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On attend un Comité de vigilance des intellectuels antidaechistes

Requiem pour la presse libre, en tout cas pour la douzaine de Charlie Hebdo, massacrés hier aux armes lourdes. Ah, je sais ! Pas d’amalgame, pas de stigmatisation, « attendons » que la justice fasse son travail, blabla… Mais un tel attentat est signé. Commando cagoulé, armes lourdes, punition contre les livres (Haram les booko !) et contre la liberté de se moquer : on reconnait sans peine (et sans aucun tabou) l’islamisme radical. Après Toulouse et Bruxelles, les retours de flamme du califat se poursuivent et signent.

charlie hebdo prophete

Ne serait-il pas temps d’affirmer les limites ? Car en nos sociétés européennes vivent des minorités attirées par le djihad, par une version tordue de la religion, par un intégrisme de revanche. Ne serait-il pas temps de distinguer publiquement l’islam de l’islamisme, la foi du permis de violer et d’asservir, le crime de guerre du combat identitaire ?

Notre gauche braillarde des ‘Indignés’ constitue-t-elle un Comité de vigilance des intellectuels antidaechistes, comme hier antifasciste ? Ou une Action antidaechiste Paris-Banlieue ? Il semble que non… L’indignation a ses humeurs, les valeurs attendront ; elles ne sont après tout que des cache-sexe pour faire jouir sa bonne conscience. Surtout quand les bobos intellos pètent de trouille, n’osant même pas lire Houellebecq de crainte de rencontrer le diable ! C’est votre lâcheté, bobos « de gauche » bénévolante qui trouve « pittoresques les petites mosquées », « relativisent » les prêches radicaux, trouvent « incroyablement romantiques ces jeunes qui vont en Syrie », comme avant-hier Malraux guerroyer républicain en Espagne et Régis Debray guerriller marxiste auprès de Guevara.

charlie hebdo voiler violer (2)

Aujourd’hui est Daech, donc certainement le daechisme – car l’islam radical est une foi totalitaire et impitoyable. Demain verra peut-être le fascisme, car la réaction des nations est brutale lorsqu’on touche à l’intime.

D’où vient ce daechisme brutal ? Du kyste juif dans la chair arabe depuis 1947 sans doute, mais cela ne fait qu’exacerber ce qui est plus profond : le grand vide de nation, d’État, de projet social, d’identité – de tous les pays de l’arc musulman, du Maroc au Xinjiang. Autoritarisme, népotisme, corruption, sous-développement – malgré les dons, les subventions, le pétrole. Le « printemps arabe » avait donné un certain espoir; il s’effondre dans l’archaïsme, l’ignorance et les mafias cléricales qui captent Allah à leur seul profit.

La guerre entre Juifs et Arabes sur le territoire biblique revendiqué par les deux religions est en train de devenir une guerre de cent ans. Depuis les négociations de Camp David, chacun s’est enfermé dans la bonne conscience, se voyant comme unique victime de la barbarie de l’autre. La guerre apparaît à chaque flambée comme une impasse, la politique comme une surenchère démagogique d’intransigeance des deux côtés. L’immigration juive orthodoxe a radicalisé le national-judaïsme, la Terre idéalisée bloquant tout gouvernement par la représentation strictement proportionnelle qui empêche d’être légitime sans une large alliance de compromis. Le Hamas national-islamiste est paranoïaque pour la Palestine dans les années 40 et fondamentaliste par contamination des Frères musulmans dans les années 50. Ce mouvement est cruel par sectarisme, n’hésitant pas à exécuter – en pleine guerre contre Israël – certains de ses militants soupçonnés de faiblesse, ni à utiliser la population comme bouclier pour cacher des armes, des entrées de tunnels ou des réunions de chefs. Malgré l’ONU (impuissante), les bonnes intentions des pays occidentaux (soumis au veto du lobby juif américain) et le cynisme russo-chinois (tout chaos permet d’affaiblir les États-Unis), la situation négociée des « deux États » n’est pas prêt de voir le jour.

