’ils acceptent sans réfléchir). Dans cette guerre civile, il s’agit donc de rapports de force. Bloquer le pays avec peu est donc « le droit » d’imposer sa minorité, au nom de la volonté générale.

moustachu cgt

  • Rien de pire pour un frontiste (qui se moque du parlementarisme mais considère seulement la nation). L’existence est simple : il y a d’un côté l’élite apatride – cosmopolite et universaliste, multiculturelle – et de l’autre l’angélique « peuple réel » enraciné, attaché à ses habitudes, mœurs et traditions. Dans ce divorce croissant qui devient guerre culturelle (avant peut-être la guerre civile comme sous Mussolini et Hitler), il s’agit de rapports de force. Qui t’a fait roi ? demande-t-on à l’élu. Qui représentes-tu ? Et revoilà le mandat impératif que les Jacobins pratiquaient, avant que le droit constitutionnel ne rende l’élu représentant du peuple tout entier. Faire basculer le pays avec le grignotage quasi salafiste « à la base » des élus de terrain et des associations locales, permettra donc de renverser la hiérarchie des normes et de replacer le local avant le global (tout l’inverse de ce que veut la CGT sur la loi Travail, d’ailleurs).

national pride

Mais tous deux, CGT comme Front national, de vilipender « le capitalisme » (au nom des monopoles d’Etat), la soumission aux Yankees (au nom de la soumission au tsar Poutine), le parlement-croupion où des députés-godillots votent comme leur majorité sans penser (au nom de la révélation permanente du peuple par lui-même – évidemment manipulé par la petite caste du parti).

Ils sont pour la « démocratie » directe, ces bons patriotes… C’est-à-dire pour la prise de pouvoir par la force d’une minorité sur la majorité – tout comme fit Lénine en 1917. Au nom de leur volonté à eux, censée être la Vraie, la Pure, l’expression du Peuple réel même : travailleurs pour les uns (comme si les « patrons » ne travaillaient pas), communauté nationale pour les autres (comme si « être né » suffisait aux talents).

Penser par soi-même, voilà l’ennemi ! « Réagir » selon sa caste, sa classe, sa race – voilà le réflexe « sain » pour ces « réactionnaires ».

Car il s’agit bien de « revenir à » un Ancien régime, celui des Trente glorieuses pour la CGT, celui d’avant la Révolution pour le Front national. L’individualisme est destructeur : de la race et de la nation par mariages mixtes et cuisines exotiques, premiers pas vers le « multiculturalisme » qui relativise tout par utilitarisme marchand. L’individualisme permet de placer l’entreprise au-dessus de la branche, pour s’adapter au terrain, ce qui va contre l’égalitarisme forcené des cégétistes Jacobins – qui n’ont jamais voulu voir qu’une tête, que ce soit à l’école (contre les intellectuels traités hier de pédés, aujourd’hui de bouffons), à l’armée (penser, c’est déjà désobéir), dans la société (être différent, c’est être non-conforme, donc rejeté), dans l’entreprise (voir son intérêt est être « jaune », donc être tabassé), en politique (trahir sa classe).

Libéralisme, individualisme, démocratie, capitalisme : tout ça dans le même sac, à l’extrême gauche comme à l’extrême droite. La société est unité organique, le syndicat unité de classe : il n’y a pas à sortir de là.

La liberté ? Mais qu’est-ce là ? La liberté de savoir et d’apprendre qui creuse les inégalités entre les gens ? La liberté de créer et d’entreprendre qui marque ceux qui osent de ceux qui restent ? Le capitalisme est l’expression économique de cet individualisme fondé sur la liberté : c’est cela même qu’il faut combattre !

