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Jules Vallès contre les lycées de filles

Dans sa chronique du Réveil le 14 novembre 1881, Jules Vallès le révolutionnaire communard prend position cotre l’instauration de lycées destinés aux filles. La loi de Camille Sée de 1878 avait abouti le 21 décembre 1880 à la création de lycées de filles externes, enseignées par des femmes dans la morale laïque, la religion n’étant qu’un enseignement facultatif. Ce n’est pas que Vallès soit contre l’éducation des filles, il déplore seulement leur encasernement.

Lui serait pour l’abolition de tous les servages, l’éducation contrainte y compris. Il a beaucoup souffert dans les lycées de garçons, fils de prof lui-même inféodé au proviseur tout-puissant qui peut le révoquer ou le muter. « Cette Université ! – Elle est aussi bondieusarde que l’Eglise, et plus lâche ! » s’écrie-t-il. La morale laïque n’est pour lui pas meilleure que la morale catholique et le laïcisme est aussi forcené que le christianisme. « Enfermer des blondinettes, des brunettes, au nom de l’Etat et du bon Dieu, cela se ressemble ». Singer l’autre n’est pas s’en déprendre et Vallès en appelle à une révolution dans l’éducation. Il préférerait nettement l’éducation dans la famille, de type paysan, commerçant ou artisan.

« Ils disent qu’ils veulent arracher la jeunesse des femmes au despotisme des prêtres, et ils se font les sacristains d’une théorie aussi féroce et aussi dangereuse que celle du Vatican ! » Cette « théorie », le lecteur ne la connait pas car elle a le signe de l’évidence pour Vallès. La théorie est une pratique : c’est le dressage. Qu’il soit républicain plutôt que chrétien importe peu. « Le lycée avec les classes sombres, le réfectoire humide, le dortoir empesté, avec surtout ses habitudes de caserne, ses pions ou pionnes raides comme des sergent et ayant tous l’air d’obéir au doigt et à l’œil du Petit Caporal et du Grand Prévôt » – voilà ce qu’est « la tradition de l’Université ». Sans parler du risque « d’engarçonnement » des filles, les rendre « Sapho ou la Femme à barbe ». De ces amitiés particulières entre même sexe encaserné « peut naître je ne sais quel mépris de l’homme ! » Les couvents conservent la féminité car l’Eglise catholique elle-même a quelque chose de féminin – mais pas l’Université, cette caserne à discipliner sur le modèle militaire issu de Napoléon.

Dès lors : « abruties » ou « corrompues » ? Tel serait le destin des filles de lycées selon Jules Vallès en 1881. Nous savons qu’il n’en fut rien, ce qui donne une indication sur le tempérament de Vallès : tout dans la fougue, tout dans l’émotion. Un insurgé permanent contre tout ce qui change et tout ce qui devrait changer. Et en 1881, il n’a pas encore 50 ans !

Il donne l’exemple par sa personne de ce qui perdure chez ceux qui se piquent de politique, aujourd’hui y compris : toute réforme suscite aussitôt « des craintes », toute évolution une révolution (au sens 360°) dans les esprits. Il faudrait ne rien changer, qu’après de très longs débats précautionneux sur tout et avec tous, avant de s’avancer timidement, tout prêt à reculer devant la moindre résistance…

Jules Vallès, Œuvres tome II 1871-1885, Gallimard Pléiade 1990, édition de Roger Bellet, 2045 pages, €72.00

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La liberté : et celle des autres ?

Ils sont nombreux, ils sont braillards, les défilants à Paris et province qui réclament « la liberté ». Celle de NE PAS se vacciner, celle de NE PAS obéir aux normes sociales, celle de NE PAS avoir soin des autres en les contaminant volontairement en feignant de NE PAS le savoir. Une fausse liberté, comme on voit. Celle du NE PAS, de l’égoïste renfrogné en lui-même, tout hérissé de piquants antisociaux, qui se complait en son miroir et se fout de tout le monde.

La liberté s’arrête là où commence celle des autres.

Cet équilibre littéralement « révolutionnaire », car inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme, s’écroule désormais dans la poussée individualiste minable. Alors, brailler à « la dictature » quand on n’est même pas foutu de respecter le pacte démocratique, quelle bêtise ! Certes, « la gauche » avec ses incantions sempiternelles au « social », au « collectif » et au « tous ensemble » a une grosse part de responsabilité dans la crise morale et civique actuelle. La gauche des petits-bourgeois avides de devenir grands bourgeois, arrivistes du pouvoir sous Mitterrand et confits en leur « mission » sous Hollande. La gauche virée – et pour longtemps à mon avis – du pouvoir pour incapacité et mensonges, du « les yeux dans les yeux » de Cahuzac sur l’évasion fiscale au « tout faire contre le chômage » (en augmentant massivement les impôts de l’inepte Hollande – qui fit HEC, dit-on…).

