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Histoire illustrée de l’informatique

Un informaticien de Paris-Dauphine et un historien de Paris-Sorbonne se conjuguent pour livrer au public une histoire illustrée avec bibliographie, liste des musées et index. Dommage que la préface se place avant le sommaire, ce qui oblige à farfouiller pour savoir avant d’acheter ce qu’il y a dedans, que les caractères microscopiques soient pour des yeux de moins de 40 ans et que le format allongé soit peu commode pour la lecture comme pour la bibliothèque. Mais qui se soucie de ces détails parmi les allumés des algorithmes ?

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L’antiquité prend 14 pages, la modernité mécanique 24, le début du XXe siècle 18, les premiers ordinateurs 32 pages, les gros systèmes 48 pages, les micro-ordinateurs 36 pages, la microinformatique 40 pages et l’ère des réseaux 27 pages. Ces 8 parties résument toute l’histoire… dont on voit aisément que le siècle dernier occupe 80% de l’ensemble.

Mais l’on apprend que l’on comptait déjà 4000 ans avant notre ère en Mésopotamie (tablettes) et que le calcul informatique commence dès les doigts d’une main avant de s’élaborer en mathématique. La computation ne se met en système qu’à l’aide des symboles et de la logique. Si l’on peut dire que compter est la chose du monde la mieux partagée, le mécanisme d’Anticythère (île grecque) datant du IIe siècle avant, « modélisant le cours des astres à l’aide de plus d’une trentaine d’engrenages », représente probablement le premier proto-ordinateur au monde. Presque mille ans plus tard, c’est le musulman ouzbek Al-Khwarizmi qui donnera son nom aux algorithmes « en explicitant les étapes nécessaires au calcul des racines », « début de l’algèbre (mot provenant de l’arabe Al-jabr ou opération de réduction) ».

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L’horloge mécanique en Europe au XIIe siècle apportera la précision technique sur les divisions du temps tandis qu’en 1614 l’Ecossais John Napier invente les logarithmes et des bâtonnets multiplicateurs, ancêtre de la machine pour calculer. La règle à calcul n’est inventée qu’en 1630 par William Oughtred tandis que, quinze ans plus tard, Pascal invente la pascaline, mécanique horlogère servant de machine à calculer. Passons sur le métier à tisser Jacquard en 1804, programmable à l’aide de cartes perforées, sur le code Morse en 1838 qui transforme des signes en informations électriques, sur l’arithmomètre d’Odhner en 1873, « le best-seller mondial des calculatrices de bureau » pour en arriver au XXe siècle – le siècle de l’informatique.

Les abaques de Monsieur d’Ocagne en 1905 permettent aux ingénieurs de travailler tandis que le totalisateur de paris mutuels organise le calcul en 1913 via un système d’engrenages. La carte perforée (que j’ai encore connue durant mes années d’études…) nait en 1928 et il faut attendre dix ans de plus pour que l’Américain Claude Shannon « propose d’appliquer l’algèbre de Boole aux circuits de commutation automatiques ».

Durant la Seconde guerre mondiale, le décryptage d’Enigma, la machine à chiffrer allemande, rassemble de brillants mathématiciens (dont Alan Turing) tout entier voués à introduire « la puissance des mathématiques dans la cryptanalyse ». Le calculateur Mark I naîtra chez IBM en 1944 pour la marine américaine. L’ENIAC de 18 000 tubes et 30 tonnes, construit en 1945, permet 5000 additions par seconde et permet d’étudier la faisabilité de la bombe H. Mais le premier programme enregistré n’émerge qu’en 1948 et Norbert Wiener introduit la même année la cybernétique. Les premiers ordinateurs commerciaux seront fabriqués en 1951 et le premier ordinateur français pour l’armement, CUBA, naît en 1954 – comme François Hollande.

Le transistor aussi, qui remplacera les vieilles lampes, et le disque dur émerge en 1956, le langage FORTRAN en 1957. Le premier circuit intégré comme le premier traitement de texte surgiront en 1958, le traitement de masse dans la banque avec l’IBM 705 en 1959 et le premier ordinateur personnel interactif français, le CRB 500 la même année. Tout va plus vite : les langages COBOL et ALGOL sont créés en 1960, en même temps que le fameux ordinateur IBM 1401. Le terme « informatique » ne naît qu’en 1962 : vous le saviez ? Le langage BASIC (ma première programmation) n’est élaboré qu’en 1964.

