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Elizabeth Peters, Un crocodile sur un banc de sable

Le premier opus de la série des aventures d’Amelia Peabody, ci-devant vieille fille anglaise de 31 ans ayant hérité d’une fortune de son père, et qui trouve en quelques mois – dans cet ordre – une belle-sœur, un beau-frère, enfin un mari et même un enfant. Tout cela parce qu’elle se décide enfin à bouger, papa une fois enterré, au lieu de rester tranquillement dans sa chambre. Comme quoi la vie est bien faite : qui ne tente rien n’a rien et seul celui qui ne fait rien ne commet jamais d’erreur.

En 1880, les femmes étaient moins que rien dans la société chrétienne, aristocratique et bourgeoise de l’empire britannique, surtout sous la reine Victoria, 1m52 de haut mais d’une superbe rare et d’une pruderie sexuelle restée célèbre, même si elle a eu neuf enfants. Elle régna de 1837 à sa mort, en 1901 seulement et a légué une hémophilie à son arrière-petit-fils Alexis Romanov, assassiné par les bolcheviques ancêtres de Poutine. Peabody s’affirme en prenant des décisions et fonçant comme un homme, ce pourquoi elle détonne. Ce pourquoi aussi elle séduit le grand et fort Radcliffe, ours pratique féru d’égyptologie, qui n’a que faire des pimbêches et pétasses. Son jeune frère Walter, en revanche, fin et racé comme l’Endymion des tableaux selon la narratrice Peabody, était tout à fait à même de charmer dans les règles de l’amour romantique la belle héritière déshéritée Evelyn qui, séduite par un Italien puis laissée pour compte une fois l’argent évaporé, s’est retrouvée un beau jour à défaillir au milieu des ruines de Rome, sous les yeux d’une Peabody en train de siroter son thé.

Il n’en faut pas plus pour qu’elle la prenne sous son aile, lui assure un gîte et le couvert, la rhabille et l’emmène comme dame de compagnie jusqu’en Égypte où elle poursuit son voyage. Ce n’est qu’à la page 48, au musée du Caire, qu’elle rencontre Radcliffe et son frère, puis vogue sur sa dahabieh louée avec Evelyn jusqu’à El-Amarna où les deux frères ont obtenu du conservateur du musée du Caire Maspero une concession de fouilles. L’ouverture est un peu longue mais la suite accélère et prend enfin son rythme de croisière. L’intrigue développe d’étranges événements, ponctués de bisbilles personnelles. Vont se produire la découverte d’un pavement décoré sous les ruines de la cité d’Akhenaton, dont Evelyn fait le relevé, la survenue d’une momie vociférante qui semble ne s’en prendre qu’à Evelyn à l’exception de tous les autres, et la fuite superstitieuse de tous les ouvriers égyptiens, pourtant désireux de gagner de l’argent tant leurs enfants vivent nus dans des villages de terre et de roseaux, parmi les immondices.

La scène est cocasse. Délaissant leur dahabieh confortable et leur cuisinier hors pair, les deux femmes – ou plutôt Evelyn traînée par Peabody – vont s’installer sur le chantier avec les hommes pour les soigner, les aider, et participer aux fouilles. Non sans heurts, mais non sans humour. Evelyn ne peut que tomber amoureuse du beau Walter, et c’est réciproque, jusqu’à ce que son cousin Lucas, qui n’était pas héritier du grand-père jusqu’à la fuite (organisée?) d’Evelyn, vienne la rejoindre pour lui proposer un mariage. Est-il amoureux ? Gentleman ? Perfide ? Peabody va passer par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel à son sujet. Les femmes ont élu domicile dans une tombe sur le site, ce qui donne des phrases cocasses et incongrues comme « quand je sortis de ma tombe… », « Radcliffe émergea en trombe de sa tombe » et autres joyeusetés. Outre le pavement, une momie hellénistique (donc nettement plus récente qu’Akhenaton) est découverte dans une tombe royale par des villageois et Radcliffe la débande pour trouver les amulettes. Mais ne voilà-t-il pas qu’elle se réveille en pleine nuit et vocifère des malédictions avant de s’enfuir à toutes jambes ?

L’archéologie se mêle aux histoires intimes et aux escroqueries pour tisser un beau roman d’aventures exotiques dans la lignée d’Henry Rider Haggard – né en 1856 et qui commence ses romans dès 1885, époque de notre héroïne. Dédié à son fils Peter, ce premier roman de la saga Peabody par Elizabeth Peters vaut la lecture et prépare tous les suivants. Vous êtes déjà emporté à la 49ème pages.

Elizabeth Peters, Un crocodile sur un banc de sable (Crocodile on the Sandbank), 1975, Livre de poche 2007, 314 pages, occasion €1,35

Le romans policiers égyptiens d’Elizabeth Peters chroniqués sur ce blog

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Jules Vallès, La rue à Londres

Exilé à Londres après la Commune, Vallès rédige des notes, enquête, décrit la ville dans sa correspondance. Il veut en faire une œuvre, parallèlement à sa trilogie de Jacques Vingtras, ce qui aboutit in extremis avant sa mort. C’est encore un livre fait de découpures, de textes épars cousus ensembles mais qui se lit bien parce que l’auteur raconte aussi son vécu. Il s’agit d’opposer Londres à Paris, l’Angleterre (plus que le Royaume-Uni) à la France. Pour Vallès comme pour son temps, ce sont des frères ennemis malgré le traité commercial signé par l’empire. Le souvenir de Napoléon le premier reste vivace dans les mémoires.

