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Henri Troyat, La dérision

Un roman déprimant d’un écrivain dépressif atteint par l’âge. Jacques a 67 ans et n’a rien réussi dans sa vie. Du moins le croit-il., Critique amer, amant d’un couple à trois dont il est la dernière roue, peut-être père d’une fille bien qu’il n’y croie pas et que la mère jure que non, il commet un dernier roman par habitude, auquel il ne voit aucun avenir.

Seul son chat Roméo, un gouttière tigré qui l’a adopté plutôt que l’inverse, est un moment d’innocence et un être de beauté dans ce monde gris parisien qui lui fait mal. Il s’enferme dans sa coquille, un trois-pièces rue Bonaparte, il ne veut plus voir personne, pas même Dido sa maîtresse, ni Caroline la fille, ni surtout Antoine le mari et Patrick, le dernier fils adolescent. Jacques est un raté. Célibataire, il n’a publié que des livres médiocres et tire chaque jour le diable par la queue tout en fumant sans arrêt.

Il vit par habitude, survit plutôt, soutenu par son chat qui miaule lorsqu’il a faim et ronronne lorsque qu’il le caresse, et par le passage éclair de sa maîtresse de vingt ans plus jeune que lui ou de Caroline sa fille qui utilise son appartement comme baisodrome. Le jeune Didier, 18 ans comme elle, la nique avec ardeur au point de lui faire un bébé. Ils vont se marier et emménager en studio avant que Jacques ne leur cède l’appartement où il n’a plus aucun intérêt à vivre.

Dido sa maîtresse l’a recueilli chez elle avec son mari Antoine après une tentative de suicide qu’il a faite durant les vacances du couple. Caroline partie, Patrick en pension, il y a de la place et les deux bourgeois pressés – lui avocat, elle tenant une galerie d’art contemporain – aiment à se distraire avec un troisième homme. Mais Jacques sait bien que ses jours sont comptés : à 67 ans il lui en reste peu à vivre et tout l’ennuie.

Il va donc se jeter de la fenêtre de son troisième étage et en mourir, après avoir endormi son chat et l’avoir balancé à la Seine dans un panier lesté. Ce détail montre combien il déteste qu’on l’aime. Il refuse la vie au point de lui préférer le néant de la mort. Il ne voit l’humanité qu’en noir et n’a plus sa place parmi elle. Les enfants de Dido et Antoine, notamment, l’horripilent. « J’abhorre le mythe de l’enfance sensible, généreuse, poétique ! Pour avoir passé par-là, je sais que tous les défauts des hommes, envie, hargne, couardise, suffisance, se retrouvent dans sa jeune tête sans les correctifs apportés à la longue par la vie en société » p.39. Mais toutes les qualités aussi… ce qu’il dénie.

Le personnage a bien fait de mourir, il ne servait à rien ni à personne et son exemple même était nuisible à la société – tout comme ce roman qui n’aurait jamais dû paraître, un monument de nihilisme et de misanthropie. Je le jette au feu et n’en recommande surtout pas la lecture.

Henri Troyat, La dérision, 1983, J’ai lu 1999, 190 pages, €0.90 occasion

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Henri Troyat, Le Moscovite

Bernard de Croué, nobliau ruiné, a fui la France de la Terreur en 1793 emmenant son fils de 3 ans. Sa femme est morte d’une fluxion de poitrine à Amsterdam en exil ; Croué s’est enfoncé en Russie où, à Moscou, le comte Paul Arkadiévitch, propriétaire de 2600 « âmes », l’a engagé comme secrétaire et bibliothécaire. Le français était la seconde langue de Russie, la langue de la culture. Le petit Armand a grandi bilingue entre son vieux père et la famille du comte, Nathalie Ivanovna et Catherine, de quatre ans plus jeune.

Armand, désormais 21 ans, se sent Russe et Français ; russe dans la réalité charnelle et Français par la culture de l’Encyclopédie. Mais il n’est ni l’un ni l’autre et la Grande guerre patriotique de 1812 va le lui faire sentir. Il apprendra l’amour charnel dans les bras d’une Française et gardera l’amour platonique pour la Russe Nathalie.

