Le génocide arménien au musée d’Erevan

Le Président de la République française est en Arménie où il a fait hier un discours sur le génocide, appelant la Turquie à reconnaître son histoire. Les historiens débattent, et même les parlementaires (on se demande de quoi ils se mêlent). La question n’est pas politique, elle est historique : il s’agit de faits, pas d’idéologie.

Je suis allé en Arménie, dans la capitale Erevan, je reviendrai dans le blog sur ce voyage. Je suis allé voir, au musée d’Histoire de la ville, la « salle du Génocide ». Aucune notice n’est en anglais, tout en arménien, sauf un texte d’historien, ce qui est assez curieux pour une revendication internationale… Est-ce pour pouvoir dire ce qu’on veut sans craindre de protestations turques ? Trônent en majesté des photos noir et blanc du début du XXe siècle, des foules en attente, des gosses dépenaillés à la chemise turque déchirée sur une poitrine maigre, d’autres nus étiques, un cadavre de gamins déshabillé, le trou de balle sur le sternum. Le 24 avril 1915 fut une date noire pour les Arméniens de Turquie. L’État a décidé de déporter les intellectuels à 600 km de Constantinople, dans une marche à la mort pour anéantir la culture arménienne en Turquie et libérer des postes pour les élites nationalistes. Des institutions américaines ont emmené quelques orphelins, des familles ont pu fuir au Liban, en Arménie orientale, en Europe. Des hommes jeunes ont même constitué une légion arménienne dans l’armée française pour combattre les Turcs durant la Première guerre mondiale.

Il est strictement interdit de photographier quoi que ce soit. Mais le texte en anglais d’un professeur arménien sur le génocide méritait que je passe outre pour connaître le point de vue officiel. La matrone de la salle regardait ailleurs, j’ai pu prendre le texte que voici :

« Arménocide –

Le premier génocide du XXe siècle, le génocide arménien, a eu lieu en 1915. Il est arrivé dans l’empire Ottoman, en Arménie occidentale, le berceau des Arméniens dans les six vilayets (Erzerum, Bitlis, Kharberd, Sebastia, Van et Diarbekit), la cité capitale d’Istanbul et toutes les parties de l’empire où existait une population arménienne. C’était le premier crime sans précédent de l’extermination totale d’une nation par une autre.

Le génocide des Arméniens a été organisé et exécuté par les autorités ottomanes, la partie au gouvernement des Jeunes Turcs appelée ‘Union du progrès’ et ses chefs – le ministre de l’Intérieur Talaat, le ministre de la Guerre Enver, le ministre de la Marine Jemal – et leurs supporters du complot.

Ce n’est pas l’initiative d’individus séparés mais une politique d’État soigneusement planifiée et mise en œuvre.

Aujourd’hui, tous les spécialistes réputés des études sur les génocides, qui ont de fermes principes scientifiques et qui ne donnent pas dans les considérations politiques, reconnaissent que le génocide arménien fut le premier génocide. Selon Franklin Little, professeur à l’université juive de Jérusalem, le génocide arménien a été le début d’une nouvelle ère. Il a écrit que, après les massacres (action de génocide) exécutés par les gouvernements au Cambodge, Soudan, Burundi, Rwanda et Bosnie, on peut appeler le XXe siècle l’ère des génocides, qui a commencé avec le génocide arménien.

Le génocide arménien, suivi par l’Holocauste juif exécuté dans l’Allemagne de Hitler durant la Seconde guerre mondiale, les génocides et tentatives de génocides au Cambodge, Burundi, Rwanda, des Balkans, du Soudan, d’Éthiopie, du Nigeria et d’autres pays indiquent que les génocides ne surviennent pas par accident. Ils sont possibles dans les États qui appartiennent à la typologie des États génocidaires et dans les sociétés classées comme génocidaires.

Tel était l’empire ottoman – un État réactionnaire, militaire-féodal, fondé sur la politique de la violence, de l’oppression, des persécutions et des massacres – une politique visant les peuples non-turcs sans préjuger de leur foi (Assyriens, Arabes, Bulgares, Arméniens, Grecs, Macédoniens, Serbes et autres). Il y a seulement un pas du massacre au génocide.

