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Confinés

Le deuxième discours du président a été, comme le premier, celui d’un intello plutôt que d’un politique : trop long, trop de mots, trop peu de clarté, des phrases à l’envers qui sont un style à l’écrit mais qui passent mal à l’oral (« allez voir votre médecin… bla-bla… mais d’abord téléphonez » au lieu de « n’allez pas voir votre médecin, sauf si… »). Il parlait trop vite, ne martelant pas les points importants. Il a répété six fois « nous sommes en guerre » sans que cela signifie quoi que ce soit de concret (on fait quoi ?). Sinon un rappel de son prédécesseur Hollande qui parlait de « guerre contre le terrorisme » – tout en maintenant « l’Etat de droit » pour les terroristes (!). Sinon aussi un fâcheux rappel à l’Exode de 40 où « la guerre » (un virus étranger qui pénétrait sur le territoire) avait fait fuir les Parisiens hors de la capitale : justement ce qui s’est produit dimanche et lundi.

Le confinement est là, même si le président n’a pas prononcé le mot, un étrange tabou. Serait-ce du politiquement correct que d’appeler un chat autrement qu’un chat ? Toujours est-il qu’il fallait en arriver là, tout comme les Chinois, les Coréens, les Italiens, les Espagnols un mois ou dix jours avant. Les Français insouciants ou volontiers dédaigneux qui n’avaient pas pris la menace au sérieux se sont retrouvés le bec dans l’eau et le frigo à sec. Les Anglo-saxons, partisans du darwinisme revu par Spencer décident pour l’instant « que les loosers crèvent » ou que « les meilleurs gagnent » (ce qui est la même chose). Ils n’ont pris aucune mesure : que le virus se développe, qu’il contamine, qu’il fasse ses morts nécessaires, après, tout le monde sera tranquille.

Le pire étant (comme d’habitude) le gros paon vantard de Trump, pour qui le coronavirus est un « virus étranger » (suivez mon regard) à qui l’on doit interdire les frontières en les fermant drastiquement, comme à tout immigré. D’où annulation de tous les vols en provenance d’Europe – sauf du Royaume-Uni – dont les contaminés inévitables feront crever les cousins Ricains plus vite.

La bourse ne s’en remet pas, y compris à Wall Street, patrie pourtant du « deal ». Mais qu’y a-t-il à « dealer » lorsque l’ennemi est mortel ? La bourse ou la vie ? Le dealer en chef étant incompétent, sinon impotent, la Fed ayant baissé ses taux trop fort et trop vite pour garder une quelconque marge de manœuvre – tout en montrant ainsi que la situation était PLUS grave que prévue ! – il ne reste plus RIEN entre le virus et l’économie. Qui va mal, qui ira plus mal. Qui se redressera une fois la crise passée, mais pas avant un trimestre au moins.

La débâcle boursière est « normale » : la crise est imprévue (donc risque croissant) et inédite (donc futur inconnu). C’est à mon avis presque le moment de réinvestir pour ceux qui ont des liquidités. La crise sanitaire ne va pas durer des mois mais probablement jusqu’à l’été (où la chaleur assèchera le virus plus efficacement). En revanche, les conséquences économiques seront graves (récession en 2021 et résultat des entreprises en baisse) et exigeront des recentrages anti-mondialisation, donc des bouleversements utiles mais boursièrement anxiogènes : tout ce qui dérange les programmes automatiques nécessite de les reprogrammer, d’où délai – et vente d’abord.

Il est banal de le redire mais si la bourse baisse, c’est qu’il y a plus de vendeurs que d’acheteurs… Les acheteurs existent donc toujours (sinon il n’y aurait AUCUNE transaction, comme quelques semaines en 2008), mais ils sont moins nombreux. Il faut avoir 1/ des liquidités en attente et 2/ une position à moyen terme optimiste (ou professionnelle) pour se lancer à l’achat. A court terme, ce sont les robots automatiques aux algorithmes aveugles qui font le jeu. C’est un effet de la technique : la donne a changé. En revanche, sur le moyen-long terme, les fondamentaux classiques restent plus que jamais valables. Or ces fondamentaux montrent une récession probable avant tout rebond. L’économie et la bourse étaient d’ailleurs fragiles, dopés par les liquidités injectées de force depuis des années par « les » banques centrales, en premier lieu la Fed américaine.