Mais où est la droite en ces moments cruciaux ? La droite des patrons qui attend de voir, contente de « la reprise » (le CAC 40 est au plus haut !) malgré la désindustrialisation massive de la France qui se savait même plus produire de masques ni de Doliprane, la droite politique éclatée entre trois crocodiles incapables de s’entendre pour s’unir – enfin – pour gagner, la droite qui a eu ses mensonges, dont Fillon est le dernier avatar. Au lieu de reconnaître une pratique, certes douteuse mais couramment pratiquée par tous les politiciens ou presque, chercher à cacher, à dénier, à éviter. Est-ce ainsi que l’on se présente au pays pour le poste suprême de Commandeur ?

L’égalité est à gauche, qui dégénère trop souvent en égalitarisme ; la liberté est à droite, qui dégénère trop souvent en son contraire, l’autoritarisme. La tentation de commander est de tous mais celle de droite plus affirmée car pratiquée déjà en entreprise, alors que la gauche ne la pratique guère que dans le foutoir des partis.

Qu’est-ce donc que la liberté ?

Le paradoxe des braillards qui arpentent les places publiques et les avenues urbaines est qu’ils ne savent guère ce qu’est « la liberté » dont ils ont plein la gueule. Des fanatiques d’extrême-droite aux doctrinaires d’extrême-gauche, ce n’est qu’appel à la dictature : celle du « peuple » bien entendu. Autrement dit non pas le bon sens populaire partagé, la décence commune d’Orwell – mais les gourous qui font fureur, les appareils partisans qui captent les places et le pouvoir, les nazillons soviétiques gris et implacables car déresponsabilisés par leur Mission de faire le bonheur du peuple malgré lui dans un avenir qui ne cesse d’être plus radieux qu’il ne cesse de reculer. Ceux-là vont voter par ressentiment pour Le Pen club, le Méchant con aigri ou autres Ducons feignants en croassant « j’ai deux Zammour ».

Des anti-Macron qui sont colères de se voir renvoyer en miroir leur irrationnel, leur versatilité, leur médiocrité profonde, aux anarchistes Black bloc qui ne désirent que casser et détruire pour assouvir leurs pulsions et aux gilets gênes qui n’endossent cette carapace que parce qu’ils n’ont rien dessous : aucune personnalité, aucune responsabilité, aucun projet politique. Sont-ils libres ? Noir, jaune ou brun, l’uniforme fait « appartenir » – c’est une forme de servage bien loin de la liberté du bon sens citoyen.

Et puis la masse des suiveurs, pour qui brailler fait partie de la fête et du folklore franchouillard, manière de rappeler les piques et la prise de la Bastille – même si la Bastille d’aujourd’hui réside plutôt dans l’inertie conservatrice et fonctionnaire d’une administration aussi tentaculaire que paperassière et inefficace. Les Français payent le plus d’impôts de l’OCDE et n’ont que des services publics médiocres, voire moins bons que les autres, dans un millefeuille institutionnel qui répugne à décentraliser et à déléguer et qui multiplie les petits pouvoirs, donc les bureaux.

La liberté est-elle de faire tout ce que l’on peut en se foutant du monde – et des autres ? Non pas. Notre Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 stipule en son article 4 que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. » Une limite déjà dans les écrits antiques et dans la Bible, qui veut que « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ».

Le bal des egos égoïstes

Les braillards antivaccins apparaissent donc pour ce qu’ils sont : non pas des vertueux qui « résistent » à une « dictature » du sanitaire mais de purs égoïstes pour qui leur pomme compte plus que celles de leurs concitoyens, voisins et amis. A quand une stupide « marche contre le Covid ? », aussi vaine que danser pour faire venir la pluie ?

Oui, tous nous en avons marre du coronavirus, des restrictions, des empêchements à voyager, à socialiser et à « faire la fête » ! Mais cela fait-il de nous des meurtriers en puissance ? Le soignant qui refuse de se faire vacciner risque de contaminer ses patients malgré la multiplication des gestes barrières – l’expansion des maladies nosocomiales à l’hôpital bien avant le Covid montre que les « professionnels » peuvent faire des erreurs, être fatigués, se dire que « dans « l’urgence » ça peut passer. Non, ça ne passe pas. Seul le vaccin protège le mieux – pas à 100% mais plus que celui contre la grippe. Sauf les immunodéprimés – mais ceux-là, les antivax se disent qu’ils peuvent crever.

La liberté de faire ce qu’on veut sans contraintes veut dire que l’on rejette toute règle. C’est dès lors la loi de la jungle. Sans règles, pas de société ; sans civisme, pas de cité. Si tu me contamines par volonté de ne pas te protéger, je te tue – telle est la loi de la jungle, la même que celle du talion. Dans notre société de droit, je fais un procès pour « mise en danger de la vie d’autrui » ; si c’est votre enfant qui est mort par la faute d’une inconsciente anti, vous risquez de vous faire justice vous-même, c’est illégal mais tentant. Ceux qui ont le sida et qui contaminent les autres parce qu’ils ne leur disent pas sont condamnés dans de nombreux pays. Et même en France. C’est la même chose pour le Covid comme pour ceux qui conduisent sans permis.

Dans une société, tous sont liés. Ceux qui transgressent volontairement les règles de la société se mettent hors la loi et doivent être bannis ou punis.

