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Toxiques polynésiens

Kava ou pas kava ? Vous connaissez la boisson du Vanuatu, narcotique naturel ? La communauté européenne, encore elle, a interdit la vente du kava en 2002. Le kava servait à la fabrication de médicaments pour remplacer les somnifères ou les anxiolytiques de synthèse pour traiter l’angoisse. A la fin des années 90, plusieurs cas d’hépatite toxique ont été attribués au kava – qui fut donc interdit sur le marché européen. Les scientifiques réunis en congrès ont tenté de démontrer que le kava est un produit sain. Leur étude a montré que des molécules situées dans l’écorce de la plante – dans les épluchures – ont un certain degré de toxicité. Le kava est consommé depuis des milliers d’années. Les parties toxiques ne sont pas utilisées quand le kava est consommé de manière traditionnelle. Alors, peut-on en déduire que l’on aurait vendu des épluchures à l’Europe ?

Une jolie petite bestiole nommée également cent-pieds ou centipèdes. Ici, nous avons la joie de rencontrer Scolopendra subspinipes et Scolopendra morsitans. Environs 20 cm de long pour ces dames. Myriapodes (mille pattes) qui appartiennent à l’embranchement des Arthropodes, pattes articulées et squelette externe. Venimeuses et dangereuses selon l’endroit de la morsure. Elle est équipée de crochets à venin articulés qui forment une paire de tenaille acérée au niveau de la tête. La bête est craintive, non agressive, elle ne mord que pour se défendre. Redoutable carnassier, elle se nourrit d’insectes rampants : araignées, fourmis, cafards qu’elle chasse la nuit. Elle adore les lieux sombres, humides, rocailleux. Elle s’invite dans les maisons occasionnellement. Elle visite les salles de bains ou dans les lits s’ils sont posés à même le sol… (Avis à la population !)

Elles peuvent vivre entre 5 et 7 ans. La reproduction est surprenante. La gestation dure 9 mois ½ avant la ponte d’une vingtaine d’œufs. La femelle les place au frais sous une pierre. Une quinzaine de jours plus tard, l’éclosion des œufs a lieu. Les jeunes d’un centimètre et demi vont se nourrir et muer jusqu’à leur taille adulte. S’il vous arrivait d’être mordu, il est recommandé de plonger le plus rapidement possible la partie atteinte dans l’eau la plus chaude possible. En randonnée, la flamme d’un briquet fera l’affaire (comme pour les guêpes, la température inhibe le venin). Si vous faites une réaction allergique, direction immédiate aux Urgences.

Atlas en mains, vous découvrirez un archipel polynésien, au centre du Pacifique, au sud de l’Équateur, proche des Kiribati. Cet archipel vient de nouer des relations diplomatiques avec Erevan… et reconnait la République autoproclamée du Haut-Karabakh, une région de Transcaucasie source de tensions entre l’Arménie et son voisin l’Azerbaïdjan. Grand de 26 km et peuplé de 11 000 habitants. Voici la preuve objective d’un fonds de commerce qui repose sur le business des reconnaissances diplomatiques. Kiribati et le Vanuatu usent du même monnayage de souveraineté.

Hiata de Tahiti

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Fin d’Arménie

Quelques filles et moi poursuivons seuls la promenade en ville, malgré la canicule. Des sculpteurs sur bois officient en plein air, leur atelier ouvert sur la rue, comme autrefois. c’est un peu incongru devant les immeubles modernes, mais donne de la vie au quartier. Ils tournent des panneaux pour l’ornement d’un restaurant qui veut se donner un air traditionnel.

Destination la Mosquée bleue, chiite, financée par l’Iran, sise en face du marché couvert. Elle s’élève dans un jardin ombré autour duquel se tiennent des salles de réunion et de prières. La mosquée elle-même est ornée de mosaïques d’un bleu azur et vert très chargées. Il n’y a presque personne. Les versets du Coran gravés sur les tesselles font face au ciel vide.

Le marché couvert en face est peu passant aussi mais nous sommes en pleine après-midi, les marchands ont vendu leurs légumes le matin. Des étals de fruits confits attirent les becs sucrés tandis que je fais des photos d’épices, de fruits, et d’un gamin venu avec sa mère pour vendre des légumes. Il rit, sa mère est heureuse, nous le sommes aussi. Il n’ya que deux stands de fromages mais plusieurs d’herbes séchées en botte pour les tisanes ou leurs vertus médicinales.

Nous revenons lentement vers la place centrale. Ce faisant, nous passons devant l’hôtel Shirak… Dans un bassin, des gamins presque nus se baignent. Il règne une chaleur lourde sur la ville.

Comme les filles n’ont qu’une envie, faire les boutiques, je les laisse à leurs affaires pour m’installer à la terrasse du café probablement le plus cher de la ville, celui du Marriott sur la place de la République. En dégustant lentement mon demi-litre de bière fraîche à la terrasse, je peux observer les passants, fort nombreux en ce vendredi. La table d’à côté héberge trois frères et un cousin (il ne leur ressemble pas et sert de larbin), plus deux putes. Elles sont très maquillées, décolletées, portent des hauts talons extravagants et sont nettement plus jeunes que leurs partenaires masculins. Les quatre hommes d’affaires jonglent avec les téléphones portables, l’un d’eux répond même à deux à la fois. Je ne sais de quelles affaires ils traitent mais tout semble remonter à leur décision. Ils repartent en Mercedes noire, le cousin sert de chauffeur.

