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L’inculture française du droit

« France, mère des arts, des armes et des lois », chantait Joachim du Bellay dans cette récitation que l’on apprenait enfant. Plus maintenant : les lois, les politiciens ont tendance à s’asseoir dessus. Plus la gauche que la droite, notons-le, sous le prétexte datant que 1793 que « le peuple en armes » (aujourd’hui en parti constitué) est Souverain et fait ce qu’il veut. Ce qui s’est traduit par cette phrase célèbre du député socialiste André Laignel en 1981 : « être politiquement minoritaire rend la position (…) juridiquement erronée ». Autre version de « la force prime le droit » que l’on croyait pourtant… d’Ancien régime.

Ce fascisme des masses est le germe totalitaire du projet socialiste. Il ne reste germe que là où existent des contrepouvoirs ; il se réalise bien vite là où il n’en existe pas : on se souvient du « socialisme réalisé » sous Brejnev. Car pour le socialisme, héritier de la philosophie marxiste, le Bien ne se discute pas. Quiconque s’élève contre l’interprétation qu’en font les avant-gardes éclairées du parti progressiste est aussitôt suppôt du Mal. Le « peuple en armes », capté par les quelques-uns du parti, a toujours raison : le droit du plus fort est toujours le meilleur.

Heureusement, grâce au général de Gaulle (accusé de coup d’État permanent par un cacique de la démocratie « populaire »), la Constitution de la Vème République est un contrepouvoir puissant : elle dit le droit. Les règles du jeu entre partis sont clairement établies, ce qui n’empêche nullement à la politique de s’exercer – mais avec des garde-fous. Car des « fous », il y en a. A droite comme à gauche, mais plus à gauche, puisque la droite n’a jamais prétendu faire le Bien pour tous, seulement défendre des intérêts de catégorie.

vahines fesses

C’est bien la droite qui, sous le précédent gouvernement, militait avec ardeur pour augmenter le nombre des lois mémorielles. Dans un article du Débat de septembre 2012 (n°171), Robert Badinter expose dans un article éclairant la décision du Conseil constitutionnel du 28 février 2012. « Les lois ne sont pas des panneaux d’affichage électoraliste », écrit-il. Si le Parlement a le droit de commémorer ce qu’il veut, il ne peut déroger au droit. Or décider de l’histoire « juste » et qualifier juridiquement de « crimes » des faits qui se sont produits il y a un siècle ou plus (comme le génocide arménien, vendéen, ou la traite négrière) est « un errement » du droit. Un Parlement peut défendre des normes pour lutter contre le racisme ou la xénophobie, mais le constituant n’a pas reconnu au Parlement le pouvoir juridique de reconnaître un génocide. C’est là travail d’historien, pas de juriste. S’il le fait, le Parlement « s’arroge à lui-même le pouvoir de qualifier un fait de crime au mépris du principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire et celui de la séparation des pouvoirs ». Le révisionnisme, qui nie la réalité de la Shoah, est différent : un tribunal a jugé après débats contradictoires et publics, celui de Nuremberg, et la France a ratifié ce jugement. Rien de tel pour la traite nègre ou l’extermination des Arméniens.

Le droit a triomphé de la démagogie en ramenant la raison où les passions se déchaînaient.

C’est bien la gauche qui, sous l’actuel gouvernement, a voulu instaurer une imposition extraordinaire du droit commun. La Constitution a repris en Préambule la Déclaration des droits de 1789. « La loi doit être la même pour tous » : c’est ainsi que l’assiette de l’impôt sur le revenu, fixée en France pour tous par foyer fiscal, ne peut s’appliquer par dérogation aux individus, même s’ils gagnent plus d’un million d’euros par an.

« Une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés ». Les facultés des citoyens ne sauraient être des revenus à venir ou hypothétiques, ils doivent être réels et réalisés.