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La Russie et les Russes entre mythes et lieux communs

Au Salon du livre russe organisé au Centre spirituel et culturel orthodoxe du quai Branly à Paris le week-end dernier, une table ronde a eu lieu entre Youri Fedotoff, avocat et romancier, auteur du Testament du tsar, et Alain Sueur, financier et enseignant, auteur d’ouvrages de bourse et de gestion de patrimoine mais aussi auteur d’une thèse de doctorat à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne il y a plus d’un quart de siècle sur URSS et mythologie avant la Perestroïka.

Cette table ronde a eu lieu avec la bienveillance de Mme Irina Rekchan, Présidente du Salon du Livre Russe et sous l’égide de M. Léonid Kadychev, Directeur du Centre Culturel et Spirituel russe à Paris. Elle a été présentée par Guilaine Depis, attachée de presse de Youri Fedotoff.

Les intervenants ont choisi d’explorer trois mythes principaux français (et occidentaux en général) sur la Russie par le survol de textes de Saint-Simon à Sylvain Tesson, puis d’analyser les mythes ambivalents que sont le Barbare, le Pionnier et l’Age d’or. Alain Sueur avait recensé 17 mythes à propos de l’URSS au début des années 1980 mais les trois retenus sont majeurs pour l’image que nous avons de la Russie au travers des siècles.

Un mythe est un récit explicatif qui ordonne le monde dans l’imaginaire d’une culture. Il a une double fonction dynamique et compensatrice, pour saisir vite un fait nouveau ou prévoir en fonction de schémas connus. Alain Sueur explique que le psychologue américain Daniel Kahneman, « prix Nobel » d’économie en 2002, distingue deux cerveaux : le Système 1 et le Système 2. Le Système 1 est une façon de penser archaïque, approximative et globale mais rapide, née dans la savane pour échapper aux prédateurs. Il fonctionne automatiquement et vite, créant un schéma cohérent d’idées issues de la mémoire associative, des impressions et des sentiments. Le mythe est le mode de pensée global et immédiat du cerveau. Le Système 2, lui, ne fonctionne que lorsque tout danger est écarté et que la pensée a le temps de raisonner et d’analyser.

BARBARE

Youri Fedotoff montre dans un texte des Mémoires de Saint-Simon l’hommage que Pierre le Grand, réformateur et « civilisateur » de la Russie, fit à Richelieu sur son tombeau : « Grand homme ! Je t’aurai donné la moitié de mes Etats pour apprendre de toi à gouverner l’autre ! ». C’est que le tsar de toutes les Russies est volontiers perçu comme un « barbare ». Le marquis de Custine écrit dans ses Lettres de Russie en 1839 qu’elle est « une société à demie barbare mais régulée par la peur ». Le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre, évoque sous Staline « un peuple à ce point vivant et patient que la pire servitude ne le paralysait pas ». Sylvain Tesson dans Bérézina note après Milan Kundera  « l’absence de rationalité dans la pensée russe » et sa propension « à toujours sentimentaliser les choses, à éclabousser la vie de pathos ».

Alain Sueur expose que le mythe du Barbare se décline en deux mythes opposés : l’Ogre et le Bon sauvage. Le barbare est celui qui n’est pas comme nous, notre inverse humain. Dans les trois étages de l’humain, il n’apparaît ni civilisé, ni humaniste, ni maître de soi. Il est donc menaçant, Ogre qui croque (version mâle) ou qui dévore (version femelle) selon Gilbert Durand dans Les structures anthropologiques de l’imaginaire soit l’image du char d’assaut qui a menacé toute l’Europe sous Brejnev et celle du Léviathan totalitaire qui menace toute pensée individuelle.

Le Bon sauvage représente en revanche la vigueur vitale des instincts qui permet à toute société de se régénérer quels que soient ses malheurs (le Phénix), une force de jeunesse qui pousse certes à l’éternel présent mais aussi au nomadisme, à l’égalitarisme fraternel, au millénarisme. Le Barbare est figuré par l’Ours, animal totem russe (Michka dans les contes) qui ressemble à un homme mais plus fruste, apte à hiberner avant de se réveiller au printemps pour devenir prédateur.

PIONNIER

C’est que la barbarie supposée est liée à l’espace. En Russie où la steppe ondule à l’infini jusqu’à l’horizon, tout paraît possible, tout est à explorer, conquérir, exploiter. D’où l’animal emblématique du Cheval, déjà important chez les Scythes et revivifié par les Tartares puis les Cosaques. De Gaulle note la volonté de puissance de la Russie stalinienne : « Rassembler les Slaves, écraser les Germaniques, s’étendre en Asie, accéder aux mers libres, c’étaient les rêves de la patrie, ce furent les buts du despote ». Et, renchérit Sylvain Tesson : « Les Russes furent les champions des plans quinquennaux parce qu’ils étaient incapables de prévoir ce qu’ils allaient faire eux-mêmes dans les cinq prochaines années ». Hélène Carrère d’Encausse note, dans son introduction à son livre Le général de Gaulle et la Russie, combien l’espace russe a tenté les voyageurs d’Occident comme les marchands anglais.