Le soleil décline vers 19 h et les rues se vident en une dizaine de minutes. Les voitures garées en double et même en triple file devant le Marriott ne laissent plus qu’une seule file. C’est l’heure du dîner ici, les gens ressortiront après 20 h, quand il fera plus frais, pour une promenade de badauds en famille.

Notre dernier dîner a lieu dans le restaurant Ararat sous la tour. Des musiciens nous joueront le doudouk et vendront quelques CD. Je suis dubitatif sur la musique sortie de son contexte. Écouter à l’automne dans un appartement parisien ces sons plaintifs et modulés faits pour les collines d’altitude n’a plus rien d’arménien mais inciterait plutôt à se flinguer. Je remarque à une table une jolie femme, mère d’une petite fille. Celle-ci, trois ans, a peur de la musique trop forte et pleure. L’un des musiciens, entre deux morceaux, vient la réconforter. Peut-être est-il de la famille ?

Je prends dans le hall de l’hôtel un magazine à disposition nommé Noyan Tapan. C’est un hebdomadaire en anglais et en français à destination de la diaspora et des touristes, qui donne des informations sur l’actualité arménienne. On peut le retrouver sur Internet, http://www.nt.am En première page la photo du chef de l’opposition Levon Ter-Petrossian, ancien président de la République et qui voudrait bien se représenter. En bas de première page, les leçons de la guerre de cinq jours en Géorgie, données par le président russe Medvedev à l’Arménie pour ce qui concerne son différend avec l’Azerbaïdjan. Il déclare qu’il vaut mieux négocier sans fin sur l’opportunité d’un référendum et d’un futur traité de paix que de faire ne serait-ce que cinq jours de guerre.

L’ensemble des ces nouvelles portant sur la géopolitique montre la sensibilité à vif de ce petit pays de 3.3 millions d’habitants face aux mastodontes russe, turc et azéri. L’économie est reléguée à la place seconde, notant seulement que le chômage et un salaire insuffisant sont les deux principales causes de l’émigration du pays. Un très long article de fond sur quatre pleines pages relate cependant le miracle économique indien. Un modèle pour l’Arménie ?

– FIN du voyage en Arménie –

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Erevan musée d’histoire

Nous allons déjeuner dans un café-restaurant banal d’un quartier excentré, l’Ararat Hall. Il fait frais en sous-sol et la bière est bonne. Le repas, lui, reste dans la banalité urbaine avec une salade de lentilles pour changer des tomates-concombre.

Suit le musée d’Histoire fondé en 1931, situé place de la République devant le bassin aux jets d’eau. La chaleur est caniculaire en ce début d’après-midi et les salles obscures du musée sont bienvenues. Sauf que la conférencière francophone, gentille mais incapable de synthèse, ne tarde pas à nous ennuyer. Elle s’en aperçoit heureusement et accélère, résume. Elle réussit mieux la fin que le début. Faut-il en effet parler de chacune des 87 000 pièces que recèle le musée ?

Le balcon des cartes d’Arménie à travers l’histoire a été pour nous un calvaire. Que nous importe qu’on évoque l’Arménie partout ? Que le territoire historique ait été dix fois plus grand que l’actuel ? Est-ce qu’on revendique l’empire de Charlemagne en France ? Record habituel (un peu rasoir) « la plus ancienne carte du monde » est une terre cuite de Babylone du VIe siècle avant ; y figure bien évidemment le territoire arménien ! La carte de Ptolémée, créée à Rome en 1482, montre l’Arménie major (tabula 17), quelques 300 000 km² contre 29 000 aujourd’hui. En 1675 Atenasius Kircher situe le Paradis terrestre en Arménie, entre le Tigre et l’Euphrate. Il n’empêche que dans l’ici-bas, l’Arménie est le pays qui a compté dans son histoire – un record de plus ! – pas moins de onze capitales.

La carte de notre itinéraire pour ce voyage donne une idée de l’Arménie actuelle.

Puis défilent les millénaires… Les traces humaines remontent à 100 000 ans avec les silex taillés moustériens de Satani Dar. Mais l’homo erectus est attesté il y a 1 800 000 ans à Dmenisi. Le VIIe millénaire avant était déjà néolithique avec un nucléus d’obsidienne aux lames bien sorties. L’âge du bronze commence dans la seconde moitié du IVe millénaire, 3000 ans avant le nôtre. D’amusants phallus d’un mètre de haut en tuf, en basalte, montrent une fertilité robuste à qui l’on rendait culte sans pour autant s’asseoir dessus. Ils seraient datés de la fin du IIe millénaire. Le soleil pénètre la terre pour féconder la verdure que l’on récolte en vases féminins pour donner à manger aux hommes. Un vase Karash du IVe millénaire ressemble à une femme enceinte avec son ventre rebondi, ses mamelles en pointe alternées avec des triangles de fertilité et son col en forme de lèvres qui délivrent la nourriture. A Lchasen a été trouvé un char-sépulture du IIIe millénaire avant. Une chaussure de cuir de 3600 avant a été retrouvée, pointure 37, à Areni.

