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Les Évadés de Frank Darabont

Le réalisateur de La ligne verte (chroniqué sur ce blog) adapte une nouvelle de Stephen King, paru dans le recueil Différentes Saisons (chroniqué sur ce blog). Un détenu à tort s’évade à l’aide d’une affiche de Rita Hayworth sur les murs de sa cellule. Pas seulement par l’imagination devant la femme, mais pour masquer le tunnel qu’il creuse derrière.

Le jeune banquier Andy Dufresne (Tim Robbins), sous-directeur (vice-president en américain) est condamné en 1947 pour avoir tué sa femme qui le trompait et son jeune moniteur de golf de huit balles – soit deux de plus que le barillet du revolver, ce qui indique la préméditation. Lui jure ne pas avoir tué. Certes il est allé devant la maison où ils bisaient ; certes il avait un revolver – mais il était ivre et il est parti au bout d’un moment sans rien faire et a jeté le revolver dans le fleuve. On ne l’a pas retrouvé en draguant le fond, ce qui met en doute sa parole. Le jury le condamne comme coupable – et à perpétuité, aux États-Unis deux fois « la prison à vie » pour les deux meurtres (les Yankees auraient-ils plusieurs vies, comme les démons?).

Le voilà conduit à la grande prison d’État de Shawshank, où il doit se soumettre à la discipline de fer du directeur Samuel Norton (Bob Gunton) – un faux-cul « chrétien » qui aime citer la Bible tout en s’affranchissant de ses commandements – et du capitaine Byron Hadley (Clancy Brown), un costaud sadique qui adore dominer à coup de matraque ceux qui ne peuvent se défendre.

Andy reste réservé mais finit par se lier à Red, un Noir américain (Morgan Freeman) qui assure un trafic de tout ce qui peut se procurer, contre un petit pourcentage. Il veut un marteau taille-pierre pour sculpter des pièces d’échec dans les cailloux de la prison. Ce qui fut fait, de même qu’une grande affiche de Rita Hayworth, qui sera remplacée au fil des ans par Marilyn Monroe éventée par la bouche de métro, puis par Raquel Welch à peine déguisée de linges. Andy Dufresne a une idée obstinée : s’évader. Il se sait innocent, injustement condamné, brimé en prison au-delà du raisonnable par une bande de pédés (les Trois sœurs) qui le violent à loisir après l’avoir tabassé.

L’espoir, tout est là – avec la volonté. Car il ne suffit pas d’attendre et d’espérer naïvement sans rien faire. L’espoir est la meilleure chose, à condition qu’il soit actif. Il mettra dix-neuf ans à réaliser son objectif mais y parviendra de façon brillante en creusant un tunnel avec le petit marteau… derrière les affiches de filles, puis en empruntant le tuyau d’égout qui mène à la rivière à cinq cents mètres des murs pour éviter l’odeur. Entre temps, il fait devant tout le monde comme si de rien n’était, utilisant sa tête à défaut de muscles pour se faire une place. Il écrit au Sénat pour obtenir des fonds pour la bibliothèque et, à force de lettres, deux par semaines sur six ans, obtient gain de cause. Il apprivoise le redoutable capitaine sadique en lui faisant économiser les impôts (fort lourds après-guerre) de l’héritage de son frère, puis en conseillant un gardien pour une épargne-études pour ses fils, enfin en rédigeant toutes les déclarations de revenus des gardiens de la prison, et même celle du directeur.

Lequel voit d’un bon œil ce détenu tombé du ciel (grâce à Dieu) qui peut l’enrichir gratuitement. Andy, par sa connaissance des failles du système fiscal et des mécanismes financiers, blanchit pour le directeur les pots-de-vin attribués par les entrepreneurs de la région pour la main d’œuvre gratuite des prisonniers. Le directeur, en bon « chrétien » puritain, voit la main de Dieu dans cette manne et ne veut surtout pas qu’Andy sorte du système.

