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Histoire illustrée de l’informatique

Un informaticien de Paris-Dauphine et un historien de Paris-Sorbonne se conjuguent pour livrer au public une histoire illustrée avec bibliographie, liste des musées et index. Dommage que la préface se place avant le sommaire, ce qui oblige à farfouiller pour savoir avant d’acheter ce qu’il y a dedans, que les caractères microscopiques soient pour des yeux de moins de 40 ans et que le format allongé soit peu commode pour la lecture comme pour la bibliothèque. Mais qui se soucie de ces détails parmi les allumés des algorithmes ?

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L’antiquité prend 14 pages, la modernité mécanique 24, le début du XXe siècle 18, les premiers ordinateurs 32 pages, les gros systèmes 48 pages, les micro-ordinateurs 36 pages, la microinformatique 40 pages et l’ère des réseaux 27 pages. Ces 8 parties résument toute l’histoire… dont on voit aisément que le siècle dernier occupe 80% de l’ensemble.

Mais l’on apprend que l’on comptait déjà 4000 ans avant notre ère en Mésopotamie (tablettes) et que le calcul informatique commence dès les doigts d’une main avant de s’élaborer en mathématique. La computation ne se met en système qu’à l’aide des symboles et de la logique. Si l’on peut dire que compter est la chose du monde la mieux partagée, le mécanisme d’Anticythère (île grecque) datant du IIe siècle avant, « modélisant le cours des astres à l’aide de plus d’une trentaine d’engrenages », représente probablement le premier proto-ordinateur au monde. Presque mille ans plus tard, c’est le musulman ouzbek Al-Khwarizmi qui donnera son nom aux algorithmes « en explicitant les étapes nécessaires au calcul des racines », « début de l’algèbre (mot provenant de l’arabe Al-jabr ou opération de réduction) ».

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L’horloge mécanique en Europe au XIIe siècle apportera la précision technique sur les divisions du temps tandis qu’en 1614 l’Ecossais John Napier invente les logarithmes et des bâtonnets multiplicateurs, ancêtre de la machine pour calculer. La règle à calcul n’est inventée qu’en 1630 par William Oughtred tandis que, quinze ans plus tard, Pascal invente la pascaline, mécanique horlogère servant de machine à calculer. Passons sur le métier à tisser Jacquard en 1804, programmable à l’aide de cartes perforées, sur le code Morse en 1838 qui transforme des signes en informations électriques, sur l’arithmomètre d’Odhner en 1873, « le best-seller mondial des calculatrices de bureau » pour en arriver au XXe siècle – le siècle de l’informatique.

Les abaques de Monsieur d’Ocagne en 1905 permettent aux ingénieurs de travailler tandis que le totalisateur de paris mutuels organise le calcul en 1913 via un système d’engrenages. La carte perforée (que j’ai encore connue durant mes années d’études…) nait en 1928 et il faut attendre dix ans de plus pour que l’Américain Claude Shannon « propose d’appliquer l’algèbre de Boole aux circuits de commutation automatiques ».

Durant la Seconde guerre mondiale, le décryptage d’Enigma, la machine à chiffrer allemande, rassemble de brillants mathématiciens (dont Alan Turing) tout entier voués à introduire « la puissance des mathématiques dans la cryptanalyse ». Le calculateur Mark I naîtra chez IBM en 1944 pour la marine américaine. L’ENIAC de 18 000 tubes et 30 tonnes, construit en 1945, permet 5000 additions par seconde et permet d’étudier la faisabilité de la bombe H. Mais le premier programme enregistré n’émerge qu’en 1948 et Norbert Wiener introduit la même année la cybernétique. Les premiers ordinateurs commerciaux seront fabriqués en 1951 et le premier ordinateur français pour l’armement, CUBA, naît en 1954 – comme François Hollande.