Vers -1600 l’agriculture et les échanges engendrent des guerres ; vers -1300 des tombes royales témoignent d’un pouvoir fort ; vers -900 un état s’érige autour du lac de Van. Ourartou vient du nom Ararat, royaume de Van au milieu du IXe siècle au roi nommé Arameh. Des gobelets de verre bleu datent du VIIe siècle avant. La céramique se décore sur trois niveaux, le plus bas vers le sol est l’univers du végétal, de l’animal et de l’humain, le niveau central renflé celui de l’atmosphère au décor de spirales, de soleil et de lune, le niveau élevé, près du col, est celui du ciel décoré d’une ligne horizontale.

Trois gamins d’une onzaine d’années parcourent les salles en s’arrêtant là où leur meneur le veut. Ils sont chez eux, entrent gratuitement, observent sans s’attarder.

Nous voyons au pas de charge la salle des tapis, tous ornés d’une croix pour se différencier des tapis musulmans des alentours. Les couleurs sont principalement rouge sombre, bleu-noir, orange. Les motifs figurent souvent l’arbre de vie ou le svastika. Ce symbole aryen tourne dans les deux sens mais l’un signifierait l’infini, l’autre les ténèbres. Hitler aurait choisi le mauvais, mais est-ce bien vrai ? Il me semble que je vois tourner les araignées dans les deux sens sur les tapis et les monuments.

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Erevan après midi

La promenade qui suit dans Erevan nous mène jusqu’à la statue de bronze de Komitas, dans un jardin. Sur la place de France stationnent deux voitures de flic, des japonaises puissantes de marque Toyota. Les policiers portent de curieuses casquettes aux visières en assiette démesurée sur la tête.

L’opéra, vu de haut ce matin, dresse là ses pierres grises, tristes pour faire sérieux, suivi d’une grande esplanade de béton où les skateurs évoluent à la mode tandis que les vieilles gens les regardent, assis sur les bancs tout autour. Une affiche propose un spectacle de boxe, sport très couru en Arménie pour sa virilité prolétarienne et l’étalage des muscles de travailleur.

Un peu plus loin, devant un bassin fleuri, la statue hilarante du pianiste compositeur Arno Babadjarian date de la période soviétique. Il s’étire en arrière dans un envol de bras théâtral. Un piano en buis vivant a été reconstitué juste auprès.

Puis nous arrivons place Aznavour. Charles Aznavourian, né à Paris en 1924, est d’origine arménienne. Il débute sa carrière en 1941 par un tandem avec Pierre Roche. Il rencontre ensuite Édith Piaf qui sera une des premières à reconnaître son talent et à l’aider. Ses chansons font presque toujours référence à l’amour. Il a joué dans soixante films. Chantant dans cinq langues, il est l’un des chanteurs français les plus connus dans le monde et il a sa place ici. Un taureau de fer défie la foule tandis qu’une gigantesque araignée faite de récupérations métalliques menace le passant de ses crochets.

Le quartier central chic est en pleine rénovation. Au croisement des rues Pouchkine et Abovyan, d’immenses immeubles d’appartement dans le style Bofill s’élèvent, les plus chers d’Erevan. Il faut compter entre 3500 et 4500 $ le mètre carré. La diaspora y investit, ce n’est certes pas un mauvais placement s’ils font un emprunt en Arménie, où l’inflation avoisine les 9% cette année. Tout ce qui est rare est cher et le récent en centre-ville pour un petit pays en plein essor, restera rare, donc cher.

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Erevan, capitale d’Arménie le matin

Visite de la ville avec notre guide arménienne ce matin. Elle nous emmène sous « l’œil de Sauron », cette tour surmontée d’une feuille d’or ovale qui ressemble tant au maléfice du Seigneur des anneaux que je la surnomme ainsi. Je crois qu’il s’agit du monument aux 50 ans de l’Arménie soviétique…

De l’esplanade de béton en plein soleil, la canicule règne déjà à 10 h du matin. Nous apercevons les grues des quartiers en construction, la brume de la centrale thermique au loin. Plus près, la perspective en gradins souligne l’opéra, bâtiment rond et gris, puis la cathédrale saint Grégoire.

C’est l’endroit idéal pour mesurer la ville, enserrée entre ses collines de terre beige, desséchées par l’été. La coulée de verdure paysagère plonge vers le centre-ville, ornée d’œuvres d’art, hommage de ses fils à la capitale du pays. Nous descendrons lentement les degrés, très larges, dans la vaste lumière d’un ciel sans nuages. Peu de peuple sur ce monument; il s’agit d’un symbole, pas d’un endroit où l’on vit.

Nous descendons le jardin suspendu. Des statues contemporaines peuplent gradins et perspectives en bas. Les Trois plongeurs de Marc Waller, anglais, 1957, alignent leurs acrobaties au-dessus d’un bassin d’eau immobile, les muscles de métal luisant, les traits impassibles des techniciens de l’industrie.