Pour rester entre soi, c’est l’égalité qui prime, la fraternité viendra en sus. La liberté, si l’on veut conserver ce terme bourgeois, c’est d’obéir volontairement à la loi qu’on s’est choisie (Rousseau dixit). Autrement dit : ferme ta gueule et fait comme tout le monde, sinon…

Le cégétisme comme le frontisme aboutissent donc inéluctablement à la fin du débat, à la fin de la pensée, à l’alignement « organique » sur la volonté générale – dont « le droit » serait discrétionnaire et non opposable. Seule façon d’imposer l’égalité ? – La dictature. Car qu’est-ce que l’inverse de la liberté à votre avis ? L’inverse du libéralisme ? L’inverse de la démocratie – où chacun débat sur l’agora ?

Allez, faites un effort personnel : cherchez dans le dictionnaire les antonymes de ces concepts dont chacun a la bouche pleine sans plus en sentir la saveur. Vous verrez…

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Les droites extrêmes et le pouvoir

Pour accéder au pouvoir, rien de tel que de participer à des alliances de gouvernement dans les pays à système parlementaire tels que l’Autriche, l’Italie, les Pays-Bas, le Danemark. Dans un régime semi-présidentiel comme la France, le système électoral non-proportionnel ne permet pas aux petits partis d’émerger. Il faut soit s’allier à un grand parti (comme récemment EELV avec le PS), soit préférer une candidature à la présidentielle pour se compter. Les élections locales permettent quelques victoires avec le système de liste.

Un succès du Front national en France dépend surtout d’une alliance avec l’ex-UMP rebaptisée Les Républicains. Mais le parti reste très divisé sur le sujet, une faible minorité souhaitant pour l’instant ce genre d’alliance, même pour gagner la présidentielle. D’autant que, côté Le Pen, s’associer aux partis de gouvernement, c’est se renier : les élites ont trahi, qu’elles s’en aillent. S’allier avec elles serait politiquement dommageable.

Sauf qu’il faut savoir ce que l’on veut :

  • ou le populisme qui ne fédère qu’en « sac de pommes de terre » les ressentiments divers de tous les exclus et les aigris, en plus des convaincus du déclin
  • ou le réalisme qui établit un programme et des alliances pour gouverner un jour.

D’un côté la radicalité de tribune ou de propos à la Jean-Marie, de l’autre la stratégie de grignotement électoral à la Marine. Cet écart de stratégie explique une bonne part du feuilleton de l’été dont les médias – ravis en secret et affectant de se boucher le nez en public – ont abreuvé leurs papiers faute d’avoir quoi que ce soit de pertinent à écrire.

marine desodorisant bien agiter

Tentées par le populisme, le rejet des élites et la crise mondiale qui n’en finit jamais, les droites extrêmes sont portées par un courant électoral puissant en Europe, mais elles restent très divisées. Réunir par exemple 25 élus de 7 nationalités différentes pour créer un groupe au Parlement européen a été très difficile à Marine Le Pen. C’est que l’idéologie et la stratégie diffèrent en presque tout…

Le nationalisme autoritaire du Jobbik hongrois ou de l’Ataka bulgare, voire nostalgiques du nazisme comme le grec Aube dorée ou le NPD allemand, côtoie sans se mêler les souverainistes radicaux qui rejettent les élites coupées du peuple, l’immigration musulmane et le libéralisme économique des technocrates bruxellois, tels le Front national français, la Ligue du Nord italienne ou le FPÖ autrichien.

noir et blanc avec bebeDes écarts flagrants se manifestent dans l’attitude envers la démocratie parlementaire, l’Europe et l’immigration.

Certains acceptent le parlementarisme, comme le Front national ; ils ne veulent parvenir au pouvoir que par la voie des urnes. Rappelons cependant que Mussolini comme Hitler n’ont rien fait d’autre. Car la démocratie parlementaire peut être soit représentative, soit directe. C’est plutôt par l’appel direct au peuple que ces droites radicales veulent passer. Même si, rappelons-le aussi, l’élection présidentielle directe et l’usage du référendum par de Gaulle allaient exactement dans ce sens. Question de mesure : disons que les droites non gouvernementales cherchent à court-circuiter les élites (cooptées entre-soi) et le système (des « copains et des coquins » comme disait feu le communiste Marchais) pour en appeler directement aux électeurs. Ils se placent dans la lignée des tribuns romains, des orateurs de la Révolution française et des populistes d’Amérique du sud.