Tout oppose Londres et Paris. Déjà, « les cochers (…) conduisent à gauche »… p.1205 Pléiade. Ce qui est pire pour Vallès, la rue londonienne est morte, figée par le cant, la discipline moraliste, le ce-qui-se-fait, l’agitation utilitaire du commerce. Il voit la rue parisienne du haut de son exil au contraire vivante, carnavalesque, bon enfant, rabelaisienne, révoltée. Les femmes ne sont pas des plantes de serre ou de viles putains comme à Londres mais ont de la coquetterie, des sourires, un air érotique. Les gavroches parisiens ont de l’ironie à la bouche. Les cafés sont ouverts et ont des tables communes, au contraire des pubs ou des clubs enfermés aux tables ou fauteuils individuels. Le dimanche n’est pas désertifié pour cause de religion mais empli de rires et de promenades.

Pour l’insurgé, la rue est avant tout le territoire des pauvres et ceux de Londres ont une condition pire que ceux de Paris. Il existe certes des workhouses où l’on reçoit les indigents contre dû travail, la mentalité protestante n’admettant pas la charité sans contrepartie ; chacun doit se prendre en mains. Mais les pauvres sont loqueteux, déguenillés, les enfants dépoitraillés et pieds nus, jouant dans la vase de la Tamise à marée basse. La rue est niée par les mœurs anglaises qui laissent faire les bas-fonds en les ignorant tout simplement, les cantonnant dans leurs quartiers.

L’inverse de la rue est l’intérieur. Vallès nie le « confortable » des intérieurs anglais ; pour lui ils sont austères, froids et sans âme. « Les Anglais vivent en cellule dans leurs coffee shops, dans leurs coffee rooms, dans leurs public houses – partout ! Ils restent, du berceau à la tombe, isolés, marmottant entre leurs dents, emboîtés dans des compartiments comme les Chinois dans les cangues » p.1204. Les bibliothèques sont sans bruit, les appartements des immeubles sans cuisine et les cuisines collectives en sous-sol sans casseroles, les chambres n’ont même pas de table de nuit pour le pot, ironise-t-il. L’homme s‘occupe de tout, les femmes ne doivent pas travailler, ce qui les incite à boire et à être souvent ivres quand elles ne sont pas des « moules à gosses ». En France la femme est tout, en Angleterre rien, résume Jules Vallès hanté par les parisiennes.

« L’Anglais ? Il est excentrique, point téméraire ; il est froid, point raisonnable ; il est morne, point rêveur » p.1204. Mais leur vertu est « la fierté d’être Anglais, c’est le chauvinisme affreux et héroïque (…) l’idée de patrie est forte autant que la foi chez les prêtres » p.1205. Ce réflexe ancré dans la mémoire culturelle explique le Brexit mieux que les arguments que l’on a cherché. « Voyez avec quelle prestesse leur brutalité cache tout d’un coup ses poings, rentre ses griffes dans le gant fourré de la diplomatie ! Ces grossiers par nature, ces impolis par orgueil, ces casseurs de nez, ont une politique cauteleuse et rusée » p.1205. Malgré la caricature, ce n’est pas si mal vu, De Margaret Thatcher à Boris Johnson, toute la diplomatie britannique en témoigne.

Ce qui plaît bien à Jules, en revanche, c’est la boxe. Il a regretté enfant de devoir se brimer. Tous jeunes, les garçons sont invités à boxer et les adultes les laissent se battre libéralement sous leurs yeux, jusqu’au sang, comme ces deux gamins de 12 ans qu’il a vu se bourrer de coups jusqu’à tituber sous les yeux de leurs pères qui comptaient les points. Le sport, en général, est bien vu en Angleterre et participe de l’éducation, ce qui paraît une horreur à l’Université française, rassise en intellectualisme issu des prêtres. Quant aux filles, « elles ont été élevées à la diable – en garçons – elles n’ont pas étouffé, ainsi qu’Emma Bovary, dans la discipline de l’école ou du couvent qui interdisait les ébats grossiers et masculins, mais encourageait les rêveries solitaires, au bout desquelles se dressait la volonté de tout savoir, l’envie de se jeter dans les bras d’un héros botté et moustachu » p.1261. Ainsi la fille embrasse beaucoup mais ne se livre pas ; « quand vient l’âge nubile, elle n’est point secouée par les ardeurs qui troublent les sens et fouettent la chair des ingénues de chez nous » id.

Cette excursion ethnologique dans le Londres des années 1870 est une curiosité et se lit bien.

Jules Vallès, La rue à Londres, 1884, Hachette livres BNF 2017, 327 pages + 22 eaux fortes et nombreux dessins, €19.20

Jules Vallès, Œuvres tome II 1871-1885, Gallimard Pléiade 1990, édition de Roger Bellet, 2045 pages, €72.00

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Jules Vallès contre les lycées de filles

Dans sa chronique du Réveil le 14 novembre 1881, Jules Vallès le révolutionnaire communard prend position cotre l’instauration de lycées destinés aux filles. La loi de Camille Sée de 1878 avait abouti le 21 décembre 1880 à la création de lycées de filles externes, enseignées par des femmes dans la morale laïque, la religion n’étant qu’un enseignement facultatif. Ce n’est pas que Vallès soit contre l’éducation des filles, il déplore seulement leur encasernement.