Aussi, lorsque Tommy Williams (Gil Bellows), un jeune rocker illettré arrive en « poisson frais » dans l’établissement et qu’il déclare qu’un détenu dans une autre prison lui a raconté avec force détails le double meurtre qu’il a accompli chez le le riche play-boy prof de golf et sa pétasse qu’il était en train de baiser – la femme d’un banquier ! – Andy demande la révision de son procès. Mais le directeur ne veut rien entendre. Il va même, en bon « chrétien » croyant traditionnel, défendre sa position sociale « voulue par Dieu » et sa richesse mal acquise mais « bénie de Dieu » en faisant tuer tout simplement le garçon par le capitaine sur le mirador en « tentative d’évasion ». Il l’avait convoqué tout seul hors les murs exprès pour lui faire avouer son mensonge mais, lorsque Tommy lui a juré que le détenu lui avait vraiment avoué son double meurtre avec précision et jouissance, il l’a fait éliminer. Pas question que la poule aux œufs d’or disparaisse de la prison.

Andy, qui avait appris à lire au jeune homme et qui l’avait formé pour obtenir son diplôme primaire avec 12 de moyenne, va donc se venger. Non seulement de la société inique qui l’a condamné sans l’entendre ni même chercher bien loin, mais aussi de la prison et de ses dirigeants inhumains. Non seulement il s’évade de façon artiste en 1966, mais il va dépouiller le directeur de tous les fonds accumulés, qu’il a mis sous un nom d’emprunt, envoyer aux journaux la comptabilité de la prison qu’il tenait depuis des années, et dénoncer le capitaine comme meurtrier récidiviste de prisonniers. IL fera arrêter le sadique et se suicider en bon « chrétien » le pécheur directeur. « La Bible vous sauvera », avait dit le bon « chrétien » au prisonnier pour l’inciter à lire le Livre. De fait, Andy avait caché son petit marteau à l’intérieur des pages découpées…

Évidemment, pas de femmes, sauf en pin-up sur les murs, ce qui peut indisposer les féministes bornées. Pour le reste, le film ne manque ni d’humanité, ni d’humour. La scène où le directeur hystérique s’aperçoit de visu que le prisonnier ne s’y trouve plus, alors qu’il a été noté présent à la fermeture des grilles la veille au soir ; la scène où le vieux bibliothécaire Brooks (James Whitmore), libéré au bout de 50 ans, se retrouve sans position et désorienté dans la vie civile, inadapté au monde car « institutionnalisé » de la prison ; la scène où Andy, fraîchement évadé et ayant endossé le costume et les chaussures du directeur qui lui faisait bien cirer, se retrouve dans les banques et retire les fonds avec de faux papiers parfaitement imités ; la scène où il diffuse de la musique d’un opéra du divin Mozart par les haut-parleurs de la prison, bien meilleur que la Bible pour donner un moment de beauté absolue aux misérables…

Mais aussi la scène où Red, passant devant un jury de libération conditionnelle, se fait retoquer à chaque fois parce qu’il dit être réhabilité, et n’est enfin admis à la libération au bout de quarante ans que parce qu’il déclare qu’il ne sait pas ce que « réhabilité » veut dire et qu’il « n’en a rien à foutre ». Et qu’il va sous un arbre de Buxton, dont Andy lui avait parlé, pour trouver une pierre qui ne devrait pas s’y trouver, et la boite qu’elle recouvre, où des instructions lui sont données pour rejoindre Andy au Mexique, sur la plage de Zihuatanejo où ils vont tous deux vivre le reste de leur temps sur l’argent sale du directeur, en réparation de tout ce que la société leur a fait, pêchant, gérant un petit hôtel, conduisant en mer des touristes.

DVD Les Évadés (The Shawshank Redemption), Frank Darabont, 1994, avec Tim Robbins, Morgan Freeman, Bob Gunton, William Sadler, Clancy Brown, TF1 studios 2008, 2h16, €11,73

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Anne Perry, La promesse de Noël

Noël promet. Dans une série intitulée « Petits crimes de Noël », Anne Perry explore ses héros secondaires confrontés à des enquêtes criminelles à l’époque victorienne. Le contraste entre le symbole de l’Enfant divin qui vient au monde pour le délivrer du mal – et la société coincée, corsetée, immobile, fin du siècle impérial et positiviste, fait des étincelles sous la plume acérée de l’auteur.