Certains acceptent l’Union européenne mais veulent la recentrer ; d’autres la rejettent. Le Front national honnit par exemple la mondialisation et « les traités » européens, préférant un capitalisme national d’État (d’essence para-fasciste) protecteur des classes populaires. Exactement ce que Hitler prônait lors de son arrivée au pouvoir. Le Parti populaire danois (DF) veut rester dans les traités européens, mais avec une plus grande autonomie nationale. La Ligue du nord en Italie souhaite une Europe des régions et pas des États. Le parti AfD (Alternative pour l’Allemagne) souhaite seulement quitter la zone euro et l’UKIP anglais quitter l’Union européenne.

Certains acceptent l’immigration, mais veulent réserver les avantages accordés par l’État exclusivement aux nationaux, surtout pas aux immigrés d’où qu’ils viennent. Ceux-ci devraient se débrouiller dans la plus pure tradition libertarienne américaine – tout en subissant la pression sociale de constater qu’ils ne sont pas les bienvenus. D’autres sont clairement racistes et xénophobes, comme Aube dorée. D’autres encore, comme le Front national ou le DF danois, veulent surtout assurer la sécurité sociale, culturelle et militaire des Français républicains contre les « hordes » menaçantes venues des pays de l’islam intégriste.

Devant ce constat, les droites extrêmes en Europe ne sont pas encore une vraie menace, seulement un signal aux élites représentatives actuellement au pouvoir que toute inaction de leur part pour répondre aux défis sociaux, culturels et géopolitiques du présent les fera sanctionner. Certains commencent à bouger : Cameron au Royaume-Uni, Merkel en Allemagne, Tsipras en Grèce, Renzi en Italie.

Et en France ? L’inerte Hollande poursuit à tout petits pas tremblants ses réformettes et ses discours lénifiants, sous la menace de la gauche de la gauche de la gauche toujours plus à gauche puisque qu’il n’y a pas de chef à gauche (comme Mitterrand ou Jospin surent l’être) et – côté droit – par l’essor du lepénisme, canal historique ou canal politique avec le père et la fille.

PS logo

Au fond, avec le régime semi-présidentiel différent de celui des autres pays européens, c’est peut-être en France que la droite extrême pourrait représenter le danger le plus grand. Les Français aiment être gouvernés, dirigés, guidés – vieux reste romain, catholique et scolaire. Quand ils sentent la main molle, ils radicalisent leurs positions. Même si Manuel Valls (avec l’accord du président) fait un pas vers le réalisme après l’inaction et le déni Ayrault.

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La France, ce malade de l’Europe

Les élections européennes, techniques et sans enjeux concrets perçus par les citoyens, suscitent en général une abstention assez forte. Elle a été moyenne en Europe, égale à 2009 en France. Plus les pays ont connu récemment la dictature, plus ils sont poussés à exercer ce « droit » – rare sur la planète – de pouvoir aller voter. La Thaïlande comme l’Égypte sont sous coup d’État, l’Ukraine voit des milices rouge-brun empêcher les citoyens d’aller s’exprimer à l’est du pays, la Russie et la Turquie ont « élu » sous pressions et fraudes un genre de dictateur qui réprime toute forme de démocratie autre que le plébiscite campagnard.