Lui serait pour l’abolition de tous les servages, l’éducation contrainte y compris. Il a beaucoup souffert dans les lycées de garçons, fils de prof lui-même inféodé au proviseur tout-puissant qui peut le révoquer ou le muter. « Cette Université ! – Elle est aussi bondieusarde que l’Eglise, et plus lâche ! » s’écrie-t-il. La morale laïque n’est pour lui pas meilleure que la morale catholique et le laïcisme est aussi forcené que le christianisme. « Enfermer des blondinettes, des brunettes, au nom de l’Etat et du bon Dieu, cela se ressemble ». Singer l’autre n’est pas s’en déprendre et Vallès en appelle à une révolution dans l’éducation. Il préférerait nettement l’éducation dans la famille, de type paysan, commerçant ou artisan.

« Ils disent qu’ils veulent arracher la jeunesse des femmes au despotisme des prêtres, et ils se font les sacristains d’une théorie aussi féroce et aussi dangereuse que celle du Vatican ! » Cette « théorie », le lecteur ne la connait pas car elle a le signe de l’évidence pour Vallès. La théorie est une pratique : c’est le dressage. Qu’il soit républicain plutôt que chrétien importe peu. « Le lycée avec les classes sombres, le réfectoire humide, le dortoir empesté, avec surtout ses habitudes de caserne, ses pions ou pionnes raides comme des sergent et ayant tous l’air d’obéir au doigt et à l’œil du Petit Caporal et du Grand Prévôt » – voilà ce qu’est « la tradition de l’Université ». Sans parler du risque « d’engarçonnement » des filles, les rendre « Sapho ou la Femme à barbe ». De ces amitiés particulières entre même sexe encaserné « peut naître je ne sais quel mépris de l’homme ! » Les couvents conservent la féminité car l’Eglise catholique elle-même a quelque chose de féminin – mais pas l’Université, cette caserne à discipliner sur le modèle militaire issu de Napoléon.

Dès lors : « abruties » ou « corrompues » ? Tel serait le destin des filles de lycées selon Jules Vallès en 1881. Nous savons qu’il n’en fut rien, ce qui donne une indication sur le tempérament de Vallès : tout dans la fougue, tout dans l’émotion. Un insurgé permanent contre tout ce qui change et tout ce qui devrait changer. Et en 1881, il n’a pas encore 50 ans !

Il donne l’exemple par sa personne de ce qui perdure chez ceux qui se piquent de politique, aujourd’hui y compris : toute réforme suscite aussitôt « des craintes », toute évolution une révolution (au sens 360°) dans les esprits. Il faudrait ne rien changer, qu’après de très longs débats précautionneux sur tout et avec tous, avant de s’avancer timidement, tout prêt à reculer devant la moindre résistance…

Jules Vallès, Œuvres tome II 1871-1885, Gallimard Pléiade 1990, édition de Roger Bellet, 2045 pages, €72.00

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Mondwest de Michael Crichton

Dans le futur de 1973, situé en 1983, le divertissement yankee Disneyland se décline en réalités alternatives. Chacun peut passer ses vacances (pour 1000 $ par jour quand même !) à Delos, parc d’attractions stupéfiant. Trois fake universes sont en effet reconstitués comme s’ils étaient vrais : l’époque romaine à Pompéi, l’époque médiévale du Prince noir, l’époque de la conquête de l’Ouest dans une ville western en 1880. Un pays qui se veut maître du monde – et de la nature – ne peut que s’approprier même l’histoire des autres. Le spectateur notera qu’il ne s’agit que d‘un passé impérialiste : Rome, l’Angleterre médiévale, les pionniers.

Dans ces décors artificiels, tout est permis, même de tuer. Les femmes mûres salivent en pensant aux orgies pompéiennes dans le climat doux reconstitué et avec les gladiateurs-robots puissamment membrés. Les PDG avides de volonté de puissance rêvent d’être rois et maître du château comme des servantes, malgré l’œil métallique du noir prince qui les défie. Les arrivistes moyens, banquiers, avocats et autres, ne songent qu’au passé le plus proche, leurs seules racines, ce monde de la Frontière où tuer un homme et baiser une pute étaient aussi facile que claquer des doigts. Ce pourquoi le film reste « interdit aux moins de 12 ans » malgré le streaming et les DVD.

Tout est prévu pour le confort, même l’inconfort des lits de l’époque et les bains rares et payants (en supplément). Les revolvers sont des vrais et on peut descendre un cow-boy qui vous insulte ou attaquer une banque sans aucun dommage personnel : les armes se bloquent si la cible est chaude (encore qu’un fusil tire trop loin pour détecter la chaleur…). Les touristes ne peuvent alors « tuer » que des robots, qui sont menés à réparer aussitôt après. Il n’y a que les bagarres qui portent de vrais coups, tout comme le mauvais whisky qui monte à la tête.

Deux compères de Chicago, Peter Martin (Richard Benjamin) et John Blane (James Brolin), ont choisi l’ouest. Ce pourquoi le film va se focaliser sur l’époque en délaissant les autres, notamment le monde romain (réputé moins viril ?). Le second est déjà venu et semble blasé tandis que le premier est tout excité à l’idée de porter un revolver à la ceinture. Il ne résistera que brièvement lorsqu’un robot cow-boy (Yul Brynner) le traitera de mauviette dans le saloon où il ingurgite avec difficulté le tord-boyaux traditionnel. Il dégaine et tue, sans plus aucune inhibition. « Tout est permis » est le slogan post-68 dans lequel « il est interdit d’interdire » est vivement commercialisé pour le plus grand profit des firmes de divertissement américaines. Ainsi un banal banquier (Dick Van Patten) pourra-t-il s’improviser shériff en compensation de ses frustrations dans la vie réelle.