Le préambule de la Constitution de 1946, repris lui aussi dans la Constitution de la Vème République, ne dit pas autre chose. « La Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales. » Solidarité, donc pas d’exceptions (en ce cas, les niches fiscales pourraient être illégales), mais égalité (donc ni privilèges, ni confiscation). Dans la décision du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a jugé en droit :

  • Sur les niches fiscales, le plafond majoré de 18 000 € et 4 % du revenu imposable pour des réductions d’impôt accordées au titre d’investissement outre-mer ou pour le financement en capital d’œuvres filmiques « permettait à certains contribuables de limiter la progressivité de l’impôt sur le revenu dans des conditions qui entraînent une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. » En conséquence, le 4% est censuré car plus avantageux pour les hauts revenus (4% de 10 000€ est un avantage moindre que 4% de 100 000€), mais les niches maintenues, car également accessibles à tous.
  • Sur l’exception corse, « sans motif légitime », le Conseil a jugé contraire à l’égalité de tous les Français le « régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur les immeubles situés dans les départements de Corse ». C’était un usage octroyé par Napoléon, c’est désormais jugé non démocratique.
  • Sur les retraites complémentaires chapeaux, « le Conseil a jugé ce nouveau niveau d’imposition, en ce qu’il fait peser sur les retraités concernés une charge excessive au regard de cette faculté contributive, contraire à l’égalité devant les charges publiques. » Même chose sur le taux d’imposition des bons anonymes à 90,5 % et sur les stock-options et actions gratuites dont l’impôt serait passé à 73 ou 77%.
  • En revanche, l’augmentation générale des prélèvements, l’imposition accentuée des gains du capital et l’augmentation des tranches IR et ISF ne sont pas contraires à la Constitution parce que du ressort des politiques.

Rappelons aussi qu’il est parfaitement légitime selon la Constitution d’exprimer son opinion librement, d’avoir une propriété privée, d’aller installer sa résidence à l’étranger en emportant ses biens. « Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché ».

Les rappels au droit paraissent de bon sens. Mais s’ils manifestent la vigueur de la règle du jeu politique commune, décidée en 1958, ils disent aussi avec force la dérive sectaire des technocrates politiciens. Le droit ? – connais pas. Au pays de Bodin et Montesquieu, cette ignorance de la loi au profit de la force est une tentation totalitaire propre à la France (qui la rapproche de la Russie de Poutine) ; elle est inconnue aux États-Unis ou dans les pays européens. Le Président Obama doit discuter impôts en plus contre dépenses en moins, la Chancelière Merkel doit soumettre au jugement de la Loi fondamentale toute dépense pour l’Europe.

France terre du droit et des libertés ? C’était vrai en 1789 mais le monde entier ne nous reconnaît plus cette image aujourd’hui sous la présidence Hollande. Trop de « symboles » ont été manipulés sans précautions et amènent à constater que la liberté fait toujours problème au socialisme à la française.

Or la culture du droit est inhérente à la culture démocratique : il s’agit de la conscience d’une société commune par-delà les divisions de la politique, de règles du jeu admises par tous. Aubry/Royal, Copé/Fillon, mauvais riches/bons pauvres, syndiqués amis qu’on visite/masse des chômeurs qu’on ignore : la France est un terrain permanent de guerre civile, attisée par les partis. Il existe parfois des coalitions gouvernementales dans à peu près tous les pays européens alentour – jamais dans le nôtre. Cette incapacité démocratique pose question au siècle de l’information libre et instantanée dans lequel nous vivons. Et fait rire le monde entier.

Les politiciens amateurs, Français si volontiers prêts à faire la leçon aux autres, à entonner le grand air de la Morale, savent-ils que l’étranger se moque de nous ? La France politicienne apparaît bien comme ce coq vaniteux qui braille pour annoncer le soleil que tout le monde voit bien, les deux pattes dans la merde. Et ils sont contents d’eux, les politiciens, ils se pavanent dans les médias, ces incultes du droit, ces inaptes au débat démocratique. De quoi être fier d’être Français…

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Quel socialisme après La Rochelle ?

Article repris par Medium4You.

L’université d’été s’est achevée et la question demeure : le socialisme s’est-il perdu dans les sables ?