2014 05 europennes carte participation

Voter est un luxe de nanti. C’est pourquoi les bobos français (bourgeois bohème) devraient être appelés plutôt égoédos (égoïstes hédonistes), tant ils marquent du mépris snobinard pour cette façon vulgaire d’aller « donner leur voix » comme le bas peuple : 58% des votants Hollande en 2012 ne sont pas allés voter, 52% des Parisiens ! En dehors de leurs petits intérêts de caste comme le mariage gai (et lesbien) ou le vélo à contresens dans les rues, les bobos se foutent de la gauche et de ses « idées », c’est manifeste. L’effondrement du parti socialiste est confirmé et au-delà, le seul socialisme qui subsiste aujourd’hui est national.

Car le problème aujourd’hui n’est pas européen, il est français.

Certes, le Danemark, le Royaume-Uni, l’Autriche ont donné plus de 15% des voix à des partis extrémistes anti-union – mais c’est en France que le Front national a réussi à passer largement en tête, avec un apparent 25%. La réalité est moins flamboyante car, du fait que 43.5% des votants seulement se sont exprimés et que les gens convaincus sont plus allés voter que les autres, le FN ne compte les voix que de 11% des 46 millions de citoyens français ce dimanche. C’est certes nettement mieux que les 6.3% qui ont voté PS ou le ridicule 2.8% du Front de gauche, habituel favori des bobos (calcul sur 100% des électeurs), mais ce n’est pas un raz de marée, tout au plus un « rat de Marine ». A une élection importante, présidentielle ou législative, le FN ne ferait pas ces scores là, noyé sous la participation utile. Il ne réussit que dans l’indifférence. Et c’est là où les bobos « de gauche ma chère, évidemment de gauche » ont toute leur responsabilité. Le « séisme » 2002 ne leur a rien appris et les mots graves de Manuel Valls hier vont leur passer par-dessus la tête, comme d’habitude.

Il ne leur restera plus que le ridicule d’aller « manifester contre le fascisme » comme en 2002, dans un refus trop tardif d’une démocratie qu’ils n’ont pas exercée par flemme. Au niveau européen, le vote français ne changera pas grand-chose, la coalition sortante reste majoritaire. En France, les seuls partis européens, les centristes et écologistes, se sont bien maintenus. Mais les écologistes en Europe ont fait bien mieux que les idéologues intellos de gauche de l’Hexagone : en cause le gauchisme catastrophiste mâtiné d’arrivisme du parti Duflot.

2014 05 nouveau parlement européen

La gauche française de gouvernement s’obstine à ne pas comprendre que les élites économiques éduquées (diplômés, cadres, hauts revenus, citadins, voyageurs) ne vivent pas dans le même monde que le populaire (peu diplômés, ouvriers, bas revenus ou chômeurs, suburbain ou rural qui n’ont rien vu du monde). Ce pourquoi le socialisme « internationaliste » ne passe plus, ni son tropisme multiculturel, ni ses attendrissements pour les « victimes » à aider en priorité qui sont toujours les autres (homos, étrangers, colorés, immigrés). Quoi d’étonnant à ce que le FN réalise ses meilleurs scores au sein des couches populaires : ouvriers (43%), employés (38%), chômeurs (37%), personnes à faible niveau de diplôme (37%), foyers à bas revenus (30%) et parmi les jeunes (30% des moins de 35 ans), touchés par le chômage ou la galère des stages et CDD à répétition ? (Sondage Ipsos/Steria 25 mai 2014)

Le socialisme à la française tout comme le pseudo-gaullisme à la Copé-Guéant-Sarkozy apparaît comme un ramassis d’impuissants qui envoient leurs déchets à Bruxelles, clament haut et fort en France l’inverse de ce qu’ils signent en sous-main au Conseil européen, agitent des yakas impossibles puisque pas prévus dans le Traité (comme le social, dont le Smic, qui est du ressort de chaque État). Quoi d’étonnant à ce qu’il y ait défiance envers ces hypocrites professionnels ? Quant à Mélenchon, il a clairement échoué : ses outrances ont fait fuir. Il était pathétique et presque sympathique lors de sa conférence de presse, mais toujours dans l’émotionnel alors que cela ne compte dans un vote qu’en plus du fond ; sans le fond, cela fait démago…

Si 62% des votants disent avoir privilégié les questions européennes sur le rejet du gouvernement, l’opacité du fonctionnement européen et la culture nécessaire du compromis empêchent les électeurs français peu éduqués de comprendre. L’Éducation nationale ne fout rien pour habituer les élèves à travailler ensemble et à échanger des idées, les médias perroquettent les mensonges des partis, les populistes trouvent un bouc émissaire commode dans « l’euro, Bruxelles, les 28, le libéralisme » et ainsi de suite.