Mais l’orgueil technique a quelque chose de diabolique depuis le Golem et Faust. Les Etats-Unis imbibés de Bible autant que de mauvais whisky ont peur du diable et la technologie va trop vite pour ne pas les inquiéter. Les robots qui ressemblent à des humains (sauf les mains, moins finies), font peur. Ne pourraient-ils prendre le pouvoir sur les vrais humains ? Nous n’en avons jamais fini avec cette question qui touche à la fois l’identité personnelle, la place dans l’univers et le monde du travail. Être humain n’est-ce pas être au sommet de l’Evolution ? Dieu ne nous a-t-il pas créé à Son image comme ses fils ? Toute machine ne va-t-elle pas « prendre le pain » des ouvriers ?

Mais dès 1973 il y a pire : les virus. Une pandémie semble se déclarer parmi les robots et l’aéropage de « dieux » ingénieurs qui supervisent en blouses blanches le parc d’attractions se montre impuissante. L’informatique n’est pas immunisée contre les virus, même s’ils ne sont pas bio comme notre avide Covid. Les personnages animés n’obéissent plus aux commandes et, même courant coupé, vivent sur leur batterie. C’est ainsi que le cow-boy vêtu de noir qui a provoqué Peter Martin n’aura qu’une idée fixe : se venger. Sa dernière réparation a encore amélioré sa vue et son ouïe et il aura le tir plus rapide. Descendu deux fois, il ne le sera pas une troisième. Il se lance alors à la poursuite de Peter, après avoir descendu John, ébahi de se prendre deux vraies balles comme dans la réalité. A voir son ami crevé, le nez dans la poussière comme jadis, Peter l’avocat du XXe siècle à Chicago se dit que la donne a changé : il s’agit désormais de sauver sa peau ! Robocow-boy implacable, Yul Brynner s’avance au même rythme, l’œil fixe brillant d’un feu maléfique, sur la trace d’un Peter qui tente de ruser jusqu’au bout.

Tous les robots se sont révoltés et les techniciens sont enfermés dans leurs caves, où ils étouffent par manque d’oxygène, le courant électrique étant coupé et impossible à rebrancher, les portes bloquées. L’automatisme se retourne contre ses initiateurs. Les orgies tournent au massacre au glaive et au poignard à New Pompéi tandis que les touristes médiévaux sont éviscérés à l’épée ou écrabouillés à la masse d’arme par les gens du château.

La fin connaitra quelques moments cocasses, dont la délivrance d’une jeune fille enchaînée dans une geôle médiévale à qui Peter donne à boire… engendrant un court-circuit : c’était une robote ! Je ne vous dis pas qui va gagner, de l’inflexible Yul Brynner parfait dans ce rôle mécanique, ou de l’avocat content de lui Peter : la technique ou le droit ? Car le capitalisme, cette technique d’efficacité maximum, robotise l’humain pour mieux le rendre efficace. Pas d’état d’âme, ce qui fonctionne le mieux « doit » l’emporter. J’ai revu plusieurs fois ce film, il passe les années sans vieillir.

DVD Mondwest (Westworld), Michael Crichton, 1973, avec Yul Brynner, Richard Benjamin, James Brolin, Dick Van Patten, Aventi 2012, 1h28, remastérisé €27.90 blu-ray €16.59

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Canal de Panama

Le pilote du Canal de Panama a apporté avec lui des souvenirs de Panama, des vrais, il n’y en aura pas pour tout le monde ! Ce sont des souvenirs « authentiques » de Panama, précipitez-vous sur le pont 10 de 7h30 à 14h. La station de contrôle du Canal avisera le Celebrity Infinity par radio de l’heure à laquelle nous entrerons dans le canal, en fonction du nombre de navires en instance. Le pilote est arrivé depuis 5h45. Et voilà le programme des réjouissances. Pour l’écluse Miraflores 7h45-9h05 ; pour l’écluse Pedro Miguel 9h35-10h25 ; navigation en Gamboa 11h25 ; écluse Gatun 13h50-16h05. Temps variables, distance jusqu’à Colon, 80 miles nautiques. La traversée totale du canal prend 9 heures.

CANAL DE PANAMA

Un peu d’histoire sur ce canal. Son concept date du début du 16ème siècle quand le roi Charles d’Espagne avait commandé une étude pour trouver un chemin maritime plus rapide avec le Pérou et l’Équateur. Les Européens étaient fort intéressés à découvrir des routes commerciales plus courtes et plus rapides. Le chemin de fer du Panama a été ouvert dans les années 1850. En 1880, le creusement du canal commença sous l’impulsion du Français Ferdinand de Lesseps grâce à une levée de fonds géante à la Bourse de Paris. Les maladies, paludisme, fièvre jaune ont eu raison des premiers travaux. On estime à 27 500 le nombre d’ouvriers qui périrent pendant cette construction. Le travail fut terminé, après l’échec de cette tentative, par les États-Unis sous la direction de G.W. Goethals et le canal ouvrit en 1914. Les Américains pensaient à un canal au Nicaragua, projet actuellement mis en œuvre par les… Chinois ! En 1903, Panama indépendant accorda aux USA un contrôle controversé de 99 ans pour construire et administrer le canal. En 1977, un accord rendit le canal au Panama à la fin de 1999.

