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Poutine-Hitler même Kampf

Le parallèle entre l’action d’Hitler et celle de Poutine me semble ressortir du mimétisme. Le kaguébiste empli de la grandeur de la sainte mère Russie, selon lui Troisième Rome de notre temps, est proche du messianisme délirant sur la « race » aryenne établie en grande Allemagne pour un règne de « mille ans ».

Cela dès le départ :

  • Tous deux sont possédés par « la patrie » au point d’en faire une terre de mission avec « espace vital » et glacis d’Etats tampons.
  • Tous deux sont obsédés d’idéologie, pliant les faits à leur volonté, parfois audacieux mais souvent aveugles aux réalités des faits.
  • Tous deux méprisent la démocratie, ce régime faible de parlotes où les médiocres prolifèrent.
  • Tous deux vénèrent la force et agissent en cyniques, manipulant les masses et maniant le mensonge par tactique. Tout est bon pour réussir, même le pire.
  • Poutine commence à 46 ans en faisant fomenter plusieurs attentats dans la banlieue de Moscou qui tuent trois cents civils en septembre 1999 ; Hitler est nommé chancelier à 44 ans et fait incendier dans la foulée le Reichstag tout en ouvrant le premier camp de concentration de Dachau.
  • Poutine débute la guerre en Tchétchénie et l’asservit par une occupation suivie d’un régime à la botte. Cette violence crue de gamin des rues plaît aux Russes assez frustes ; la popularité de Poutine augmente, tout comme celle d’Hitler après chaque meeting aux affrontements sanglants des SA. Comme si la violence légitimait la foi, la rendait « de nature ».
  • Une fois au pouvoir, Poutine comme Hitler mettent au pas les puissants qui croyaient avoir placé une marionnette aux fonctions suprêmes. C’est le cas des gros industriels pour Hitler, c’est le cas des oligarques pour Poutine. La plupart des grands médias passent aux mains amies, permettant à la propagande d’asséner l’idéologie.
  • Les puissants politiciens ou industriels en opposition sont tués ou emprisonnés, lors de la Nuit des longs couteaux d’Hitler ou lors des empoisonnements, « suicides » ou balles dans la tête de Poutine.

Dès 2007 Poutine assume sa guerre contre le reste du monde. La Russie est une grande puissance affaiblie par les traités de 1991, les autres en profitent et notamment les Etats-Unis qui veulent dominer le monde. « L’Union soviétique à la fin des années 80 du siècle dernier s’est affaiblie, puis s’est complètement effondrée », déclare Poutine dans son discours du 24 février 2022 publié par l’agence officielle Tass. Hitler a fait de même : l’Allemagne, grande puissance affaiblie par le traité de Versailles, est asservie aux puissances alliées, les États-Unis en tête. Elle doit se réarmer et redresser la tête : ce que fait Hitler, ce que fait Poutine. Accuser les autres de ses propres travers est le b-a ba de la manipulation : la guerre, c’est la paix ; la liberté, c’est l’esclavage ; l’ignorance, c’est la puissance. C’est Orwell 1984, c’est Hitler, c’est Staline, c’est Poutine. « Qui contrôle le passé contrôle le futur (…) qui contrôle le présent contrôle le passé ». D’où l’asservissement des médias et les « procès » contre ceux restés indépendants, l’interdiction de financements étrangers, la relecture des manuels scolaires et la réécriture de l’histoire dans le sens voulu. Poutine-Hitler, même combat.

Certes, les États-Unis ont exporté la guerre et Poutine le détaille dans son discours de revanche. En Afghanistan (mais il était le foyer du terroriste international Ben Laden, coupable des quelques 3000 morts des attentats du 11-Septembre), en Irak (mais Saddam Hussein avait tenté de faire assassiner le président des États-Unis), en Syrie (mais des armes chimiques, en violation des traités, avaient été utilisées par le régime et Bachar el-Hassad avait relâché exprès une myriade d’islamistes terroristes dangereux de ses prisons). Poutine ne dit rien de l’invasion soviétique (russe) de l’Afghanistan, ni de la mise au pas de la Hongrie en 1956, de la Tchécoslovaquie par les chars en 1968, de l’asservissement de la Pologne avec le général Jaruzelski en 1981, de la guerre en Géorgie en 2008. Il ne parle que de ce qui l’arrange. Son idée-force est vieille comme la Russie : la paranoïa de l’encerclement, la forteresse assiégée – tout comme l’Allemagne sous Hitler. « L’importance territoriale proprement dite d’un Etat est ainsi, à elle seule, un facteur du maintien de la liberté et de l’indépendance d’un peuple ; tandis que l’exiguïté territoriale provoque l’invasion », écrivait Hitler dans Mein Kampf. D’où la grande respiration exigée du Lebensraum, de l’espace vital nécessaire au peuple aryen-allemand pour se sentir en sécurité et avec les ressources naturelles nécessaires. Poutine recherche lui aussi un glacis contre « l’OTAN », comme si l’adhésion demandée par les ex-États du pacte de Varsovie était un machiavélisme américain et non pas une peur de la Russie par des États trop longtemps sous son joug. « Agrandir l’espace vital et assurer la subsistance du peuple russe », justifie-t-il – comme Hitler.

La Russie est fondamentalement européenne mais Poutine ne veut pas le savoir. Il se croit encore une puissance mondiale avec ses 142 millions d’habitants (moins que le Brésil aujourd’hui, autant que la Tanzanie ou les Philippines dans trente ans) alors qu’il n’est qu’un pays déclinant, au PIB proche de celui de l’Australie et du Brésil, face à une Chine conquérante, avançant – elle – à marche forcée vers le progrès et la puissance économique. Que sera la Sibérie (10 millions d’habitants seulement) dans quelques décennies, face à une Chine d’1,4 milliard d’habitants avides de matières premières et de territoires neufs ? Se rapprocher de l’Europe aurait du sens stratégique, pas de la Chine qui avalera sa proie sans sourciller – question de masse et de puissance. Il est étonnant qu’un adepte des rapports de forces comme Poutine ait ce genre de raisonnement de petit garçon vantard en cour de récré. Dans la théorie marxiste, le fascisme est la réaction des classes dirigeantes lorsqu’elles se sentent menacées ; un raidissement policier, moral et militaire pour faire front au changement. Poutine a été élevé par la théorie marxiste, il obéit à ce qu’il croit une loi de l’Histoire, son autoritarisme de réaction en témoigne.

Parce qu’il y a pour lui autre chose, de plus fondamental.

« En fait, jusqu’à récemment, les tentatives de nous utiliser dans leurs intérêts, de détruire nos valeurs traditionnelles et de nous imposer leurs pseudo-valeurs, qui nous rongeraient, nous, notre peuple, de l’intérieur, ces attitudes qu’ils imposent déjà agressivement dans leurs pays et qui mènent directement à la dégradation et à la dégénérescence, car elles sont contraires à la nature humaine elle-même, n’ont pas cessé », déclare encore Poutine dans son discours du 24 février. Il accuse l’Occident de véhiculer des valeurs de dérision, de pornographie, de perversion des mœurs, de changements de sexe, d’avortements de convenance, de métissage racial – tout ce que dénoncent en France Zemmour, aux Etats-Unis Trump, en Hongrie Orban, et hier Hitler dans la République de Weimar comme dans l’empire austro-hongrois. La Russie de Poutine comme les réactionnaires occidentaux sont revenus à la mentalité catholique bourgeoise de 1857 du procès contre Madame Bovary, avant celui contre Les Fleurs du mal. Il était reproché « l’immoralité » d’exposer des faits réalistes sans personnage ni auteur pour les juger. En effet, la démocratie demande à chacun d’être juge, pas à l’Eglise ni à l’Etat : c’est cela, la liberté.

Mais ce qui est débat démocratique chez nous (environ un tiers des Français sont d’accord avec la droite extrême aujourd’hui) est blasphème chez lui : il ne discute pas, il interdit. Comme Hitler dans Mein Kampf : « Il ne s’offrira donc dans l’avenir que deux possibilités : ou bien le monde sera régi par les conceptions de notre démocratie moderne, et alors la balance penchera en faveur des races numériquement les plus fortes ; ou bien le monde sera régi suivant les lois naturelles : alors vaincront les peuples à volonté brutale, et non ceux qui auront pratiqué la limitation volontaire ». Poutine ne se sent pas « européen » dans ce sens-là des libertés. Il fait siens les propos d’Hitler dans son livre de combat : « plus le véritable chef se retirera d’une activité politique, qui, dans la plupart des cas, consistera moins en créations et en travail féconds qu’en marchandages divers pour gagner la faveur de la majorité, plus la nature même de cette activité politique conviendra aux esprits mesquins et par suite les captivera ». Il veut guider le peuple comme le chef charismatique qu’il se croit après 22 ans de pouvoir sans partage : un Führer, un Petit père des peuples, un Grand timonier, surtout pas lui laisser la liberté, ni la responsabilité qui va avec.

Lorsqu’il déclare « Au cœur de notre politique se trouve la liberté, la liberté de choix pour tous de décider de manière indépendante de leur avenir et de l’avenir de leurs enfants », ce n’est rien moins qu’Hitler réclamant la liberté pour « la race » de vivre selon sa force et de s’épanouir sans contraintes… sous le régime du Guide. Les opposants sont des malades mentaux, des inconscients, des pervertis, des « espions de l’étranger ». En bref : la liberté, c’est l’esclavage. N’expose-t-il pas, Poutine, que « le bien-être, l’existence même d’États et de peuples entiers, leur succès et leur vitalité trouvent toujours leur origine dans le puissant système racine de leur culture et de leurs valeurs, de l’expérience et des traditions de leurs ancêtres et, bien sûr, dépendent directement de la capacité de s’adapter rapidement à une vie en constante évolution, de la cohésion de la société, de sa volonté de se consolider, de rassembler toutes les forces pour aller de l’avant » ? Adolf Hitler dans Mein Kampf écrivait : «  Qu’on élève le peuple allemand dès sa jeunesse à reconnaître exclusivement les droits de sa propre race; qu’on n’empoisonne point les cœurs des enfants par notre maudite « objectivité » dans les questions qui ont trait à la défense de notre personnalité ». Ein Volk ! Ein Reich ! Ein Führer ! En Allemagne hier comme en Russie aujourd’hui.

En ce sens, l’allusion à « une anti-Russie » dans le discours vise moins à la sécurité militaire qu’au mauvais exemple donné par les libertés à l’occidentale. La Russie de Poutine ne veut pas être contaminée par les contestations « démocratiques » – ce pourquoi on empoisonne, on emprisonne, on interdit l’ONG Memorial qui documentait les crimes soviétiques, on accuse de « pédophilie » ou de malversations financières tous les opposants aux pseudo « élections ». C’est que la démocratie autocratique n’a rien de la démocratie : le peuple ne décide pas, il se contente d’acquiescer et de faire comme on lui dit. Il s’agit clairement d’une tyrannie : selon Aristote, la tyrannie est lorsque « le pouvoir politique est entre les mains d’une seule personne cherchant son propre bien ou celui de sa famille ». Le chaos démocratique des opinions contradictoires qui se percutent et négocient un compromis majoritaire n’est pas dans l’ADN du Kremlin et, depuis la révolution orange de 2004 puis les manifestations de Maidan de 2014, l’Ukraine prenait la pente européenne des démocraties – un danger suprême pour le pouvoir de Poutine ! Le mauvais exemple d’un pays-frère qui pourrait faire tache d’huile à la Navalny (Ukrainien par son père).