Les Français, formatés à l’autoritarisme et au plébiscite du chef, sont à l’opposé de presque tous les autres pays européens, formés au parlementarisme et aux alliances de compromis. La France semble avoir une mentalité plus proche de la Russie de Poutine et de la Turquie d’Erdogan que de l’Allemagne de Merkel ou du Royaume-Uni de Cameron. Le marasme économique n’arrange rien, la politique stupide du gouvernement Hollande 1 (qui a insulté les patrons, insultés les investisseurs, insulté « la finance » – et taxé à tour de bras tout le monde, y compris en-dessous du Smic) a accentué la récession. Ce clown pathétique de Montebourg a plus fait à lui tout seul pour faire fuir l’investissement que les ministres de Mitterrand – et on le garde au gouvernement !

Les électeurs ne sont pas contre l’Europe, ils ne comprennent pas trop comment elle fonctionne ; ils sentent bien l’avantage de la monnaie unique, puisque 72% (sondage Ipsos ci-dessus) sont CONTRE la sortie de la France de la zone. Mais ils voudraient une Europe plus protectrice en termes économiques, moins accueillante à l’immigration sauvage, mieux unifiée socialement. Encore faut-il envoyer – comme les Anglais – des pointures politiques à Bruxelles, pas des recalés en échec de la politique nationale : des Fabius par exemple, comme hier Delors, pas des Désir. Jamais la « synthèse » molle du tempérament Hollande n’a montré aussi clairement son inaptitude à gouverner.

La France apparaît aujourd’hui comme

  • ce malade de l’Europe qui, faute de mieux, élit des politiciens minables qui promettent tout et en font le moins possible, se défaussant sur « Bruxelles » de leurs fautes ou impuissance,
  • ce malade de la boboterie, toujours en première ligne pour réclamer « des droits », mais qui reste douillettement chez elle dès qu’il s’agir d’agir,
  • ce malade des réformes sans cesse promises, sans cesse repoussées, car elles remettent en cause trop d’intérêts « acquis » sans que personne n’ose prendre le taureau par les cornes.

Puisse l’aiguillon Le Pen donner des hémorroïdes à cette caste de gauche aujourd’hui au pouvoir, à ces petits marquis inaudibles de droite qui aspirent à y revenir, pour qu’enfin – comme dans les autres pays européens – ils soignent la France :

  • inadaptée à intégrer sa jeunesse par l’éducation,
  • inadaptée à la mentalité parlementaire de l’Union,
  • inadaptée à la concurrence économique mondiale.
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Hollande au milieu du gué

Il lui reste deux ans pour convaincre les électeurs de le reconduire avant que commence la campagne pour les primaires, puis la présidentielle ; il lui reste deux ans pour montrer que son tempérament débonnaire, hésitant et porté à valoriser les contradictions dans une improbable synthèse permettra à la France de retrouver le chemin de la croissance, de l’emploi et de la simplification des règles et taxes. Pas sûr qu’il y arrive, porté qu’il est par son tempérament à « laisser du temps au temps », comme disait son mentor en politique qui – lui – avait sept ans de règne devant lui et pas cinq.

francois hollande 2012
Les électeurs se sont fait clairement comprendre, ceux qui se sont abstenus comme ceux qui se sont exprimés : le vieux socialisme des copains à la française, le « socialisme municipal », a explosé. On le voit clairement à Grenoble où un Vert balaye un socialiste en réduisant les prébendes des élus et en affichant la transparence, comme à Marseille où le candidat du socialisme usé jusqu’à la corde n’a pas su même arriver à la cheville du vieux clientéliste UMP, maire depuis des décennies. Le parti Socialiste n’a rien vu, rien compris, rien appris. Laissé dix ans à l’écart du pouvoir depuis la chute de Jospin en 2002, il est resté sans idées, dans l’entre-soi confortable de l’auto-intoxication, des yakas théoriques en économie et des boucs émissaires.