Le transistor aussi, qui remplacera les vieilles lampes, et le disque dur émerge en 1956, le langage FORTRAN en 1957. Le premier circuit intégré comme le premier traitement de texte surgiront en 1958, le traitement de masse dans la banque avec l’IBM 705 en 1959 et le premier ordinateur personnel interactif français, le CRB 500 la même année. Tout va plus vite : les langages COBOL et ALGOL sont créés en 1960, en même temps que le fameux ordinateur IBM 1401. Le terme « informatique » ne naît qu’en 1962 : vous le saviez ? Le langage BASIC (ma première programmation) n’est élaboré qu’en 1964.

C’est l’année suivante que Gordon Moore, directeur de recherches chez Fairchild Semiconductor, énonce sa fameuse « loi de Moore », ressassée à longueurs d’articles geeks, selon laquelle la densité d’intégration sur circuit intégré double tous les deux ans (autrement dit, on peut mettre le double d’information sur la même surface). Il fondera INTEL en 1968, année du Plan calcul en France.

Arpanet, l’ancêtre d’Internet, est créé en 1969 par des scientifiques civils financés par le Pentagone. La même année, le mot « logiciel » arrive dans le vocabulaire et le système d’exploitation UNIX en 1970, comme la disquette souple. Le premier e-mail est lancé en 1971 et naît cette année-là la Silicon Valley. Nous entrons dans l’ère de la micro-informatique. Les microprocesseurs arrivent en 1975, année où est fondé Microsoft ; l’imprimante laser voit le jour en 1976, en même temps que l’ordinateur Cray I. L’Apple II (mon premier ordinateur) est commercialisé en 1977 et le réseau français Transpac est initialisé par le Ministère français des PTT en 1978 – sous Giscard – ce qui donnera le Minitel en 1982. Le premier tableur pour Apple II s’appelle VisiCalc et naît en 1979, juste après le premier jeu vidéo, et l’IBM PC (Personnal Computer) n’est créé qu’en 1981 – année où Mitterrand devient président.

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Le Mac d’Apple (mon second ordinateur) émerge en 1984 et le web en 1993 (j’étais passé deux ans avant sur Compaq). C’était hier et ce fut très rapide. Ma génération, qui a connu enfant les bouliers et les téléphones à manivelle, a dû s’adapter au portable, au mobile et aux réseaux. Amazon naît en 1995, Google en 1997, année du WiFi et de Bluetooth, la clé USB en 2000 et Wikipédia en 2001, les réseaux sociaux et l’iPhone en 2007 – année où Sarkozy devient président. Mais ce n’est pas fini : en 2011 émerge le cloud computing, le stockage en ligne, en 2012 l’imprimante 3D, en 2013 la réalité augmentée, en 2014 les objets connectés…

Cette histoire illustrée s’arrête là, provisoire comme toutes les histoires. A suivre ! comme l’on dit dans les comics. Beaucoup d’images, des textes courts, un progrès au galop mais qui resitue avec enthousiasme l’épopée de l’informatique : que faut-il de plus pour aimer ce livre ?

Emmanuel Lazard et Pierre Mounier-Kuhn, Histoire illustrée de l’informatique, 2016, EDP Sciences, 276 pages, €36.00 préface de Gérard Berry, professeur au Collège de France à la chaire Algorithmes, machines et langages, médaille d’or du CNRS 2014

Attachée de presse Elise CHATELAIN Communication et promotion des ouvrages
elise.chatelain @edpsciences.org

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Qu’est-ce que le capitalisme ?

Le « capitalisme » – mot-valise – pas grand monde ne sait vraiment ce que c’est. Il est utilisé comme injure par les privilégiés d’Etat, comme explication totale de tout ce qui ne va pas par les petits intellos, par le grand méchant marché pour les écrasés de la domination. Or le capitalisme n’est pas « à bout de souffle », comme certains le prétendent, qui préfèrent leurs rêves à la réalité, imaginer un souverain Bien abstrait plutôt que creuser un tantinet cette même réalité.

Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas un système « scientifique » ressortant d’une quelconque « loi de l’Histoire » (qui n’existe pas) – comme « la gauche » depuis le marxisme a pris l’habitude de le penser, dans le confort d’une doctrine toute faite qui évite d’observer et de réfléchir.

On retient en général six critères du capitalisme :

  1. propriété privée des moyens de production (au détriment des non-possédants)
  2. division du travail pour assurer la productivité (mais aliène le travailleur qui ne voit pas l’ensemble de son travail)
  3. employés non propriétaires des moyens de production (induisant une « inégalité »)
  4. entreprise comme aventure et risque (avec pour sanction la faillite)
  5. mesure du succès selon le profit (récompense de l’innovation et du pari) mais monopole temporaire (donc pousse à l’investissement, à l’innovation, à la recherche et à la prise de risques)
  6. liberté du marché où se confrontent offre et demande de produits et services (mais tendance au monopole, donc exigence d’une instance supérieure – l’Etat – pour faire respecter la concurrence)

Avant tout c’est un système économique efficace, mais le capitalisme induit une sociologie des acteurs entre possédants, non-possédants, fonctionnaires, enfin influe sur la politique par sa volonté de règles du jeu établies par les Etats.

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Le capitalisme est avant tout un système d’efficacité économique.

Il a toujours existé ; il existera toujours car il tend à produire le maximum (de biens et services) avec le minimum (de matières premières, de capital et d’humains), ce qui est à la fois rationnel, économique et même écologique (réfléchissez un peu). Pour Max Weber, le capitalisme est la rationalisation même des activités collectives, loin du bon-plaisir dépensier du pouvoir féodal ou des superstitions magiques des agriculteurs.

Le capitalisme, comme outil d’efficacité de la production, est politiquement neutre, en ce sens que des sociétés très différentes utilisent le capitalisme : les Etats-Unis république impériale, la Chine communiste à parti unique, la Russie démocrature, l’Allemagne social-démocrate, la France jacobine et étatiste, le Royaume-Uni monarchie parlementaire libérale, la Suisse fédérale et d’initiatives citoyennes…

Le capitalisme, comme appropriation privée a émergé dès le néolithique, lorsque les populations de chasseurs-cueilleurs ont troqué leur prédation nomade sur la nature sauvage contre l’exploitation d’un capital (cheptel, terre, forêt, lieu de pêche, carrière de silex, de sel ou de minerai) – en le protégeant de la prédation des autres. Sont ainsi nées au moins deux classes sociales distinctes : les pillards nomades et les propriétaires sédentaires. Coiffées parfois par un Etat, comme en Mésopotamie ou en Egypte, qui a inventé la comptabilité pour mieux prélever l’impôt sur la production et le soldat pour les armées. Le mot capitalisme provient d’ailleurs du latin « caput » – la tête de bétail.

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Car cette façon de produire capitaliste induit nécessairement une sociologie des acteurs, un régime de propriété et un mode de comportement.

L’appropriation privée des moyens de production distingue ceux qui possèdent de ceux qui ne possèdent pas. Les premiers ont (par héritage, prédation ou effort personnel) le cheptel, la terre, le capital, les machines, les brevets ; les seconds n’ont que (par origine sociale défavorisée, éducation pauvre ou manque d’effort personnel) leur force de travail – déclinante avec l’âge – ce qui conduit Karl Marx entre autres à en faire une catégorie « exploitée ».