Cette dimension spatiale est cruciale pour édifier le mythe du Pionnier qui, comme aux Etats-Unis, repousse la Frontière terrestre et monte même jusqu’aux étoiles avec Youri Gagarine en 1961. Mais le Pionnier est un mythe ambivalent, comme tous les mythes. Le Héros se décline selon les trois fonctions indo-européennes de Georges Dumézil en Prophète législateur tel Moïse, Napoléon ou Lénine, en Aventurier conquérant tel Ulysse, Alexandre le Grand ou Pierre le Grand, en Chercheur civilisateur tel Erik le Rouge, viking qui colonisa l’Islande avant d’explorer le Groenland et les abords du Canada, Faust ou Einstein.

Mais la toute-puissance du Héros menace la société en imposant par la force un carcan de pouvoir tel un Moloch sans pitié (Pierre le Grand, Lénine, Staline). Elle menace aussi l’humanité tout entière via le mythe du Savant fou, un docteur Faust apte à signer un pacte avec le diable pour créer de la puissance. C’est alors le délire pseudo-scientifique d’un Lyssenko, la démesure industrielle de Tchernobyl qui aboutira à la catastrophe que l’on sait, ou l’exploitation sans mesure de l’eau des fleuves Amou-Daria et Syr-Daria pour accentuer la production de coton. Résultat : la mer d’Aral a été asséchée de moitié !

AGE D’OR

Le danger des Héros Barbares est de vouloir recréer et imposer un Age d’or au forceps, à la fois Paradis pour le côté positif et Gel bureaucratique formaté pour le côté négatif. Pierre le Grand rêve de gouverner comme Richelieu, le Tsar qui visite la France, décrit par Saint-Simon en 1717, a « ses volontés incertaines sans vouloir être contraint ni contredit sur pas une ». Et Custine un siècle plus tard note « la tyrannie patriarcale des gouvernements » et « une société (…) régularisée par la peur ».

Le mythe de l’Age d’or peut être régression dans le passé ou utopie d’avenir. Cet Age se situe avant : paradis perdu chrétien ou Moscou « troisième Rome », ressourcement originel dans la Rodina (la patrie charnelle du souverainisme national), ou l’accord retrouvé de l’homme avec la nature et avec sa nature qu’espère Marx dans le communisme réalisé. Il se situe aussi après dans le temps, ou ailleurs dans l’espace : Frontière des pionniers colonisateurs, Eldorado pour les conquistadores du pétrole et des minerais, merveilleux des guides illuminés vers le Bélovodié ou pour retrouver Kitège, la ville russe assiégée par les Tartares durant la grande invasion de 1242 qui descendit avec tous ses habitants, ses tours et ses églises, au fond d’un lac et dont Rimski-Korsakov a fait un opéra. Depuis, seuls les justes et les purs peuvent retrouver Kitège comme on découvre le saint Graal, et entrevoir dans l’eau ses coupoles. Cette ville n’émergera qu’au moment où les hommes se repentiront de leurs péchés. Il s’agit donc dans ce mythe de créer la Cité de Dieu (version chrétienne), de bâtir des cités rationnelles (Saint-Pétersbourg de Pierre le Grand, Akademgorodok de Staline) ou de créer la Cité idéale du communisme où règnerait la pure administration des choses sans conflits politiques (modèle de la Poste de Lénine). L’Ordre cosmique assuré par Dieu, l’ordre politique par le tsar, l’ordre social par le Parti avant-garde « scientifique » et ses technocrates – avant peut-être les écologistes de l’urgence climatique.

Mais le risque est d’imposer un géométrisme abstrait à la société, de dériver vers l’alliance des bureaucrates et des organes de sécurité comme dans 1984 de George Orwell. Le rêve du socialisme dans un seul pays aboutit très vite à la paranoïa stalinienne de forteresse assiégée qui nécessite un Mur – moins pour se défendre de l’extérieur que pour empêcher ses propres citoyens de quitter le navire. La Russie comme l’URSS ont alterné des phases de « gel » et de « dégel », allant vers une européanisation et les libertés avant de se rétracter en « despotisme asiatique » et robotisation des comportements sur le modèle social du servage ou du Goulag (rabot en russe veut dire travail…). Qui veut faire l’ange fait la bête, notait jadis Pascal. Qui croit détenir la Vérité (Pravda), de droit divin, autoritaire ou « scientifique », tend à l’imposer à tous et sans discussion, « pour leur bien ». L’ethnos s’oppose au demos, la patrie biologique, affective et traditionnelle s’oppose à la société du contrat, du droit et du progrès dans le respect des Droits de l’Homme que nous tenons pour universels.

Ce pourquoi le Barbare c’est toujours l’Autre, celui qui n’est pas comme nous et qui récuse notre liberté.

CONCLUSION

Si Youri Fedotoff note que les mythes d’aujourd’hui sur la Russie vue par les Français sont les mêmes que ceux du passé, Alain Sueur suggère que ce sont « nos » mythes culturels et qu’ils ne sont pas universels. C’est « notre » façon de voir la Russie et les Russes, une façon caricaturale bien utile pour s’orienter et agir dans le flux d’informations qui survient, mais au fond fort peu rationnelle et scientifique. Il note aussi que la Russie fait partie du même ensemble chrétien que l’Occident tout entier et qu’il existe donc des passerelles de compréhension.