Dès lors, le mécanisme à l’hitlérienne de l’invasion est planifié.

Comme dans les Sudètes où une présence allemande avait fait « appeler » la Grande Allemagne au secours pour réunifier le peuple germanophone de Tchécoslovaquie, « les républiques populaires du Donbass ont demandé l’aide de la Russie », dit Poutine dans son discours. Elles servent de base et de prétexte contre « des abus et à un génocide par le régime de Kiev ». Cela après l’annexion manu militari de la Crimée considérée comme historiquement russe (comme Hitler fit de la Sarre et de l’Autriche). C’est une politique internationale analogue à celle des SA dans la rue ; une politique que le très jeune Vladimir a pratiqué dans les rues de Leningrad avant d’être repris en main à 16 ans par un « bienfaiteur ». Les négociations « à Munich » rappellent celles d’Hitler (quelle bourde de la diplomatie allemande ou européenne que d’avoir fixé à Munich ces pseudo-négociations avec Poutine ! Les technocrates n’ont-ils aucune notion du symbole?). Négocier ne signifie d’ailleurs pas grand-chose pour les Hitler ou Poutine : « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à vous est négociable », disait-on du temps de l’URSS. Staline l’avait appris d’Hitler et Poutine le reprend à son compte. Le protectorat hier de Bohème-Moravie veut se transformer aujourd’hui sous Poutine en protectorat d’Ukraine-Moldavie.

Pour cela, accuser les autres, les ennemis, de « génocide », de « nazisme ». Le président juif Zelenski de l’Ukraine ne fait pas un nazi crédible, il serait plus du côté des cabarets de la République de Weimar lorsqu’il joue du piano avec sa bite (pour les puritains religieux horrifiés, il s’agit d’une illusion comique – on ne voit aucun sexe). L’injure « hitléro-fasciste », comme le rappelle le trotskiste Alain Krivine récemment disparu, est l’anathème favori des staliniens – il ne recouvre rien d’autre que la haine absolue contre ce qui représente l’antiparti, la lutte à mort. Lorsque l’armée de Poutine rase sous les bombes la maternité de la ville (russophone) de Marioupol (comme à Grozny en Tchétchénie, comme à Alep en Syrie), est-ce pour éradiquer les bébés nazis ? A chaque fois les frappes russes visent intentionnellement les populations civiles, les hôpitaux et les secours – y compris les convois humanitaires ; c’est une tactique de terreur volontaire. Vous ne vivrez que si vous vous soumettez, sinon on empilera vos têtes comme le fit Gengis Khan.  

Lorsque Poutine évoque dans son discours « les bandes punitives des nationalistes ukrainiens, collaborateurs d’Hitler pendant la Grande Guerre patriotique, [qui] ont tué des gens sans défense », on dirait qu’il parle de ses propres bandes armées lorsqu’elles envahissent l’Ukraine. Comme toujours, accuser les autres du mal qu’on fait est la base de la manipulation. Un mot sur les « nazis » ukrainiens : ils existent mais ont peu de chose à voir avec ceux d’Hitler. Une milice privée nationaliste analogue au groupe russe Wagner s’est créée en 2014 après le séparatisme du Donbass encouragée par la Russie ; elle a été financée par un oligarque ukrainien juif, Kolomoïsky, parce que le gouvernement ne se défendait que mollement. Elle ne comprenait que quelques centaines d’hommes. Versée en 2016 dans l’armée régulière sous le nom de régiment Azov, elle attire surtout les jeunes qui en veulent, y compris de nombreux juifs qui sont nationalistes mais pas nazis ! Même si quelques symboles du passé sont repris, c’est clairement contre les Russes, qui ont affamé l’Ukraine en 1932-33 et ont entraîné 5 millions de morts ; lorsque les vrais nazis sont arrivés, une division de grenadiers SS nommée Galicie a été constituée par les nationalistes ukrainiens opposants à l’Union soviétique. Il s’agit donc d’une réponse en défense d’une attaque, pas d’une idéologie née de rien, ni surtout « encouragée » par l’Occident (le Congrès américain en a interdit en 2015 le financement, avant que cela ne soit aboli par l’équipe Trump).

Mais à quoi bon tenter de réfuter des mensonges aussi bruts que ceux qui les profèrent ? Seule la force des mots compte, pas la réalité des faits. Il y a comme un suicide analogue à celui d’Hitler dans l’attitude jusqu’au-boutiste de Poutine qui préfère sacrifier sa race aryenne son peuple russophone à ses idées obtuses… Le bombardement des abords d’une centrale nucléaire ukrainienne est de cette eau, tout comme la répétition des menaces d’user de la Bombe au cas où « l’OTAN » franchirait une « ligne rouge ».

Oui, il y a bien des parallèles entre Poutine et Hitler !

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Se situer à droite

Qu’est-ce donc qu’être « à droite » ? A part une injure stalinienne, reprise volontiers par les intellos et les politiciens « bien sous tous rapports » de la gauche mainstream, se trouver à droite de l’échiquier politique renvoie à une façon différente de voir le monde.

  • Les Girondins voyaient l’homme dans son humanité mêlée, vertus et vices, générosité et égoïsme, élans et préjugés ; la pratique politique devait pour eux tenir compte de l’existant : des gens, des circonstances et du possible.
  • Les Montagnards, à l’inverse, faisaient de la Vertu un angélisme abstrait, poussant la pureté au fanatisme ; la pratique politique devait tout aux principes et rien aux négociations, méprisant contraintes et doutes, visant à conduire l’Homme-en-soi (et pas les gens concrets) vers la perfection malgré lui.

De cette distinction fondatrice de la Révolution se distinguent deux tempéraments : la droite veut coller à l’expérience et au « réel » ; la gauche lui oppose l’idéalisme des bons sentiments et des « principes » rationnels, le monde des Idées immuables.

Est-ce à dire que la droite serait férue d’identité historique collective alors que la gauche préférerait l’individualisme émancipateur sans cesse à creuser ici et maintenant ? Les gens de droite se montrent volontiers individualistes et les gens de gauche plutôt collectivistes : nous voyons bien combien la distinction fondée sur l’identité est compliquée ; comme le mot « libéral » (que nous verrons ultérieurement), il s’agit d’un concept flou. Le particularisme peut très bien se conjuguer à l’universalisme, chacun peut se sentir Corse ou Breton ou autre, et en même temps Français, puis Européen, Occidental du monde libre, et habitant d’une même Terre. Il n’y a que lorsque l’on radicalise sa position que tout bascule… à droite comme à gauche.

protection-ou-initiative

L’universalisme dégénère vite en colonialisme « civilisateur » avec la mission d’apporter le progrès à une humanité à demi-sauvage dans les brumes de l’obscurantisme : c’est pourquoi la gauche était volontiers pro-coloniale fin XIXe. Plus tard, ce même universalisme des « droits » (droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, droits de l’Homme, libre-échange) a pu dégénérer en impérialisme, les Etats-Unis, l’ex-URSS et la Chine en sont les derniers exemples – mais aussi l’ingérence « humanitaire » pas toujours distinguée de l’ingérence tout court.

Le particularisme vire à l’identarisme ethnique ou au communautarisme religieux. Poussé au bout, il engendre le racisme, où le même fantasme de pureté et de purge qu’en religion atteint le biologique et l’ethnique. Ce sont alors les génocides (létaux) et les épurations ethniques (par l’exil). De la Turquie anti-arménienne puis anti-grecque à l’Allemagne nazie anti-juive et anti-tsigane, à la Serbie, au Rwanda et ailleurs, jusqu’à l’islam salafiste ou wahhabite, l’identité mythifiée proscrit les mariages mixtes, jette la suspicion sur les origines et exige l’adhésion enthousiaste et fusionnelle avec le groupe national ou religieux dominant. Nous avions l’Inquisition catholique, nous avons eu l’étoile jaune nazie : c’est bien un même processus d’affirmation des dogmes et de cohésion morale et sociale qui est mis en œuvre.

Or ce particularisme n’est pas l’apanage d’une droite qui s’extrémise, il a été et demeure aussi une façon de gauche.

Juger sur un mot, coller une étiquette, cataloguer une fois pour toute – sont des travers staliniens, générés par la certitude de posséder LA Vérité révélée par l’œuvre scientifique du prophète Marx et mise en œuvre expéditive par les procédés sans scrupules de Lénine. Il en reste quelque chose chez les énarques bon teint comme chez les universitaires « de gauche, forcément de gauche » comme disait la Duras. Déduire l’être du paraître – et en faire une essence – est le processus de la pensée totalitaire qui permet de cataloguer comme « ultra-libéral », « réactionnaire », en bref « de droite » quiconque n’a pas l’heur de vous plaire. Les mêmes qui adorent hurler à la « stigmatisation » des pauvres minorités opprimées, stigmatisent sans complexe – dès qu’il s’agit de leur adversaire idéologique. Puisqu’ils ont la Vérité infuse, la Pravda disait-on en URSS…

Méfions-nous donc du mot « droite ». La France droite n’existe que comme slogan NKM ; la France des droites est plus réelle – et n’est pas cette caricature inventée par la gauche, mauvaise perdante, trop souvent poussée au fanatisme de pureté.

La droite française sur ce blog

(Nota : je parlerai de la gauche lorsque la primaire de gauche aura lieu)

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Massacre à la tronçonneuse

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La production courante du cinéma américain ne brille pas par son originalité, ni par son intérêt. Elle est faite pour consommer de suite, sans l’emballage du désir, ni la nostalgie du revoir. Ni rêve, ni imagination, mais l’excitation morbide – et unique – d’un instinct. Une fois vu, le produit est usé, bon à jeter tel une capote anglaise. Pourquoi donc interdire aux junkies de se shooter, puisque la pseudo-culture de masse américaine leur sert du film sur le modèle de la seringue jetable ?

L’attrait de ces productions prêtes à consommer est des plus primaires : l’horreur, l’excès, l’imprévu inexorable. La construction en reste au schéma de base : présentation des personnages au quotidien, anesthésie du bonheur tranquille et naïf en famille standard – voiture Ford, maison Levitt, jean Levis et tee-shirt Fruit-of-the-Loom – puis mise en situation par quelque excentricité qui tourne très vite à l’anormal inquiétant, paroxysme et hystérie de rigueur, et final rapide où le Bien se fait souvent avoir. Malgré l’espoir de happy-end ancré au cœur de l’Amérique. Pimentez tout cela d’un brin de sexe, de beaucoup de violence et d’une histoire plate aux images banales – et vous avez le navet-qui-se-vend. Car seule la mise en scène, qui vise au spectaculaire, est au niveau. Or la technique est tout ce qui importe aux incultes.