L’empire ottoman, considéré comme « malade », est entré dans une crise économique, sociale et politique profonde. Au lieu d’user de méthodes civilisées pour résoudre les problèmes, les chefs Jeunes Turcs ont recouru à la politique d’escalade des massacres et du génocide. Ils avançaient une thèse raciale pour forcer les conversions de tous les peuples non-turcs en Turcs, formant ainsi un État et une société ethnique « pure », une thèse fondée sur la suprématie turque. Les peuples qui rejetaient cette politique et restaient fidèles à leur identité nationale étaient sujets à l’extermination physique. Les Arméniens qui ont créé une civilisation unique et qui ont eu foi dans leurs valeurs nationale, culturelles et spirituelles pendant des siècles se sont refusées à devenir Turcs, par volonté ou par force, et ils sont devenus la première nation sujette à génocide.

Une autre circonstance qui a joué un rôle fut qu’en parallèle à la turquisation, les Jeunes Turcs poursuivaient l’idée du panturquisme, la politique d’unir toutes les populations de langue turcophone sous l’empire ottoman, créant le Grand empire Touran. L’Arménie était un obstacle sur la voie du panturquisme qui n’a jamais été levé.

Cette atmosphère de mentalité raciale qui a existé dans l’empire ottoman et la politique poursuivie par les Jeunes Turcs ont conduit au génocide arménien. Un million et demi d’Arméniens en ont été victimes, et environ un million d’enfants, de femmes et de vieillards ont été déportés de leurs maisons et pays pour être exilés dans les déserts d’Arabie ; beaucoup d’entre eux sont morts dans les sables brûlants, de faim, de soif et des férocités des bandits turcs.

L’exécution du génocide arménien a été aussi favorisée par la situation internationale de la Turquie, créée par la Première guerre mondiale, quand la plupart des pays européens étaient en guerre les uns contre les autres. En conséquence, la question de la solution arménienne a été laissée à l’empire ottoman en exclusivité, ce qui est revenu à la manière turque, ce qui veut dire le yatagan (sabre).

Comme résultat du génocide exécuté de sang froid, les Arméniens occidentaux ont perdu leur mère patrie, l’Arménie occidentale a été privée de sa population indigène, les Arméniens. Les survivants se sont éparpillés tout autour du monde aboutissant à la fondation de l’actuelle diaspora arménienne.

Le génocide arménien de 1915 est considéré comme la page la plus noire du XXe siècle. Comme génocide, c’est un crime non seulement contre les Arméniens mais aussi contre l’humanité.

L’historien arabe Moussa Prince a inventé le terme d’Arménocide pour décrire le génocide arménien, considérant l’Arménocide comme « le génocide le plus génocidaire ».

Le génocide arménien n’a pas encore été reconnu par la Turquie moderne, et ses chefs ne se sont pas encore excusés auprès du peuple arménien, comme on pourrait s’attendre d’une nation et d’un État civilisés, comme l’Allemagne s’est excusée auprès du peuple juif. L’Arménocide n’a pas encore été condamné par la communauté internationale, ce qui nous fait regretter que le génocide arménien n’ait pas eu son Nuremberg, comme l’Holocauste juif.

Cependant, dans les dernières décennies, des changements significatifs ont eu lieu sur le sujet, ce qui nous permet d’observer que le processus d’une reconnaissance internationale du génocide arménien a commencé. Le génocide arménien a été reconnu par le Parlement européen, des organisations internationales variées, le parlement d’une quinzaine de pays (Argentine, Belgique, Italie, Canada, Chypre, le Liban, les Pays-Bas, Grèce, Suède, Suisse, Slovaquie, Uruguay, France, Russie) et par le Vatican. » [L’ordre des pays suit probablement la chronologie de cette reconnaissance]

Nikolai Hovhannissian, PH.D en histoire, professeur.

La traduction depuis l’anglais est la mienne.

On notera la lourdeur du vocabulaire, l’inlassable répétition du terme « génocide arménien » puisque l’idée même en est rejetée par les Turcs, l’insistance à être une fois de plus dans les « records » (le premier génocide, le génocide le plus génocidaire)… Mais le texte existe. Il mérite qu’on en témoigne.