Par exemple la nouvelle d’Anton Tchékhov, La Steppe – Histoire d’un voyage, publiée en 1888. Igor, 10 ans, est un double de l’auteur lorsqu’il revenait de chez son grand-père au village de Kniajaia à 60 verstes de Taganrog. Le jeune garçon quitte la campagne pour la ville, sa mère pour un monde d’hommes et l’école communale pour le lycée. Il passe de l’ignorance au savoir (du Barbare au civilisé), des paysans aux bourgeois, de la nature à l’urbanité. Le dernier bain dans la rivière, durant le voyage, est pour lui source de jouvence qui lui « dilate le ventre », en Bon sauvage qui se régénère pour garder sa vitalité et devenir Héros créateur. Cette belle nouvelle montre que certains mythes que nous formons sur la Russie sont partagés par les Russes eux-mêmes.

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Henri Troyat, Le cahier

La Russie des années 1850 est archaïque. La capitale et la cour vivent à l’époque moderne avec bals et théâtres, restaurants et plaisirs, étiquette et rang ; la campagne vit encore au moyen-âge avec grands domaines et serfs attachés, seigneur paysan et moujiks. Le barine, la barinya et le bartchouk (le maître, la maitresse et le jeune maître) sont la trinité de Klim le serf (Clément en russe). Il est né la même année que Vissarion et lui a servi de compagnon de jeu et d’émule pour son éducation primaire. Puis, à 12 ans, le barine a décidé d’envoyer son fils en pension à Moscou et de renvoyer le fils de serf à sa condition : servir son maître au domaine. Mais Klim sait lire et écrire, il apprécie les poésies de Pouchkine ; il tient un cahier de sa vie, qui donne le titre au roman.

Vissarion aime commander mais surtout parader ; il n’aime pas la campagne ni la terre. Etudiant médiocre, de caractère faible, il échoue aux examens de droit en première année et s’engage comme scribouillard fonctionnaire. Son père, un peu Bouvard et un brin Pécuchet, accumule un savoir livresque qu’il tente d’appliquer à la médecine et à l’agriculture sur ses terres, sans succès ; il est ruiné. Klim aime la campagne, son bartchouk et le barine ; il est né pour servir.

Lorsque le barine meurt, le fils vend le domaine et « les âmes » qu’il contient – sauf une : Klim, qui le sert à Moscou. Mais il veut éblouir une actrice de théâtre qui le dédaigne et ruine son héritage en corbeilles de roses et repas fins. Il se croit trop au-dessus du travail pour garder son poste médiocre. Comme il joue, il se ruine et se trouve contraint de vendre Klim !

L’époque est pourtant aux idées libérales venues des Lumières européennes. Après la défaite de Crimée, Le tsar Alexandre II soumet à la noblesse un projet d’émancipation des serfs, avec beaucoup de précautions mais qui va dans le bon sens – le sens de l’Europe et probablement du monde entier. Mais, Troyat le montre, la liberté exige en contrepartie la responsabilité. Le serf russe est tellement content de ne rien avoir à décider ! Il n’est pas responsable de son destin et sa vie est réglée par un autre : Dieu peut-être mais le barine avant lui. Cette position confortable se reflète dans le fonctionnariat russe, pléthorique à la française, où l’irresponsabilité est érigée en point d’honneur. Seul décide Dieu peut-être mais le tsar avant lui.

Le domaine de Znamenskoié vendu, le cordon ombilical est coupé entre le Russe et la terre ; restent les idées – grandes et utopiques, dangereuses en politique. Klim va-t-il retrouver Vissarion par fidélité ? Le bartchouk va-t-il traiter son kazatchok avec égalité comme son penchant idéologique le réclame ?

Une jolie histoire simple, populaire, comme Henri Troyat, né russe en 1911, a su en produire. Utile pour comprendre comment l’explosion révolutionnaire a pu se produire dans ce pays immense et retardé où la réalité n’imposait aucune contrainte aux idées, où la religion forçait à l’utopie sans garde-fou et où l’inégalité entre la richesse et la misère engendrait des rancœurs quasi raciales. Klim le dit à plusieurs reprises, nobles et moujiks ne se sentaient pas de la même espèce.

Henri Troyat, Le cahier – Les héritiers de l’avenir tome 1, J’ai lu 1976, 375 pages, occasion €0.99

Les trois tomes, J’ai lu, €22.95

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Qu’est-ce que le capitalisme ?

Le « capitalisme » – mot-valise – pas grand monde ne sait vraiment ce que c’est. Il est utilisé comme injure par les privilégiés d’Etat, comme explication totale de tout ce qui ne va pas par les petits intellos, par le grand méchant marché pour les écrasés de la domination. Or le capitalisme n’est pas « à bout de souffle », comme certains le prétendent, qui préfèrent leurs rêves à la réalité, imaginer un souverain Bien abstrait plutôt que creuser un tantinet cette même réalité.

Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas un système « scientifique » ressortant d’une quelconque « loi de l’Histoire » (qui n’existe pas) – comme « la gauche » depuis le marxisme a pris l’habitude de le penser, dans le confort d’une doctrine toute faite qui évite d’observer et de réfléchir.