A écouter les six candidats à la candidature, Manuel Valls, Ségolène Royal, Martine Aubry, François Hollande, Jean-Michel Baylet et Arnaud Montebourg – seuls les plus jeunes ont quelques idées d’avenir ; ils sont aussi les plus marginaux dans ce parti de vieux. Pour les ténors, l’œil britannique n’a pas manqué sa cible : « on les croirait congelés en 1981 ». Il ne s’agit que de taxer, règlementer, surveiller, étatiser…

Aucun pragmatisme mais le tropisme théorique : yaka faire une « grrande » réforme fiscale et tout ira bien, on pourra dépenser à tout va comme avant, pour arroser les clientèles.

L’Europe ? Yaka violer Merkel, « l’égoïsme » allemand est insupportable aux tenants du Bien qui ont la Raison pure infuse. Puisque les socialistes français détiennent – de droit divin historique – la Vérité, yaka la clamer à la face du monde pour que tout le monde s’incline.

C’est pitié que d’observer une grande nation se perdre en ses vieilles lunes de parti usé jusqu’à la corde. Le monde a changé mais la France socialiste demeure figée dans sa grandeur passée, incapable de bouger, de changer, de s’adapter. La France de gauche ne sait plus où elle en est. A l’origine syndicaliste-anarchiste avec Proudhon, devenu marxiste réformiste sous Lénine, le socialisme du parti s’est transformé en social-démocratie après 1945 puis s’est perdu dans l’émergence du monde tiers.

Plus de sous ! Fiscaliser ne suffit pas, d’autant que Thomas Picketty, expert des impôts au PS, avait déjà montré en 2007 qu’il y avait certes justice sociale à taxer les riches mais aucun « trésor caché » puisque les riches sont fort peu nombreux (Le Monde, 11 juin 2003).

  • Comment imposer les transactions financières sans nuire aux emprunts d’État – que seuls les étrangers vont désormais acheter ?
  • Comment raboter les niches fiscales sans nuire à l’emploi, le premier d’entre eux étant l’immobilier ?
  • Comment répartir ce qu’on ne sait pas produire ?

Le socialisme, expert en administration d’État, n’a pas su penser la société civile. Ce pour quoi il se réfugie aujourd’hui dans l’utopie écolo. Sans voir qu’entre l’utopie positive qui entraîne et la réalité à ses pieds qui résiste demeure un gouffre si l’on n’imagine pas aussi la passerelle !

Tout commence par la réforme de l’État, or le PS a la majorité de ses électeurs, militants et sympathisants dans l’appareil d’État. Équation impossible si l’on dit que la France est dans la moyenne haute des pays de l’OCDE pour le nombre de fonctionnaires par habitant (90 pour 1000 habitants) mais surtout que leur fonction n’est plus à la page pour être efficace (la centralisation d’État devrait nécessiter moins de fonctionnaires que le Royaume-Uni ou l’Allemagne, plus décentralisés). Scandale de l’évaluation pour les évaluateurs, ceux qui jugent tout du haut de leur statut : profs, flics, fonctionnaires du social. Alors que cela se fait sans drame dans tous les pays voisins.

L’écosocialisme se contente de ressourcer la vieille « croisade des enfants » où les illuminés marchent vers l’étoile. Économiser les ressources de la planète est bon, mais il serait mieux de rendre plus efficace la production de ce qui est. Las ! Les discours se bornent au catastrophisme mondial et aux micro détails locaux. Entre le « petit » producteur qui vend des paniers aux bobos et le « grand marché mondial » où la Chine est très présente, il n’y a aucune pensée de gauche. Veut-on nous faire croire qu’on gère un pays comme une région ? Le Poitou-Charentes ou Lille n’ont pas d’armée, que je sache ! Pas de politique étrangère, pas de place aux négociations de l’OMC ni dans les instances européennes !

La seule pensée de gauche se réduit, pour les plus avancés du PS, à la doctrine du FMI.Le bien-vivre écologique est une philosophie de sagesse… mais pour qui a déjà quelques ressources. S’il s’agit de conforter fonctionnaires et retraités, la France n’a pas besoin du parti socialiste. Aménager la stagnation, tous les partis savent faire. Pour aller de l’avant, peu ont des propositions.