Plus bas, A group of Three de la collection Cafesjian, deux statues mafflues de Botero, le chat de 1999 et le Romain de 1986 au petit zizi en tuyau malgré ses gros pectoraux, deux de Barry Flanagan, les Acrobates de 1988 (des lièvres) et Hare on bell de 1983, enfin les Stairs de Lynn Chadwick de 1991.

Les rues ombrées se peuplent de mères avec enfant. Les petits en débardeur, chemisette ouverte ou tee-shirt ont l’air apaisés de la promenade, ils sont aimés.

Nos pas nous mènent au Musée des manuscrits anciens, le Matenadaran. Devant la façade trône une statue éloquente du créateur de l’alphabet arménien en 405 de notre ère, le moine Mesrob Machdotz, inventeur des 36 lettres portées à 39. Une phrase écrite dans cette langue nous est traduite par notre guide arménienne. Elle signifie : « connaître la sagesse et l’instruction, comprendre les paroles de l’intelligence ». Édité sur quatre colonnes, l’alphabet fait correspondre à chaque lettre un chiffre : la première ligne donne les unités, la deuxième les dizaines, la troisième les centaines, la quatrième les milliers. Les chiffres arabes, utilisés aujourd’hui, seront adoptés plus tard.

A l’intérieur, une conférencière francophone nous débite d’une voix monocorde et avec des mots fleuris l’histoire de chaque manuscrit présenté en vitrine. Il y en a de très anciens qui ont échappé aux hordes mongoles, aux chrétiens, aux arabes, aux turcs… Il en reste quand même 17 500 si l’on en croit la notice de présentation. Toujours la mode des records : « le plus gros » manuscrit pèse 28 kg, rescapé du génocide en deux parties, il s’agit de l’Homélie des Mush de 1200-1202. Le « plus petit » est un calendrier religieux de 9 g datant de 1435. C’est en 1512 que paraît le premier livre en arménien, imprimé à Venise où vit une petite communauté. Ce n’est qu’en 1772 que le premier livre arménien sera imprimé en Arménie.

Certains manuscrits de l’antiquité grecque n’existent aujourd’hui qu’en traduction arménienne, les autres ont été soigneusement détruits par les barbares chrétiens pour qui Dieu expliquait tout sans besoin de connaître. Des manuscrits de sciences exactes datent du VIIe siècle. Le savoir est resté révéré dans le pays, en témoigne cette miniature de 1417 montrant des élèves du primaire à l’étude. Un manuscrit original du poète Sayat Nova date de 1766. Nous verrons la statue blanche du troubadour sur une place de la ville.

Sur un Évangile du 13ème siècle, une miniature d’Ovanes représente le Paradis comme un jardin entouré d’une frise carrée, dans lequel Adam et Ève tournent la tête, attentifs, au diable serpent qui toque au mur, côté oreille d’Ève. Deux diablotins noirs et nus complotent sous la frise. L’Évangile Echmiadzen de 939, relié d’ivoire, présente une Annonciation. Mais c’est sur un Évangile du VIIe siècle que le Président de la République élu en Arménie prête serment.

Photos interdites dans le musée.

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La route du pain vers Erevan

Nous avons 80 km à faire pour rejoindre la capitale. Une escale bière dans un supermarché d’une ville intermédiaire nous permet de faire comme tous les autres touristes allemands, hollandais ou italiens que nous voyons. L’attraction du supermarché est la fabrication du pain.

Le client voit tout, du pétrissage de la pâte au fond de la salle à la mise au four par de grandes perches sur le devant. Deux fours sont installés en plein milieu, demi-ballons de briques au trou central par lequel le mitron enfile habilement les miches crues pour les coller aux parois. Il retire de même celles qui sont cuites et dorées. Sur la fin, il doit pencher son buste dans le trou pour attraper celles du fond et il y disparaît jusqu’aux reins.

Le pain embaume, il suscite le désir et l’achat. Comme il fait chaud, autant acheter de la bière aussi, ou du Coca pour les enfants. Les filles font provision d’eau en bouteille, même si l’endroit ne s’appelle pas Achadeau.

Mais si les photos sont permises, aucun vigile de supermarché n’autorise qu’on les prenne eux. Peut-être sont-ils anciens du service de sécurité de l’URSS ? Au passé trouble ? Ou bien ils se la jouent façon film, imitation des mercenaires internationaux ?

Sur le chemin, nous pouvons voir le mont Aragats, le plus haut sommet de l’Arménie actuelle puisque l’Ararat a été piqué par la Turquie. L’Aragats ne dépasse pas les 5000 m malgré ses neiges éternelles : 4095 m seulement.

Nous échouons, fatigués, au même hôtel Regineh d’Erevan qu’au départ. Nous avons une heure pour nous doucher avant dîner. Notre guide arménienne nous a fait son dernier exposé au micro sur le social arménien, l’éducation, la santé, la retraite, les impôts, la délinquance. De fait, tout va bien, l’Arménie est un pays moderne et démocratique, ou plutôt tout va de mieux en mieux. Tel est le message. Il ne dépare pas les autres propos de fierté nationale sur les records et la débrouille distillés durant tout le voyage. Ce pays s’évertue à exister aux yeux du monde civilisé ; il a été trop longtemps oublié, noyé dans l’empire turc puis dans le trou noir soviétique.