On retient en général six critères du capitalisme :

  1. propriété privée des moyens de production (au détriment des non-possédants)
  2. division du travail pour assurer la productivité (mais aliène le travailleur qui ne voit pas l’ensemble de son travail)
  3. employés non propriétaires des moyens de production (induisant une « inégalité »)
  4. entreprise comme aventure et risque (avec pour sanction la faillite)
  5. mesure du succès selon le profit (récompense de l’innovation et du pari) mais monopole temporaire (donc pousse à l’investissement, à l’innovation, à la recherche et à la prise de risques)
  6. liberté du marché où se confrontent offre et demande de produits et services (mais tendance au monopole, donc exigence d’une instance supérieure – l’Etat – pour faire respecter la concurrence)

Avant tout c’est un système économique efficace, mais le capitalisme induit une sociologie des acteurs entre possédants, non-possédants, fonctionnaires, enfin influe sur la politique par sa volonté de règles du jeu établies par les Etats.

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Le capitalisme est avant tout un système d’efficacité économique.

Il a toujours existé ; il existera toujours car il tend à produire le maximum (de biens et services) avec le minimum (de matières premières, de capital et d’humains), ce qui est à la fois rationnel, économique et même écologique (réfléchissez un peu). Pour Max Weber, le capitalisme est la rationalisation même des activités collectives, loin du bon-plaisir dépensier du pouvoir féodal ou des superstitions magiques des agriculteurs.

Le capitalisme, comme outil d’efficacité de la production, est politiquement neutre, en ce sens que des sociétés très différentes utilisent le capitalisme : les Etats-Unis république impériale, la Chine communiste à parti unique, la Russie démocrature, l’Allemagne social-démocrate, la France jacobine et étatiste, le Royaume-Uni monarchie parlementaire libérale, la Suisse fédérale et d’initiatives citoyennes…

Le capitalisme, comme appropriation privée a émergé dès le néolithique, lorsque les populations de chasseurs-cueilleurs ont troqué leur prédation nomade sur la nature sauvage contre l’exploitation d’un capital (cheptel, terre, forêt, lieu de pêche, carrière de silex, de sel ou de minerai) – en le protégeant de la prédation des autres. Sont ainsi nées au moins deux classes sociales distinctes : les pillards nomades et les propriétaires sédentaires. Coiffées parfois par un Etat, comme en Mésopotamie ou en Egypte, qui a inventé la comptabilité pour mieux prélever l’impôt sur la production et le soldat pour les armées. Le mot capitalisme provient d’ailleurs du latin « caput » – la tête de bétail.

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Car cette façon de produire capitaliste induit nécessairement une sociologie des acteurs, un régime de propriété et un mode de comportement.

L’appropriation privée des moyens de production distingue ceux qui possèdent de ceux qui ne possèdent pas. Les premiers ont (par héritage, prédation ou effort personnel) le cheptel, la terre, le capital, les machines, les brevets ; les seconds n’ont que (par origine sociale défavorisée, éducation pauvre ou manque d’effort personnel) leur force de travail – déclinante avec l’âge – ce qui conduit Karl Marx entre autres à en faire une catégorie « exploitée ».

Ce jugement philosophique (et non économique, ni sociologique) entraîne la condamnation morale des possédants, censés être avides d’accumuler toujours plus d’argent. Mais cette dichotomie simpliste ne résiste ni à l’histoire, ni à l’observation du présent : l’éthique protestante de Max Weber a fait de la morale austère l’une des conditions de réussite du capitalisme industriel ; l’honneur du travail bien fait a créé, selon Michel Albert, la variante du capitalisme rhénan qui fait le succès de l’industrie allemande et suisse ; aujourd’hui, les plus gros capitalistes de la planète, Bill Gates, Steve Jobs, Warren Buffet, Elie Broad (de Kaufman and Broad), George Soros, ont pris la suite des Carnegie, Rockefeller, Kellog, Guggenheim, Getty – pour financer massivement des organisations caritatives mondiales. En France, le chef étoilé Thierry Marx a permis dès 2002 aux détenus de Poissy de bénéficier d’une formation en bac professionnel Restauration et il crée en 2012 une formation gratuite à la restauration destinée aux jeunes sans diplôme et aux personnes en réinsertion ; Xavier Niel, patron de Free, a créé une école d’informatique gratuite ouverte aux sans-diplômes.

Il y a certes des Bernard Madoff et autres « loups de Wall Street », mais qui n’a pas ses moutons noirs ? L’Eglise et ses pédophiles ? L’Administration et ses Cahuzac ? Le service public et ses profiteurs pris dans les « affaires » ? Les parlementaires avec leurs prébendes ? S’il fallait condamner « le capitalisme » parce qu’il existe des avides et des méchants, il faudrait condamner tout Etat, toute administration et toute église parce qu’ils en ont autant en leur sein… Le capitalisme est-il moral ? s’interrogeait le philosophe André Comte-Sponville – il montrait qu’en logique, c’est non ; le capitalisme n’est ni bien ni mal, il est seulement utile ou inefficace. A chaque ordre son rôle : l’économie n’est pas la politique – c’est à la politique de réguler le capitalisme – pas de le « condamner » ; c’est à la justice de faire respecter les règles – et de condamner les écarts – et c’est à la politique de définir ces mêmes règles et de donner les moyens à la justice.