C’est l’année suivante que Gordon Moore, directeur de recherches chez Fairchild Semiconductor, énonce sa fameuse « loi de Moore », ressassée à longueurs d’articles geeks, selon laquelle la densité d’intégration sur circuit intégré double tous les deux ans (autrement dit, on peut mettre le double d’information sur la même surface). Il fondera INTEL en 1968, année du Plan calcul en France.

Arpanet, l’ancêtre d’Internet, est créé en 1969 par des scientifiques civils financés par le Pentagone. La même année, le mot « logiciel » arrive dans le vocabulaire et le système d’exploitation UNIX en 1970, comme la disquette souple. Le premier e-mail est lancé en 1971 et naît cette année-là la Silicon Valley. Nous entrons dans l’ère de la micro-informatique. Les microprocesseurs arrivent en 1975, année où est fondé Microsoft ; l’imprimante laser voit le jour en 1976, en même temps que l’ordinateur Cray I. L’Apple II (mon premier ordinateur) est commercialisé en 1977 et le réseau français Transpac est initialisé par le Ministère français des PTT en 1978 – sous Giscard – ce qui donnera le Minitel en 1982. Le premier tableur pour Apple II s’appelle VisiCalc et naît en 1979, juste après le premier jeu vidéo, et l’IBM PC (Personnal Computer) n’est créé qu’en 1981 – année où Mitterrand devient président.

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Le Mac d’Apple (mon second ordinateur) émerge en 1984 et le web en 1993 (j’étais passé deux ans avant sur Compaq). C’était hier et ce fut très rapide. Ma génération, qui a connu enfant les bouliers et les téléphones à manivelle, a dû s’adapter au portable, au mobile et aux réseaux. Amazon naît en 1995, Google en 1997, année du WiFi et de Bluetooth, la clé USB en 2000 et Wikipédia en 2001, les réseaux sociaux et l’iPhone en 2007 – année où Sarkozy devient président. Mais ce n’est pas fini : en 2011 émerge le cloud computing, le stockage en ligne, en 2012 l’imprimante 3D, en 2013 la réalité augmentée, en 2014 les objets connectés…

Cette histoire illustrée s’arrête là, provisoire comme toutes les histoires. A suivre ! comme l’on dit dans les comics. Beaucoup d’images, des textes courts, un progrès au galop mais qui resitue avec enthousiasme l’épopée de l’informatique : que faut-il de plus pour aimer ce livre ?

Emmanuel Lazard et Pierre Mounier-Kuhn, Histoire illustrée de l’informatique, 2016, EDP Sciences, 276 pages, €36.00 préface de Gérard Berry, professeur au Collège de France à la chaire Algorithmes, machines et langages, médaille d’or du CNRS 2014

Attachée de presse Elise CHATELAIN Communication et promotion des ouvrages
elise.chatelain @edpsciences.org

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Giacometti et Ravenne, Le règne des Illuminati

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Lire un thriller complotiste est une récréation. Ne croyez pas que j’y croie, ni tout ce que vous lisez, ni même les auteurs lorsqu’ils relativisent à la fin. La vérité n’est jamais qu’une modalité de la croyance, comme l’a montré Paul Veyne après Nietzsche : elle est relative au niveau du savoir, à la capacité à penser par soi-même et à analyser l’information, comme à l’époque où vous vivez. Le complot est à la mode depuis que les gouvernements peinent à répondre, empêtrés dans des considérations diplomatiques, le politiquement correct, et la toute simple bêtise, souvent, de leurs propres enquêteurs.

Antoine Marcas (en référence au Z. Marcas de Balzac ?) est flic parisien et franc-maçon entre deux affectations, déjà héros de plusieurs enquêtes des auteurs. Lorsque le célèbre abbé Emmanuel (mixte d’abbé Pierre et de sœur Emmanuelle) est assassiné d’une balle dans la tête à l’UNESCO lors d’un discours, la juge antiterroriste conclut très vite au loup solitaire, qui s’est d’ailleurs « suicidé » juste après son acte en avouant son forfait dans une lettre. Mais la perquisition de son pavillon de banlieue révèle une cave secrète, dans laquelle des photos découpées aux yeux et des slogans le rapprochent de la franc-maçonnerie. A Marcas d’enquêter – sous le manteau – pour ne pas attiser le syndrome du bouc émissaire envers les francs-maçons français, ni déjuger l’enquête qui satisfait le gouvernement et l’Église. Sauf que la juge est renversée par une voiture (par hasard ?) et décède.