Ce jugement philosophique (et non économique, ni sociologique) entraîne la condamnation morale des possédants, censés être avides d’accumuler toujours plus d’argent. Mais cette dichotomie simpliste ne résiste ni à l’histoire, ni à l’observation du présent : l’éthique protestante de Max Weber a fait de la morale austère l’une des conditions de réussite du capitalisme industriel ; l’honneur du travail bien fait a créé, selon Michel Albert, la variante du capitalisme rhénan qui fait le succès de l’industrie allemande et suisse ; aujourd’hui, les plus gros capitalistes de la planète, Bill Gates, Steve Jobs, Warren Buffet, Elie Broad (de Kaufman and Broad), George Soros, ont pris la suite des Carnegie, Rockefeller, Kellog, Guggenheim, Getty – pour financer massivement des organisations caritatives mondiales. En France, le chef étoilé Thierry Marx a permis dès 2002 aux détenus de Poissy de bénéficier d’une formation en bac professionnel Restauration et il crée en 2012 une formation gratuite à la restauration destinée aux jeunes sans diplôme et aux personnes en réinsertion ; Xavier Niel, patron de Free, a créé une école d’informatique gratuite ouverte aux sans-diplômes.

Il y a certes des Bernard Madoff et autres « loups de Wall Street », mais qui n’a pas ses moutons noirs ? L’Eglise et ses pédophiles ? L’Administration et ses Cahuzac ? Le service public et ses profiteurs pris dans les « affaires » ? Les parlementaires avec leurs prébendes ? S’il fallait condamner « le capitalisme » parce qu’il existe des avides et des méchants, il faudrait condamner tout Etat, toute administration et toute église parce qu’ils en ont autant en leur sein… Le capitalisme est-il moral ? s’interrogeait le philosophe André Comte-Sponville – il montrait qu’en logique, c’est non ; le capitalisme n’est ni bien ni mal, il est seulement utile ou inefficace. A chaque ordre son rôle : l’économie n’est pas la politique – c’est à la politique de réguler le capitalisme – pas de le « condamner » ; c’est à la justice de faire respecter les règles – et de condamner les écarts – et c’est à la politique de définir ces mêmes règles et de donner les moyens à la justice.

Par-dessus les deux catégories des possédants et des exploités de Marx s’en est créée une autre, issue de la complexité croissante des sociétés organisées en Etats : la bureaucratie. Les fonctionnaires ou les managers salariés ne possèdent aucun capital (autre que celui – scolaire – d’avoir passé un concours ou d’avoir réussi des études) ; mais leur force de travail salariée est garantie à vie (retraite comprise), ce qui n’en fait pas des « exploités » mais des instruments des règles de droit d’une Administration. Comme hier les clercs de l’Eglise.

On ne peut donc pas affirmer que le capitalisme « se maintient en creusant le fossé entre les nantis et les pauvres », ni qu’il « fait endosser par l’Etat les effets d’une déroute financière ». Ce sont bien les politiciens qui ne font pas leur boulot de dire le droit et de surveiller et sanctionner les écarts à la loi, les politiciens qui cèdent aux lobbies de la finance, de la pharmacie ou du nucléaire – pas les « capitalistes » : ceux-ci ne font que maximiser l’efficacité de leur outil entreprise.

Ce que l’on peut dire en revanche, c’est que la mathématisation du monde, l’orgueil de la rationalité poussé au rationalisme, conduisent à la dérive de la raison, au tout-calculable, tout-quantifiable ; avec cet espoir utopique de tout prévoir et de tout contrôler. Jusqu’au transhumanisme visant à remplacer tout ou partie de l’humain par l’informatique et le robot. Les délires de la finance ont montré en 2007 combien la rationalité sans affect, l’outil sans ouvrier, l’économie sans politique, peut dégénérer. Mais cette finance n’a été contrôlée par personne, et surtout pas par les organismes d’Etat dont c’était pourtant le travail ! – aussi bien aux Etats-Unis adeptes de la transparence qu’en France étatiste donneuse de leçons. Quant au mot de François Hollande, « mon ennemi la finance », on sait bien ce qu’il est devenu : la démagogie électoraliste s’est heurtée à la réalité des choses. Pourquoi « honnir » plutôt que contrôler ? La faillite du politique est ici totale.