L’examen des graphiques de l’indice américain Dow Jones sur 10 ans, 5 ans et 3 mois le montre : la bourse s’est envolée depuis de trop nombreuses années pour qu’un retour à des niveaux plus compatibles avec la réalité ne soit nécessaire (et désirable). La chute est brutale, à la mesure de l’envolée. L’analyse graphique montre que la baisse n’est pas terminée mais doit faire un petit rebond avant de retomber à un plus bas (une figure en W). Peut-être sera-ce au moment où les Etats-Unis seront touchés par la pandémie, dans quelques semaines, peut-être vers le point bas atteint en 2018 ? Nous avons en effet, depuis 2015 et le W caractéristique sur le graphique à cette époque, connu la dernière phase de hausse boursière, effacée de 32% en quelques semaines. Le CAC 40 a surréagi, avec la brutalité en un mois des algorithmes automatiques, crevant son support à 4000 ; on peut supposer que la fin de la purge est proche, réalisée à 95%. Mais les indices européens ne pourront se redresser sans un redressement des indices à Wall Street : encore un peu de patience.

Pour le futur, l’économie renaîtra, elle renaît toujours. L’échéance est probablement à situer vers la fin de cette année. Le rebond des achats et contrats différés sera fort, comme d’habitude, mais des réorientations stratégiques sont inévitables. On ne traverse pas une crise sanitaire mondiale de cette ampleur sans prendre la mesure de l’éloignement des producteurs de pièces détachées, des médicaments, et d’une part de l’alimentation. Ni sans prendre en compte, désormais, les frontières : elles existent, elles se manifestent par leur fermeture politique – brutale et unilatérale, sans « deal » possible. D’où une certaine « démondialisation » dans les années à venir et le rapatriement d’une part « stratégique » de la production sur les territoires nationaux. Et un retour de l’Etat dans le pilotage.

Ce réflexe est assez sain et il est seulement dommage qu’il faille une crise pour l’y forcer. La Chine est peut-être un pays qui ne cesse d’émerger, mais il est avant tout un concurrent sévère, sinon un ennemi bientôt dominateur. Il ne faut pas le perdre de vue. La Russie, riche de matières premières, d’un immense territoire (vide) et d’investissements militaires privilégiés, est moins dangereuse pour l’Europe que la Chine à terme. En effet, la démographie russe décline et le prix des matières premières qu’elle possède en abondance (pétrole et gaz) décline aussi. La faute aux énergies renouvelables mais aussi à la politique étrangère inepte de Trump, au Moyen-Orient comme ailleurs, qui voit l’Arabie Saoudite et la Turquie se rapprocher de la Russie et contrer les Etats-Unis sur le prix du pétrole et le choix des armes. Le prix du baril chute dramatiquement, le gaz et le pétrole de schiste américain deviennent moins rentable à exploiter… entraînant un peu plus la récession aux Etats-Unis.

Il y a donc un créneau pour l’Europe dans son processus d’union fédérale. Chaque Etat montre qu’il reste à la fin souverain (le chacun pour soi des mesures sanitaires le prouve) mais aussi qu’une attitude commune sur les frontières (Schengen) et sur la production (par exemple les masques) reste indispensable pour ne pas se diluer et devenir inféodé à l’un ou l’autre des blocs antagonistes pour ce qui est essentiel (médicaments, alimentation, énergie).

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Marine Le Pen pour 2012 ?

Article repris par Medium4You.

Droite, gauche, tout a changé avec la crise. 2012 ne sera pas 2007.

La question de la droite est celle du communautarisme national. La nuisance Le Pen ne se posait pas en 2007, car l’on sortait d’une quinzaine d’années Chirac (Premier ministre puis Président) et d’une dernière année Jospin catastrophique, le social s’usant dans la démagogie dépensière et clientéliste. Autant elle se pose avec la nouvelle Marine. Il n’y en avait en 2002 que pour le « social », sésame et mantra de la gauche d’époque, ce qui signifiait pour les trois quarts de la population votante des classes populaires et moyennes inférieures : du fric pour « tous » mais pas pour nous. Le « tous » était réduits aux zexclus et autres immigrés ghettoïsés. Sans que baisse la délinquance ni les incivilités, ni même la revendication communautariste islamiste, au contraire. Avec talent, Nicolas Sarkozy a récupéré ce ressentiment des « petits » avec le karcher et le travailler plus pour gagner plus. Il y avait là un projet concret de société, à court terme certes, mais comme patch acceptable au pacte républicain après l’ère des rois fainéants, de Mitterrand II à Chirac II.