Laurent Joffrin le susurre ironiquement dans l’hebdo des bobos, le « Nouvel » observateur : « Rappelons tout de même (…) qu’au Danemark, patrie des traîtres au vrai socialisme, le niveau de vie est l’un des plus élevés au monde et le chômage deux fois inférieur à ce qu’il est en France ». La faillite idéologique du socialisme est très claire : on n’oppose pas de façon aussi caricaturale la consommation à l’offre, la hausse des impôts à la baisse des dépenses publiques, le rôle de l’État à celui des entreprises. La théologie socialiste reste dans l’abstrait, accusant tous les autres quand elle échoue (l’héritage, la droite, l’Europe, la BCE, Merkel, les Américains, les Chinois…). Malgré la dépense publique bien plus grosse qu’ailleurs (57% du PIB), la France n’a toujours pas modernisé son école de l’échec et de la ségrégation sociale, ni clarifié ou simplifié le marché du travail qui fabrique les chômeurs et refuse de les former au profit du monopole syndical des copains, ni donné aux entreprises de l’air pour investir, innover et produire.

La mauvaise farce de « l’inversion de la courbe du chômage » a laissé une trace durable dans l’opinion. Elle hésite à qualifier le président de super-menteur (rôle populaire de Chirac jadis) ou de gros naïf (rôle que Hollande a préféré endosser depuis 23 mois). La politique menée a été incohérente (taxer les entreprises puis leur demander de ne pas licencier et d’embaucher, faire fuir les investisseurs étrangers par la taxe à 75% et les rodomontades de Montebourg malgré les infrastructures reconnues), croire bêtement que l’imposition accrue des classes moyennes et populaires, assaisonnée de niches et de subventions, allait être neutre sur la consommation, chiffrer les efforts de réduction du déficit à Bruxelles et refuser de trancher dans la dépense publique. Non seulement le hollandisme a échoué comme méthode, mais que voit-on après « la leçon » des Municipales ?

Que l’on prend les mêmes et que l’on recommence. Certes, Ayrault a été remplacé par Valls, le social-démocrate mou par un bonapartiste de gauche… mais enserré dans tant de filets qu’il restera impuissant, réduit à la « com » et aux mouvements de menton. Le socialisme reste celui de la parole, pas des actes – de l’incantation, pas de la volonté. Le nouveau gouvernement est pur socialiste. Exit les Verts, Dufflot et son inepte politique du logement (effondrement des mises en chantier en 2013) et Canfin qui déclare « avoir posé un acte » comme le toutou dépose sa crotte. Bonjour les éléphants, le socialisme de toujours avec ses vieilles recettes, l’immobilisme de la parité et des équilibres entre courants – comme si l’on était en régime parlementaire et pas en Ve République. Plus aucun ministre responsable de l’Europe, comme si cela n’avait aucune importance. Un « gouvernement de combat » cette équipe de binômes en guéguerre perpétuelle et sans chef pour dire holà ? Parce que ce n’est pas Valls qui va jouer le chef, il n’en a pas les moyens – il ferait de l’ombre au locataire de l’Élysée ; parce que ce n’est pas Hollande qui va jouer le chef, il n’en a pas le tempérament – il se mettrait à dos les courants du PS et le reste de la gauche.

