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Gabriel Matzneff, La lettre au capitaine Brunner

Je n’avais pas lu Matzneff depuis dix ans, après le Carnet noir. La censure des vagins outragés (mais un peu tard pour être honnêtes…) m’incite à lire la production non encore censurée (avant qu’elle le soit définitivement). Si je retrouve dans ce nouveau roman une atmosphère, je suis plutôt déçu. C’est un roman du grand âge, séduisant et radoteur, où il ne se passe rien. Les personnages créés il y a des années continuent à vivre, ils vieillissent. Ils n’arpentent plus le monde neuf ni ne cherchent à découvrir de nouveaux livres, ils jouissent de ce qu’ils ont, cantonnés à Paris et aux grandes villes italiennes : Naples, Venise, Rome.

Promenades et récriminations : dans ce roman, pas d’histoire. Le titre évoque une vague intrigue où le passé familial viendrait gâcher le temps présent au détriment du Carpe diem. Avec le parfum de scandale du célèbre Hauptsturmfürher (aussi difficile à lire qu’à écrire en français), le capitaine SS Brunner dont le prénom était Aloïs. Le héros – en deux personnages en quête d’un même auteur – diverge sur l’importance à accorder au passé : Cyrille se suicide, son cousin Nil s’en débarrasse. Les deux font Matzneff, pareillement Russes blancs parisiens, élevés souvent ensemble, délaissés par leurs familles. Tous deux ont été déniaisés par leur nounou vers 14 ans et ont eu, dix ans plus tard, une amante de 14 ans. Mais Cyrille est le Gabriel de jeunesse, celui qui a eu la tentation du suicide sur les falaises de Dieppe au début des années 1960, tandis que Nil survit en hédoniste, attentif à son plaisir et à ses amis, égotiste selon Stendhal, multipliant les conquêtes et ne les gardant jamais.

Dont « Delphine (…) de droite catholique (…) récemment montée à Paris (…) originaire de Dordogne [qui] adorait les poules, celles en chair et en os, mais aussi les poules en peluche. De même que Nil était un professionnel de la soupe au lait, Delphine était une professionnelle de l’angoisse. (…) Il ne supportait plus son inaptitude à l’insouciance, au bonheur (…) ce mixte de narcissisme et de surexcitation qui formait le fond de son caractère. (…) Elle le soûlait » p.43. Le portrait littéraire du personnage réel, pour qui le connait, est assez bien brossé.

Les individus des précédents romans les moins recommandables selon la morale en vigueur, adeptes de gamins philippins ou arabes, sont morts ou suicidés. Ne subsistent que les cultivés avec qui Nil peut échanger de l’érudition : Raoul, Mathilde, Nathalie – comtesse de La Fère comme Athos dans les Trois mousquetaires -, le père Guérassime. L’auteur se délecte des noms exotiques de l’église orthodoxe tels hiéromoine, archimandrite, higoumène, omophore, saint Agapit, saint Barsanuphe. Mais il se perd et perd son lecteur dans les méandres byzantins de la politique ecclésiastique entre la rue Daru et Moscou. Le snobisme « d’appartenir » à l’orthodoxie est une coquetterie qui peut vite devenir lassante.

Nathalie se marie au consulat français de Rome avec Lioubov, une femelle comme elle, et c’est le premier mariage homo en Italie autorisé par les lois de la République. Prétexte aux italianismes et aux promenades dans Rome, Naples ou Venise, de spritz au Harry’s Bar ou autres lieux, des agapes rapicolantes arrosées de vins locaux dans les restaurants populaires avec limoncello « bourré d’hydrate de carbone » pour terminer. Ne pas oublier que Matzneff est lettré : en grec, agapè est un nom de l’amour et les agapes où l’on banquette l’entretient – comme chez Platon.