Hélas ! Les pesanteurs de la toute-puissante Administration (décrets d’applications qui tardent ou ne sont jamais sortis, mammoutherie éducative, bureaucratie dantesque de la santé…), les lobbies de toutes sortes (surtout à l’UMP), l’euphorie de nouveau riche du candidat parvenu, la crise financière devenue économique et européenne, ont conduit Nicolas Sarkozy à faire du cosmétique. Des effets d’annonce non suivis d’effets concrets ; une « paix sociale » achetée à coup de millions sur les régimes spéciaux ; une tétanisation de l’emploi qui gèle tout allègement de subventions aux patrons et tout rabot de niche fiscale orientée entreprise. Quel sera le projet 2012 de la droite pour l’avenir ? Difficile de le dire. En tous cas pas la rupture comme en 2007. Marine Le Pen récupère les protestataires de droite.

La question de la gauche est celle du projet de société. Vouloir une Europe plus sociale avec souci des travailleurs, des familles et de l’environnement, investissement d’État dans les infrastructures que le marché juge non rentable, régulation du marché financier, priorité à l’éducation et à la formation, tout cela est bel et bon. Et probablement indispensable pour les assises d’un capitalisme durable. Mais prolonger l’État-providence en l’adaptant à la marge n’est pas en soi un projet. La politique exige autre chose, une claire vision du monde qui émerge et ses conséquences réalistes sur le vivre ensemble. Qu’est-ce qu’une bonne société ? Silence de mort à gauche. Est-ce le passé proche idéalisé des années pré-11 Septembre ? Les Trente glorieuses enfuies, où existaient deux blocs, les deux tiers de l’humanité dans le sous-développement et des frontières ? Est-ce le « mouvement social » depuis 1936 avec les zacquis sacralisés ? Qu’en est-il du projet de gauche dans ce nouveau monde globalisé où les deux tiers sous-développés émergent à la production ?

La gauche se pose en protestation permanente contre tout ce qui change l’âge d’or (fantasmé). Et comme brailler en manif est à peu près la seule expression « de gauche » qui reste, cela montre son impuissance à proposer. Au fond, la gauche proteste contre TOUT ce qui change. Est-ce autre chose que du conservatisme ? Il y avait bien eu un espoir avec Ségolène Royal et ses promesses de « démocratie participative ». Mais cela a tourné court, entre la légèreté de la candidate et les réticences d’un parti de vieux, principalement fonctionnaires, à penser autrement la vulgate marxiste de leurs années de jeunesse. Aujourd’hui, Ségolène Royal dit seulement « j’ai envie ». C’est bien, mais c’est peu. Envie de quoi ? D’un noir désir d’avenir en style Harlem ? Marine Le Pen va récupérer les protestataires de gauche pour qui entre les blancs bonnets et les gueulards sans avenir, elle reprétente « la France ». Et c’est quand même quelque chose de plus que la soupe Mélenchon, « la France ».

Or la France n’est pas dans le cas de la Tunisie, qui émerge par les émeutes de 23 ans de pouvoir autoritaire clientéliste. La « révolution » fait peut-être bander la gauche, mais Nicolas Sarkozy n’est élu que depuis 4 ans. Même si Michèle Alliot-Marie aurait mieux fait de se taire en proposant au Président Ben Ali le savoir-faire français en matière de maintien de l’ordre (elle vient de rectifier), le grand chambardement n’est qu’un fantasme dans la mesure où la société civile n’est pas brimée en France comme elle l’est en Tunisie. D’autant qu’il s’agit pour l’instant, selon une analyse marxiste, d’une révolution bourgeoise de classe moyenne éduquée hantée par le chômage et la corruption des élites, révolution faite en 1789 déjà. L’individualisme « postmoderne » fait en France du chacun pour soi et de la laïcité publique un état de fait.