La droite s’adapte avec pragmatisme, selon les vents du monde – c’est déjà ça. Au PS, on attend encore le Sauveur alors que le dernier pressenti, adepte de la dépense compulsive, imposée avec violence, vient de se griller lamentablement dans une chambre d’hôtel à Manhattan. Peu importent les particularités de la procédure américaine, les rapports médicaux et policier font foi, qui prouvent une émission de sperme strausskhanien et lésions sur le vagin de la femme. Consentante ou non, pour le fric ou non, l’aventure laisse apparaître toute l’arrogance, la vie de riche et les mensonges soigneusement mis en scène d’un apparatchik socialiste à qui tout semble permis. Une fois de plus un dirigeant du PS se dit responsable mais pas coupable.

Il faut donc encore « reconstruire »… Mais cela fait plus de dix ans que le socialisme ne cesse de se « reconstruire » sans avancer d’un pas. Depuis Jospin, rien. Plane l’ombre du populisme d’extrême-droite, contre laquelle seules des incantations émanent du PS.

Or le monde avance. Les Français peuvent être fiers de leur modèle économique et social, mais il craque de partout : trop de carcans, trop de niveaux hiérarchiques d’État, trop de dilution des responsabilités – et plus assez de sous pour des prélèvements obligatoires au sommet des pays de l’OCDE !

  • On ne fait pas l’Europe sans consentir à entamer la souveraineté nationale,
  • on ne se dit pas solidaires sans avoir une idée des conséquences de la crise grecque,
  • on n’emprunte pas auprès des marchés financiers sans se dire qu’il faut fixer un cap de sérieux,
  • on n’évoque pas un déficit keynésien sans voir qu’il n’est efficace que lorsqu’il est provisoire et non le prétexte perpétuel à la distribution démagogique,
  • on ne se préoccupe pas de l’emploi et de la vie quotidienne sans poser les problèmes de l’immigration et de l’identité des autochtones, et ceux de la paperasserie administrative et des règlementations sans fin.

Sur tout cela, motus au PS ! Yaka faire une « grrrande » réforme fiscale et violer Merkel. Point à la ligne. Alors que toutes ces pressions conduisent le Français moyen et populaire à un repli sur soi et au refus de toute différence.

Ce pourquoi les ouvriers ont déserté le PS aux élections récentes. Tout ce qui change est menaçant. Le modèle multiculturel est en faillite pendant que les partis de gauche ou les militants antiracistes sont peu à peu contestés. Car ce n’est pas être « raciste » que de dire que l’intégration se fait mal : c’est dire qu’on a mal et que c’est la faute au tabou concernant l’immigration. Ne pas en parler est bien pire que de dire ce qui est : que l’intégration se fait cahin-caha, que les « quartiers » sont des sas de passage vers une évolution par l’emploi et pas ces ghettos à l’anglo-saxonne qui fomentent des émeutes, que les études mènent à intégrer la société mieux que les discours compassionnels sur sssseuxquiisouffrrrr.

La primaire serait la solution ? Nous l’avons toujours écrit, adopter les mœurs américaines nécessite de laisser tomber l’esprit de caste à la française. Hillary Clinton a embrassé Barack Obama après son échec : verrait-on Martine embrasser François ou – pire ? – Ségolène baiser Martine (sur les joues) ? Si primaire il y a, il faut qu’elle soit ouverte. Tous les candidats, même les plus improbables, doivent pouvoir se présenter. Ce n’est évidemment pas le cas dans un parti resté léniniste pour qui il s’agit surtout de verrouiller.

L’électeur de gauche n’aura donc le choix qu’entre la fille de son père, le mari de sa femme et la femme du mari, plus quelques vagues outsiders mal considérés dans les rangs enseignants. Manuel Valls a le pragmatisme propre à la droite, voilà qu’il est aussitôt catalogué « de » droite, en bonne pratique stalinienne.

Hors du Dogme, point de salut ! C’est ce que disait le capitaine du Titanic lorsqu’on évoquait vaguement les icebergs déréglementés se baladant librement sur la mer libre…

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