D’où la révolte des 100 députés qui, tels les 100 familles du Front populaire, veulent mettre leur grain de sel : finie la Ve République quand l’Exécutif est faible, retour au vieux parlementarisme IVe République qui faisait et défaisait les gouvernements en quelques semaines par simple déplacement de « courants ». Est-ce cela « la politique » ? Jacques Attali dans l’Express n’hésite pas à dire aux électeurs « débrouillez-vous ! ». Lui qui a empilé les rapports, les avertissements, les livres, les émissions pour dire ce qu’il conviendrait de faire pour adapter la France au monde nouveau sans être suivi d’effet – en a assez. Il n’attend plus rien du « socialisme », ni des politiciens de gauche, ni même de « l’État ».

Incapable ou inapte, le président ? Les électeurs ont provisoirement choisi. Pas sûr que le gouvernement Valls au travail ou les élections programmées dans les mois qui viennent ne remettent en cause ce jugement…

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Pierre Drieu La Rochelle, État civil

Quelle idée de publier son autobiographie à 28 ans ? Mais il y avait eu la guerre, la grande, celle que tout le monde admire aujourd’hui je ne sais pourquoi, alors qu’elle fut la plus stupide des guerres européennes et une boucherie industrielle. Drieu l’a faite, en intermittent du front, puisqu’il fut deux fois blessé et une fois atteint de paratyphoïde. Il avait besoin d’évacuer l’enfance, d’effectuer un bilan de cette société qui l’avait conduit au suicide, et de sa place dans le monde.

Pierre Drieu la rochelle pléiade

Il tournera mal, Drieu, suivant Doriot dans le PPF et la collaboration, mais il est facile de reconstituer l’avenir en fonction du passé. A 28 ans, il est écœuré du parlementarisme imbécile, des généraux bureaucrates et de la veulerie bourgeoise. La France, minée par un siècle de révolutions et de guéguerres, est minable. Céline le dira avec verve, Malraux ira chercher en Orient ce supplément d’âme que Paris et la province étaient incapables de fournir, Gide testera l’URSS, comme Aragon, Claudel se réfugiera en catholicisme au Japon. Drieu, lui, est resté en France, amer et masochiste. Il fréquente Dada et André Breton, il s’essaie à la littérature.

Ce texte qu’il appelle roman est une autobiographie, une confession, une étude, un état civil. En bref une identité : qui est ce garçon né de Vitré côté mère et de Coutances côté père ? Un grand blond aux yeux bleus, élevé à Paris et l’été à la campagne, mal aimé par un père absent qui préfère sa vieille maitresse et se montre nul en affaires, et une mère qui sort tous les soirs. Chagrin à la Proust du départ maternel, angoisses, peur du noir, soupçons. D’être mal aimé marque pour toujours. A 5 ou 6 ans, Pierre appuie un couteau sur sa poitrine nue jusqu’au sang. Il torture sans vraiment le vouloir une poule à lui confiée, Bigarette, jusqu’à la faire mourir, passant devant le tribunal de la famille assemblée qui lui jette le cadavre à la tête. Moi faible, déchéance familiale, décadence collective, Pierre Drieu La Rochelle se sent « petit-fils d’une défaite », celle de Sedan sous Napoléon le petit, revanche du Boche sur Iéna, vaincu par Napoléon le grand. Avant le collège, Pierre était fou de Napoléon, conté par sa grand-mère maternelle. La réalité du jour est bien triste.

Mais 1918 est-il une victoire ? Les badernes s’en font gloire mais le sergent La Rochelle le sent bien : on a récupéré l’Alsace et la Lorraine mais à quel prix ? Pour quel avenir ? La France des rachitiques attachés au jouir et haineux du sport est épuisée, la revanche poussée à l’absurde prépare des lendemains qui déchantent. Les valeurs qui avaient cours avant guerre ne sont plus acceptables : c’est le grand vide, que chacun comble comme il peut, dans les colonies, aux États-Unis ou dans la fête perpétuelle du gai Paris. « Je voyais rarement mon père, je le craignais avec de lâches tendresses d’esclave qui secrètement choisit son maître » (I.IV), dit-il de lui enfant. Père aujourd’hui veule, père mythique adoré, Napoléon Bonaparte : « Il était si bon, si fort. Quelle douceur de se confier à sa toute-puissance. Voici le seul Dieu que j’ai connu. (…) Je rêvais langoureusement à ses gestes de brutale tendresse » (I.V). Amoureux des femmes, Drieu sera toujours attiré par la force virile. La défaite de 40 fera de lui un fasciste.