Nous dînons en centre ville dans un restaurant en sous-sol spécialisé dans les tour-operators. The Club propose des repas et une boutique où acheter des souvenirs. Il est tenu par des Italiens arméniens et le fils n’hésite pas à pousser sa voix jusqu’à chanter du bel canto. Une tablée de touristes italiens derrière nous est fervente des airs de Verdi et applaudit à tout rompre. Étonnante sensibilité transalpine à la musique, même loin des cités de la botte.

La cuisine est arménienne, mais avec une teinte internationale, je n’ai pas retenu d’originalité. Quelques dés de fromage italiens nous sont présentés en entrée au lieu des fromages arméniens habituels. Nous avons pris un vin d’Areni 2010 qui était presque meilleur que le 1991 bu l’autre jour. Peut-être mieux conservé, tout simplement. Mais il est servi à température ambiante, de 12 bons degrés trop chauds car nous retrouvons les 35°C du départ. La boutique est un fouillis à la mode intello de livres, photos, disques, DVD, figurines, lainages et poupées. On en trouverait de même sorte à Milan ou New York.

A la fraîche, Erevan est très animée. 30° sont encore affichés à une pharmacie en fin de soirée, mais les familles sortent pour marcher et se montrer dans la relative fraîcheur. A 23 h, les petits restent emmenés en promenade, il est vrai qu’ils sont en vacances.

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Première randonnée en Arménie torride

Nous voici déjà au lendemain et, au rendez-vous de 12h30, nous prenons le bus orange et noir Mitsubishi diesel qui nous est affecté pour la durée du séjour.

Nous avons 35 km à faire hors d’Erevan. Les gens d’ici prononcent iérévan et seule l’écriture à l’anglaise respecte cette euphonie : Yerevan. Le bus sort de la banlieue, la ville compte un million et demi d’habitants ! Il dépasse les usines chimiques désaffectées depuis la chute de l’URSS, s’enfonce dans la campagne sèche parsemée de collines. La verdure, nous dit notre guide arménienne, est florissante en mai, beaucoup d’herbe et de fleurs, mais le soleil impitoyable dès juin dessèche tout à cette altitude (près de 1500 m). Nous enfilons de petites routes à peine goudronnées, remplies de nids de poule. Difficile de garder une voirie correcte en raison de l’écart des températures entre hiver et été.

Les tubes qui courent le long des routes et des murs des maisons, sont des conduites de gaz. Ils forment une arcade d’honneur au-dessus des portails. Le gaz venait autrefois d’URSS et était distribué en conduites enterrées. Après l’indépendance arménienne, la fermeture a duré une dizaine d’années et le réseau souterrain est devenu trop cher à réhabiliter. Le gouvernement a choisi le réseau à l’air libre, moins cher à réparer et facile à construire. Le gaz vient désormais aussi d’Iran, avec lequel l’Arménie a une frontière commune au sud, pour éviter de dépendre de la Russie pour tout. Quelques années d’hiver très rude ont fait comprendre la géopolitique aux Arméniens jusqu’ici hébétés dans le confort du grand frère russe. La sécurité ? Les fuites sont moins graves à l’air libre, elles ne forment pas de poche de gaz explosives. En cas de feu par accident, le gaz brûle, il ne saute pas. Et il est plus facile de voir où couper l’arrivée de gaz quand le réseau est extérieur. En bref ce n’est pas beau mais moins cher et utile à tous.

Le village s’étire sur la pente, bordé de longs murs qui abritent des vergers et des jardins. La température dépasse déjà les 35°. Notre guide arménienne hésite sur la direction à prendre. A pied, nous ne suivons pas le bon chemin. C’est un titi curieux de cette bande d’étrangers, apparu à la fenêtre d’étage d’une maison, qui nous interpelle en nous voyant passer. Il va nous guider vers la bonne ferme.

Sous une tonnelle rafraîchie par un jet d’eau, face à la gorge de Garni, la table nous attend pour notre premier déjeuner arménien. Les entrées sont accumulées entre les assiettes pour que chacun choisisse selon son goût et l’ordre qu’il veut. C’est la coutume ici.

Nous avons la salade de tomates crues au concombre, des aubergines, des poivrons et quelques piments grillés et pelés, des olives noires, du fromage de brebis ressemblant à la feta.

Suivra le plat chaud, du poisson du lac, une truite saumonée coupée en gros tronçons et grillée elle aussi. Nous sommes servis par la mère et sa fille de dix ans aux yeux très clairs, joli visage, sourcils  broussailleux qui se rejoignent au-dessus du nez.

Pour éviter la turista, nous avons de l’eau minérale en bouteille, avec ou sans bulles, du thé glacé préalablement bouilli et même du vin de l’année, produit sur la propriété. Le maître de maison est tout fier de faire goûter aux Français son œuvre vinicole, présentée dans une bouteille de Coca Cola de deux litres. Le vin est fruité, légèrement frisant, agréable à boire. En dessert un biscuit aux noix, qui poussent leurs coques au-dessus de nos têtes, appelé traditionnellement paklava. Il est surmonté de tranches noires et souples qui sont des noix vertes mises à conserver dans l’eau sucrée.