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Tels sont ces films médiocres pour middle-class désœuvrée en fin de semaine. Fast-food, fast-film, tout est sur le même modèle industriel formaté du vite fait-mal fait. En 1974, le Texan de 28 ans Tobe Hopper fonde avec Massacre à la tronçonneuse le genre consommable du film d’horreur ; il va faire des émules. Le titre est accrocheur, attisant cette fascination malsaine pour la fureur et l’hémoglobine, jouant sur toute la palette du sadomasochisme enfouie en chacun. Une catharsis, bien sûr, mais qui la demande ? Ces pauvres solitaires voués à la masturbation en cabines individuelles pour 1$ alors qu’une fille se trémousse nue derrière la vitre ? Les films défouloirs sont dans le même rapport que la pipe l’est à l’amour partagé : l’effet physique est le même, mais les conséquences psychologiques et la profondeur durable de l’acte n’ont rien à voir !

massacre a la tronconneuse Diora-in-The-Texas-Chainsaw

Le film est vide : vite vu, vite perdu ; on ne le revoit pas car on connait la fin, ce qui se passe pendant n’est que progression technique glauque sans littérature, malgré son prix de la critique au Festival du film fantastique d’Avoriaz en 1976. Cinq jeunes insouciants – typiquement des ‘innocents’ américains – s’enfoncent lors d’un bel été – la saison hédoniste – dans les tréfonds du Texas en minibus, à la recherche de la maison d’enfance de l’une des filles. Retour aux origines… ce qui va prendre un tour macabre. Kirk et Pam se baignent dans un étang, près d’une vieille ferme loin de tout – et le tueur futur s’amuse à les approcher sous l’eau. En quête d’essence – ce sang de l’Amérique – ils vont voir s’ils ne peuvent en acheter à la ferme ; Kirk est massacré à coup de marteau par un primate masqué, Pam est empalée sur un croc de boucher et mise au congélateur ; Jerry, qui les cherche, est assassiné au marteau. Seuls restent deux survivants dans la nuit qui tombe… Franklin est découpé à la tronçonneuse et Sally s’enfuit, seins nus. Slurp ! Sexe et cruauté font bon ménage.

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Inspiré de l’histoire véridique d’Ed Gein, « le boucher du Wisconsin » arrêté en 1957, profanateur de tombes et meurtrier de 33 êtres humains, qui portait un masque de chair et décorait sa maison des restes de ses victimes, le film ne laisse surnager au fond que les obsessions de la société américaine : la peur de la campagne isolée ‘où-l’on-ne-sait-jamais-ce-qui-peut-se-passer’ ; la hantise des pauvres, dégénérés par la solitude, l’endogamie, le puritanisme bigot, la sauvagerie et la mauvaise éducation ; la culpabilité biblique du massacre historique des Indiens natives ; l’hystérie automatique des femelles – sauf si elles font ‘mec’ par féminisme (alors : respect !) ; la normalité ‘innocente’ et désarmée de l’Américain moyen (surtout jeune au teint frais) face au Mal, cette violence gratuite qui viole tous les tabous sociaux, religieux et humains ; l’angoisse devant la machine, pourtant créée par l’homme et que l’homme pervertit, le banal outil utilitaire devenant arme brutale pour crime atroce.

massacre a la tronconneuse hysterie

Le début des années 1970 représentait le pourrissement de l’Amérique et le délitement de ses valeurs ancestrales : jeunesse massacrée au Vietnam, mensonges politiques du Watergate, récents assassinats politiques (John Kennedy, Martin Luther-King), génocide historique des Indiens, chômage dû à la crise du pétrole – tous les cadavres ressortent du placard pour engendrer des monstres et tuer les jeunes vies. Le film rend compte de cette psychologie d’époque.

massacre a la tronconneuse seins nus

Mais il est difficile pour nous Européens d’entrer aujourd’hui dans ce jeu pervers où les bas instincts se défoulent, où la foule se fascine pour le morbide, où le Mal absolu sort vainqueur du pauvre bien – que l’on croit naïvement ambiant. Ce révélateur social yankee ne révèle rien de nous ; ce pour quoi nous l’appelons médiocre. Mais il rapporte des dollars et encore plus de temps de cerveau disponible ! Aujourd’hui les ados, déculturés par toute la génération post-68 adorent. Si ça vous dit…

Massacre à la tronçonneuse, 1974, version restaurée StudioCanal 2004, €19.00

Massacre à la tronçonneuse (remake plus soigné que l’original), blu-ray Metropolitan 2013, €19.71

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Daniel Easterman, Le nom de la bête

daniel easterman le nom de la bete
La Bête est celle de l’Apocalypse et son nom est salafisme. Il y a plus de 20 ans, ce qu’écrivait sous forme de divertissement le professeur d’histoire de l’islam à l’université de Newcastle était prémonitoire. L’Égypte – le plus peuplé des pays arabes musulmans – voit une secte léniniste prendre le pouvoir après des décennies de préparation idéologique par les Frères musulmans. A sa tête l’Antéchrist annoncé par l’Apocalypse, la Revanche de l’islam, le Croisé inverse qui veut reconquérir Al Andalus.

Peu importe le grand guignol de la fin (Easterman ne sait pas finir ses thrillers) ; peu importe le procédé par attentats à la bombe (bien passés de mode faute d’artificiers éduqués aujourd’hui) ; peu importe la passivité coupable des Instances internationales comme des grands pays impliqués (les États-Unis laisseraient-ils faire sans rien faire ?). Reste le message : les sectaires sont des illuminés, donc des ordures particulièrement sadiques et dangereuses, parce qu’agissant (ils le croient) au nom de Dieu.

Michael Hunt est anglo-égyptien ; ex-membre des services secrets britanniques, il a quitté le MI6 il y a des années pour devenir obscur professeur à l’université américaine du Caire. C’est un ancien ami anglais toujours en activité qui va le convaincre de rempiler lors de son retour temporaire à Londres pour l’enterrement de son père – mais aussi une jeune femme d’Égypte qu’il lui présente l’air de rien, Aïcha, émancipée et laïque, épouse de l’opposant démocratique enlevé puis disparu dont Michael tombe raide dingue lorsqu’il la voit pour la première fois… Le premier chapitre donne le ton (Easterman est expert en premier chapitre haletant).

Al-Kourtoubi (le Cordouan) est un ex-prêtre catholique qui s’est découvert une ascendance mauresque remontant jusqu’à Mahomet ; il s’est converti à l’islam et – plus royaliste que le roi – a fondé une secte activiste efficace. « C’était un groupe secret au sein même d’une organisation clandestine. Au départ, leur but était de travailler à l’étranger, de convertir des gens à l’islam en Occident, particulièrement de jeunes catholiques. (…) Ils prenaient également des contacts. Avec les déracinés, les mécontents, les enragés. A la fin, il en faisait des extrémistes, des terroristes. Al-Kourtoubi se moquait de savoir s’ils étaient de droite ou de gauche, nationalistes ou religieux : ils n’étaient que du combustible pour l’incendie » p.295. Édifiant, n’est-ce pas ? Le daechisme imaginé en 1992 enfin réalisé vers 2012. Abou Bakr al-Baghdadi – qui se présente lui aussi comme un descendant du prophète Mahomet – s’est proclamé calife. A-t-il lu Easterman dans sa jeunesse (il avait 21 ans lors de sa parution) ? Il applique en tout cas toutes les méthodes exposées dans le roman.

Al-Kourtoubi, son double imaginaire, est cultivé, redoutablement intelligent, et connaît les arcanes du pouvoir dans chacun des pays européens. Avec la complicité d’influents politiciens d’extrême-droite au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, en Italie, il lance une campagne d’attentats contre les civils en Europe qui font des milliers de morts. L’objectif ? Déstabiliser les sociétés, les terroriser et les faire réagir par la peur – ce qui signifie la désignation de boucs émissaires et l’anesthésie de toute morale universelle humaniste. Les Européens exaspérés des tueries au nom de l’islam devraient chasser en masse tout musulman présent sur leur sol.  Al-Kourtoubi, fort de sa prise de pouvoir dans un État influent – l’Égypte – pourrait alors les protéger et, en négociant avec les gouvernements européens, récupérer l’Andalousie qui faisait partie du territoire converti. Une « purification ethnique » aurait alors lieu sans pitié, chassant tous les chrétiens et tous les juifs d’Al Andalus pour offrir la province reconquise aux musulmans expulsés de toute l’Europe.

On voit combien les mêmes idées reviennent avec régularité : massacre des Arméniens « cinquième colonne » par les Turcs nationalistes en 1915, expulsion des Grecs « chrétiens donc non-musulmans » par les mêmes Turcs nationalistes en 1920, purification de classe par les staliniens en URSS en 1930, purification raciale des non-Aryens par les nazis dès 1933, purification des « Quatre vieilleries » par les étudiants de la Révolution « culturelle » manipulés par Mao en 1966, purification ethnique par les Serbes en Bosnie, génocide Hutu par les Tutsis… Les problèmes des « Purs » ne peuvent être réglés que par l’éradication de tous les « impurs », arrachement en général violent de tous ceux qui ne sont pas ou ne pensent pas comme les sectaires au pouvoir.

L’auteur, en bon spécialiste du monde arabe et de la religion islamique, décline les premières mesures : rétablissement de la charia intégrale ; police religieuse qui arrête les trains et traque toutes les déviances (une balle dans la tête pour lire un livre traduit) ; obligation du voile pour toutes les femmes qui ne sont plus autorisées ni à conduire, ni à travailler, ni à voter ; fermeture des musées non islamiques et destruction par la foule fanatisée des pyramides, pour édifier un gigantesque Mur entre l’Égypte et le reste du monde ; pogroms anti-coptes (ces vils chrétiens…) avec crucifixions, flagellations, couronnes de lames de rasoir ; accusations gratuites de propager la peste (donc assimilation aux rats) de tous les non-cairotes non-musulmans non-salafistes ; encouragement aux gestes spectaculaires (comme brûler Le Caire pour la récurer somme Sodome et Gomorrhe).

Tout ce qu’accomplit Daesh aujourd’hui était prédit dans les discours exaltés des sectaires de l’islam il y a plus de 20 ans : il suffisait d’attendre. « Je suis pure compassion – déclare Al-Kourtoubi par qui attentats et massacres interviennent – je suis submergé par la douleur et la pitié. (…) Mais c’est Dieu qui a chargé mes épaules, c’est Dieu qui me conduit » p.90. Ce cynisme révoltant ne réclame qu’une balle dans la tête : qui se retire de l’humanité volontairement ne peut plus être traité avec humanité. Les daechistes agissent comme des nazis, avec aussi peu d’état d’âme : « Il n’y avait rien sur son visage. Rien qu’une terrible impassibilité, l’impavidité de la foi qui a dépassé l’émotion ou l’a assassinée. Il pouvait tuer pour son Dieu aussi facilement que d’autres pleurent. Les mains étaient douces, les doigts manucurés ; il était propre et soigné, strict dans ses ablutions, en bref il observait tous les commandements de la religion sauf la compassion » p.468. Un vrai tueur de camps.

Ce bon thriller haletant est épicé d’une histoire d’amour au-delà du conventionnel, il a le mérite de nous faire comprendre les arcanes des sectes contemporaines dans l’islam et – ce qui est plus précieux – la mentalité de ces bourreaux au nom d’Allah qui n’hésitent pas à souiller son Message au profit de leurs bas instincts et de leur petit arrivisme personnel.