La revue L’Histoire a consacré un article sur le sujet : Génocide arménien le scénario, par Fuat Dündar, n°341, avril 2009

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5 réflexions sur “Le génocide arménien au musée d’Erevan

  1. Pingback: Géopolitique de l’Arménie « argoul

  2. Bonjour
    J’ai visité le Dzidzernagapert musée du génocide lors de mon voyage en 2008.
    On en ressort avec un poids dans la conscience et le coeur serré à l’évidence ce qui s’est passé. Si le terme de « génocide » est réfuté par l’actuelle Turquie il n’en reste pas moins que le résultat le démontre bien. Les six vilayets du Dersim actuel étaient le berceau des arméniens et des kurdes avant l’invasion des cavaliers venus de Mongolie.
    Merci d’avoir traduit et publié ce texte (important) et je comprends (en partie) la réaction de celui qui a très mal pris votre commentaire.
    Le sujet est trop grave, douloureux malgré le temps et cela explique la portée des mots, de part et d’autre.
    Pour ma part, je pense que rien ne pourra s’effacer et que tant qu’il y aura un arménien, une demande de reconnaissance sera faite à la Turquie. Celle-ci est arque-boutée sur l’idée que ce qui a été commis, fut un détail dans la débâcle de l’empire ottoman.
    A l’heure actuelle, la reconnaissance par les états qui n’ont pas de relation directe avec cette question ne résout rien car les principaux protagonistes de l’époque restent dans le silence.
    Le jour ou le Royame Uni, l’Allemagne et enfin la Turquie reconnaitront ce génocide, on pourra parler de justice envers le peuple arménien. Cela reste dans un domaine assez peu probable, malheureusement.
    Quant au débat à la pénalisation du négationnisme, cela fait partie des enjeux électoralistes surtout à quelques mois des présidentielles.
    En résumé, l’histoire est écrite mais pas de la même manière et pas pour tous, si vous voyez ce que je veux dire.
    Encore merci, pour cette traduction d’un texte que je ne me souviens pas avoir vu.

    Antranik

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  3. Albert KENDIRIAN

    Vous voilà bien nerveux..
    le mot génocide dit que je sui une victime indirecte.. à ce titre vous me permettrez de trouver qu’on ne doit jamais se lasser de revendiquer ses droits..
    trouver que cette victimisation est inlassablement répéter veux dire que je n’ai pas besoin de vous pour recouvrer mes droits.. et je vous remercie simplement d’avoir été interressé sur cette question..
    vous auriez pu essayé de décripter la façon dont les signataire du traité de rome ont donné naissance à la création du tribunal international de la Haye..
    vous pourriez aussi vous interrogé pourquoi aucune condanation d’éventuel auteur de ce genre de crime l’ont toujours été à titre individuel..
    aussi milosévic.. serait des criminels, mais la Serbie ne peut pas être atteinte.. parce qu’elle ne conteste pas la culpabilité de ses Dirigents , sous une forme de chantage, donc Milosevic, peut etre coupable.. aucun négationnisme d’état.. les individus sont coupables, mais pas l’Etat Serbe..
    Pourtant les Dirigents avaient une légitimité Nationale..
    Dans le cas de la Turquie, Il y a Négationnisme d’Etat.. les Archives Turques (Evaporés, Eludés.. imaginez que l’on va garder des documents compromettant..
    La seule raison qui me fait réagir.. rendez m’en grâce c’est que je sui une victime.. que cette terre d’Arménie nous a été spolié.. et que l’impunité des criminels d’Alors est cautionné par ceux qui font le recel de ces biens spoliés.. La communauté internationale faisant l’autruche selon le principe de la Réal politik faisant dire aux criminels actuels.. « pas vus, pas pris ».
    Dernier point si vous voulez retirer votre soutien à cette juste cause cela fera une situation plus claire..
    Soit il y a eu génocide.. et à ce titre cet évenement est imprescriptyible et il y aura toujours des Arméniens pour faire rendre gorge, soit comme le dise si délicatement les turcs ce sont des Alégations et à ce moment la vous pouvez développé l’idée que la hierarchisation des crimes est infondée..
    Accepteriez vous vous meme d’etre spolié dans vos droits et d’être réduit au silence et au renoncement..
    Avous lire
    Albert