Le paysage, vu de la terrasse, montre notre randonnée : le canyon de Garni et ses orgues basaltiques spectaculaires au fond, le temple païen de Garni sur la rive en face. Nous sommes dans une maison paysanne mais riche. Toute une collection de vieux instruments aratoires nettoyés et vernis hantent les couloirs et l’accès à la terrasse.

Nous quittons ce site champêtre pour descendre à pied dans la gorge. Un véritable rideau d’orgues basaltiques ondule sur la falaise au-dessus de nos têtes, presque brillant au soleil. L’endroit est spectaculaire mais nous marchons sous un cagnard auquel nous ne sommes pas habitués. Il fait maintenant plus de 40° au soleil ! Nous longeons avec bonheur la rivière dont les eaux vigoureuses, parfois dégringolant en cascade, nous rafraîchit, au moins à les voir.

Une montée brutale en plein soleil doit nous faire regagner les 600 m de dénivelé que nous venons de perdre dans la gorge, afin d’atteindre le temple sur l’autre plateau. Des gamins du pays et leur famille montent allègrement en short et débardeur, pieds nus en tongs, sans se soucier de la chaleur. Ils sont habitués. La femme porte même un bébé dans les bras. Nous avons l’air engoncés avec nos chemises, pantalons longs et grosses chaussures de marche. Sauf moi, tous portent même un sac à dos comme s’ils partaient pour la journée alors que nous n’en avons que pour une heure ! Nuit courte, décalage horaire, constipation due à l’avion, chaleur inattendue, repas pris récemment – rien de tel pour nous déstabiliser physiquement ! Autant marcher léger.

Nous avons le temps d’une large pause sous un noyer à l’ombre épaisse, près d’une source dont le glouglou est à lui seul un rafraîchissement.

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Vers la mystérieuse Arménie

Pour moi, l’Arménie se résumait au papier et à Noé. Le papier d’Arménie sentait l’encens et ma grand-mère m’avait donné un carnet de ce genre, ramette rigide qu’il fallait faire brûler. Quant à Noé, échoué après le Déluge sur le mont Ararat, son arche de bois remplie d’animaux avait enchanté mes heures de catéchisme avant que la suite ne fut censurée pour les oreilles pudiques. Noé ne s’était-il pas enivré et montré « nu » à ses fils ? Sainte horreur catholique – c’était avant mai 68. Mais visiter l’Arménie est une tentation parce qu’elle reste la pointe avancée du christianisme face à l’islam dans le Caucase. Une frontière soutenue par les Russes depuis deux siècles. Pays indépendant, non arabe, il mérite d’être vu. Accord entre maires, Paris vient de signer un pacte d’amitié avec Erevan.

Nous partons de Roissy pour Riga, en Lettonie. Puis un Boeing 737 décolle vers minuit de Riga pour arriver à Erevan vers 4h. Des jumeaux de deux ans montent à bord, Arméniens. S’ils braillent en salle d’attente, ils dorment sagement une fois dans l’avion. Ce ne sont pas les plus bruyants, mais des jeunes de retour en Arménie une fois passé leur degré. Ils ont vingt ans et parlent haut, tout excités à l’idée de revoir la famille et de montrer leur succès. L’un d’eux transporte avec lui son diplôme enrubanné qu’il déroulera devant les oncles et cousins à l’arrivée. Il prend la pose pour la photo en groupe, tenant le précieux parchemin devant sa poitrine. Sa copine a un vague air de Catherine Deneuve.

Voler, désormais, n’a plus de goût. Compression des coûts oblige, tout est payant, les bagages de cabine ramenés à 8 kg plutôt que 10, le café à 2€50, le sandwich à 6€. Le service disparaît, submergé par l’intérêt. Les matrones-hôtesses de l’air pas commode, à la soviétique, rendent cet état de fait encore plus brutal. Le collectif pour elles a toujours raison – sauf que le collectif actuel s’appelle marché, elles l’apprendront dès que leur teint sera moins frais. Jamais depuis la crise financière de 2007 n’ai-je pris autant conscience de cette dérive exacerbée : qui paye existe, tous les autres sont rejetés aux marges, spectateurs des nantis. Nous sommes passés brutalement d’un social-étatisme keynésien lourdingue à un chacun pour soi égoïste que les Tea parties reflètent en caricature.

Ce qui frappe dans le hall de l’aéroport d’Erevan, ce sont les retrouvailles familiales. Comme à Tel Aviv en moins américain : plusieurs âges mêlés, nombreux gosses, cousins au sixième degré, propos chaleureux, étreintes et mains sur les épaules, photographies sans nombre. C’est très méridional, expansif. Un adulte accompagne quatre kids d’une douzaine d’années dont l’un, les cheveux en casque, a la joliesse des années 70. Chacun retrouve ses oncles et cousins à l’arrivée, puis part séparément, après un rapide au revoir. Le matin est à peine entamé mais déjà la chaleur se fait sentir, lourde encore dans les bâtiments. Les très jeunes venus de la ville sont vêtus au minimum, bermuda de jean et tee-shirt à col en V, chemisette ouverte ou débardeur laissant à nu les omoplates comme des embryons d’ailes.