C’est la vie, sans histoire – en somme le bonheur. Car les gens heureux n’ont pas d’histoire : ni passé encombrant, ni activisme au présent, ils se laissent vivre en cueillant le jour présent. Carpe diem ! Rien à voir avec Stendhal qui nouait une intrigue dans les décors complaisants du romantisme. Reste un style, une atmosphère. Ceux qui ont lu Matzneff en leurs jeunes années les retrouvent, enrichis, et apprécient ; les nouveaux s’ennuieront. D’autant que nombre de pages sont carrément recopiées des chroniques publiées dans le recueil Séraphin c’est la fin ! et que relire une fois de plus ces redondances datées agacent un brin.

Quelques remarques fort justes ponctuent le roman, comme celle sur la bêtise humaine : « N’oublions pas la bêtise, très important, la bêtise. Pour échapper à tout ça, il faut fermer les yeux, se boucher les oreilles, ne rien voir, ne rien entendre, adopter une règle de conduite fondée sur l’égoïsme le plus strict » p.179. La lamentable histoire de l’arroseur arrosé, de la séquence sexe, mensonge et vidéo d’un Griveaux pris la main sur son anatomie alors qu’il professe en public la pudeur effarouchée est de ce type. A quoi cela sert-il de « savoir » que le candidat baise et s’excite ? S’il a réalisé et posté une vidéo à une personne qu’il croyait de confiance, pourquoi Griveaux n’assume-t-il pas ses grivèleries, plaisir pris et donné entre adultes consentants ? « Assumer » est pourtant un maître-mot de la macronie qui se veut force tranquille. Soit il est niais d’avoir pensé échapper aux hackers qui traquent tout ce qui peut desservir un candidat, soit il est arrogant pour s’être cru au-dessus de la fameuse transparence en se donnant une image qui ne reflète pas la réalité, soit il conforte la moraline puritaine inepte, surtout à Paris ! Mais c’est trop bête pour en parler. Faute de Griveau, on ne manque pas de perles : les candidats passent, ils se renouvellent toujours. Laissons les « polémiques » aux envieux qui n’ont personne à foutre.

Gabriel Matzneff, La lettre au capitaine Brunner, 2015, Table ronde poche La petite vermillon 2019, 264 pages, €7.30 e-book Kindle €11.99

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Boukhara 1

Boukhara s’est bâtie au 1er siècle après dans la vallée de la Zeravshan, région productrice de gaz naturel, de coton et de soie. Mais elle existait déjà sur un territoire couvert de lacs et de roseaux, où vivaient une multitude d’oiseaux et d’autres animaux. Cette oasis a été occupée dès avant le 6ème siècle où les rois de Perse l’envahirent, avant les Grecs d’Alexandre, en 329 avant. Ces derniers y restèrent un siècle.

En 709, la ville fut prise par les Arabes et devint alors « ville aux 360 mosquées ». Elle est resserrée autour du centre historique ; au total, elle abrite 300 000 habitants. Toute la ville est façonnée d’argile rouge charriée par le fleuve Amou-Daria. La brique est chaude, lumineuse, carrée, tout comme se veut la ville. Boukhara, bien placée sur les routes des caravanes, a gardé une tradition d’artisanat depuis Tamerlan. A notre arrivée, il est annoncé officiellement 38° centigrades de température au pire de la journée (à l’ombre) et 43° après-demain.

Nous visitons le Labkhause, « les lèvres du bassin », le réservoir d’eau du centre-ville. Les restaurants touristiques se dressent tout autour. Kamaka et des medersas du 16ème siècle s’étendent de part et d’autre.

Un mûrier de 1477 est toujours debout mais en ruines ; ne reste de lui qu’une souche. En face, un autre est toujours vivant. Une statue d’Effendi sur un âne a été érigée en 1979. Effendi est un personnage rusé, dur aux avares et cher aux pauvres. Des gavroches du coin, épaules solides et court vêtus, entreprennent d’y grimper pour s’asseoir dans son giron. Ils dominent le bassin et sont tout fier de cet exploit. Sourire au photographe qui l’immortalise sur l’instant. L’oiseau légendaire Humo porte bonheur figure sur une mosaïque du fronton des medersas.