amants arabe et juif
Dans la région alentour, la naïveté missionnaire des États-Unis poussée par le désir de se venger des attentats terrestres (World Trade Center 1993, base militaire américaine de Dhahran en Arabie saoudite 1996, ambassades des États-Unis à Dar es Salaam en Tanzanie et à Nairobi au Kenya 1998), maritime (USS Cole 2000) et aérien (World Trade Center 2011), a créé le chaos. Les talibans sont chassés d’Afghanistan mais survivent dans les zones tribales frontalières du Pakistan, tandis que « l’État des purs » (musulman) joue double jeu, son gouvernement acceptant les subsides américains pour son armée mais ses services secrets (ISI) protégeant largement les groupes islamistes opposés à l’Inde, l’ennemi héréditaire. Jusqu’à « ignorer » la retraite paisible de Ben Laden, le tueur en série, à Abbottabad, un kilomètre et demi proche de la plus grosse académie militaire pakistanaise…

charlie hebdo mahomet et les cons

Dans ce vide créé par la guerre depuis 2001 – puis par l’abandon américain dès 2013 – prolifèrent tous les extrémismes mafieux qui revendiquent Allah pour imposer leur bon plaisir sur un territoire qu’ils appellent « califat ». Un nouvel empire de mille ans au nom de la race ? Non, de la religion – ce qui revient au même ou presque : qui n’obéit pas aux mêmes rites, même s’il est musulman, est envoyé en camp et réduit en solution finale. Ce Nationalisme et cet islamisme font un cocktail détonnant, qui a œuvré sous d’autres climats au siècle précédent pour créer le pire totalitarisme. Le marxisme laïc du parti Baas a échoué, comme le nationalisme arabe ; ne reste plus que l’archaïsme fondamental du Livre, interprété littéralement. Cette foi totalitaire attire dans le monde entier car elle rassure les mal dans leur peau qui cherchent leur virilité, offrant une revanche aux frustrations sociales et à la victimisation historique. Les Italiens de Mussolini comme les Allemands de Hitler, ont connu ces mêmes moments de ressentiment et de haine de soi, avec les conséquences que l’on sait.

ado chiite se fouette

Mais sunnites et chiites s’affrontent pour l’interprétation fondamentale du Coran. Selon Mathieu Guidère, professeur d’islamologie à l’université Toulouse 2, « pour les sunnites, le chef de la communauté musulmane doit être un homme ordinaire, élu par d’autres hommes, parmi les membres de la communauté des fidèles. Pour les chiites, la communauté musulmane ne peut être dirigée que par les descendants de la famille de Mahomet, des imams qui tirent directement leur autorité de Dieu et qui sont donc meilleurs et infaillibles » (revue Le Débat 182, novembre 2014). Reste que les deux sont d’accord par leur refus de séparer Dieu et César : l’islam est un guide de vie total, alliant politique et religion. Or le Livre dit tout et son contraire, justifiant de faire la guerre aux juifs et chrétiens mais leur permettant aussi un statut protégé ; interdisant d’asservir un musulman mais permettant des exceptions au bon vouloir des imams… et ainsi de suite.

Daesh massacre

L’effondrement ou l’illégitimité des États nés de l’occupation américaine (Afghanistan, Irak), l’opportunité ouverte en Syrie par la répression aveugle, font que « le djihad » attire dans la région tout ce que le monde compte de croyants, d’exaltés et de psychopathes. Les dirigeants américains sont restés longtemps complaisants envers l’islamisme, ils voient tous les mouvements religieux menés par une exigence spirituelle et une rigueur morale analogues à la leur, chrétienne – bien loin de « l’immoralité » qu’ils attribuent aux marxistes, baasistes ou anarchistes. Les vidéos par Internet ont diffusé dans le monde entier la violence et la licence sans limites des « croyants » brandissant Allah pour éradiquer l’infidèle, qu’il soit arabe ou blanc, sur le territoire de chasse reconquis de l’islam historique.

Mais disons-le : Daech n’est ni État, ni islamique ; il est une bande de nervis inféodés à un chef sanguinaire qui veut imposer sa terreur par le viol, le meurtre et le pillage. Les daechistes sont les fascistes d’aujourd’hui, avec la même foi en le sang et le sol, la même volonté de domination sur les « esclaves », la même hystérie guerrière pour tremper leur virilité machiste menacée par la modernité.

daesh crucifie

Sommes-nous toujours humanistes des Lumières et démocrates libéraux ?