Runcorn est devenu commissaire à la place de Monk. Il s’isole dans l’île d’Anglesey pour se laver des turpitudes criminelles londoniennes, mais ne voilà-t-il pas que le destin le rattrape ? Ou bien est-ce Dieu qui lui fait un clin d’œil ? Une belle jeune femme libre, sœur du pasteur et qui a repoussé tous ses prétendants, est découverte assassinée d’un coup de couteau de cuisine dans le bas du thorax. Runcorn la trouve raide, par un matin gelé, au bord du cimetière.

Il va mener l’enquête, timidement d’abord parce que ce n’est ni son pays ni son territoire, mais poussé par l’incapacité manifeste des autorités du lieu qui n’ont jamais vu ça.

C’est qu’il est bien difficile d’être juge et partie dans cette île minuscule où tout le monde se connaît depuis les Normands. Ce microcosme de la « bonne société » n’ose surtout pas briser les « convenances », ni enquêter sur les turpitudes d’autrui. Nous sommes dans le ‘can’t’, cette hypocrisie typiquement victorienne. La réalité est-elle trop crue ou trop mauvaise ? Il faut la repeindre en rose et se raconter une histoire pour rester dans le ton convenable.

C’est toute la différence entre un gentleman et un roturier de savoir faire la différence. Runcorn ne peut être bon policier et gentleman convenu. Il n’est définitivement pas du côté de l’hypocrisie sociale, quoi qu’il dût lui en coûter. Il va donc enquêter, bousculant les ententes tacites, fouiller la merde comme disent les journalistes et les flics. Mais il faut bien que quelqu’un le fasse, puisque la société anglaise « a choisi de vivre selon les lois », comme le rappelle un personnage. Ce ne sont donc ni les puissants ni le poids de la « bonne » société (celle qui domine) qui établissent la vérité ou la justice – mais les faits. Le siècle positiviste fait évoluer les mœurs vers le droit. Une société ne peut rester immobile si elle révère les faits. Les convenances sociales se révèlent donc pour ce qu’elles sont : de faux semblant, du théâtre pour les autres. Tout comme les robes grand siècle, bouffantes d’un faux-cul pour masquer le réel du corps.

Runcorn va vite découvrir qui a intérêt à ce meurtre, qui a été poussé à cette violence extrême par écroulement de son monde d’artifices, qui s’est senti insulté à l’extrême par cette femme trop belle, trop libre, trop à l’étroit dans son milieu. La tragédie s’écrit presque en trois actes, elle tourne autour de trois personnages.

Mais là où surgit la promesse de Noël est que Runcorn, second violon destiné à le rester, fait émerger tout seul la vérité, même si un autre s’en attribue officiellement le mérite. Sauf que le petit Jésus voit tout, il rééquilibre la balance. Runcorn s’est révélé tel qu’il est, tout nu devant le Créateur, tel l’Enfant de Noël : « Il s’était autorisé pour la première fois à se laisser guider par ses émotions. Cette terre immense avec ses eaux limpides, sa lumière et son horizon au-delà des rêves avaient fait de lui un homme meilleur » p.182. Ce mélange de romantisme en communion avec la nature et de behaviorisme où le milieu marque la morale, est bien anglais. Le coup de pouce de Noël est que cette vérité humaine de Runcorn lui gagne le cœur d’une femme, celle qu’il aime en secret depuis une certaine enquête, celle qui était promise à un autre.

Là, le roman policier s’élève au roman victorien avec lourdes épreuves, vertus morales et happy end. Mais, contrairement aux romans sentimentaux du 19e, c’est court et bien fait. On aime.

Anne Perry, La promesse de Noël (A Christmas Beginning), 2007, 10-18 novembre 2009, 185 pages, occasion €6.00 / ou format Kindle €10.99

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