La mosquée Magok Attor, dont le nom signifie « souterrain marchand », date du 12ème siècle ; elle a été reconstruite en 1547. Dans son unique salle à 6 piliers couronnée de 12 coupoles, un tapis représente La Mecque. Il est venu d’Iran au 20ème siècle. Le portail de la façade sud est décoré de lyres en chapiteaux qui soutiennent l’arc de niche. Le décor de brique ciselé a été conservé car il s’est retrouvé vite sous la terre, le sol s’étant élevé de près de 8 m destruction après destruction des tremblements de terre et des invasions.

Toutes les visites de Boukhara se font dans le même étroit rayon autour du centre. Tous les monuments sont voués au commerce, tapis, babioles, artisanat, souvenirs. C’est un retour aux traditions caravanières, sans doute.

Nous prenons le dîner au bord du bassin, à l’air libre, la foule d’ambulant alentour. Des jeunes à plusieurs observent et commentent les étrangères, des familles entières se promènent, prennent une boisson ou une glace. Le tout fait très Côte d’Azur ou bords de la mer Noire. Le repas est banal, tellement que je n’en ai rien retenu.

Les matrones qui déambulent en soirée, tenaient commerce dans la ville l’après-midi. Elles font la rituelle promenade en famille avec mari et marmaille. Comme ailleurs dans le pays, elles se portent bien et s’enveloppent de robes imprimées à grosses fleurs. Une jeune fille aux cheveux noir corbeau a recourbé une mèche derrière l’oreille. Cela lui donne un air mutin si l’on songe à en croissant de lune, un air presque agressif si l’on voit le cheveu pointer comme un crochet.

Nous allons au matin suivant voir les coupoles marchandes d’Abdullah Khan. Ce sont des pavillons du 16ème siècle dont il subsiste trois : l’un servait au troc, l’autre aux chapeliers, le dernier aux bijoutiers.

A côté se dressent d’antiques bâtiments autour d’un bassin, le khaouz. Le khanaka (couvent) de Nadir Divan Beghi s’étend, rectangulaire, derrière un étroit portail. La medersa du même nom s’élève en face. Elle est décorée de mosaïque fine représentant des oiseaux simourg et des biches. La medersa Koukeldach est entre les deux. Datant du 16ème siècle, son rez-de-chaussée était voué aux études, le premier étage aux logements. Dix medersas étaient en fonction en Ouzbékistan, d’après Rios. Chaque cellule contenait deux ou trois étudiants. Aujourd’hui, quand elles ne sont pas en restauration, elles sont occupées par des boutiques.

 

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Écoliers et éléphants du Sri Lanka

Nous commençons la matinée par croiser sur la route, à l’heure de l’école, des primaires en chemisette ocre et short ou jupette bordeaux, des collégiens en chemisette nylon blanche à col ouvert et short bleu, robe blanche à cravate bleue pour les filles, enfin des lycéens en chemise coton blanche à col ouvert et pantalon blanc, robe blanche à cravate noire pour les filles. Le premier âge se voit affublé du moins salissant, l’âge ingrat de tissu qui se lave bien et sèche vite ; il faut attendre 15 ans pour que le vêtement adulte soit de rigueur chez les garçons.

ecoliers primaires sous la pluie sri lanka

Comme au Népal, il n’est pas rare de voir un collégien fermer sa chemise par une épingle à nourrice, les boutons arrachés jusqu’au ventre par les bagarres. A l’aller pour 8h, ou à la sortie après 14h, collégiens et lycéens des deux sexes sortent en grappes et marchent en groupes séparés. Ils attendent les bus, s’y entassent jusque sur les marchepieds, tiennent dans un geste enfantin leur meilleur copain enlacés aux épaules, la copine pour les filles.

ecoliers torse nu sri lanka

La pudeur est grande parmi la population ; on ne voit pas de torse nu adolescent en public, seuls parfois des enfants dans le jardin de leur maison ou des adultes devant leur boutique ; on ne voit pas non plus de flirts entre garçons et filles en public avant 20 ans et plus.