Le lecteur entre alors dans une suite d’actions et de rebondissements pimentés de sexe et de bagarres qui font les bons thrillers. Les coups de théâtre ne manquent pas et le roman est monté à la façon d’une série télé américaine, en chapitres courts qui s’achèvent sur une interrogation. Deux époques sont mêlées pour donner de la profondeur : 1794 et de nos jours, la révolution française en son épisode de terreur robespierriste et les groupes de maîtres du monde américains de l’ère Internet. Vous pourrez même assister, dans la galerie des glaces à Versailles, à l’énucléation tout vivant du jeune roi Louis XVII, 9 ans, par les francs-maçons sous la direction de Saint-Just, puis à l’arrachage de son cœur d’un coup de couteau par l’archange de la Terreur qui fouille sa poitrine. Beurk !

L’humanitaire médiatique se mêle à la Silicon Valley et à l’engouement pour une pop star à la mode. Pendant le spectacle, les recherches continuent. Pour mieux traquer ce que vous faites, ce que vous êtes, et ce qu’on pourrait vous vendre. La manipulation commerciale peut servir aussi à d’autres fins – pour votre bien comme pour celui de la planète. Il n’y a guère que les hackers, mutants de hippies bi et d’otakus, qui parviennent à surfer sur la vague qui emporte la technique selon la loi de Moore.

Internet porte à haut degré la paranoïa de la surveillance, dont la punition n’est jamais qu’à un pas. Les auteurs jouent à merveille de ce fait réel, notamment l’eye tracking de vos Smartphones et ordinateurs portables, qu’ils assaisonnent du merveilleux maçonnique. L’un des auteurs est franc-maçon, l’autre ex-journaliste du Parisien. Le pseudonyme affiché du « frère » est contredit par sa photo en quatrième de couverture – ou comment jouer théâtralement du faux anonymat… Tout est donc vrai dans la fiction, sauf que c’est au lecteur de mesurer ce qui est vrai de ce qui n’est que vraisemblable, ou seulement possible, ou encore pas croyable.

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Les Illuminati ont existé en Bavière à la fin du XVIIIe siècle ; la secte s’est rattachée aux sociétés franc-maçonnes qui existent depuis la fin du XVIe siècle ; le Jésuite Barruel – fermement anti-Lumières – a voulu à toute force trouver dans un complot franc-maçon les origines de la révolution française ; un correspondant italien lui expose même en 1806 les origines juives de ce complot… Tout cela est attesté, mais tout est fantasmé. Comme le disent les auteurs, les Illuminati « constitue une formidable source d’inspiration pour les auteurs de thrillers ».

Les Lumières étaient une libération des déterminismes biologiques et sociaux par le savoir. Mais l’arbre de la Connaissance cache toujours un serpent car, ici-bas, rien n’est jamais tout bien ni tout mal mais, comme toute pièce, a son revers. Les Illuminés des Lumières se croyaient au-dessus du bas peuple ignorant comme des demi-lettrés des cours alentours. Ils ont donc fondé un Ordre pour guider les masses vers la lumière. Tout comme les Jésuites pour répandre les Évangiles, Robespierre et son Comité de Salut public, les Fils de la Liberté dans l’indépendance américaine, puis Lénine et son parti bolchevique. Ceux qui croient ardemment détenir « la » Vérité veulent l’imposer à tous les autres, par la force s’il le faut – pour leur bien… Ce pourquoi les philosophes d’après 68 n’ont pas tort en repérant dans le libéralisme des Lumières ce démon du bien : un totalitarisme potentiel.

Lorsque vous ressortirez du livre, lessivés, vous ne regarderez plus votre doudou Smartphone de la même façon. Vous empresserez-vous de scotcher une bande noire sur la caméra ? De réviser les permissions que vous donnez aux applications ? Vous venez d’apprendre cette vérité que, même l’appareil éteint, Internet peut traquer à distance tout ce que vous faites !

De ce métissage de vrai, de vraisemblable, de possible, ou de pas croyable, c’est bien à vous de juger.

Eric Giacometti et Jacques Ravenne, Le règne des Illuminati, 2014, Pocket 2015, 720 pages, €8.40

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