panama canal ecluses

Les écluses sont spectaculaires, larges de 33,53m et comportent une longueur utilisable de 304,8m. La profondeur varie mais est de 12,55m minimum dans la partie sud des écluses Pedro Miguel. Les écluses vont par paires. Chaque chambre est remplie avec 101 000 m3 d’eau qui entre par un réseau de conduites sous chaque chambre. Les navires sont tractés par les « mulas » petites locomotives sur rails circulant sur les murs des écluses. Les bateaux ayant la plus grande taille admise dans le canal sont désignés par l’appellation « Panamax » mais un nombre croissant de navires dépassent cette taille et sont appelés « post-Panamax ». L’avenir passe par des travaux d’élargissement lancés en 2007. Ce seront deux nouveaux jeux d’écluses : une à l’est des écluses de Gatún en place, l’autre au sud-ouest des écluses de Miraflorès, chacune desservie par un canal d’approche.

panama canal les mules

Actuellement, si l’on vient du Pacifique, à partir des bouées qui marquent l’entrée du golfe de Panama, les navires parcourent 13,2 km jusqu’aux écluses de Miraflores en passant sous le pont des Amériques. Le système des écluses de Miraflores fait 1,7 km de long avec un dénivelé de 16,5m à mi-marée. Ensuite le navire entre dans le lac artificiel de Miraflores qui fait 1,7km et se trouve à 16,5m au-dessus du niveau de la mer. L’écluse de Pedro Miguel est la dernière partie de la montée sur 1,4 km avec un dénivelé de 9,5m. La coupe Gaillard fait 12,6km de long à une altitude de 26m et passe sous le pont du Centenaire. Le Rio Chagres, cours d’eau naturel est amélioré par un barrage sur le lac Gatún, il parcourt 8,5km vers l’ouest pour se jeter dans le lac Gatún. Le lac Gatún est un lac artificiel formé par le barrage Gatún, emprunté par les navires sur 24,2km. Les écluses de Gatun comportent 3 étapes sur 1,9km de longueur et ramènent les navires au niveau de la mer. Un canal de 3,2km mène côté Atlantique. Le Bahia Limon (la baie citron) est un immense port naturel qui procure un mouillage pour les navires en attente de transit et fait 8,7km jusqu’à la digue extérieure. Le transit total est de 76,9km.

panama canal pousseurs

Je ne possède pas de données récentes pour vous parler argent. Sachez cependant que les plus petits navires en fonction de leur longueur paient des taxes qui, en 2006, allaient de 500 $ (longueur inférieure à 15m) à 1500 $ (supérieure à 30m). Pour les porte-conteneurs, les droits dépendent du nombre d’EVP. Par exemple, au 1er mai 2007, 54 $ par conteneur, en sachant qu’un porte-conteneur Panamax peut en transporter jusqu’à 4 000. La taxe la plus élevée aurait été payée le 30 mai 2006 par le porte-conteneur Maersk Dellys pour 249 165 $ ; la moins élevée par l’aventurier américain Richard Halliburton parcourant le canal à la nage en 1928 pour 36 cents. La moyenne est de 54 000 $.

panama canal pont du centenaire

Un nouveau projet d’envergure est entamé. On apercevait du bateau les engins de chantier, les grues au travail. Deux nouveaux jeux d’écluses : une à l’est des écluses de Gatun en place, l’autre au sud-ouest des écluses de Miraflores, chacune desservie par un canal d’approche. Les nouvelles écluses comporteront des portes coulissantes, doublées par sécurité, et seront longues de 427m, larges de 55m et profondes de 18m, permettant le transit de navires larges de 49m, d’une longueur de 386m et d’un tirant d’eau de 15m, ce qui correspond à un porte-conteneurs de 12 000 EVP.

panama canal travaux agrandissement

Les Chinois sont au Nicaragua pour construire un canal encore plus gigantesque afin d’y faire passer des bateaux « Valemax » de 18 000 EVP et jusqu’à 400 000 tonnes. Le Nicaragua a lancé les travaux de son canal controversé avec l’ambition de concurrencer celui de Panama. Le pays persiste dans son choix, malgré les doutes sur ce projet mené par un groupe chinois et critiqué par la population pour son impact écologique. Ce chantier pharaonique, est estimé à 50 milliards de dollars (cinq fois le PIB du pays) est le projet le plus ambitieux d’Amérique latine. Longueur du canal : 278 km (trois fois plus que celui de Panama), profondeur : 30 m, largeur : entre 200 et 500 m, nombre d’écluses : 12, durée de la construction : 5 ans, nombre de travailleurs : 50 000. Les risques environnementaux : proximité du volcan Conception, le lac Cocibolca (8 264 km2) est la principale réserve d’eau douce d’Amérique centrale. Il y aurait une possible salinisation et détérioration de la qualité de l’eau, 80 000 personnes boivent l’eau du lac et c’est aussi l’habitat naturel de 40 espèces de poissons…

Hiata de Tahiti

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Musique à Papeete

Les rues de la capitale Papeete sont devenues musicales. Une animation qui plaît aux locaux et aux touristes qui descendent des bateaux de croisières et c’est g r a t u i t !

ukulele tahiti accords

Le ukulele [prononcer youkoulélé] c’est quoi ? C’est la mandoline polynésienne, inventée à Hawaï, introduite vers les années 1880, une sorte de petite guitare avec 4 cordes. Chère, trop chère, les Tahitiens décident d’en créer une avec une moitié de noix de coco, d’un bout de bois en guise de manche et de 4 fils. Vers les années 50, on sculpte le ukulele dans un morceau de bois de purau, de manguier ou de uru. La partie faciale sonore est recouverte d’un morceau de peau animale en chèvre ou cochon fixé avec des clous. Il devait être bien tendu. Ensuite la peau fut remplacée par du contre- plaqué et du carton.

ukulele tahiti

Le double ukulele arrive. Actuellement, ces instruments sont fabriqués par des menuisiers et des musiciens. Ces musiciens des rues se regroupent en petits orchestres et chaque ensemble joue des chansons locales bien connues ou des musiques contemporaines devant un endroit précis, par exemple devant la Banque de Polynésie sur  le front de mer, au centre Vaima, devant le snack Oasis, près de la Banque de Tahiti. Ces musiciens sont souvent des retraités, ils viennent le plus souvent des îles. Chacun arrive, regarde si « les copains » sont là et alors ils se mettent à jouer. Si les passants donnent des sous, ils remercient. Le seul souci est la pérennité de cette animation. Parfois des bureaux ou commerces râlent. Ils doivent donc décamper. Il faut alors trouver d’autres lieux. Qui se font rares.