collégiens main sur epaule sri lanka

Sur les 21,6 millions d’habitants recensés au Sri Lanka (estimation 2013), les enfants de 0 à 14 ans comptent pour 24.8% et les 15 à 24 ans pour 15.1%. Il y a 16.64 naissances pour mille et le taux de fécondité est de 2.15 enfants par femme, ce qui est le ratio d’un pays ayant achevé sa transition démographique. Seulement 14% de la population habitent les villes car 32% des emplois sont encore dans l’agriculture. Les dépenses d’éducation ne sont que de 2% du PIB, qui représente 6100 $ par habitant. 91.2% de la population au-dessus de 15 ans sait lire et écrire, un peu plus les garçons, à 92.6%.

fresque sur ecole sri lanka

On y apprend l’anglais car les échanges commerciaux se font surtout à l’exportation vers les États-Unis (19.8%), le Royaume-Uni (9.2%), l’Inde (6.5%) – tandis que les importations proviennent surtout de l’Inde (25.6%), la Chine (15.9%), Singapour (7.1%), l’Iran (6.2%) et le Japon (5%), tous pays parlant anglais. Dans la population totale, seulement 10% parlent anglais correctement, ce qui doit être à peu près la même chose qu’en France car, entre apprendre et pratiquer, il y a un fossé.

collégiens sri lanka

L’école obligatoire, comme chez nous, commence à 6 ans. L’école primaire se compte à l’anglaise, de la 1ère à la 5ème année, le secondaire de la 6ème à la 10ème année. Après l’âge de 16 ans commence (à l’inverse de nous) le « collège » qui dure 3 ans. L’université dure maximum 5 ans, selon le système anglo-saxon que nous avons adopté récemment : licence, master, doctorat. Au Sri Lanka 65% des gens sont éduqués. L’école commence à 8h et termine avant 15h de janvier à mars, puis de mai à juillet et de septembre à novembre. La classe s’effectue jusqu’au collège à la façon traditionnelle, déjà décrite en 1889 par le voyageur Cotteau : « c’est un simple hangar, ouvert sur toutes ses faces, édifié sur une plateforme élevée de quelques mètres au-dessus du sol. » Cela n’a pas changé. Les mois intermédiaires d’avril, août et décembre pour cause d’examens, sont suivis d’un mois de congé. Les professeurs ont le droit de châtier physiquement les élèves, comme dans les classes anglaises avant 1945.

elephant plateforme sri kanka

Nous regardons aussi des cabanes bâties dans les arbres. Ce ne sont pas des rêves de gamins mais « pour observer les animaux prédateurs qui viellent fouiller dans les champs cultivés », nous dit le guide. Notamment des éléphants lors des périodes de sécheresse ; ils viennent chercher à manger près des maisons car il leur faut autour de 150 kg de végétaux à se mettre sous la trompe chaque jour. Comme ils ne peuvent se baigner deux fois par jour, ils deviennent agressifs et il faut les chasser à coups de pétard, voire de fusil. Chaque année, 250 éléphants sauvages meurent par accidents, notamment sur la route ; environ 50 humains aussi – à cause des éléphants.

Avant le déjeuner, en supplément, la promenade des éléphants. Je ne suis jamais monté dessus, voici une occasion. Qui l’a fait une fois ne voit pas l’intérêt de le refaire, surtout pour 3000 roupies par personne pour trois-quarts d’heure. Nous grimpons sur une plateforme aménagée dans un arbre pour accéder au carré qui surmonte l’éléphant.

elephant quetant une banane sri kanka

Le nôtre s’appelle Moutou. C’est un gros pachyderme placide qui aime beaucoup les bananes : il tend sa trompe vers l’arrière, à l’endroit du chemin où – pour un supplément de prix – un homme tend des bananes. Être sur un éléphant est un peu être sur un bateau, sauf que la houle est régulière. Vous subissez le roulis des hanches, parfois le tangage d’une pente. De courts poils en brosse poussent dru sur le crâne de l’animal et ses oreilles courtes d’éléphant d’Asie ventilent les mouches.

elephant promenade sri kanka

La bête est menée sur un chemin qui longe un lac, puis se baigne jusqu’au ventre, heureuse. Pas le nôtre, mais un facétieux, n’hésite pas à doucher ses passagers d’un coup de trompe. Heureusement, il fait chaud et l’eau fétide sèche vite. Sur les bords du lac aux eaux mortes, nénuphars, cormorans, ibis, poules d’eau ; sur le chemin, des caméléons, de gros varans déguisés en tronc d’arbre avec du lichen dessus.