Daniel Easterman, Le nom de la bête (Name of The Beast), 1992, Pocket 1997, 543 pages, €0.01 occasion

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Simferopol

Les media parlent aujourd’hui de Simferopol pour son aéroport stratégique dans la péninsule de Crimée. J’ai eu l’occasion de m’y rendre il y a quelques années. La Crimée (un peu plus de 2 millions d’habitants, dont 58 % de Russes, 24 % d’Ukrainiens, 13 % de Tatars et 1 % de Biélorusses) apparaît comme la petite sœur de la Russie. Comme toujours dans ces pays ex-soviétiques, les chiffres (ici en 2001 selon la référence globish), sont sujets à caution. La population de Russes « résidents » – les marins russes de la Flotte – est par exemple comptée ou pas, selon que l’on veut la minimiser pour raisons politiques ou, au contraire, la survaloriser. Cette note n’a pas vocation à répéter ce que disent en boucles les journalistes sur les télés et radios mais à situer les choses. Ce qui compte est de vous donner à voir et à sentir, pas à réciter une encyclopédie (rarement fiable et rarement à jour malgré les répétitions médiatiques…)

Rattachée arbitrairement à l’Ukraine par Staline en 1954 pour en punir les Tatars (musulmans et turcophones donc plus favorables aux Allemands qu’au parti communiste) – donc déportés par le pouvoir soviétique – cette presqu’île sur la mer Noire est géographiquement ukrainienne mais reste à 60% peuplée de Russes selon le recensement (mais « aux deux-tiers » nous a-t-on dit). Venus après la guerre, ils se trouvent bien dans ce climat méditerranéen, loin de Moscou et du pouvoir central, parmi l’abondance des produits agricoles.

crimee babouchka

Simféropol est la capitale administrative de la République autonome de Crimée. Là se trouvent toutes les instances administratives et représentatives de la région : le parlement (Verkhovna Rada), le Conseil des ministres (Reskomnats) et le Medjlis central des Tatars qui est leur organe propre de représentation. Le passé communiste y est encore très présent, dans les esprits comme dans le décor. Pas étonnant que l’esprit-Poutine, cet ex-colonel du KGB fan de Mussolini, règne dans les têtes.

simferopol batiments sovietiques

Les anciens bâtiments soviétiques ont été réinvestis : la Verkhovna Rada siège dans les anciens locaux du Parti Communiste et le Reskomnats se trouve place Lénine, dans ce qui était à l’époque la Maison des soviets. La statue du théoricien activiste trône d’ailleurs toujours sur cette place centrale de la ville. Elle devient en Ukraine comme un symbole pour les Russes minoritaires, une façon d’identité, alors qu’en Russie même le barbichu à la pensée bunker n’a jamais fait rire et est désormais évacué.

crimee GoogleEarth

L’Ukraine a été la plus riche dépendance de l’URSS en ressources agricoles et minières comme en population. Plus vigoureux de par leur histoire, mieux nourris de par leurs richesses alimentaires, plus loin des intrigues du Kremlin, les Ukrainiens ont suscité à Moscou des jalousies. Après la terrible famine imposée par les réquisitions de Staline dans les années 1920 et le génocide idéologique perpétré contre ses koulaks qu’évoque Axionov, l’Ukraine sera le théâtre du tout premier procès stalinien. En mai et juin 1928, une cinquantaine d’ingénieurs de Chakty sont accusés d’avoir constitué un « réseau de sabotage » pour les services secrets « étrangers ». Onze seront condamnés à mort. C’est dire si le contentieux est lourd entre Ukrainiens et Russes, bien qu’un étranger ne perçoive pas la différence (sauf la langue) lorsqu’il rencontre l’un ou l’autre dans les villes. Mais cette histoire explique pourquoi, malgré les 17% d’origine russe de sa population, l’Ukraine s’empresse le 16 juillet 1990 de proclamer unilatéralement sa souveraineté, puis son indépendance le 24 août 1991 (jour de fête nationale), juste après la palinodie des putschistes staliniens contre (ou avec le laisser-faire) de Gorbatchev. Ce contentieux explique pourquoi aussi la situation est aujourd’hui si critique entre l’Ukraine et la Russie avec, pour enjeu, la presqu’île stratégique de Crimée, base de la flotte russe de la mer Noire.

crimee saucisses

Le marché est couvert et aménagé, les stands sont spécialisés : boulangerie, bonbons, pâtisserie, épices, charcuterie, boucherie, poissonnerie fumée, épicerie sèche, conserves, lessives, produits de beauté, bazar, vêtements femmes, vêtements hommes et garçons, jouets, journaux et magazines – tout y est, sauf l’électronique et la vidéo. Pour les enfants, un alphabet cyrillique en cubes de tissu présente les lettres avec l’objet associé qui commence par chacune d’elles. Il y a de l’abondance, envers de la période soviétique du rationnement. Les Russes vivant ici sont heureux, ils ont l’impression d’avoir accédé à la société de consommation plus qu’à Moscou car les prix sont plus bas et la vie plus nonchalante.

simferopol marche

Notre guide de la ville est Serguei, un blond né ici. Simferopol était à l’origine une grande ville scythe, nous explique-t-il, et c’est à cause des Scythes que Chersonèse la grecque a demandé l’aide de Rome. Lorsque la Crimée fut rattachée à la Russie en 1873 par Catherine II, Simferopol est devenue, de par sa volonté, la capitale de la région.

simferopol maman enfants

Nous longeons la rivière Salguir dans le parc agrémenté d’arbres qui la borde. Une maman laisse jouer ses deux enfants sous les saules pleureurs du bord de l’eau ; un petit garçon solitaire, en seul short, pêche plus loin ; deux amoureux se caressent tranquillement, indifférents à tout le reste. Un jeune homme transporte un lourd colis pour sa mère qui trottine à ses côtés. Il profite de notre venue pour déposer sa charge, souffler et lorgner les filles. Échauffé par l’effort et peut-être par ce qu’il voit, il ôte son polo avant de reprendre sa charge et d’accompagner maman à la maison.

simferopol amoureux en parc

Dans notre tour de ville, nous ne verrons aucun touriste, même venu de Russie. Dans les marchés, les boutiques, les restaurants, il n’y a que des locaux – Tatars, Russes résidents, « Ukrainiens ». L’été, la gare embaume la crème solaire des vacances, accueille shorts, sandales et chemisettes, mais rares sont les arrivants qui viennent y séjourner. Simféropol n’est qu’une ville de transit vers les plages. Cette réalité d’estive se révèle aux cartes postales : on n’y trouve que la gare, d’où les voyageurs postent leur premier « souvenir de vacances ». Nous qui sommes radicalement étrangers nous faisons repérer aisément ; nous pouvons l’observer à la curiosité un tantinet inquiète des gamins, intéressée des jeunes, sagace des babouchkas et critique des prolétaires.

simferopol jeune homme torse nu

La ville reste en effet populaire, plus administrative qu’industrielle, avec des habitudes de débrouille « à la soviétique ». Ainsi, une vieille dame en fichu vend-t-elle de l’eau au bord du trottoir, tout simplement de l’eau, qu’elle puise à une remorque citerne peinte en vert pré amenée ici au matin par le camion de son fils. Serguei en boit un gobelet avant d’en faire remplir sa demi-bouteille plastique. C’est qu’il fait chaud à Simferopol, loin des brises de mer.

simferopol marchande d eau

Au Gastronom, où nous achetons le dîner-pique-nique, c’est l’opulence, le luxe inouï de l’après-soviétisme, ce pour quoi se battent tous les indépendantistes pour « la liberté ». Poutine est revenu sur les libertés démocratiques (la chienlit pour lui) mais surtout pas sur le libre marché – seule façon d’assurer la profusion des produits. Notre dîner sera composé de betterave rouge aux raisins secs dans leur petite boite plastique, poisson pané à l’œuf, fromage en tranche, saumon fumé, trois sortes de saucissons, pain bis, pommes, petits gâteaux. Bien plus que nous ne pourrons en avaler ! Pour les ménagères alentour, ce ne sont qu’écroulements de fruits, pyramides de légumes, poissons fumés entassés à profusion, saucisses qui pendent comme des guirlandes, fromages empilés sur plus d’un mètre, bouteilles de champagne de Crimée alignées comme des soldats en revue, plus de cinquante sortes de vodkas, blanches ou colorées, à divers prix, des jouets, des vêtures de base, des produits pour la maison disposés en pièces montées…

simferopol gamin supermarche

Le marketing local insiste sur le foisonnement. Voir un tel entassement de richesses alimentaires et accessoires donne aux chalands l’envie irrépressible d’acheter. Notamment ceux qui ont connu l’enfance austère du « paradis prolétaire » où ne coulaient ni lait ni miel, ce pays du « socialisme réalisé » selon le mot célèbre de Brejnev qui a pris la précaution de l’inscrire dans la Constitution comme tout démagogue qui aspire à graver pour l’éternité ses Tables de la Loi. Les gens ont surtout l’impression de bien vivre enfin, même s’ils n’ont pas tous les moyens. Ce pourquoi les Russes installés en Crimée ne souhaitent pas en partir pour regagner la froide Russie plus au nord. Ils ne se sentent pas vraiment « Ukrainiens », mais veulent rester ici, exceptions culturelles sous la protection du grand frère ex-soviétique.

simferopol vodka

Nous déjeunons dans un restaurant climatisé près de la place du Kinoteater (théâtre-cinoche, grande salle style années 50). A la salade de betterave rouge à la crème aigre succèdent des varenikis (gros raviolis) à plusieurs farces binaires : oignon et chou, foie et pomme de terre, ou simplement cerises aigres. Les bières sont bienvenues avec la chaleur et les épices.

ukraine blonde longues jambes

Il est vite l’heure d’aller à la gare pour le train qui part à 16h24 pour Kiev. Nous y arriverons le lendemain matin. Les bousculades de quai, l’été, exigent d’arriver en avance. Les gens se livrent en spectacle, surpris dans leur vie quotidienne : jeunes en bande, filles aux longues jambes, couples qui s’isolent, familles aux bambins sans cesse à surveiller, abreuver, sermonner, consoler, vieilles qui vendent un peu de tout, surtout à manger et à boire.

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Argoul.com a trois ans

Créé après 6 ans d’expérience et près de 3 millions de visiteurs sur lemonde.fr (2004-2010), le blog argoul.com sur WordPress a attiré plus de 823 000 visiteurs en 3 ans (2010-2013) – soit une moyenne de 1236 par jour depuis l’origine – sur près de 1400 billets. Le blog est aujourd’hui suivi par près de 850 followers. Chaque année voit une progression, due au nombre de notes pouvant faire l’objet de requête, mais aussi à la notoriété du clic à clic (version contemporaine du bouche à oreille ou de l’antique téléphone arabe). Les quelques 61 000 spams bloqués jusqu’ici par le système (entre 150 et 300 par jour ces temps-ci) montrent que le blog est désormais référencé sur l’ensemble de la toile, dans le monde entier.

vahine seins nus sourire

Les principales interrogations qui aboutissent à une visite sur le blog sont les suivantes :

  • nue                                                         5 937
  • zone euro                                             5 459
  • argoul                                                   4 880
  • fille nue                                                3 320
  • seins nus                                              3 222
  • bisounours                                          2 970
  • vahiné                                                   2 853
  • vahine                                                   2 101
  • tahitienne nue                                   2 031
  • pont des amoureux paris             1 944
  • cul                                                          1 885
  • argoul.com                                          1 757
  • marine le pen                                      1 594
  • vahine nue                                           1 495
  • seins                                                       1 314
  • vahiné x                                               1 094
  • vahiné nue                                           1 088
  • génocide arménien                             999
  • pont des arts                                         870
  • fille nu                                                     852
  • cadavre                                                   794
  • vahine tahiti                                          792

On le voit, c’est surtout le sexe, donc les images, qui attirent le plus de passages. Ce n’est pas nouveau, mais autant épicer un billet culturel ou un peu aride par une « belle image », cela fera peut-être lire quelques paragraphes. Tahiti est à l’honneur, pour le mythe des vahinés (la réalité est plus triste…). Mais il y a aussi le phénomène des cadenas du Pont des arts à Paris et l’autre fantasme (morbide) de Marine Le Pen ou du génocide arménien. Le terme « cadavre » est à l’honneur, mis récemment à la mode par le président et toute l’Éducation Nationale qui célèbrent la guerre joyeuse de 14-18. De quoi rendre encore plus optimiste les jeunes Français…

Ces requêtes par images et mots-clés expliquent les référant depuis l’origine :

  • Search Engines                                 522 970
  • Facebook                                              2 569
  • jlhuss.blog.lemonde.fr                       800
  • jlhuss.com                                               585
  • medium4you.be                                   578
  • google.fr                                                  408
  • paperblog.fr                                           397
  • argoul.blog.lemonde.fr                      351
  • fr.wikipedia.org                                    329
  • forumdesforums.com                        299
  • sfr.fr/recherche/                                 283
  • niduab.over-blog.com                        272

Je me suis amusé à relever quelques requêtes parmi les plus originales – avec leur orthographe approximative respectée. Je n’ai évidemment posté aucun billet sur ce genre de sujet, mais les mots-clés sont traîtres : ils attirent. La créativité est le fait des ados, probablement des garçons. Il y a les narcissiques qui aiment à se contempler en leur miroir et à se comparer aux « canons » y compris par « l’obligation » de rester torse nu, les pratiques qui cherchent des trucs utiles y compris les « merveilles que Dieu a créées » dont… les « mignons » (?), les fantasmes où la nudité joue le rôle principal (le fait d’être exposée, pas un acte sexuel), enfin les émois physiques à base de pieds nus, de pantalon sans slip, de torture, d’être torse nu en classe, de se bagarrer nue, et ainsi de suite. Non sans contradiction, comme ce « nudiste en slip » dont on ne voit pas trop comment il peut se montrer nudiste tout en restant habillé… Ou ce « nue structurel » venu(e) tout droit de la langue de bois des manuels scolaires : un membre (pas trop rigide) de l’Éducation nationale pourrait-il nous éclairer à ce sujet ?