D’ailleurs, ceux qui disent le capitalisme fini ne savent pas comment il serait « remplacé »… Ni la décroissance prônée par certains, ni le troc proposé par d’autres, ni la vie en autarcies communautaires rêvée par quelques-uns ne peuvent remplacer la production de masse qui propose à tout le monde des biens et des services, l’organisation du commerce mondial qui évite la pénurie et les aléas climatiques, et l’innovation qui incite à proposer de nouveaux biens. Peut-être ceux qui rêvent de la vie monastique ou de la thébaïde à la Rousseau, sont-ils d’un âge déjà mûr pour aspirer à la tranquillité, ont-ils trop goûté aux fruits de la consommation pour s’en être lassés, ou sont-ils fatigués des changements au point de désirer la quiétude du pavillon avec petit jardin pour la retraite ? Je ne crois pas que les pays émergents, ni la jeunesse émergente ou développée, aient un quelconque désir d’austérité ou de contrainte.

Cela ne signifie en rien que leurs achats ne soient pas réfléchis, ni qu’ils ne veuillent pas éradiquer l’obsolescence programmée. Mais il existe des groupes de pression des consommateurs pour cela, des associations qui influent sur les lois – et des intellos qui, lorsqu’ils font leur boulot, mettent en garde contre les manipulations du marketing, de la pub, de la collecte des données, du panurgisme des réseaux sociaux, de la démagogie politicienne et ainsi de suite. Encore faut-il convaincre intelligemment, avec des arguments, et non se contenter de faire peur en prophétisant l’Apocalypse. L’écologie devra se faire avec les outils du capitalisme pour être efficace et « durable » ; ou elle ne sera qu’une religion de plus.

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Pour s’épanouir, le capitalisme a besoin de la liberté des échanges. Ce que seule la politique peut lui donner, via l’organisation de l’Etat, l’élaboration du droit et un régime de droit libéral.

Les anarcho-capitalistes considèrent que l’État est dangereux et qu’il est possible de s’en passer en s’appuyant sur le « droit naturel », sa propre capacité de défense, et des organismes privés rémunérés. Dans la réalité, il n’existe pas de société capitaliste pure où tous les moyens de production seraient propriété privée et seraient exploités par leurs propriétaires de façon totalement libre sans concours et influence de l’État (via le droit de propriété, la justice pour faire respecter les contrats, les règles de concurrence et d’exploitation, les normes sanitaires et de pollution, les impôts, les infrastructures d’éducation, de santé et de transports…).

Pour les libéraux classiques, comme Alexis de Tocqueville ou Raymond Aron, le marché est un moyen de satisfaire les désirs, pas une fin en soi. Une économie dirigée, planifiée, autoritaire, n’a jamais résolu les inégalités ni les abus, l’histoire entière du XXe siècle le montre à l’envi en URSS, en Chine, à Cuba, en Corée du nord… Le respect des libertés fondamentales et des contrepouvoirs institutionnels permet d’éviter – en démocratie – la constitution de monopoles, ou la corruption des fonctionnaires par les industriels. La tentation existe (le lobby pharmaceutique sur les autorisations de mise sur le marché des médicaments, par exemple), mais le fait qu’il y ait « scandale » et que des mesures législatives fermes soient prises, montre que le système peut se corriger. Bien sûr, ceux qui sont persuadés de faire le bien des autres malgré eux, considèrent l’interventionnisme d’Etat comme seul instrument « moral » – montrant par là-même combien ils font peu de cas de la démocratie (le dernier exemple est le référendum sur Notre-Dame des Landes, dont ils refusent le résultat).

Le capitalisme n’est pas la liberté, mais partout où il y a liberté, il y a capitalisme. Ce pourquoi tous ceux qui préfèrent l’égalité honnissent le capitalisme ; ils lui préfèrent le clientélisme de parti et les privilèges de nomenklatura.