Le déjeuner a lieu dans un lodge retiré au bout de plusieurs rues étroites à angle droit, au bord d’un champ.

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Yalta bord de mer

Le minibus nous reprend pour descendre des hauteurs du palais Livadia et gagner la ville, sise en bord de mer.

yalta gamin debardeur a trous

Le restaurant, à l’écart de la promenade chic, est trop copieux pour un midi chaud, mais l’abondance est la rançon des deux générations de privations socialistes dans l’URSS d’hier. J’en retiens une salade de carottes râpées, marinées à l’ail et aux graines de coriandre pilées, puis du riz pilaf à sa viande de mouton vapeur. Un déjeuner moins russe que tatar.

yalta promenade bord de mer

Nous allons ensuite nous plonger dans la foule qui arpente la promenade du bord de mer. Elle est pleine de monde, de plagistes plastiques et de nanas exagérées. La beauté des corps libres venus du nord russe est renforcée par la nage, teinte par le soleil et revigorée d’air marin. Nous sommes ici en présence d’une belle portion d’humanité, une Californie russe bodybuildée.

La société russe, sur les bords de la mer Noire, apparaît homogène malgré les mélanges culturels entre russes, biélorusses, ukrainiens, cosaques, tatars… Seul l’islam menace l’unité par son intransigeance métaphysique, mais la société, même sans Poutine, ne tolère pas les déviances. L’islam soumet l’État à la religion, tout comme l’URSS soumettait l’appareil administratif à la foi communiste et au clergé du Parti : même si la Russie de Poutine est plus aujourd’hui une oligarchie autoritaire qu’une démocratie libérale, les citoyens ne veulent plus de théocratie. Ils veulent penser librement et vivre selon leurs traditions, pas sous la botte d’une religion.

La loi est la loi, établie par les progressistes, pas question d’y déroger. Contrairement à l’hypocrisie soi-disant « démocratique » en Europe, le communautarisme n’est admis ici que dans le folklore, mais ni dans l’administration, ni dans la vie courante. L’élite ne divorce pas du peuple comme chez nous, sur ces sujets, elle n’impose pas le « laisser-faire » malgré le vote démocratique. D’où son rejet social de l’immigration venue des pays musulmans, malgré la Turquie proche, les liens géopolitiques avec la Syrie et l’Iran, l’implication dans les républiques du Caucase. Sauf en Chine peut-être, à l’écrasante majorité de Han, il est rare de visiter une société aussi homogène que la société russe. C’est assez reposant.

yalta jeunes russes

L’église Alexandre Nevski est miraculeusement ouverte lorsque nous nous y rendons. Elle présente l’aspect extérieur d’une pièce montée en meringue et beurre coloré, surmontée de boules dorées triomphantes. Rien n’est assez brillant (même concept que « beau » en russe) pour rendre gloire à Dieu. Nous avons la chance qu’un mariage s’y termine, ce qui nous permet d’entrer. Toute l’organisation des accessoires rituels est faite par une énorme et laide matrone à fichu.

yalta eglise alexandre nevski

C’est que, pour un mariage orthodoxe, il en faut des foulards, des couronnes de fleurs, puis un tapis qu’on déroule et enroule, et ainsi de suite ! La grosse dame veut mériter de Dieu puisqu’elle ne peut plus mériter des hommes. Je soupçonne qu’elle trouve aussi certains avantages matériels à grenouiller dans le béni, les noceurs étant probablement plus généreux que l’État pour compléter sa pension. Elle sortira un peu plus tard de l’église, par la porte de derrière, avec une grosse miche de pain (béni) et plusieurs fruits d’offrande dans son cabas en plastique.