Pierre Drieu La Rochelle et chat

Il lit Nietzsche à 14 ans, bien trop tôt pour comprendre. Il prend la force au premier degré, celui de la brute, l’imagination enfiévrée. « Les enfants ne sont pas de la même époque, de la même race, du même continent que les hommes. Ils vivent dans des âges révolus ou attendus, compagnons farouchement tendres et dévoués. Ils sont audacieux, cruels, non point amoureux de la nature, mais ses maîtres » I.VI. L’enfant est innocence et oubli, un premier mouvement, disait Nietzsche. Mais quand l’enfant n’a pas sa place, donnée par amour de qui s’occupe de lui, il cherche un substitut. Il veut conquérir ses camarades en les « faisant jouer », malgré la faiblesse de ses poings. Il reste « ébahi devant les grues, les canons, les oignons de cuir des boxeurs » (III.I). Étonnant aveu : « Je ne me console pas, en m’utilisant comme personnage de roman, de n’être point un homme accompli » (III.IV). La société, le pays sont de même lâches et faibles : « Tout me disait notre petitesse, notre médiocrité entre les grandeurs nouvelles : Empire britannique, Empire allemand, Empire russe, les États-Unis qui avaient l’aigle dans leurs armes » (III.II).

Je ne m’étonne pas, moi, de ne pas aimer Drieu. J’ai lu État civil lorsqu’il est paru en collection l’Imaginaire Gallimard, vers la fin des années 70, époque où l’étouffoir marxiste, maoïste, gauchiste et socialiste, faisait espérer des bouffées d’air venues d’autres idées. Mais je n’ai rien retenu de ce livre, c’est dire qu’il m’a peu marqué. Car les œuvres disent les hommes qui les ont écrites et ce Drieu là est veule. « Les êtres faibles font de la faiblesse une idée. Ils y rapportent tout. Au moment d’agir, ils détruisent leurs actes devant cette image » (III.I). Cogle tourne court, s’intitule le dernier chapitre. Cogle est le surnom qu’il s’est donné, Pierre, peut-être de l’anglais cog, rouage… L’authenticité d’enfance a avorté. La faiblesse se cherchera une force, jusqu’à la trahison.

Mais il est facile de réécrire l’histoire quand on connaît la suite. Plus intéressant est détecter chez le jeune homme ce qui pourrait mal tourner. Doriot était communiste avant de virer nazi ; aujourd’hui, d’autres encensent Robespierre dans un national socialisme pas si loin de la démarche de Doriot ou de Drieu. Avec les riches comme boucs émissaires plutôt que les Juifs, mais toujours pour se dédouaner de la faiblesse intime : celle du pays incapable de s’adapter au monde, celle de la société jouisseuse et égoïste, celle de chacun qui vit pour soi. Le danger est grand de se chercher des maîtres pour sortir de son petit moi dans l’exaltation du peuple. État civil n’est pas identité mais matrice. C’est moins Drieu qu’il faut y voir qu’un certain type d’homme – qui existe aujourd’hui.

Pierre Drieu La Rochelle, État civil, 1921, L’Imaginaire Gallimard, 1977, 154 pages, €6.17

Pierre Drieu La Rochelle, Romans récits nouvelles, Pléiade Gallimard, 2012, 1936 pages, €68.87

Tous les romans de Drieu La Rochelle chroniqués sur ce blog

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