Ados narcissiques

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Mais c’était pour l’amusement. Ce qui importe plus à l’auteur du blog est d’observer les billets qui ont été repris et envoyés. Le blog a connu en 3 ans plus de 2400 « partages » surtout sur Facebook (950), StumbleUpon (377), Twitter (239), Reddit (187), Digg (183), LinkedIn (181), Pinterest (129), Tumble (119) et Google (89).

Les articles les plus partagés sont :

  • Retour à Reykjavik                                                105
  • La Néerlandaise de Charleville, Australie      74
  • Prédire ou prévoir ?                                                74
  • Facebook ou le monde bisounours                   64
  • Les risques boursiers de mars                             58
  • Annie Ernaux, Les années                                     52
  • Cascades de la côte sud d’Islande                      49
  • Brisbane, son port, ses monts et train             49
  • Dîner sympathique                                                  45
  • Michelet et l’éducation politique                       42
  • Nicolas Sarkozy aux abois                                    39
  • Vers une démocratie écologique ?                    38
  • Cow boys australiens vers Mount Isa               34
  • Éolien, le psychodrame à la française              33
  • Les hommes supérieurs de Nietzsche              30
  • Alix, La cité engloutie                                             26
  • Jacqueline de Romilly, la Grèce antique        26

On le voit, ce sont les lieux de voyage, la littérature et la politique, parfois la gastronomie, qui occupent la meilleure place. Je me pose quand même la question sur la popularité (tant en image qu’en note) des Bisounours : est-ce parce qu’un jour François Hollande en a parlé et que l’animal lui colle bien au caractère ?

La popularité des catégories d’articles est de même :

  • livres           797
  • polynésie     465
  • sexe                430
  • filles                370
  • amour            369
  • nature            365

2013 11 argoul stat depuis origine

Les articles les plus commentés sont sur les mêmes sujets : Mélenchon entre Péguy et Doriot, Scoutisme un siècle d’aventures, Camus Les Justes, Réussir sa vie, Facebook ou le monde bisounours, Cataclysme japonais et changement de civilisation, Social-individualisme, Pour une économie politique, Pourquoi Céline était antisémite, Le Pen lance sa Marine et Nietzsche et la religion selon Camus.

Dans moins d’un an, il devrait atteindre le million. Merci de ces encouragements, lecteurs !

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Der Mardirossian, Maudits soient-ils !

der mardirossian maudits soient ils

Article repris par Nouvelles d’Arménie Magazine

« Ils », ce sont les Turcs musulmans ; la malédiction porte sur ce qu’ils ont fait aux Arméniens chrétiens vivant en Turquie de 1915 à 1918 : le premier génocide en Europe, avec la complicité des Allemands du IIe Reich, l’indifférence égoïste des Anglais et la Révolution russe malencontreusement survenue en 1917.

L’auteur est le petit-fils de rescapés du massacre planifié, organisé et mené jusqu’au bout sans faillir par les élites turques. Un temps devenues laïques sous Mustapha Kémal, ces élites ont nié cette tache sur leur réputation. Redevenues musulmanes version rigoriste, ces mêmes élites aujourd’hui continuent de nier pour la galerie, en se félicitant en sous-main d’avoir éliminé les mécréants dans un djihad pour Allah. Non, décidément, la Turquie ne saurait avoir sa place en Europe. Sa civilisation est trop loin de la nôtre.

Bien entendu, ce livre est un roman familial, pas une œuvre d’historien. Il s’appuie sur les souvenirs d’Anna la grand-mère et de sa fille, la mère de l’auteur, immigrées en France en 1936 après avoir survécu aux marches de la mort dans les déserts de Mésopotamie. Mais ce cri plein d’émotion fait revivre une part de l’histoire réelle, largement ignorée ou passée sous silence.

Je suis allé en Arménie contemporaine, lambeau du territoire arménien de jadis ; j’ai vu combien la mémoire pouvait rester forte sur cette tentative d’extermination de tout un peuple. Il n’y a pas que les Juifs à pleurer, bien qu’ils soient mieux introduits auprès des médias et plus actifs dans la recherche universitaire. On dirait les Chrétiens honteux de défendre les leurs, hier en Turquie arménienne comme aujourd’hui en Égypte copte. Pourquoi ?

1915 : « Vivement conseillé par Von Sanders, le chef d’état-major allemand établi à Istanbul, il convient à l’allié turc de proclamer la guerre sainte. Un fait religieux que l’on croit de grande importance, afin de semer la discorde dans les rangs des compagnies combattantes levées dans les colonnes nord-africaines de France, ainsi que dans les peuples musulmans englobés dans l’empire britannique. Profitant de cette audacieuse aubaine, les sommités turques s’empressent de les satisfaire pour leur propre compte. Le 23 novembre, à peine plus de deux semaines après la débâcle [turque] de Sarikamich [1914], le sultan, commandeur des croyants, détenteur de l’autorité, et le grand mufti, tous deux en grand apparat dans la mosquée bleue de Stanboul pleine à craquer, devant une assemblée de mollahs venus de tout l’empire, proclament ensemble la guerre sainte » p.79.

Parmi les causes du génocide, on distingue donc la guerre de 14, l’alliance turco-allemande, le cynisme de la guerre « sainte » pour mobiliser une cinquième colonne contre les Alliés, la peur de la minorité chrétienne dans l’empire, validant l’appel licite au butin et aux viols pour cette sous-humanité dhimmi, la légitimité de Dieu, enfin ce rêve géopolitique de continuité territoriale entre tous les peuples pantouraniens (de langue apparentée turque). L’enclave arménienne en plein milieu fait tache ; autant l’extirper en profitant du désordre.

Tous les soldats chrétiens mobilisés en Turquie sont désarmés, 375 000 hommes dit l’auteur ; ils sont affectés à des tâches annexes avant d’être, à mesure que progresse la guerre, progressivement éliminés. Intellectuels et artistes de Constantinople sont raflés, déportés en camps, leurs biens confisqués, préfigurant le sort des Juifs une guerre plus tard. Dans les villages agricoles à l’existence traditionnelle règne une fatalité. Les prêtres prêchent la résignation, sur l’exemple du Christ subissant sa Passion. Rares sont les hommes à fuir la mobilisation pour rejoindre l’armée russe. Femmes, vieillards et enfants sont emmenés dans des marches sans fin pour qu’ils meurent en chemin sans que cela ait l’air d’un massacre de masse. La guerre mondiale permet l’impunité du nettoyage ethnique. L’après-guerre, avec le surgissement des Bolcheviks en Russie, va laisser la Turquie entériner ses avancées territoriales : tout plutôt que l’accès soviétique aux mers chaudes !

Le livre commence par la vie traditionnelle en Arménie heureuse, malgré les pogroms turcs sporadiques, l’opulence du village agricole ; il se poursuit par les interrogations sur la guerre et la haine des Turcs ; s’achève par le récit croisé d’une mère déportée avec ses trois enfants qui résiste à la mort (devant même vendre le garçon comme esclave à un Turc pour qu’au moins il vive), et les combats du père, engagé dans l’armée russe. Malgré de nombreuses fautes d’accords et de ponctuation, il se lit bien.

Qui ne connait rien au calvaire arménien et à cette mémoire oubliée d’une importante communauté aujourd’hui intégrée en France lira avec profit ce livre, en complément d’un historien. J’aime bien un peu de passion ; cela met de la chair à l’histoire.

Der Mardirossian, Maudits soient-ils ! 2013, éditions Baudelaire, 182 pages, €16.15

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L’inculture française du droit

« France, mère des arts, des armes et des lois », chantait Joachim du Bellay dans cette récitation que l’on apprenait enfant. Plus maintenant : les lois, les politiciens ont tendance à s’asseoir dessus. Plus la gauche que la droite, notons-le, sous le prétexte datant que 1793 que « le peuple en armes » (aujourd’hui en parti constitué) est Souverain et fait ce qu’il veut. Ce qui s’est traduit par cette phrase célèbre du député socialiste André Laignel en 1981 : « être politiquement minoritaire rend la position (…) juridiquement erronée ». Autre version de « la force prime le droit » que l’on croyait pourtant… d’Ancien régime.

Ce fascisme des masses est le germe totalitaire du projet socialiste. Il ne reste germe que là où existent des contrepouvoirs ; il se réalise bien vite là où il n’en existe pas : on se souvient du « socialisme réalisé » sous Brejnev. Car pour le socialisme, héritier de la philosophie marxiste, le Bien ne se discute pas. Quiconque s’élève contre l’interprétation qu’en font les avant-gardes éclairées du parti progressiste est aussitôt suppôt du Mal. Le « peuple en armes », capté par les quelques-uns du parti, a toujours raison : le droit du plus fort est toujours le meilleur.

Heureusement, grâce au général de Gaulle (accusé de coup d’État permanent par un cacique de la démocratie « populaire »), la Constitution de la Vème République est un contrepouvoir puissant : elle dit le droit. Les règles du jeu entre partis sont clairement établies, ce qui n’empêche nullement à la politique de s’exercer – mais avec des garde-fous. Car des « fous », il y en a. A droite comme à gauche, mais plus à gauche, puisque la droite n’a jamais prétendu faire le Bien pour tous, seulement défendre des intérêts de catégorie.

vahines fesses

C’est bien la droite qui, sous le précédent gouvernement, militait avec ardeur pour augmenter le nombre des lois mémorielles. Dans un article du Débat de septembre 2012 (n°171), Robert Badinter expose dans un article éclairant la décision du Conseil constitutionnel du 28 février 2012. « Les lois ne sont pas des panneaux d’affichage électoraliste », écrit-il. Si le Parlement a le droit de commémorer ce qu’il veut, il ne peut déroger au droit. Or décider de l’histoire « juste » et qualifier juridiquement de « crimes » des faits qui se sont produits il y a un siècle ou plus (comme le génocide arménien, vendéen, ou la traite négrière) est « un errement » du droit. Un Parlement peut défendre des normes pour lutter contre le racisme ou la xénophobie, mais le constituant n’a pas reconnu au Parlement le pouvoir juridique de reconnaître un génocide. C’est là travail d’historien, pas de juriste. S’il le fait, le Parlement « s’arroge à lui-même le pouvoir de qualifier un fait de crime au mépris du principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire et celui de la séparation des pouvoirs ». Le révisionnisme, qui nie la réalité de la Shoah, est différent : un tribunal a jugé après débats contradictoires et publics, celui de Nuremberg, et la France a ratifié ce jugement. Rien de tel pour la traite nègre ou l’extermination des Arméniens.