yalta lenine hier consommation aujourd hui

La promenade du bord de mer mène à l’inévitable statue de Lénine, debout en manteau, le front obtus et la bouche sévère. Il n’a pas été déboulonné ici, mais la foule alentour se moque de ses prétentions politiques en déambulant à ses pieds vêtue à l’opposé ; presque nue et le sourire aux lèvres – libre, hédoniste, insouciante. Bien loin de la morale socialiste qui se croit la mission de sauver le monde par le peuple (en parlant à sa place).

yalta grosse dame reve de chic

Sur les quais, les touristes se font photographier en situation. Ils louent des robes à froufrou et grimpent comme des tsars sur des trônes énormes décorés d’or qu’on croirait sortis des réserves Disney.

Ou bien revêtent leur poitrine nue de lourdes vestes de cuir clouté ornées de chaînes, pour se jucher sur de lourdes motos Harley-Davidson et jouer aux punks du « no future ». Je ne peux qu’être empli d’admiration pour cette jeunesse en short qui enfile un cuir épais trop grand pour elle, par pur plaisir de se sentir autre, de « faire croire » un instant être dans le vent de la modernité (américaine) et d’immortaliser ce rêve en photo. Cette jeunesse là ne vit pas dans l’instant, sans cesse sollicitée par le nouveau et le consommable, fébrile de zapping par peur de manquer quelque chose. Il lui reste encore la capacité de rêve, l’imagination trop longtemps contrainte et brutalement libérée, il y a si peu d’années, quand le mur de la honte est tombé.

yalta plagistes torse nu en ville

Sur le bord de mer, alors que le soleil ne l’éclaire plus, caché par la falaise, il fait moins chaud. Les gens se promènent, déambulent ou s’exhibent après le bain. La foule est disponible ; toute proposition la tente, des stands de nourriture aux déguisements pour quelques hryvnias, des bateleurs aux montreurs d’ours. J’observe un avaleur de sabre, un saltimbanque au singe attaché à une chaîne qui propose la photo avec la bête sur l’épaule, un autre avec un paon qui, sur le banc, fait la roue pour la prise de vue, un écureuil fureteur pour les bras, etc. Les maltchiki du lieu occupent le terrain, tous sens en éveil, lorgnant les filles plus âgées qui acceptent cet hommage pré-viril l’air de rien.

yalta gamins blonds russes

Le patriotisme soviétique, suivi du nationalisme ukrainien, puis de la régression identitaire en cours dans le monde globalisé des dernières années, rendent curieuses à nos yeux les relations des Slaves avec les Noirs. Nous n’avons rencontré jusqu’ici aucun Noir, aucun Arabe et très peu d’Asiatiques en Ukraine. Justement, deux Noirs s’exposent sur le paseo d’Odessa. Ce sont des bateleurs, une marginalité « normale » qui est peut-être la seule façon de se faire à peu près accepter. Ils sont évidemment torse nu, en pagne de feuilles de raphia pour se poser en « sauvages », et proposent des poses photographiques « coloniales ». L’impétrant peut choisir son thème : il y a « le cannibalisme » où les deux Noirs roulent des yeux gourmands et ouvrent large leurs mâchoires aux canines blanches luisantes sur le petit blanc ou la gaminette blonde à croquer qu’ils maîtrisent de leurs poignes en serres ; il y a « le rapt » où ils enlèvent à coups de biceps proéminents la femme blanche qu’ils tiennent ensuite solidement tout contre leurs muscles d’ébène noueux ; ou encore « la savane » où ils mènent en palanquin le ou la bwana alanguie… Le reste de la famille, émoustillé, prend force photos pour une poignée de hrivnias.