Toutes les personnes venues à Tahiti ont au moins une fois mangé sur la Place Vaiete. Le site est apprécié et critiqué ! Le carrelage est dégradé, il y a peu d’animations, l’hygiène, rats dans les jardinières, salle pour faire la vaisselle trop petite, sanitaires fermés trop tôt. Actuellement il y a 22 roulottes installées le soir. Il leur faut débourser 125 000 CFP pour avoir l’autorisation de s’y installer.

place vaiete papeete

Mais trois membres d’une même famille de Moorea viennent d’écoper de 2 et 3 mois de prison avec sursis et 120 et 150 heures de travail d’intérêt général pour nuisances sonores, outrages et menaces sur gendarmes. La mère elle compte tenu « de son insolence qui s’est poursuivie jusque devant le tribunal » a écopé de 4 mois de prison avec sursis et 180 heures de travaux d’intérêt général. « Nous les Ma’ohi, on n’est plus chez nous. On est chez les étrangers. Les gendarmes avec leur tenue, on dirait des Playmobil… »

Réceptionniste dans un hôtel, les touristes sont accueillis par la dame qui leur dit qu’ils n’ont rien à faire ici. Alors, les touristes ou les expatriés, toujours envie de venir à Tahiti chez les Ma’ohi ?

Hiata de Tahiti

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Reviennent les idées des années 30…

La hantise de la modernité, l’angoisse de la perte d’identité, la crainte du déclassement – tout ce qui a fait déraper l’Allemagne d’hier dans l’irrationnel, dans l’essentialisme et dans la haine envers un bouc émissaire (capitaliste et juif) – revient en force aujourd’hui. Le succès du ‘Da Vinci Code’, les thrillers de Maxime Chattam, l’habileté des avocats de DSK à le faire échapper à ses responsabilités, la croyance paranoïaque en de tout-puissants Complots, nous font replonger dans cette atmosphère ‘fin de siècle’ de l’Allemagne vers 1880. Sans parler de l’antisionisme des banlieues, et des intellos de gauche qui feignent de confondre identité nationale et essence ‘raciale’.

Un historien a étudié avec attention cette période. George Mosse est juif, allemand et américain. Exilé en 1933 à 15 ans, il est devenu professeur d’histoire à l’université du Wisconsin. Dans un ouvrage d’il y a presque 50 ans, Mosse étudie l’idéologie qui a permis au nazisme non seulement d’arriver au pouvoir, mais de dériver jusqu’à la Solution Finale. Il nous permet de comprendre le présent.

La préférence de notre époque pour l’épidermique, l’émotionnel et le superficiel est aussi fumeuse que l’idéalisme néoromantique Völkisch. La peur des banlieues-ghettos, la haine du Financier-Capitaliste-Américain-Juif, le sentiment de dépossession de soi dans la bureaucratie européenne ou la technocratie politique, les palabres interminables des institutions parlementaires – tout cela incite à s’évader du réel présent pour fantasmer un avenir « autre » :

  • Plutôt voter extrémiste que de conforter la bourgeoisie satisfaite !
  • Plutôt tout casser que d’accepter une quelconque réforme qui ne pourra qu’être au détriment du « peuple » !
  • Plutôt se réfugier dans le paranormal, l’inconscient, la mystique, que d’affronter le réel, déterminer le raisonnable et faire la part des choses !

Le nazisme a réussi parce qu’il a su marier l’organisation politique et la mobilisation des masses à cette nébuleuse idéologique :

  • Il s’agissait alors d’être anticapitaliste et antibolchevique, tous deux matérialistes et apatrides.
  • Il s’agissait de reconquérir la protection des frontières, d’enraciner le sang dans le sol pour exprimer son Modèle national, sa vraie ‘Natur’, de récupérer sa souveraineté mise à mal par le traité de Versailles.
  • Il s’agissait de retrouver l’harmonie avec le cosmos tout entier en vivant à la campagne, au soleil, en cultivant la terre et en respectant les valeurs posées de la glèbe. Le ‘bio’ d’hier étaient la randonnée Wandervögel, le naturisme hors des villes, le végétarisme (Hitler était végétarien), les produits de la ferme bien de chez nous, l’homéopathie anti-chimique, les chants populaires collectifs contre l’individualisme, les fêtes dans les champs plutôt que dans les boites.
  • Les ennemis étaient la science, la finance, le parlement, la modernité et la ville : tout ce qui est trop sèchement rationnel, calculateur et cupide, technocrate sans cesse à bavasser sans décider, impérieusement progressiste, industriellement aliénant.