Le visa se prend sur place pour 6€, à payer en 8000 drams (change sur place). Le jour se lève, il est 6h, l’air est moite et sent l’ozone. Nous prenons un bus de l’agence pour l’hôtel Regineh, situé sur les hauteurs à l’écart du centre-ville. Notre accompagnatrice arménienne est une belle femme dans la trentaine qui a un fils de douze ans laissé aux grands-parents pour l’été (trois mois de vacances en raison de la chaleur en Arménie).

Je remarque un détail amusant : tous les feux sont dotés d’une minuterie qui s’affiche en-dessous. Le piéton comme le conducteur sait combien il lui reste de secondes avant que le feu ne change de couleur. C’est ingénieux, ainsi le piéton a le plus souvent trente secondes quand le feu vient de changer, mais il évitera de traverser s’il n’en reste que deux ou trois affichées !

Ce qu’on peut voir de la ville, ce matin en bus, montre son aspect resté soviétique, massif, presque mussolinien. Nous verrons les quartiers neufs très chics en centre-ville, qui coûtent déjà dans les 2500$ le m². Ils gardent ce style autoritaire, imitation de Boffil. La terre est sèche dès qu’elle n’est pas artificiellement arrosée et peu de verdure pousse sur les collines. La rénovation a commencé avec la reprise économique de la fin des années 1990, mais de vieux immeubles subsistent, bâtis de briques diverses en fonction des arrivages et cimentés à la diable. Les toits sont même coiffés de tôle ce qui doit faire fournaise à l’étage supérieur ! Notre guide arménienne nous dit que les constructions récentes sont isolées par une trentaine de centimètres d’épaisseur de pouzzolane, pierre volcanique à bulles, courante ici. Des chiens errants hauts sur patte, couleur sable ou terre, « gardent » un bout de territoire, notamment le parking de l’hôtel.

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Le génocide arménien au musée d’Erevan

Le Président de la République française est en Arménie où il a fait hier un discours sur le génocide, appelant la Turquie à reconnaître son histoire. Les historiens débattent, et même les parlementaires (on se demande de quoi ils se mêlent). La question n’est pas politique, elle est historique : il s’agit de faits, pas d’idéologie.

Je suis allé en Arménie, dans la capitale Erevan, je reviendrai dans le blog sur ce voyage. Je suis allé voir, au musée d’Histoire de la ville, la « salle du Génocide ». Aucune notice n’est en anglais, tout en arménien, sauf un texte d’historien, ce qui est assez curieux pour une revendication internationale… Est-ce pour pouvoir dire ce qu’on veut sans craindre de protestations turques ? Trônent en majesté des photos noir et blanc du début du XXe siècle, des foules en attente, des gosses dépenaillés à la chemise turque déchirée sur une poitrine maigre, d’autres nus étiques, un cadavre de gamins déshabillé, le trou de balle sur le sternum. Le 24 avril 1915 fut une date noire pour les Arméniens de Turquie. L’État a décidé de déporter les intellectuels à 600 km de Constantinople, dans une marche à la mort pour anéantir la culture arménienne en Turquie et libérer des postes pour les élites nationalistes. Des institutions américaines ont emmené quelques orphelins, des familles ont pu fuir au Liban, en Arménie orientale, en Europe. Des hommes jeunes ont même constitué une légion arménienne dans l’armée française pour combattre les Turcs durant la Première guerre mondiale.

Il est strictement interdit de photographier quoi que ce soit. Mais le texte en anglais d’un professeur arménien sur le génocide méritait que je passe outre pour connaître le point de vue officiel. La matrone de la salle regardait ailleurs, j’ai pu prendre le texte que voici :

« Arménocide –

Le premier génocide du XXe siècle, le génocide arménien, a eu lieu en 1915. Il est arrivé dans l’empire Ottoman, en Arménie occidentale, le berceau des Arméniens dans les six vilayets (Erzerum, Bitlis, Kharberd, Sebastia, Van et Diarbekit), la cité capitale d’Istanbul et toutes les parties de l’empire où existait une population arménienne. C’était le premier crime sans précédent de l’extermination totale d’une nation par une autre.

Le génocide des Arméniens a été organisé et exécuté par les autorités ottomanes, la partie au gouvernement des Jeunes Turcs appelée ‘Union du progrès’ et ses chefs – le ministre de l’Intérieur Talaat, le ministre de la Guerre Enver, le ministre de la Marine Jemal – et leurs supporters du complot.

Ce n’est pas l’initiative d’individus séparés mais une politique d’État soigneusement planifiée et mise en œuvre.

Aujourd’hui, tous les spécialistes réputés des études sur les génocides, qui ont de fermes principes scientifiques et qui ne donnent pas dans les considérations politiques, reconnaissent que le génocide arménien fut le premier génocide. Selon Franklin Little, professeur à l’université juive de Jérusalem, le génocide arménien a été le début d’une nouvelle ère. Il a écrit que, après les massacres (action de génocide) exécutés par les gouvernements au Cambodge, Soudan, Burundi, Rwanda et Bosnie, on peut appeler le XXe siècle l’ère des génocides, qui a commencé avec le génocide arménien.