Par-dessus les deux catégories des possédants et des exploités de Marx s’en est créée une autre, issue de la complexité croissante des sociétés organisées en Etats : la bureaucratie. Les fonctionnaires ou les managers salariés ne possèdent aucun capital (autre que celui – scolaire – d’avoir passé un concours ou d’avoir réussi des études) ; mais leur force de travail salariée est garantie à vie (retraite comprise), ce qui n’en fait pas des « exploités » mais des instruments des règles de droit d’une Administration. Comme hier les clercs de l’Eglise.

On ne peut donc pas affirmer que le capitalisme « se maintient en creusant le fossé entre les nantis et les pauvres », ni qu’il « fait endosser par l’Etat les effets d’une déroute financière ». Ce sont bien les politiciens qui ne font pas leur boulot de dire le droit et de surveiller et sanctionner les écarts à la loi, les politiciens qui cèdent aux lobbies de la finance, de la pharmacie ou du nucléaire – pas les « capitalistes » : ceux-ci ne font que maximiser l’efficacité de leur outil entreprise.

Ce que l’on peut dire en revanche, c’est que la mathématisation du monde, l’orgueil de la rationalité poussé au rationalisme, conduisent à la dérive de la raison, au tout-calculable, tout-quantifiable ; avec cet espoir utopique de tout prévoir et de tout contrôler. Jusqu’au transhumanisme visant à remplacer tout ou partie de l’humain par l’informatique et le robot. Les délires de la finance ont montré en 2007 combien la rationalité sans affect, l’outil sans ouvrier, l’économie sans politique, peut dégénérer. Mais cette finance n’a été contrôlée par personne, et surtout pas par les organismes d’Etat dont c’était pourtant le travail ! – aussi bien aux Etats-Unis adeptes de la transparence qu’en France étatiste donneuse de leçons. Quant au mot de François Hollande, « mon ennemi la finance », on sait bien ce qu’il est devenu : la démagogie électoraliste s’est heurtée à la réalité des choses. Pourquoi « honnir » plutôt que contrôler ? La faillite du politique est ici totale.

D’ailleurs, ceux qui disent le capitalisme fini ne savent pas comment il serait « remplacé »… Ni la décroissance prônée par certains, ni le troc proposé par d’autres, ni la vie en autarcies communautaires rêvée par quelques-uns ne peuvent remplacer la production de masse qui propose à tout le monde des biens et des services, l’organisation du commerce mondial qui évite la pénurie et les aléas climatiques, et l’innovation qui incite à proposer de nouveaux biens. Peut-être ceux qui rêvent de la vie monastique ou de la thébaïde à la Rousseau, sont-ils d’un âge déjà mûr pour aspirer à la tranquillité, ont-ils trop goûté aux fruits de la consommation pour s’en être lassés, ou sont-ils fatigués des changements au point de désirer la quiétude du pavillon avec petit jardin pour la retraite ? Je ne crois pas que les pays émergents, ni la jeunesse émergente ou développée, aient un quelconque désir d’austérité ou de contrainte.

Cela ne signifie en rien que leurs achats ne soient pas réfléchis, ni qu’ils ne veuillent pas éradiquer l’obsolescence programmée. Mais il existe des groupes de pression des consommateurs pour cela, des associations qui influent sur les lois – et des intellos qui, lorsqu’ils font leur boulot, mettent en garde contre les manipulations du marketing, de la pub, de la collecte des données, du panurgisme des réseaux sociaux, de la démagogie politicienne et ainsi de suite. Encore faut-il convaincre intelligemment, avec des arguments, et non se contenter de faire peur en prophétisant l’Apocalypse. L’écologie devra se faire avec les outils du capitalisme pour être efficace et « durable » ; ou elle ne sera qu’une religion de plus.

capitalisme-de-la-seduction

Pour s’épanouir, le capitalisme a besoin de la liberté des échanges. Ce que seule la politique peut lui donner, via l’organisation de l’Etat, l’élaboration du droit et un régime de droit libéral.

Les anarcho-capitalistes considèrent que l’État est dangereux et qu’il est possible de s’en passer en s’appuyant sur le « droit naturel », sa propre capacité de défense, et des organismes privés rémunérés. Dans la réalité, il n’existe pas de société capitaliste pure où tous les moyens de production seraient propriété privée et seraient exploités par leurs propriétaires de façon totalement libre sans concours et influence de l’État (via le droit de propriété, la justice pour faire respecter les contrats, les règles de concurrence et d’exploitation, les normes sanitaires et de pollution, les impôts, les infrastructures d’éducation, de santé et de transports…).

Pour les libéraux classiques, comme Alexis de Tocqueville ou Raymond Aron, le marché est un moyen de satisfaire les désirs, pas une fin en soi. Une économie dirigée, planifiée, autoritaire, n’a jamais résolu les inégalités ni les abus, l’histoire entière du XXe siècle le montre à l’envi en URSS, en Chine, à Cuba, en Corée du nord… Le respect des libertés fondamentales et des contrepouvoirs institutionnels permet d’éviter – en démocratie – la constitution de monopoles, ou la corruption des fonctionnaires par les industriels. La tentation existe (le lobby pharmaceutique sur les autorisations de mise sur le marché des médicaments, par exemple), mais le fait qu’il y ait « scandale » et que des mesures législatives fermes soient prises, montre que le système peut se corriger. Bien sûr, ceux qui sont persuadés de faire le bien des autres malgré eux, considèrent l’interventionnisme d’Etat comme seul instrument « moral » – montrant par là-même combien ils font peu de cas de la démocratie (le dernier exemple est le référendum sur Notre-Dame des Landes, dont ils refusent le résultat).