Ce pour quoi l’essor Le Pen est un symptôme qui va compter cette fois en 2012. Nous l’avons écrit, le vieux raciste pétainiste s’est métamorphosé en femme moderne qui fait de l’intégrisme républicain son credo. De quoi revitaliser le pacte national, après tout bien aimé des Français. Bien sûr, il y a du fascisme dans le projet Le Pen. Il ne faut pas avoir peur des mots à condition de les définir. Qu’est-ce que le fascisme ? Le primat de la force sur le droit, de la Nature (devenue religion) sur la culture (comme processus de civilisation des instincts). Cela se traduit par un darwinisme national (on disait hier « racial ») et un darwinisme social. Les étrangers et les faibles sont rejetés, boucs émissaires faciles de tous les maux de la société. Il s’agit bel et bien d’un communautarisme, mais français, blanc, chrétien.

L’Ennemi, c’est l’Arabe. Il est le symbole de l’immigré, du pauvre, du musulman – au fond tout ce qui n’est pas « national » et – pire ! – celui qui a chassé la France du département français d’Algérie. Plus largement, l’ennemi est tout ce qui permet à l’Arabe de venir et de rester en France en revendiquant ses coutumes : 1789 qui fait par principe (après l’Évangile…) les humains tous égaux entre eux sur la terre, le libéralisme qui relativise les cultures, le socialisme marxiste qui néglige les idées et les coutumes pour se focaliser uniquement sur la production et les « moyens », la mondialisation anglo-saxonne qui permet le libre-échange des hommes.

D’où pour les Le Pen, père et fille :

  • Refus de la mondialisation
  • Refus de l’Union européenne
  • Refus de la société multiculturelle

Cela parle aux chômeurs ouvriers, jeunes ou seniors ; cela parle aux déclassés, diplômés précaires, petits commerçants, agriculteurs endettés, épargnants lésés. Comme sous Mussolini, c’est le Peuple (entité idéale) contre les élites, les petits contre les gros, les nationaux contre les étrangers allogènes.

La France va-t-elle suivre cette démagogie qui joue des peurs et des fantasmes, prenant ancrage dans la crise économique et l’enrichissement indu de quelques-uns ? Nous ne le croyons pas. Marine Le Pen, puisqu’elle a gagné ses « primaires », va certes engranger des voix protestataires.

  • Hier elles allaient au parti communiste, sans que les Français ne veuillent une dictature stalinienne ;
  • Demain elles iront au Front national sans que les Français ne veuillent une dictature fasciste.

Car l’ambiguité Le Pen est là : si les Français sont volontiers bonapartistes, autoritaires et caporalistes, ils sont héritiers de la Révolution et les Lumières. Les populistes souhaitent – n’en déplaise à la gôch ! – un Sarkozy+ et pas un néo-Mussolini. Le fascisme, quelle que soit son origine (mussolinien, hitlérien, franquiste, salazariste, pétainiste), est anti-1789, national-conservateur, pas universel-émancipateur : il souhaite le retour à la société organique où le Chef incarne le Peuple comme entité ethnique, religieuse et culturelle (une foi, une loi, un roi). Pour les Français d’aujourd’hui, l’intégrisme républicain oui, le racisme, non ; la souveraineté oui, la sortie de l’euro, non ; l’interdiction du voile oui, les tabous sur le nombre de Noirs ou d’Arabes délinquants, non.

L’électeur, qui a parfaitement compris les suffrages sous la Ve République, envoie un « message » aux politiciens qui, de toute façon, gouverneront. S’il existait une proportionnelle à l’Assemblée, il y aurait plusieurs dizaines de députés du Front national. Mais ils devraient en ce cas débattre publiquement et proposer ce qui est possible (et pas un fantasme). Leur score fluctuerait en fonction de leur réalisme et des alliances qu’ils seraient capables de nouer en fonction des circonstances. Pour la présidentielle, c’est autre chose. Nous l’avons vu en 2002, Le Pen n’a guère ramassé plus que son plein de voix du premier tour au second. Chirac n’était pas aimé, mais mieux valait Chirac.

En 2012, le Front national risque donc de diviser la droite au premier tour, mais la gauche encore plus. Marine apparaît plus charismatique que Martine devant le populaire, et moins technocrate féministe que Ségolène. Mélenchon divisera plus encore à gauche, surtout si DSK ne se présente pas. Au second tour Nicolas Sarkozy, malgré ses défauts, a des chances de l’emporter – par division à gauche et par montée de l’extrême à droite. Il ne s’agit pas de ‘whishfull thinking’ mais du point de vue de l’analyste politique : le président actuel pourrait apparaître en rassembleur, modéré, avec la légitimité du sortant.

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