  • Si oui, « le daechisme ne passera pas ».
  • Sinon, attendez-vous à la servitude volontaire, car les « droits de l’homme »vont être réduits aux seuls droits des mâles islamistes armés, la politique daechiste consistant à accaparer, violer et tuer, réduisant légitimement en esclavage toutes les femmes et tous les garçons non convertis, faisant des autres des soldats au service du chef. Comme cela se passe en Syrie selon les repentis de retour. En Europe, Charlie Hebdo le prouve après les juifs de Merah et le musée de Bruxelles, il s’agit de menacer, de terroriser, de faire taire tout esprit critique. Tout en cherchant à monter les Français « de souche » contre les Arabes « immigrés », afin que le chaos s’installe et que prolifèrent les mafias comme en Syrie, en Irak, en Afghanistan, au Nigeria, au Mali – sur l’exemple de la Bosnie d’hier.

Pour ces barbares, il s’agit de promouvoir « les idéaux de ‘rénovation’ nationale et de puretéécrit la doxa Wikipedia. Croire, obéir, combattre deviennent des valeurs, analyser et critiquer de l’insubordination. Il est donc nécessaire de faire naître un sentiment d’urgence, de désigner un ennemi commun cherchant à détruire le collectif et contre lequel le groupe tout entier doit se mobiliser. » L’article concerne le fascisme…

Abdallah Tintin au pays de l or noir

Pasolini l’écrivait déjà, en 1975 : « Une bonne partie de l’antifascisme d’aujourd’hui, ou du moins ce qu’on appelle antifascisme, est soit naïf et stupide soit prétextuel et de mauvaise foi. En effet elle combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique qui ne peut plus faire peur à personne. C’est en sorte un antifascisme de tout confort et de tout repos. » Il voyait le fascisme contemporain à combattre dans la société de consommation molle de son époque ; voyons-y de nos jours l’imprégnation de la violence et du romantisme sexuel et guerrier du ‘tout est permis’ Daech.

Alors, à quand votre vigilance contre le daechisme, intellos bobos ? A moins que Daech ne constitue la nouvelle « révolution culturelle » chère à votre vieille jeunesse, cette resucée de la « révolution nationale » des années 40 ?

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Pierre Drieu La Rochelle, État civil

Quelle idée de publier son autobiographie à 28 ans ? Mais il y avait eu la guerre, la grande, celle que tout le monde admire aujourd’hui je ne sais pourquoi, alors qu’elle fut la plus stupide des guerres européennes et une boucherie industrielle. Drieu l’a faite, en intermittent du front, puisqu’il fut deux fois blessé et une fois atteint de paratyphoïde. Il avait besoin d’évacuer l’enfance, d’effectuer un bilan de cette société qui l’avait conduit au suicide, et de sa place dans le monde.

Pierre Drieu la rochelle pléiade

Il tournera mal, Drieu, suivant Doriot dans le PPF et la collaboration, mais il est facile de reconstituer l’avenir en fonction du passé. A 28 ans, il est écœuré du parlementarisme imbécile, des généraux bureaucrates et de la veulerie bourgeoise. La France, minée par un siècle de révolutions et de guéguerres, est minable. Céline le dira avec verve, Malraux ira chercher en Orient ce supplément d’âme que Paris et la province étaient incapables de fournir, Gide testera l’URSS, comme Aragon, Claudel se réfugiera en catholicisme au Japon. Drieu, lui, est resté en France, amer et masochiste. Il fréquente Dada et André Breton, il s’essaie à la littérature.

Ce texte qu’il appelle roman est une autobiographie, une confession, une étude, un état civil. En bref une identité : qui est ce garçon né de Vitré côté mère et de Coutances côté père ? Un grand blond aux yeux bleus, élevé à Paris et l’été à la campagne, mal aimé par un père absent qui préfère sa vieille maitresse et se montre nul en affaires, et une mère qui sort tous les soirs. Chagrin à la Proust du départ maternel, angoisses, peur du noir, soupçons. D’être mal aimé marque pour toujours. A 5 ou 6 ans, Pierre appuie un couteau sur sa poitrine nue jusqu’au sang. Il torture sans vraiment le vouloir une poule à lui confiée, Bigarette, jusqu’à la faire mourir, passant devant le tribunal de la famille assemblée qui lui jette le cadavre à la tête. Moi faible, déchéance familiale, décadence collective, Pierre Drieu La Rochelle se sent « petit-fils d’une défaite », celle de Sedan sous Napoléon le petit, revanche du Boche sur Iéna, vaincu par Napoléon le grand. Avant le collège, Pierre était fou de Napoléon, conté par sa grand-mère maternelle. La réalité du jour est bien triste.