Le capitalisme n’est pas la liberté, mais partout où il y a liberté, il y a capitalisme. Ce pourquoi tous ceux qui préfèrent l’égalité honnissent le capitalisme ; ils lui préfèrent le clientélisme de parti et les privilèges de nomenklatura.

L’histoire du capitalisme montre ses capacités de mutation et d’adaptation :

  1. capitalisme foncier (mésopotamien, grec, romain, châtelains et gentilshommes fermiers, bourgeois propriétaires et gros fermiers, agriculteurs « industriels »)
  2. capitalisme commercial = fin moyen-âge (Venise 14ème) – mi-18ème (marchés, magasins, foires, changeurs et banquiers). Les sociétés par actions ont permis aux riches négociants de prendre un risque et de financer leurs expéditions (route de la soie, route des épices, route du thé). Le grand négoce est toujours resté sous le contrôle des gouvernements nationaux (doctrine mercantiliste). La dynamique du capitalisme a été bien décrite par l’historien Fernand Braudel.
  3. capitalisme industriel et bancaire = 19ème (révolution industrielle en Angleterre fin 18ème par le textile puis machine à vapeur, l’entreprise privée organisée)
  4. capitalisme multinational = début 20ème et surtout après 1945 (grande entreprise parfois transnationale, production et consommation de masse, concentration et lois anti monopoles, recours à l’épargne et émergence d’actionnaires différents des managers (John Kenneth Galbraith), régulation de la monnaie et du marché par l’Etat (John Maynard Keynes), les excès interventionnistes contrecarrés par la dérégulation Reagan et Thatcher – qui a conduit à l’excès inverse de la spéculation financière 2007 – et à la re-régulation des banques et des paradis fiscaux.)
  5. capitalisme monopoliste d’État = fin du 20ème siècle, tentative socialiste de transformer le capitalisme pour lui faire accoucher du communisme. A l’exemple de l’URSS et des pays de l’Est, il a été très à la mode en France sous la gauche Mitterrand (jusqu’au tournant de la rigueur… dès fin 1983) et en Chine post-maoïste (jusqu’à la crise récente).
  6. capitalisme cognitif = nouveau, il serait issu de la mutation des conditions de production, qui font de plus en plus appel au capital-savoir plutôt qu’au capital financier ou industriel. Inventer aux Etats-Unis et produire en Chine pour en faire le marketing aux Etats-Unis et dans le reste du monde permet de capter l’essentiel de la plus-value sur le produit fini. Mais l’émergence des pays et les coûts de transport croissants n’en font peut-être pas un modèle pérenne.
  7. capitalisme libertaire = est un réseau réel de travailleurs indépendants, de coopératives et mutuelles (adhésion volontaire, capital commun, décision une personne une voix, profit traduit en nature), de financement participatif (crowfunding). Mais le collectif reste bien capitaliste, l’efficacité primant sur la production, seule l’éthique (par exemple franc-maçonne pour les mutuelles d’assurance en France) pouvant assurer une redistribution différente du profit.

Le capitalisme est un outil qui prend de multiples formes, pourquoi donc rêver sans cesse d’un monde idéal où il n’existerait pas et qui serait sans aucun problème ? Ce sont les humains qui créent les problèmes, pas les outils. Car, malgré les tentatives libertaires (coopératives ouvrières) ou collectivistes (les « démocraties » populaires), ce monde idéal n’existe pas – sauf au monastère. Pourquoi ne pas se poser plutôt la question de savoir quel est le système qui donne le plus de chances à tous de poursuivre efficacement ses propres objectifs ?

Le capitalisme, système d’efficacité économique inégalé, fait fond sur la discipline et sur la responsabilité individuelle parce que l’erreur est sanctionnée et parce qu’il incite à la recherche, à la création, à l’innovation pour le bien de tous. Dans l’histoire, le développement des villes, de l’artisanat, l’apparition de la bourgeoisie sont liés à l’existence de la propriété – Marx l’avait bien noté, encensant le capitalisme et n’appelant qu’à son dépassement.

Est-ce pour cela que certains rêvent de déporter tous les bourgeois à la campagne, comme le fit Pol Pot ? Ou de revenir avant le néolithique pour empêcher la « propriété privée » ? Le rapport salarial entre patrons et employés selon le prix de marché du salaire (rapport contractuel) est un progrès par rapport à la contrainte d’Etat (socialisme « réalisé »), au servage (rapport féodal) ou à l’esclavage (rapport de force) – ne croyez-vous pas ? Surtout si chacun s’entend (par son vote) pour que l’Etat – au-dessus des intérêts particuliers – définisse des règles démocratiques valables pour tous. Encore faut-il avoir les politiciens au bon niveau.

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