yalta noirs et russes

Cela nous semble, très archaïque et très folklorique à la fois, un remugle de préjugés des plus grossiers en même temps qu’une façon de jouer avec les stéréotypes venus d’ailleurs. Car, souvenons-nous en, aucun Ukrainien ni Russe n’est allé coloniser l’Afrique. Il s’agit donc de second degré, d’une caricature de nos propres caricatures. C’est ce décalage en miroir qui rend pour nous cette scène étrange, gênante et bon enfant à la fois. Non sans rire sous cape des « polémiques » et autres « scandales » que susciteraient inévitablement chez nous les profs de vertu autoproclamés des sectes puritaines antiracistes, anti-antisémites, pro-arabes, pro sans-papiers, sans-logis, sans domicile fixe, sans instruction et sans un sou. Les Russes miment notre ridicule en leur miroir…

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Fin d’Arménie

Quelques filles et moi poursuivons seuls la promenade en ville, malgré la canicule. Des sculpteurs sur bois officient en plein air, leur atelier ouvert sur la rue, comme autrefois. c’est un peu incongru devant les immeubles modernes, mais donne de la vie au quartier. Ils tournent des panneaux pour l’ornement d’un restaurant qui veut se donner un air traditionnel.

Destination la Mosquée bleue, chiite, financée par l’Iran, sise en face du marché couvert. Elle s’élève dans un jardin ombré autour duquel se tiennent des salles de réunion et de prières. La mosquée elle-même est ornée de mosaïques d’un bleu azur et vert très chargées. Il n’y a presque personne. Les versets du Coran gravés sur les tesselles font face au ciel vide.

Le marché couvert en face est peu passant aussi mais nous sommes en pleine après-midi, les marchands ont vendu leurs légumes le matin. Des étals de fruits confits attirent les becs sucrés tandis que je fais des photos d’épices, de fruits, et d’un gamin venu avec sa mère pour vendre des légumes. Il rit, sa mère est heureuse, nous le sommes aussi. Il n’ya que deux stands de fromages mais plusieurs d’herbes séchées en botte pour les tisanes ou leurs vertus médicinales.

Nous revenons lentement vers la place centrale. Ce faisant, nous passons devant l’hôtel Shirak… Dans un bassin, des gamins presque nus se baignent. Il règne une chaleur lourde sur la ville.

Comme les filles n’ont qu’une envie, faire les boutiques, je les laisse à leurs affaires pour m’installer à la terrasse du café probablement le plus cher de la ville, celui du Marriott sur la place de la République. En dégustant lentement mon demi-litre de bière fraîche à la terrasse, je peux observer les passants, fort nombreux en ce vendredi. La table d’à côté héberge trois frères et un cousin (il ne leur ressemble pas et sert de larbin), plus deux putes. Elles sont très maquillées, décolletées, portent des hauts talons extravagants et sont nettement plus jeunes que leurs partenaires masculins. Les quatre hommes d’affaires jonglent avec les téléphones portables, l’un d’eux répond même à deux à la fois. Je ne sais de quelles affaires ils traitent mais tout semble remonter à leur décision. Ils repartent en Mercedes noire, le cousin sert de chauffeur.

Le soleil décline vers 19 h et les rues se vident en une dizaine de minutes. Les voitures garées en double et même en triple file devant le Marriott ne laissent plus qu’une seule file. C’est l’heure du dîner ici, les gens ressortiront après 20 h, quand il fera plus frais, pour une promenade de badauds en famille.

Notre dernier dîner a lieu dans le restaurant Ararat sous la tour. Des musiciens nous joueront le doudouk et vendront quelques CD. Je suis dubitatif sur la musique sortie de son contexte. Écouter à l’automne dans un appartement parisien ces sons plaintifs et modulés faits pour les collines d’altitude n’a plus rien d’arménien mais inciterait plutôt à se flinguer. Je remarque à une table une jolie femme, mère d’une petite fille. Celle-ci, trois ans, a peur de la musique trop forte et pleure. L’un des musiciens, entre deux morceaux, vient la réconforter. Peut-être est-il de la famille ?