Mais 1918 est-il une victoire ? Les badernes s’en font gloire mais le sergent La Rochelle le sent bien : on a récupéré l’Alsace et la Lorraine mais à quel prix ? Pour quel avenir ? La France des rachitiques attachés au jouir et haineux du sport est épuisée, la revanche poussée à l’absurde prépare des lendemains qui déchantent. Les valeurs qui avaient cours avant guerre ne sont plus acceptables : c’est le grand vide, que chacun comble comme il peut, dans les colonies, aux États-Unis ou dans la fête perpétuelle du gai Paris. « Je voyais rarement mon père, je le craignais avec de lâches tendresses d’esclave qui secrètement choisit son maître » (I.IV), dit-il de lui enfant. Père aujourd’hui veule, père mythique adoré, Napoléon Bonaparte : « Il était si bon, si fort. Quelle douceur de se confier à sa toute-puissance. Voici le seul Dieu que j’ai connu. (…) Je rêvais langoureusement à ses gestes de brutale tendresse » (I.V). Amoureux des femmes, Drieu sera toujours attiré par la force virile. La défaite de 40 fera de lui un fasciste.

Pierre Drieu La Rochelle et chat

Il lit Nietzsche à 14 ans, bien trop tôt pour comprendre. Il prend la force au premier degré, celui de la brute, l’imagination enfiévrée. « Les enfants ne sont pas de la même époque, de la même race, du même continent que les hommes. Ils vivent dans des âges révolus ou attendus, compagnons farouchement tendres et dévoués. Ils sont audacieux, cruels, non point amoureux de la nature, mais ses maîtres » I.VI. L’enfant est innocence et oubli, un premier mouvement, disait Nietzsche. Mais quand l’enfant n’a pas sa place, donnée par amour de qui s’occupe de lui, il cherche un substitut. Il veut conquérir ses camarades en les « faisant jouer », malgré la faiblesse de ses poings. Il reste « ébahi devant les grues, les canons, les oignons de cuir des boxeurs » (III.I). Étonnant aveu : « Je ne me console pas, en m’utilisant comme personnage de roman, de n’être point un homme accompli » (III.IV). La société, le pays sont de même lâches et faibles : « Tout me disait notre petitesse, notre médiocrité entre les grandeurs nouvelles : Empire britannique, Empire allemand, Empire russe, les États-Unis qui avaient l’aigle dans leurs armes » (III.II).

Je ne m’étonne pas, moi, de ne pas aimer Drieu. J’ai lu État civil lorsqu’il est paru en collection l’Imaginaire Gallimard, vers la fin des années 70, époque où l’étouffoir marxiste, maoïste, gauchiste et socialiste, faisait espérer des bouffées d’air venues d’autres idées. Mais je n’ai rien retenu de ce livre, c’est dire qu’il m’a peu marqué. Car les œuvres disent les hommes qui les ont écrites et ce Drieu là est veule. « Les êtres faibles font de la faiblesse une idée. Ils y rapportent tout. Au moment d’agir, ils détruisent leurs actes devant cette image » (III.I). Cogle tourne court, s’intitule le dernier chapitre. Cogle est le surnom qu’il s’est donné, Pierre, peut-être de l’anglais cog, rouage… L’authenticité d’enfance a avorté. La faiblesse se cherchera une force, jusqu’à la trahison.

Mais il est facile de réécrire l’histoire quand on connaît la suite. Plus intéressant est détecter chez le jeune homme ce qui pourrait mal tourner. Doriot était communiste avant de virer nazi ; aujourd’hui, d’autres encensent Robespierre dans un national socialisme pas si loin de la démarche de Doriot ou de Drieu. Avec les riches comme boucs émissaires plutôt que les Juifs, mais toujours pour se dédouaner de la faiblesse intime : celle du pays incapable de s’adapter au monde, celle de la société jouisseuse et égoïste, celle de chacun qui vit pour soi. Le danger est grand de se chercher des maîtres pour sortir de son petit moi dans l’exaltation du peuple. État civil n’est pas identité mais matrice. C’est moins Drieu qu’il faut y voir qu’un certain type d’homme – qui existe aujourd’hui.

Pierre Drieu La Rochelle, État civil, 1921, L’Imaginaire Gallimard, 1977, 154 pages, €6.17

Pierre Drieu La Rochelle, Romans récits nouvelles, Pléiade Gallimard, 2012, 1936 pages, €68.87

Tous les romans de Drieu La Rochelle chroniqués sur ce blog

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