Le droit a triomphé de la démagogie en ramenant la raison où les passions se déchaînaient.

C’est bien la gauche qui, sous l’actuel gouvernement, a voulu instaurer une imposition extraordinaire du droit commun. La Constitution a repris en Préambule la Déclaration des droits de 1789. « La loi doit être la même pour tous » : c’est ainsi que l’assiette de l’impôt sur le revenu, fixée en France pour tous par foyer fiscal, ne peut s’appliquer par dérogation aux individus, même s’ils gagnent plus d’un million d’euros par an.

« Une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés ». Les facultés des citoyens ne sauraient être des revenus à venir ou hypothétiques, ils doivent être réels et réalisés.

Le préambule de la Constitution de 1946, repris lui aussi dans la Constitution de la Vème République, ne dit pas autre chose. « La Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales. » Solidarité, donc pas d’exceptions (en ce cas, les niches fiscales pourraient être illégales), mais égalité (donc ni privilèges, ni confiscation). Dans la décision du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a jugé en droit :

  • Sur les niches fiscales, le plafond majoré de 18 000 € et 4 % du revenu imposable pour des réductions d’impôt accordées au titre d’investissement outre-mer ou pour le financement en capital d’œuvres filmiques « permettait à certains contribuables de limiter la progressivité de l’impôt sur le revenu dans des conditions qui entraînent une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. » En conséquence, le 4% est censuré car plus avantageux pour les hauts revenus (4% de 10 000€ est un avantage moindre que 4% de 100 000€), mais les niches maintenues, car également accessibles à tous.
  • Sur l’exception corse, « sans motif légitime », le Conseil a jugé contraire à l’égalité de tous les Français le « régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur les immeubles situés dans les départements de Corse ». C’était un usage octroyé par Napoléon, c’est désormais jugé non démocratique.
  • Sur les retraites complémentaires chapeaux, « le Conseil a jugé ce nouveau niveau d’imposition, en ce qu’il fait peser sur les retraités concernés une charge excessive au regard de cette faculté contributive, contraire à l’égalité devant les charges publiques. » Même chose sur le taux d’imposition des bons anonymes à 90,5 % et sur les stock-options et actions gratuites dont l’impôt serait passé à 73 ou 77%.
  • En revanche, l’augmentation générale des prélèvements, l’imposition accentuée des gains du capital et l’augmentation des tranches IR et ISF ne sont pas contraires à la Constitution parce que du ressort des politiques.

Rappelons aussi qu’il est parfaitement légitime selon la Constitution d’exprimer son opinion librement, d’avoir une propriété privée, d’aller installer sa résidence à l’étranger en emportant ses biens. « Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché ».

Les rappels au droit paraissent de bon sens. Mais s’ils manifestent la vigueur de la règle du jeu politique commune, décidée en 1958, ils disent aussi avec force la dérive sectaire des technocrates politiciens. Le droit ? – connais pas. Au pays de Bodin et Montesquieu, cette ignorance de la loi au profit de la force est une tentation totalitaire propre à la France (qui la rapproche de la Russie de Poutine) ; elle est inconnue aux États-Unis ou dans les pays européens. Le Président Obama doit discuter impôts en plus contre dépenses en moins, la Chancelière Merkel doit soumettre au jugement de la Loi fondamentale toute dépense pour l’Europe.

France terre du droit et des libertés ? C’était vrai en 1789 mais le monde entier ne nous reconnaît plus cette image aujourd’hui sous la présidence Hollande. Trop de « symboles » ont été manipulés sans précautions et amènent à constater que la liberté fait toujours problème au socialisme à la française.

Or la culture du droit est inhérente à la culture démocratique : il s’agit de la conscience d’une société commune par-delà les divisions de la politique, de règles du jeu admises par tous. Aubry/Royal, Copé/Fillon, mauvais riches/bons pauvres, syndiqués amis qu’on visite/masse des chômeurs qu’on ignore : la France est un terrain permanent de guerre civile, attisée par les partis. Il existe parfois des coalitions gouvernementales dans à peu près tous les pays européens alentour – jamais dans le nôtre. Cette incapacité démocratique pose question au siècle de l’information libre et instantanée dans lequel nous vivons. Et fait rire le monde entier.

Les politiciens amateurs, Français si volontiers prêts à faire la leçon aux autres, à entonner le grand air de la Morale, savent-ils que l’étranger se moque de nous ? La France politicienne apparaît bien comme ce coq vaniteux qui braille pour annoncer le soleil que tout le monde voit bien, les deux pattes dans la merde. Et ils sont contents d’eux, les politiciens, ils se pavanent dans les médias, ces incultes du droit, ces inaptes au débat démocratique. De quoi être fier d’être Français…

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La régression mémorielle

Je n’ai rien contre les Arméniens, peuple sympathique et entreprenant, dont je chronique régulièrement la rencontre sur ce blog.

J’ai tout contre les démagogues, politiciens inaptes à décider en faveur de leurs propres citoyens pour favoriser le travail et qui, pour masquer leur incapacité, offrent le droit de votes aux étrangers ou font de la lèche victimaire.

Revue L’Histoire, depuis mai 1978, n°372, février 2012

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Géopolitique de l’Arménie

Nous traversons aujourd’hui l’Arménie d’ouest en est, d’Erevan à Tatev. Il faut dire que le pays n’est pas très grand, 28 900 km², et que moins de 300 km séparent la frontière ouest de celle de l’est. La carte de l’Arménie dessine une femme de profil, dit-on ici, de quoi personnaliser sa patrie.

Le mont Ararat se dresse dans la brume de chaleur, grand sommet à plus de 5160 m et petit sommet appelé Artashat à 3962 m. Séparés de 12 km, ces deux monts permettent de distinguer si la photo est prise depuis l’Arménie ou depuis la Turquie. Un célèbre film d’espionnage, du temps de la guerre froide, en avait fait l’indice majeur de la trahison d’un espion. Nationalisme oblige, l’Ararat serait « le plus haut sommet du monde »… si l’on prend comme critère la montée la plus forte par rapport à la base. La vallée est vers 800 m, ce qui fait un écart de 4350 m. L’idée des records est aussi l’une des fiertés du petit-bourgeois incertain de sa position et donc nationaliste. Bien avant la légende de Noé, dont on dit qu’il aurait échoué là son arche après le Déluge.

Les 5160 m couronnés de neiges éternelles du mont Ararat font joli sur le blason de l’Arménie. Las ! en 1920 Lénine, qui se fout des nations et a d’autres préoccupations à Moscou, laisse l’Arménie occidentale à la Turquie de Mustapha Kemal, plaçant de facto le mont Ararat en Turquie actuelle. Plaie toujours ouverte comme une Alsace-Lorraine au cœur des Arméniens. Encore plus amers après le génocide de 1915 engendré par le nationalisme panturc et avec le souvenir que l’Arménie historique a toujours été partagée entre Turcs et Persans. La position des historiens est moins caricaturale que ce qu’on nous dit ici, mais la diplomatie turque manifeste ce mépris du fort (72 millions d’habitants) pour le faible (3 millions), avec ce supplément de l’islam contre les chrétiens. J’ai évoqué, dans une autre note, la position officielle du musée d’Erevan (et très récemment la honte du politiquement correct qu’une député ignare et pleine de bonne volonté sirupeuse voudrait imposer aux Français).

Si Lénine considérait que revendiquer des territoires était une idée petite-bourgeoise, la terre matérielle avec ses richesses agricoles est bel et bien passée en d’autres mains qu’arméniennes. Entre monde chrétien et monde musulman, OTAN et Russie, poussée turcophone vers l’est et immigration persane vers le nord, soumise à la pression russe sur ses anciennes républiques d’Azerbaïdjan et de Géorgie, le pays doit louvoyer.

Le génocide des Arméniens de Turquie aurait fait 1.5 million de morts selon la version officielle que livre notre guide arménienne. Surtout des intellectuels, pour décapiter la culture et pour que l’ethnie ne pèse plus dans les revendications territoriales. Staline a fait de même avec les officiers polonais à Katyn. L’indifférence de la réaction internationale, plus occupée de la guerre de 14, a permis ultérieurement à Hitler d’opérer sans barguigner le génocide des Juifs. Il aurait dit à son entourage : voyez comme le génocide arménien est vite oublié, ce sera pareil pour les Juifs. Leçon : tout laisser faire est un encouragement à recommencer en pire. De là à ne pas laisser les historiens travailler, c’est toute la différence entre le totalitarisme mou gluant de bêtise du politiquement correct et la démarche scientifique qui va avec le débat démocratique !

Quant à la langue, longtemps considérée comme sémitique, elle serait un rameau isolé des langues indo-européennes. Synthétique, elle comprend sept déclinaisons, pas de genre et l’accent tonique à la fin du mot. Nous n’apprendrons guère que bonjour, qui se dit « barév » avec un r mouillé – pas roulé mais mouillé, entre r et l. Déjà au revoir se dit « tsétésoutsioun » et merci « chuor sakaloutioun », hôtel « hyouranots »… Trop long, trop compliqué à retenir pour quelques jours et pour une langue parlée seulement ici. D’autant que l’arménien est parlé différemment entre les Arméniens d’Arménie, ceux de Turquie et ceux des États-Unis. Encore une génération ou deux et ils ne se comprendront plus ! Il y a près de 6 millions d’Arméniens dans la diaspora contre 3.3 millions en Arménie même.

Le drapeau arménien est à trois bandes horizontales rouge, bleu et j’aune d’or du haut en bas. Il a été inventé en 1918 lors de la première république, puis repris en 1991 à l’indépendance. Rouge signifierait le sang, bleu le ciel et j’aune d’or le travail. La Turquie a contesté ces armoiries puisqu’y figure le mont Ararat. Mais c’était aux temps soviétiques et le puissant commissaire aux affaires étrangères Tchitcherine a répliqué que la Turquie arbore bien un croissant de lune sur son drapeau : est-ce que la lune lui appartiendrait, par hasard ? Depuis, silence total sur le sujet côté turc.

La frontière avec la Turquie est fermée de par la volonté turque. Le pays met deux conditions à la réouverture : 1/ oublier le génocide et cesser la propagande sur le mot, 2/ abandonner le Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan, à qui Lénine l’avait donné. Mais l’Arménie n’est pas d’accord. Le Haut-Karabagh est peuplé à 80% d’Arménien et constitue une région historiquement chrétienne, bien loin de l’islam ouzbek.

La population du Haut-Karabagh a revendiqué – déjà sous Brejnev – le rattachement à la république soviétique d’Arménie, la situation ne date donc pas d’hier. Dès 1988 des incidents éclatent au Karabagh. A la fin de l’URSS, en 1991, la guerre est ouverte avec l’Azerbaïdjan. Mais les Arméniens résistent dans leurs montagnes, aidés par la république d’Arménie et par la diaspora, notamment les Arméniens du Liban rompus à la guerre de villages. Les combattants, qui n’avaient aucun char, réussissent à en piquer 90 aux Ouzbek ! En 1994, devant l’échec de la reprise en mains, un cessez le feu est proclamé et nait la République autonome du Karabagh. Elle n’est reconnue par aucun État sauf par l’Arménie. Ses habitants ont tous un passeport arménien, seul sésame permettant de voyager à l’étranger.