L’histoire du capitalisme montre ses capacités de mutation et d’adaptation :

  1. capitalisme foncier (mésopotamien, grec, romain, châtelains et gentilshommes fermiers, bourgeois propriétaires et gros fermiers, agriculteurs « industriels »)
  2. capitalisme commercial = fin moyen-âge (Venise 14ème) – mi-18ème (marchés, magasins, foires, changeurs et banquiers). Les sociétés par actions ont permis aux riches négociants de prendre un risque et de financer leurs expéditions (route de la soie, route des épices, route du thé). Le grand négoce est toujours resté sous le contrôle des gouvernements nationaux (doctrine mercantiliste). La dynamique du capitalisme a été bien décrite par l’historien Fernand Braudel.
  3. capitalisme industriel et bancaire = 19ème (révolution industrielle en Angleterre fin 18ème par le textile puis machine à vapeur, l’entreprise privée organisée)
  4. capitalisme multinational = début 20ème et surtout après 1945 (grande entreprise parfois transnationale, production et consommation de masse, concentration et lois anti monopoles, recours à l’épargne et émergence d’actionnaires différents des managers (John Kenneth Galbraith), régulation de la monnaie et du marché par l’Etat (John Maynard Keynes), les excès interventionnistes contrecarrés par la dérégulation Reagan et Thatcher – qui a conduit à l’excès inverse de la spéculation financière 2007 – et à la re-régulation des banques et des paradis fiscaux.)
  5. capitalisme monopoliste d’État = fin du 20ème siècle, tentative socialiste de transformer le capitalisme pour lui faire accoucher du communisme. A l’exemple de l’URSS et des pays de l’Est, il a été très à la mode en France sous la gauche Mitterrand (jusqu’au tournant de la rigueur… dès fin 1983) et en Chine post-maoïste (jusqu’à la crise récente).
  6. capitalisme cognitif = nouveau, il serait issu de la mutation des conditions de production, qui font de plus en plus appel au capital-savoir plutôt qu’au capital financier ou industriel. Inventer aux Etats-Unis et produire en Chine pour en faire le marketing aux Etats-Unis et dans le reste du monde permet de capter l’essentiel de la plus-value sur le produit fini. Mais l’émergence des pays et les coûts de transport croissants n’en font peut-être pas un modèle pérenne.
  7. capitalisme libertaire = est un réseau réel de travailleurs indépendants, de coopératives et mutuelles (adhésion volontaire, capital commun, décision une personne une voix, profit traduit en nature), de financement participatif (crowfunding). Mais le collectif reste bien capitaliste, l’efficacité primant sur la production, seule l’éthique (par exemple franc-maçonne pour les mutuelles d’assurance en France) pouvant assurer une redistribution différente du profit.

Le capitalisme est un outil qui prend de multiples formes, pourquoi donc rêver sans cesse d’un monde idéal où il n’existerait pas et qui serait sans aucun problème ? Ce sont les humains qui créent les problèmes, pas les outils. Car, malgré les tentatives libertaires (coopératives ouvrières) ou collectivistes (les « démocraties » populaires), ce monde idéal n’existe pas – sauf au monastère. Pourquoi ne pas se poser plutôt la question de savoir quel est le système qui donne le plus de chances à tous de poursuivre efficacement ses propres objectifs ?

Le capitalisme, système d’efficacité économique inégalé, fait fond sur la discipline et sur la responsabilité individuelle parce que l’erreur est sanctionnée et parce qu’il incite à la recherche, à la création, à l’innovation pour le bien de tous. Dans l’histoire, le développement des villes, de l’artisanat, l’apparition de la bourgeoisie sont liés à l’existence de la propriété – Marx l’avait bien noté, encensant le capitalisme et n’appelant qu’à son dépassement.