Le concept fumeux de ‘race’ n’a plus son actualité dans le politiquement correct d’aujourd’hui ; mais il revient par les marges, en négatif, utilisé par les ‘minorités visibles’ qui fantasment une quête historique de reconquête d’identité en bricolant les revers sociaux du présent. L’idéologie völkisch fut, selon George Mosse, « d’opposition au progrès et à la modernisation qui transformaient l’Europe du 19ème siècle. Elle utilisa le romantisme en l’exacerbant, pour fournir une alternative à la modernité, à la civilisation industrielle et urbaine en expansion qui semblait dépouiller l’homme de son moi créateur, le coupant ainsi d’un ordre social apparemment épuisé et anémié » p.60.

Les concepts de ‘nature’ et d’harmonie cosmique sont remis au goût du jour par les écolos. Le retour à la terre et la vogue du ‘bio’ consolent de la production apatride délocalisée, aux mains de multinationales manipulatrices. Le « petit » producteur s’allie au « petit » commerçant contre les « gros » : grande distribution, multinationales agroalimentaires, capitalisme cosmopolite, impérialisme américain (Monsanto). Il y a de tout chez les écologistes aujourd’hui : des scientifiques qui mettent en garde fort justement sur la finitude des ressources, les dangers de la chimie tirée du pétrole ou du nucléaire, le nécessaire ajustement entre l’humanité et le milieu naturel. Mais il y a aussi des mystiques réactionnaires pour qui l’humain est un parasite de la planète, une engeance à surveiller et punir par le retour à la terre (qui seule ne ment pas, disait Pétain). Ceux qui s’expriment le plus vigoureusement ont un furieux air Völkish, pas très moderne…

Comme dans la communauté organique prônée par Hitler, chaque métier d’aujourd’hui se veut un ‘ordre’ corporatiste qui s’organise lui-même et récuse toute réforme venue de la légitimité démocratique : les banques veulent s’autoréguler, mais aussi les cheminots qui croient seuls avoir le sens de leur métier très technique, le corps enseignant qui sait mieux que parents ou spécialistes ce qu’il faut aux enfants, ou les universitaires qui s’émeuvent de tout ce qui pourrait toucher à leurs libertés de recherche ou de programmes. Même les Indignés réclament de réguler les élus. Et ceux-ci penchent vers le souverainisme pour garder leur petit pouvoir.

Le nombre démocratique, l’immigration ouverte, la circulation des capitaux, obligent chacun à être compétitif pour réussir. Les étudiants fourvoyés dans des filières sans débouchés forment aujourd’hui ce qui, en 1880 déjà, s’appelait le « prolétariat universitaire ». Aspirant au statut de petit-bourgeois, leur hantise est d’être déclassés. Ouverture, concurrence et chômage sont leurs ennemis. Les sectes sataniques, complotistes ou extrémistes permettent de se croire une élite tout en couchant en studio – exactement ce qu’Hitler ressentit à Vienne durant sa jeunesse pauvre et Breivic sur Internet avant de massacrer les jeunes Norvégiens.

N’y aurait-il pas un parallèle dans la façon de penser entre hier et aujourd’hui ?

Les frères Strasser résumaient ainsi leur programme dans les années 20 : « nationaliste, contre l’asservissement de l’Allemagne ; socialiste, contre la tyrannie de l’argent ; völkisch, contre la destruction de l’âme allemande » p.460.

  • Les anti-européens souverainistes, protectionnistes et anti-américains français, sont contre l’asservissement de Bruxelles, contre l’économie libre-échangiste et contre la finance internationale. Ne ressemblent-ils pas aux nationalistes d’hier ?
  • Les socialistes de gauche, mélenchonistes et autres jacobins sont clairement contre la tyrannie de l’argent, souvent parce qu’ils sont fonctionnaires ou politiciens professionnels. « L’âme » du peuple n’est-elle pas aujourd’hui infuse dans l’écologie, cette harmonie Völkisch entre l’être humain sur sa terre et le cosmos ?
  • Si elle n’est pas ethnique, comme dans l’Allemagne d’hier, ne pourrait-elle pas le devenir ? A droite par hantise des banlieues et à gauche par haine du libre-échange apatride, toujours connoté américain et juif ? Goldman Sachs, Lehman Brothers, Madoff… Pourquoi les sites complotistes sont-ils presque toujours antisémites ? Pourquoi Mein Kampf se vend-t-il aussi bien en Turquie et dans tout le Moyen-Orient ? La Chine, modèle de Mélenchon, ou la Russie de Poutine, modèle de Marine Le Pen, ne sont-ils pas ouvertement xénophobes ?

Il ne s’agit pas d’un retour AUX années 30 mais un retour aux idées et façons de penser DES années de crise : 2008 a engendré la plus grande crise économique, sociale, politique et spirituelle depuis 1929.

Nous disons que les périodes de bouleversements induites par la modernité remettent en cause les acquis et les statuts, notamment ceux des petit-bourgeois hantés par l’arrêt de « l’ascenseur social ». Ce sont eux qui, jadis, ont fait le gros du vote nazi. Aujourd’hui ils se radicalisent, tirant Mélenchon vers Doriot et l’UMP vers dame Le Pen.

Nous disons que la lutte des places déclasse, surtout en récession économique – les places moins nombreuses étant réservées en priorité aux dominants possesseurs du capital social, culturel et économique. Le chômage de masse et le sentiment de déclassement suscitent les autoritarismes ou les fascismes, ce qui s’est passé en Italie, en Allemagne, en Espagne et même en France dans les années 20 et 30. Il s’agit d’une réaction de peur qui pousse vers l’ordre établi et appelle l’autorité qui peut le préserver.