Le groupe de Minsk (États-Unis, Russie et France) cherche une négociation globale, mais le problème n’est pas simple : l’Azerbaïdjan a une partie de territoire à l’ouest de l’Arménie. L’idée serait que celle-ci cède une bande de terrain au sud pour assurer la continuité territoriale de l’Azerbaïdjan, en contrepartie du Haut-Karabagh. Sauf que les Arméniens tiennent à conserver leur frontière avec l’Iran, très utile en cas de blocus des pays turcophones (Turquie, Azerbaïdjan) et de blocage de la Géorgie ! Pour l’instant, l’armée russe surveille les frontières, conjointement avec l’armée arménienne. La géopolitique commande : le grand frère chrétien (ex-communiste) protège des visées de l’islam, qu’il soit sunnite (Turquie, Azerbaïdjan) ou chiite (Iran).

Il existe un traité d’assistance et des bases russes en Arménie. La frontière passant sous le mont Ararat montre deux drapeau flottant sur les miradors : l’arménien et le russe. Les Turcs peuvent cependant entrer en Arménie via la Géorgie et les Arméniens entrer en Turquie par le même chemin.

La république d’Arménie est un régime présidentiel sur le modèle français, avec une seule Assemblée. Le président est élu pour 5 ans au suffrage universel, il ne peut effectuer plus de deux mandats consécutifs (mais peut revenir ensuite, à la Poutine, s’il est assez jeune). Pour être président, il faut avoir 35 ans, être de nationalité arménienne et avoir résidé les dix dernières années dans le pays. Cela pour éviter une OPA par un quelconque groupe issu de la diaspora.

La question de la nationalité n’est pas simple, nous explique notre guide arménienne. Ce n’est pas comme en France où il suffit d’en exprimer la volonté pour devenir français. Pas non plus comme en Israël où il faut une mère juive pour l’être de droit. C’est un régime entre les deux, soucieux de liens de tradition ou de famille, mais ouvert à ceux qui aimeraient vraiment. La double nationalité est permise mais il y a contrôle : « l’identité nationale » n’est pas un prétexte conservateur mais un élément vital de l’État. N’importe quelle minorité sans aucun lien avec l’Arménie historique pourrait, en raison de la faible population, faire basculer le pays dans l’orbite d’un autre État voisin. Si quatre millions de Russes demandaient à devenir Arméniens, la république serait absorbée dans la Russie ; même chose si les Turcs avaient envie d’éradiquer par la colonisation la question arménienne ; ou encore si les Azéris désiraient ne plus poser le problème du Haut-Karabagh. Et si d’aventure une fraction infime de la population chinoise décidait de coloniser les terres fertiles d’Arménie, que deviendraient « les Arméniens » ?

Notre guide arménienne nous fait mieux comprendre la question de l’identité nationale, mal posée par Sarkozy et rejetée par préjugé pavlovien à gauche. Cela mérite un vrai débat et pas ce déni intello-parisien sous prétexte de multiculturalisme universaliste, extrémité dont personne ne veut d’ailleurs dans le reste du monde. Des minorités existent en Arménie. Si les Juifs sont partis à 90% en Israël, subsistent des Kurdes yézides ou zoroastriens qui sont des Iraniens d’origine sur place depuis toujours, des Russes Vieux-croyants ou molokans enfuis depuis Pierre le Grand, les Assyro-Chaldéens chrétiens qui parlent l’araméen, enfin les Grecs pontiques (à peine un millier).

La doxa du groupe, exprimée volontiers par les femmes, trouve très bien notre guide arménienne, sa façon d’expliquer, son organisation qui renvoie les questions au jour où le thème sera traité, sa diplomatie qui expose des arguments sans imposer ses vues. Le guide a saisi l’esprit français, volontiers anarchiste mais soucieux qu’on le recadre de façon un peu caporaliste avec des consignes claires et précises. C’est ainsi qu’on se fait respecter d’un  groupe de Français !

Retrouvez toutes les notes du voyage en Arménie sur ce blog

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Loi sur le génocide et retour du ‘politiquement correct’

Je le dis tout net : ça suffit ! Je voterai systématiquement CONTRE tout candidat à la présidentielle ou à la députation qui pondra une « loi » visant à imposer une unique vérité aux faits, notamment Sarkozy ou Hollande. Ceux qui doivent établir les faits sont les scientifiques, pas les politiciens – les historiens, pas les députés. Le Parlement n’a-t-il donc rien d’autre à faire que discuter du sexe des anges ? La crise financière, économique, sociale, requiert-il de perdre son temps sur une polémique turco-arménienne ?

Pire : le Parlement a-t-il la compétence ou, mieux, la légitimité ? Est-ce parce qu’il est « représentant » du peuple qu’il peut agir en messager de Dieu et décréter ainsi la Vérité unique, à croire sous peine d’être jeté en geôle ? Les citoyens vont avoir une bien piètre opinion de tels élus – tous pourris d’être ainsi « payés » en voix – s’ils s’affairent aux choses dont ils connaissent rien et qui ne sont pas le plus urgent. Le grand historien Pierre Vidal-Naquet reconnaissait l’utilité de l’arme judiciaire, mais « la loi de 1972 contre le racisme suffit amplement. » « Il ne faut pas qu’il y ait des vérités d’État. Si l’on ne veut pas qu’il y ait des vérités d’État, il ne faut pas qu’il y ait des lois pour les imposer. » De même René Rémond : « C’est un trait des régimes totalitaires que de s’arroger le droit de tordre l’histoire à leur avantage et d’exercer un contrôle sur ceux dont c’est le métier d’établir la vérité en histoire. »

« Écrasez l’infâme ! » s’exclamait Voltaire à propos de l’inquisition catholique comme de la foi littérale du Coran. Nicolas Sarkozy veut-il rétablir la censure des idées et expressions au nom d’une Vérité unique ? N’oublions pas cependant que la loi sur le génocide arménien adoptée le 12 octobre 2006 émanait du parti socialiste… et qu’elle est à nouveau discutée sur la promesse Hollande au Sénat, puisque celui-ci est passé à gauche ! Populisme et démagogie électoraliste ne sont pas l’apanage de la droite ni du président actuel mais la tentation permanent des élus qui craignent pour leurs mandats.

La question n’est pas celle du génocide arménien pratiqué par les Turcs, mais celle de la loi sur le sujet.

Que les Turcs aient mal agi ne fait aucun doute, et l’on voit bien pourquoi. La décadence de l’empire a engendré une réaction conservatrice au détriment des minorités. Le sultan Abdul-Hamid II attise les haines religieuses pour consolider son pouvoir : en 1896 déjà, 350 villages sont détruits autour de Van et leurs habitants arméniens massacrés. L’Américain George Hepworth qui enquête sur les lieux révèle en 1898 : « Il se peut que la main des Turcs soit retenue dans la crainte de l’Europe mais je suis sûr que leur objectif est l’extermination et qu’ils poursuivront cet objectif jusqu’au bout si l’occasion s’en présente.» Le mouvement Jeunes Turcs renverse le sultan mais leur idéologie étroitement nationaliste prône le ‘touranisme’, union de tous les peuples de langue turque ; ils veulent une nation turque racialement homogène : les Arméniens laissent encore 20 000 à 30 000 morts à Adana le 1er avril 1909. Le boycott des commerces tenus par des Grecs, des Juifs ou des Arméniens est lancé en même temps que la réécriture de l’histoire, qui rattache la « race » turque aux Mongols de Gengis Khan, aux Huns d’Attila, ou aux Hittites de haute Antiquité. Tout cela ressemble fort à ce que les Allemands ont accompli sous la période nazie.

Comme en 1940, ce qui va précipiter les choses est la guerre. Le sultan déclare la guerre le 1er novembre 1914 et les Turcs tentent de soulever en leur faveur les Arméniens de Russie. Ils sont défaits par les Russes à Sarikamish le 29 décembre 1914 et l’empire ottoman est envahi. L’armée bat en retraite et agit violemment contre les Arméniens lors de son repli. Ceux-ci se tournent donc vers les Russes et, le 7 avril 1915, la ville de Van proclame un gouvernement arménien autonome. Le ministre de l’Intérieur Talaat Pacha, ordonne l’assassinat des Arméniens d’Istanbul puis ceux dans l’armée. Les historiens citent souvent le télégramme transmis par le ministre aux cellules de Jeunes-Turcs : « Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n’ont pas leur place ici. » La Loi provisoire de déportation du 27 mai 1915 achève les survivants. Femmes et enfants sont déportés à pied vers le sud et vers Alep, en Syrie ottomane. Le soleil d’été, l’absence de vivres et d’eau, la menace constante des montagnards kurdes causent évidemment de nombreux morts – sciemment voulus. Le gouvernement allemand, allié de la Turquie, censure les informations sur le génocide. Après guerre, c’est en Allemagne que se réfugient les responsables du génocide, y compris Talaat Pacha, mais il est assassiné à Berlin le 16 mars 1921 par un jeune Arménien.

Le traité de Sèvres du 10 août 1920 entre Alliés et empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide mais Mustafa Kemal décrète une amnistie générale, le 31 mars 1923. La même année, il achève la « purification ethnique » de la Turquie en expulsant les Grecs qui y vivaient depuis la haute Antiquité. Istanbul, ville aux deux tiers chrétienne en 1914, devient exclusivement turque et musulmane.

Donc ce qui fait débat n’est pas le fait du massacre des Arméniens par les Turcs.

Le débat porte, entre historiens spécialistes, sur la décision d’employer « le mot » génocide ou de parler seulement de massacres. C’est que le génocide implique une volonté raciste d’éradiquer une population du fait de son appartenance « nationale, ethnique, raciale ou religieuse » (Petit Larousse). Est-ce que l’esclavage est un « génocide » ? Est-ce que l’expulsion de qui ne croit pas comme vous est un génocide ? Est-ce que la seule déportation sans tuer, mais jusqu’à ce que mort s’ensuive, est un génocide ? Chacun peut se faire sa propre opinion, mais laissons les faits aux historiens… Si la loi actuellement en projet passe, le simple fait d’écrire ce paragraphe vous fera condamner !

Ce qui compte avant tout, en régime démocratique, est que le débat puisse exister, afin que les faits nouveaux soient intégrés au savoir et que chacun puisse affiner son opinion, voire en changer. Le « révisionnisme » est une démarche critique qui vise à réviser la lecture et l’interprétation historique d’un sujet en se fondant sur l’apport de nouvelles sources ou leur réexamen. Il faut le distinguer du « négationnisme » qui a pour but de nier la réalité d’un fait historique confirmé par les sources. Car il y a continuité entre la liberté et la découverte, entre la démocratie et la science. Réviser est une science, nier un dogme. C’est contre les dogmes, notamment religieux, contre les superstitions, les tabous et les interdits que la science s’est formée et qu’elle avance. Souvenez-vous de Galilée ! La limiter par une « loi » est aussi imbécile que décréter que la terre est le centre de l’univers ou que l’homme ne peut descendre d’un ancêtre primate comme les singes parce que c’est écrit dans la Bible. Dans ce cas, pourquoi ne pas qualifier la Bible et le Coran de « négationnistes » et de punir leur lecture d’un an de prison et 45 000 € d’amende ? N’est-ce pas une suite de croyances appelant à la haine et à l’exclusion ?