Est-ce pour cela que certains rêvent de déporter tous les bourgeois à la campagne, comme le fit Pol Pot ? Ou de revenir avant le néolithique pour empêcher la « propriété privée » ? Le rapport salarial entre patrons et employés selon le prix de marché du salaire (rapport contractuel) est un progrès par rapport à la contrainte d’Etat (socialisme « réalisé »), au servage (rapport féodal) ou à l’esclavage (rapport de force) – ne croyez-vous pas ? Surtout si chacun s’entend (par son vote) pour que l’Etat – au-dessus des intérêts particuliers – définisse des règles démocratiques valables pour tous. Encore faut-il avoir les politiciens au bon niveau.

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Pierre Lévêque, Les grenouilles dans l’Antiquité

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L’helléniste archéologue, longtemps fouilleur grec de l’École française d’Athènes, étudie en ce petit livre érudit et joyeux l’animal le plus humble mais présent partout : la grenouille. Pourquoi s’intéresser à ce pullulant bavard ? Parce qu’il est présent partout, pas seulement en Europe, et ceci depuis des millénaires !

La déesse Artémis elle-même est parfois qualifiée de Grenouille la Juste. Plutarque, Aristophane et d’autres évoquent ces démons des eaux abondants et croassants, des monnaies la représentent, tandis que le petit peuple offre en ex-voto des grenouilles aux temples et dans les tombes. La grenouille est attestée en Grèce au Ve siècle avant au moins. Elle est toujours associée aux déesses mères (Léto, Héra) ou aux divinités de la jeunesse féconde (Artémis, Apollon, Dionysos).

Les Égyptiens, dès 4500 ans avant notre ère, célébraient déjà les grenouilles à l’origine de la création du monde et Héquet, la déesse-grenouille des naissances. « Terre bénie des batraciens » en raison des marais du Nil, l’animal est le symbole de ce qui naît du limon et renaît sans cesse, il gouverne l’éternité des morts. « Les frétillantes et pétulantes bêtes cernent de toutes parts l’univers mental : genèse du monde, génération spontanée, crue vivifiante, fécondité des femmes et des femelles, espoirs d’éternité, elles sont partout présentes » p.59.

En Mésopotamie elles sont amulettes, en Chine associées aux rites de l’eau – un fonctionnaire est même chargé de l’expulsion des grenouilles à chaque nouvelle année -, en Inde elles font l’objet d’un hymne du Rig Veda et sont citées dans l’Atharva Veda, elles sont maîtresses de la pluie et donneuses de nourriture chez les Aztèques et associées à la fertilité chez les Amérindiens. Au Japon et en Grèce, la grenouille fait rire les déesses Amaterasu et Déméter, ce qui apaise leur colère. La Bible les cite peu, pour s’en méfier, comme Seconde plaie d’Égypte dans l’Ancien testament et comme sortant de la bouche du dragon de l’Apocalypse. La grenouille réapparaît devant la Vierge Marie et dans la légende orthodoxe de saint Tryphon.

C’est que la grenouille est célébrée depuis le néolithique en Europe, associée à la déesse de la fécondité dès le 7ème millénaire avant, peut-être par identification à l’embryon dans un ventre. Associée à l’eau, à la pluie, à la lune, à la reproduction, au sexe féminin (son apparence est celle d’une vulve), à la joie exubérante et pullulante, elle est indispensable à l’ordre primordial du temps qui passe et à la nature vivante qui se renouvelle. « Ces coasseuses [… sont] des démons familiers, expression la plus pure de la musique de l’univers » p.92. Le monde est construit de petites forces distinctes et de pulsions intimes : c’est ce que les grenouilles représentent dans la mythologie humaine depuis le Néolithique ancien.

Insolite, plaisant, éclairant, cette étude anthropologique de la grenouille mérite l’attention.

Pierre Lévêque, Les grenouilles dans l’Antiquité – cultes et mythes de grenouilles en Grèce et ailleurs, 1999, éditions de Fallois, 139 pages, €17.38

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