Je prends dans le hall de l’hôtel un magazine à disposition nommé Noyan Tapan. C’est un hebdomadaire en anglais et en français à destination de la diaspora et des touristes, qui donne des informations sur l’actualité arménienne. On peut le retrouver sur Internet, http://www.nt.am En première page la photo du chef de l’opposition Levon Ter-Petrossian, ancien président de la République et qui voudrait bien se représenter. En bas de première page, les leçons de la guerre de cinq jours en Géorgie, données par le président russe Medvedev à l’Arménie pour ce qui concerne son différend avec l’Azerbaïdjan. Il déclare qu’il vaut mieux négocier sans fin sur l’opportunité d’un référendum et d’un futur traité de paix que de faire ne serait-ce que cinq jours de guerre.

L’ensemble des ces nouvelles portant sur la géopolitique montre la sensibilité à vif de ce petit pays de 3.3 millions d’habitants face aux mastodontes russe, turc et azéri. L’économie est reléguée à la place seconde, notant seulement que le chômage et un salaire insuffisant sont les deux principales causes de l’émigration du pays. Un très long article de fond sur quatre pleines pages relate cependant le miracle économique indien. Un modèle pour l’Arménie ?

– FIN du voyage en Arménie –

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Paris plage 10ème

La plage à Paris ? Bof… Il y a les pour, trop souvent démagos, et les contre, trop souvent ronchons réacs. Comme c’est une initiative socialiste, la droite hurle à la vulgarité, au coût exorbitant, à l’écologie dénaturée. La gauche ne critique jamais les initiatives des camarades, même douteuses. Alors début août, a-t-elle du succès la plage à Paris ? Je suis allé y voir.

D’abord ce n’est pas inesthétique car les voies sur berge sont rendues aux piétons. Mais est-ce intéressant ?

  • Oui, comme lieu de promenade, mais il y a foule comme à Disney. Beaucoup d’étrangers qui regardent, quelques bobos en général jeunes et sans mômes qui lisent ou grillent tour à tour les deux faces.
  • Non comme plage, même si le sable est d’un beau jaune d’or propre et très fin. J’y ai vu très peu d’enfant y jouer comme là-bas. Probablement parce qu’il n’y a pas d’eau pour se rafraîchir de la réverbération ni pour faire pâtés et châteaux.

Il y a de pesantes « animations » de facture très scolaire et baladins intermittents. Cela crée quelques emplois saisonniers, mais c’est moins bien que la fête de la musique ou celle des voisins.

Les trois sites de Paris-Plages sont sur la voie Georges Pompidou, le bassin de la Villette et le Parvis de l’Hôtel de Ville. Ils sont ouverts du 21 juillet au 21 août tous les jours de 8 h à minuit.

La seule vraie « plage » est le bassin de baignade quai des Célestins où l’on peut se tremper et même nager. Sauf que tout est réglementé par quota, aquagym, adultes, ados, enfants… De 13 h 30 à 15 h réservé aux enfants de 10 à 15 ans seuls, de 15 h 30 à 18 h 30 aux enfants sous 10 ans, accompagnés  d’une personne majeure. On ne se mélange pas. Peut-être y aura-t-il bientôt une heure réservée aux femmes ? Et un quota par communauté religieuse ?

Pour le reste, Paris « plage » est de la grosse démagogie : le fait de se mettre en maillot de bain est simplement « toléré » parce que nous sommes en ville. Et de fait, seuls quelques enfants vont torse nu. Vous parlez d’une libération…

Parmi les adultes, je n’ai remarqué que les copains du même bord que le Maire, affichant musculature, tatouages, bronzage et piercing. Pas vraiment « populaire », la plage à Paris… Un affichage bobo, tout au plus.

Les vrais Parisiens, quand ils ne sont pas partis, vont au jardin du Luxembourg, délicieusement vide à cette époque de l’année. Une pelouse sur deux est accueillante au bronzage et farniente, dans le calme et la verdure. Le Marchand de masques veille sur eux, torse nu depuis toujours.

C’est là qu’un kid « adore Paris », mais il est obligé de garder son tee-shirt pour le montrer.

Site de la mairie de Paris

Site officiel Paris plage

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