Nous disons que les exclus se réfugient alors dans le fantasme, ce qui les dédouane de leurs échecs personnels. Ils ont le choix entre la paranoïa (« je n’y peux rien puisque le Complot est trop puissant, mais je suis malin parce que je décrypte »), ou l’utopie (« je ne peux rien sur mon destin, mais mon collectif élitiste me fait partager son rêve d’un « autre » monde, je nage en bande comme un poisson dans l’eau, bien au chaud dans le ‘tous d’accord’ »). Le Pen ou Mélenchon…

Nous disons que le mysticisme nature et le fantasme de la « pureté » (le bio, le sain et musclé, l’entre-soi, l’austérité morale) étaient typiques des mouvements Völkisch allemands des années 1880-1940. Ce n’est pas le « bio » en soi qui est condamnable, ni le torse nu, mais le fantasme de pureté dont le « bio » ou la nudité ne sont que la traduction narcissique cocoon la plus récente.

Hier, les dictateurs n’ont réussi que parce qu’ils ont su rallier dans un parti organisé les masses confusément en attente avec un programme politique attrape-tout. Ils ne l’auraient pas pu si la nébuleuse fumeuse des idées Völkisch, pétries d’irrationnel, de ressentiment et du fantasme ‘nature’ n’avaient travaillé les Allemands sur plusieurs générations. Il suffirait chez nous d’une aggravation de la crise, et d’un führer plus méchant que les politiciens d’aujourd’hui – mais tous les ingrédients sont là. Autant ne pas être naïf.

Sommes-nous moins manipulables aujourd’hui ? J’en doute. L’effondrement de l’éducation à penser par soi-même, la pression banlieue sur les « bouffons » qui travaillent bien en classe, la préférence pour le zapping plutôt qu’à « se prendre la tête » à lire un texte et à l’analyser, la facilité à croire aux complots comme dans les séries d’Hollywood, l’instinct grégaire à faire comme tout le monde, à « être d’accord » avec la bande, à dénier tout ce qui va contre – ne me rendent pas optimiste. L’extrême-droite monte en Europe, ses idées paranoïaques fantasmant la « pureté » se répandent, les passages à l’acte augmentent. Les attentats ne se font plus aujourd’hui pour libérer l’universel, ils se font pour assurer la domination ethnique, celle des islamistes ou de la Suprématie blanche.

Les États restent démocratiques mais la peur peut très vite engendrer ces contrôles étroits que réclament les gens. Surveiller les délinquants sexuels, traquer les pédophiles, accumuler les données personnelles pour la pub, c’est encore démocratique – mais les mêmes instruments peuvent servir à d’autres fins, politiques ou ethniques. Les médias peuvent être muselés en un temps record grâce aux nouvelles techniques : voyez la Chine, Cuba, la Birmanie, le Zimbabwe. Vous savez qu’ON vous piste sur toutes vos interrogations Google ou Yahoo – et les données sont gardées durant trois ans. Facebook ne détruit rien et, étant immatriculé dans l’État de Californie, le FBI y a accès sans limites grâce à la loi américaine. Pour quel contrôle absolu en cas de basculement ? Le Patriot Act américain a montré ses dérives graves en confondant les noms à consonance arabes pour les assimiler aux terroristes.

L’Occident perd son leadership. La puissance montante est la Chine, avec ses valeurs plus autoritaires et nationalistes… pas vraiment « démocratiques ». Demandez non seulement aux Tibétains mais aussi à ceux qui contestent les décisions des autorités à Shanghai ou Pékin. Mélenchon est « chinois » sur la langue bretonne ou la Dalaï lama. Le pétrole est menacé par des intégrismes musulmans qui ne brillent pas par leur tolérance, leur désir du bien commun universel ni leur relation avec les femmes. L’Europe reste impuissante faute de savoir ce qu’elle veut. Nous avons 27 criailleries à chaque débat fiscal, économique, politique, stratégique. La réaction des peuples est donc au repli frileux, à l’étroitesse de la famille, du clan, de la région, du national – bien avant l’Europe et l’universel.

Vague Europe dont les contours sont de plus en plus flous, menaçante mondialisation qui se dilue dans les rivalités, perte de l’information qui s’évanouit dans le superficiel, la copie et le zapping. Plus la cohésion est lâche, plus le désir fantasmé de voir surgir un ordre fort travaille. On ne se soude que contre d’autres. C’est ce que démontrent René Girard avec le ’bouc émissaire’ et Régis Debray dans ’Le moment fraternité’. Le nous n’existe que parce qu’il y a eux, les opposants. C’est ainsi qu’on se sent frères… Si vous avez des enfants, vous observerez très vite le phénomène : on se chamaille en famille mais, devant les autres, tous unis !

Les solutions sont connues : elles passent (comme sous Roosevelt) par l’action des États, la négociation internationale pour définir des règles, les filets sociaux de sécurité, et la réflexion démocratique de chaque citoyen dans le débat critique. Plus de transparence dans les négociations (et pas ces compromis de cabinet à la Aubry-Duflot), plus de participation démocratique locale, moins de pouvoir centralisé avec cour royale à la française. Avec pour lumière les acquis scientifiques plutôt que les fantasmes et pour guide l’empathie que l’on peut avoir pour ceux qui sont victimes. Cela suffira-t-il ?

George Mosse, Les racines intellectuelles du Troisième Reich – la crise de l’idéologie allemande, 1964, Points Seuil 2008, 510 pages, préface de Stéphane Audouin-Rouzeau, €11.40

Cet article est la version revue et actualisée d’un billet publié dans mon blog précédent en mars 2009. J’ai tenu compte des objections, nombreuses sur AgoraVox, ce pourquoi la version actuelle est longue. Le thème est malheureusement encore plus d’actualité !

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