La France est fondée sur l’idée de société, pas sur le communautarisme. Les législateurs UMP et PS veulent-ils encourager cette dérive ethnocentrée ? Cette surenchère de « victimes » de n’importe quoi ?

  • La communauté est maternelle, enveloppante, affectivement et symboliquement satisfaisante – mais elle ne reconnaît que « les siens » : de sa chair et de son sang, de sa religion et de sa langue. Elle exige révérence de façon aussi absolue qu’une « mère juive ».
  • La société est plutôt paternelle ; elle se veut rationnelle, fondée sur le contrat avec droits et devoirs négociés. On n’y appartient pas ‘de sang’, mais par volonté. Qui veut y entrer est adopté sans problème dès lors qu’il adhère aux valeurs qui « font société ». Mais, fondée sur la liberté personnelle, la société demande la responsabilité. Chacun n’est pas ce qu’il « est » par naissance, mais ce qu’il « fait » ou réussit – d’où qu’il vienne.

Est-ce pour cela que la Turquie conteste désormais Darwin ? Lui préférerait-elle Lamarck ? Il n’y aurait pas « génocide » au sens du struggle for life, mais hérédité des caractères acquis qui ressort de la volonté ? Ou est-ce plutôt parce que l’islamisation de la société rend intolérant à toute autre forme de croyance ou d’appartenance ? Contester le terme « génocide » serait ainsi contester le pouvoir occidental de dire la morale commune et de se présenter en champion éclairé et avancé.

Ce pourquoi décréter ce qui doit être pensé en France sur le sujet est stupide.

Les enjeux nationalistes et religieux n’ont rien à voir avec la vérité mais tout avec l’appartenance. Le politiquement correct réduit l’être au paraître, le culturel au donné, la pensée aux mots-valises. N’importe quel professionnel du choqué va pouvoir traîner en justice n’importe quel historien qui n’aura pas utilisé les mots reconnus par les « victimes », les seuls « acceptables » par leur sensibilité hors société. C’est ce qui est arrivé à Olivier Pétré-Grenouilleau en raison de la loi Taubira, pour sa thèse sur les traites négrières. Heureusement que les juges sont moins godillots que les députés UMP ou PS et qu’ils jugent en fonction de l’honnêteté de l’information… Que la représentation nationale fasse respecter par la loi des valeurs inscrites dans la Constitution, tels les droits de l’homme, très bien. Mais qu’elle en fasse une arme de terrorisme intellectuel pour se mêler de la recherche scientifique, certainement pas ! Il faut garder la différence entre l’histoire qui explique et la mémoire qui juge, ne pas tout mélanger dans la confusion et l’amalgame : c’est cela la pédagogie citoyenne. Car qu’est-ce qu’une loi mémorielle ? C’est l’interdiction faite à quiconque de discuter un fait historique sous peine de poursuites. Une nouvelle religion, en somme…

En république, il ne saurait y avoir de « vérité officielle » : que ceux qui s’apprêtent à voter le sachent, ils seront virés par les citoyens libres et égaux en droits aux prochaines élections. Par moi en premier.

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Le génocide arménien au musée d’Erevan

Le Président de la République française est en Arménie où il a fait hier un discours sur le génocide, appelant la Turquie à reconnaître son histoire. Les historiens débattent, et même les parlementaires (on se demande de quoi ils se mêlent). La question n’est pas politique, elle est historique : il s’agit de faits, pas d’idéologie.

Je suis allé en Arménie, dans la capitale Erevan, je reviendrai dans le blog sur ce voyage. Je suis allé voir, au musée d’Histoire de la ville, la « salle du Génocide ». Aucune notice n’est en anglais, tout en arménien, sauf un texte d’historien, ce qui est assez curieux pour une revendication internationale… Est-ce pour pouvoir dire ce qu’on veut sans craindre de protestations turques ? Trônent en majesté des photos noir et blanc du début du XXe siècle, des foules en attente, des gosses dépenaillés à la chemise turque déchirée sur une poitrine maigre, d’autres nus étiques, un cadavre de gamins déshabillé, le trou de balle sur le sternum. Le 24 avril 1915 fut une date noire pour les Arméniens de Turquie. L’État a décidé de déporter les intellectuels à 600 km de Constantinople, dans une marche à la mort pour anéantir la culture arménienne en Turquie et libérer des postes pour les élites nationalistes. Des institutions américaines ont emmené quelques orphelins, des familles ont pu fuir au Liban, en Arménie orientale, en Europe. Des hommes jeunes ont même constitué une légion arménienne dans l’armée française pour combattre les Turcs durant la Première guerre mondiale.

Il est strictement interdit de photographier quoi que ce soit. Mais le texte en anglais d’un professeur arménien sur le génocide méritait que je passe outre pour connaître le point de vue officiel. La matrone de la salle regardait ailleurs, j’ai pu prendre le texte que voici :

« Arménocide –

Le premier génocide du XXe siècle, le génocide arménien, a eu lieu en 1915. Il est arrivé dans l’empire Ottoman, en Arménie occidentale, le berceau des Arméniens dans les six vilayets (Erzerum, Bitlis, Kharberd, Sebastia, Van et Diarbekit), la cité capitale d’Istanbul et toutes les parties de l’empire où existait une population arménienne. C’était le premier crime sans précédent de l’extermination totale d’une nation par une autre.

Le génocide des Arméniens a été organisé et exécuté par les autorités ottomanes, la partie au gouvernement des Jeunes Turcs appelée ‘Union du progrès’ et ses chefs – le ministre de l’Intérieur Talaat, le ministre de la Guerre Enver, le ministre de la Marine Jemal – et leurs supporters du complot.

Ce n’est pas l’initiative d’individus séparés mais une politique d’État soigneusement planifiée et mise en œuvre.

Aujourd’hui, tous les spécialistes réputés des études sur les génocides, qui ont de fermes principes scientifiques et qui ne donnent pas dans les considérations politiques, reconnaissent que le génocide arménien fut le premier génocide. Selon Franklin Little, professeur à l’université juive de Jérusalem, le génocide arménien a été le début d’une nouvelle ère. Il a écrit que, après les massacres (action de génocide) exécutés par les gouvernements au Cambodge, Soudan, Burundi, Rwanda et Bosnie, on peut appeler le XXe siècle l’ère des génocides, qui a commencé avec le génocide arménien.

Le génocide arménien, suivi par l’Holocauste juif exécuté dans l’Allemagne de Hitler durant la Seconde guerre mondiale, les génocides et tentatives de génocides au Cambodge, Burundi, Rwanda, des Balkans, du Soudan, d’Éthiopie, du Nigeria et d’autres pays indiquent que les génocides ne surviennent pas par accident. Ils sont possibles dans les États qui appartiennent à la typologie des États génocidaires et dans les sociétés classées comme génocidaires.

Tel était l’empire ottoman – un État réactionnaire, militaire-féodal, fondé sur la politique de la violence, de l’oppression, des persécutions et des massacres – une politique visant les peuples non-turcs sans préjuger de leur foi (Assyriens, Arabes, Bulgares, Arméniens, Grecs, Macédoniens, Serbes et autres). Il y a seulement un pas du massacre au génocide.

L’empire ottoman, considéré comme « malade », est entré dans une crise économique, sociale et politique profonde. Au lieu d’user de méthodes civilisées pour résoudre les problèmes, les chefs Jeunes Turcs ont recouru à la politique d’escalade des massacres et du génocide. Ils avançaient une thèse raciale pour forcer les conversions de tous les peuples non-turcs en Turcs, formant ainsi un État et une société ethnique « pure », une thèse fondée sur la suprématie turque. Les peuples qui rejetaient cette politique et restaient fidèles à leur identité nationale étaient sujets à l’extermination physique. Les Arméniens qui ont créé une civilisation unique et qui ont eu foi dans leurs valeurs nationale, culturelles et spirituelles pendant des siècles se sont refusées à devenir Turcs, par volonté ou par force, et ils sont devenus la première nation sujette à génocide.

Une autre circonstance qui a joué un rôle fut qu’en parallèle à la turquisation, les Jeunes Turcs poursuivaient l’idée du panturquisme, la politique d’unir toutes les populations de langue turcophone sous l’empire ottoman, créant le Grand empire Touran. L’Arménie était un obstacle sur la voie du panturquisme qui n’a jamais été levé.

Cette atmosphère de mentalité raciale qui a existé dans l’empire ottoman et la politique poursuivie par les Jeunes Turcs ont conduit au génocide arménien. Un million et demi d’Arméniens en ont été victimes, et environ un million d’enfants, de femmes et de vieillards ont été déportés de leurs maisons et pays pour être exilés dans les déserts d’Arabie ; beaucoup d’entre eux sont morts dans les sables brûlants, de faim, de soif et des férocités des bandits turcs.

L’exécution du génocide arménien a été aussi favorisée par la situation internationale de la Turquie, créée par la Première guerre mondiale, quand la plupart des pays européens étaient en guerre les uns contre les autres. En conséquence, la question de la solution arménienne a été laissée à l’empire ottoman en exclusivité, ce qui est revenu à la manière turque, ce qui veut dire le yatagan (sabre).

Comme résultat du génocide exécuté de sang froid, les Arméniens occidentaux ont perdu leur mère patrie, l’Arménie occidentale a été privée de sa population indigène, les Arméniens. Les survivants se sont éparpillés tout autour du monde aboutissant à la fondation de l’actuelle diaspora arménienne.

Le génocide arménien de 1915 est considéré comme la page la plus noire du XXe siècle. Comme génocide, c’est un crime non seulement contre les Arméniens mais aussi contre l’humanité.

L’historien arabe Moussa Prince a inventé le terme d’Arménocide pour décrire le génocide arménien, considérant l’Arménocide comme « le génocide le plus génocidaire ».

Le génocide arménien n’a pas encore été reconnu par la Turquie moderne, et ses chefs ne se sont pas encore excusés auprès du peuple arménien, comme on pourrait s’attendre d’une nation et d’un État civilisés, comme l’Allemagne s’est excusée auprès du peuple juif. L’Arménocide n’a pas encore été condamné par la communauté internationale, ce qui nous fait regretter que le génocide arménien n’ait pas eu son Nuremberg, comme l’Holocauste juif.

Cependant, dans les dernières décennies, des changements significatifs ont eu lieu sur le sujet, ce qui nous permet d’observer que le processus d’une reconnaissance internationale du génocide arménien a commencé. Le génocide arménien a été reconnu par le Parlement européen, des organisations internationales variées, le parlement d’une quinzaine de pays (Argentine, Belgique, Italie, Canada, Chypre, le Liban, les Pays-Bas, Grèce, Suède, Suisse, Slovaquie, Uruguay, France, Russie) et par le Vatican. » [L’ordre des pays suit probablement la chronologie de cette reconnaissance]

Nikolai Hovhannissian, PH.D en histoire, professeur.

La traduction depuis l’anglais est la mienne.

On notera la lourdeur du vocabulaire, l’inlassable répétition du terme « génocide arménien » puisque l’idée même en est rejetée par les Turcs, l’insistance à être une fois de plus dans les « records » (le premier génocide, le génocide le plus génocidaire)… Mais le texte existe. Il mérite qu’on en témoigne.

La revue L’Histoire a consacré un article sur le sujet : Génocide arménien le scénario, par Fuat Dündar, n°341, avril 2009

Retrouvez toutes les notes du voyage en Arménie sur ce blog

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