Le génocide arménien, suivi par l’Holocauste juif exécuté dans l’Allemagne de Hitler durant la Seconde guerre mondiale, les génocides et tentatives de génocides au Cambodge, Burundi, Rwanda, des Balkans, du Soudan, d’Éthiopie, du Nigeria et d’autres pays indiquent que les génocides ne surviennent pas par accident. Ils sont possibles dans les États qui appartiennent à la typologie des États génocidaires et dans les sociétés classées comme génocidaires.

Tel était l’empire ottoman – un État réactionnaire, militaire-féodal, fondé sur la politique de la violence, de l’oppression, des persécutions et des massacres – une politique visant les peuples non-turcs sans préjuger de leur foi (Assyriens, Arabes, Bulgares, Arméniens, Grecs, Macédoniens, Serbes et autres). Il y a seulement un pas du massacre au génocide.

L’empire ottoman, considéré comme « malade », est entré dans une crise économique, sociale et politique profonde. Au lieu d’user de méthodes civilisées pour résoudre les problèmes, les chefs Jeunes Turcs ont recouru à la politique d’escalade des massacres et du génocide. Ils avançaient une thèse raciale pour forcer les conversions de tous les peuples non-turcs en Turcs, formant ainsi un État et une société ethnique « pure », une thèse fondée sur la suprématie turque. Les peuples qui rejetaient cette politique et restaient fidèles à leur identité nationale étaient sujets à l’extermination physique. Les Arméniens qui ont créé une civilisation unique et qui ont eu foi dans leurs valeurs nationale, culturelles et spirituelles pendant des siècles se sont refusées à devenir Turcs, par volonté ou par force, et ils sont devenus la première nation sujette à génocide.

Une autre circonstance qui a joué un rôle fut qu’en parallèle à la turquisation, les Jeunes Turcs poursuivaient l’idée du panturquisme, la politique d’unir toutes les populations de langue turcophone sous l’empire ottoman, créant le Grand empire Touran. L’Arménie était un obstacle sur la voie du panturquisme qui n’a jamais été levé.

Cette atmosphère de mentalité raciale qui a existé dans l’empire ottoman et la politique poursuivie par les Jeunes Turcs ont conduit au génocide arménien. Un million et demi d’Arméniens en ont été victimes, et environ un million d’enfants, de femmes et de vieillards ont été déportés de leurs maisons et pays pour être exilés dans les déserts d’Arabie ; beaucoup d’entre eux sont morts dans les sables brûlants, de faim, de soif et des férocités des bandits turcs.

L’exécution du génocide arménien a été aussi favorisée par la situation internationale de la Turquie, créée par la Première guerre mondiale, quand la plupart des pays européens étaient en guerre les uns contre les autres. En conséquence, la question de la solution arménienne a été laissée à l’empire ottoman en exclusivité, ce qui est revenu à la manière turque, ce qui veut dire le yatagan (sabre).

Comme résultat du génocide exécuté de sang froid, les Arméniens occidentaux ont perdu leur mère patrie, l’Arménie occidentale a été privée de sa population indigène, les Arméniens. Les survivants se sont éparpillés tout autour du monde aboutissant à la fondation de l’actuelle diaspora arménienne.

Le génocide arménien de 1915 est considéré comme la page la plus noire du XXe siècle. Comme génocide, c’est un crime non seulement contre les Arméniens mais aussi contre l’humanité.

L’historien arabe Moussa Prince a inventé le terme d’Arménocide pour décrire le génocide arménien, considérant l’Arménocide comme « le génocide le plus génocidaire ».

Le génocide arménien n’a pas encore été reconnu par la Turquie moderne, et ses chefs ne se sont pas encore excusés auprès du peuple arménien, comme on pourrait s’attendre d’une nation et d’un État civilisés, comme l’Allemagne s’est excusée auprès du peuple juif. L’Arménocide n’a pas encore été condamné par la communauté internationale, ce qui nous fait regretter que le génocide arménien n’ait pas eu son Nuremberg, comme l’Holocauste juif.

Cependant, dans les dernières décennies, des changements significatifs ont eu lieu sur le sujet, ce qui nous permet d’observer que le processus d’une reconnaissance internationale du génocide arménien a commencé. Le génocide arménien a été reconnu par le Parlement européen, des organisations internationales variées, le parlement d’une quinzaine de pays (Argentine, Belgique, Italie, Canada, Chypre, le Liban, les Pays-Bas, Grèce, Suède, Suisse, Slovaquie, Uruguay, France, Russie) et par le Vatican. » [L’ordre des pays suit probablement la chronologie de cette reconnaissance]

Nikolai Hovhannissian, PH.D en histoire, professeur.

La traduction depuis l’anglais est la mienne.

On notera la lourdeur du vocabulaire, l’inlassable répétition du terme « génocide arménien » puisque l’idée même en est rejetée par les Turcs, l’insistance à être une fois de plus dans les « records » (le premier génocide, le génocide le plus génocidaire)… Mais le texte existe. Il mérite qu’on en témoigne.

La revue L’Histoire a consacré un article sur le sujet : Génocide arménien le scénario, par Fuat Dündar, n°341, avril 2009

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