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  4. Je ne comprends pas le mot « injures » que vous employez. Parler des Arméniens, des Turcs, des Juifs, des Rwandais – est-ce DE FAIT dire des injures ?
    Je ne blâme pas les victimes collectives, comme vous dites curieusement, je traduis de l’anglais un texte d’historien arménien. Rien ne m’empêche de trouver « lourd » son vocabulaire ! Ce n’est pas parce qu’on dit des choses justes qu’il faut les dire mal. Et ne soyez pas naïf, même si vous êtes Arménien d’origine : la répétition du terme « génocide arménien » à chaque phrase est largement POLITIQUE : c’est parce que la Turquie refuse d’en parler que cette insistance existe.
    Je suis allé en Arménie, j’ai apprécié le pays, chrétien avant même Rome, j’ai aimé les gens là-bas. Les historiens qui parlent de génocide pour cette question ont raison et je suis d’accord avec vous pour dire que cela concerne toute l’humanité.
    Votre réaction épidermique à votre « domaine réservé » pourrait inciter les gens comme moi à se taire et à laisser faire. Alors, je vous en prie, modérez vos propos et relisez soigneusement la note : il n’y a aucune injure ailleurs que dans vos fantasmes. Le débat est toujours possible, si chacun respecte des règles de civilité.

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  5. Albert KENDIRIAN

    le ton de votre article peut etre considéré injurieux par d’innocent sous entendus ça et là..
    Etre une victime.. individuelle est une chose.. c’est terrible.. lorsque le crime est collectif et lorsque l’atteinteà la victime na été justifié que par son appartenance à une nation, une ethnie, une religion, ou un groupe.. c’est un génocide.. ce mot a été crée par un certain Raphael Lemkin qui a passé sa vie a étudier les crimes collectif et notament dés les années 20 le génocide des Arméniens.. Le courronnement de ses travaux a coïncidé par la découverte de la shoa, celle ci était justifié chez les Nazis suite à cette phrase d’Hitler prononcée en 1941″ qui se souvient du massacre des Arméniens ».
    Alors que les survivants de ce groupe ethnique demande à ce que justice leurs soit rendu.. vous choque t’il ? ..
    Ce ne sont pas les Arméniens qui on été victimes d’un génocide.. c’est l’humanité dans son ensemble.. cela s’appelait avant Raphael Lemkin à la période de la société des Nations (SDN) « un crime contre l’humanité » et la création de l’ONU en 1948 s’est justifié par lma shoa et la répétition d’un crime contre l’humanité commis 20 ans plus tot et encore impuni et non reconnu par leurs auteurs.. Il s’agit de la charte de prévention des génocides et des crimes contre l’humanité dont le 60ème anniversaire a valu un hommage à Raphael Lemkin sans que soit cité une seule fois la raison de ces travaux ..
    Aujourd’hui on semble s’en foutre.. Alors, le Rwanda..le Darfourf, le Nigéria etc.. sont toujours possible tant que tous les génocides passés ne sont pas reconnus par leurs auteurs, et dans le cas d’un refus de leur part, cela doit rentrer dans la compétence de la cours pénale internationale qui a soigneusement écarté de ses status les responsabilités des états pour se limiter à la responsabilité des individus..
    Ou est le problème? les poursuites internationales et les procès qui s’en sont suivi sont toujourts des procès qui interpèle des individus..Le crime est collectif.. les victimes sont des individus appartenant à un groupe mais on ne désigne pas les auteurs comme étant un groupe.. A l’exception près du régime Nazi.. Les Nazis sont coupables, leurs dirigeant condamnés (sauf dont la fuite a été protégée) mais l’Allemagne est restée propre, innocente, et irresponsable..
    Voilà Mr.. votre article est interressant, vous rapportez un texte faisant état de ce génocide, mais ne blamez pas les victimes collectives, on ne doit pas celles ci à se considérer comme des gens coupables collectives par l’appartenence à une groupe sans aucune autre raison..
    Je vous remercie de toute façon de v otre texte journalistique.. vos commentaires en moins
    bonne journée..
    Albert

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