Napoléon l’empereur, héritier des révolutionnaires qui voulaient imposer au monde entier leur idéologie des Droits de l’Homme, s’avance à marche forcée à l’intérieur de la Russie. Il va atteindre Moscou, il l’atteint. Le comte et sa famille ont fui la capitale et leur palais confortable aux 17 000 ouvrages dans la bibliothèque pour se réfugier dans leur domaine en province. La plupart des aristocrates et des bourgeois ont fait de même, suivis par une partie du menu peuple.

Les Français, jusqu’ici bien intégrés, sont mal vus ; une quarantaine est arrêtée et déportée sur la Volga par le ronflant général Rostopchine – qui appelle à résister mais ne reste pas plus à Moscou que les autres. Rostopchine agit comme Poutine. Il exhorte les Français de Moscou à se plier à la domination sous peine d’être exclus et considérés comme moins que rien – exactement ce que Poutine fait en Ukraine : « Cessez d’être de mauvais sujets et devenez bons. Métamorphosez-vous en braves bourgeois russes de citoyens français que vous êtes » p.50. Car Rostopchine, comme Poutine, considère les Français comme des « corrupteurs de la jeunesse russe, des laquais, (…) dont la tête n’était qu’un moulin à vent » p.57. La liberté ? La belle affaire ! « Nous autres serfs, nous n’avons pas besoin d’être libérés. Nous sommes bien comme nous sommes. Avec un maître au-dessus de nous. Il nous corrige, bien sûr, mais aussi il nous protège. Qui nous protégerait si nous étions libres ? » dit un valet à Armand p.71. Après tout, les Russes ont élu et réélu Poutine et se sont à peine révoltés contre les fraudes massives avérées et contre la corruption éhontée du régime. Ils ont peur de la liberté qui leur rappelle l’ère Eltsine. Ils préfèrent la tyrannie, plus confortable car elle évite de penser. N’ont-ils pas, comme tous les peuples, les dirigeants qu’ils méritent ?

Armand se sent étranger, avec « la certitude d’être en porte à faux dans un conflit qui ne le concernait pas. La guerre qui se déroulait en ce moment opposait une France qui n’était pas sa France à une Russie qui n’était pas sa Russie » p.30. Étrange ressemblance avec le dilemme dû au conflit en cours en Ukraine. La Russie, pays européen malgré tout, pas si étrange que le Royaume-Uni par rapport aux autres pays du continent, se rétracte dans le mythe asiatique, préférant s’allier jusqu’à la fusion aux Mongols qui l’ont asservie durant un millénaire. L’Ukraine, attachée à la Russie par mille liens dans l’histoire et la culture, tient à sa culture européenne héritée de sa propre histoire polono-austro-hongroise et de sa proximité avec l’ouest et résiste, se détachant de sa maison mère. Chacun choisit selon ses tripes et celles du kaguébiste au pouvoir à Moscou apparaissent plus servir ses propres intérêts de satrape que l’intérêt à long terme d’une Russie à la démographie en berne, qui sera vite avalée par l’immense Chine…

Armand est resté à Moscou car son vieux père obstiné ne veut pas fuir : il hait les Français révolutionnaires qui ont renversé son univers d’Ancien régime, mais il n’est pas Russe. Il se réfugie dans la bibliothèque, la culture étant pour lui sa patrie. A 21 ans, Armand est un béjaune assez niais, formé à la littérature avec des femmes mais guère au commerce des armes ; tout juste sait-il monter à cheval. Lorsque la Grande armée arrive, il se sent partagé : il rencontre enfin les vrais Français, venus de France, et pas seulement les exilés de Moscou ; il sent le patriotisme attristé des Russes et leur volonté de résister, il ne peut pas leur en vouloir. Excommunié, rejeté par ses amis russes, il il parle aussi bien une langue que l’autre, sans aucun accent, et va faire le truchement. Par honneur au départ, lorsqu’il sauve Pauline, une actrice du théâtre français des invectives de la foule ; par obligation ensuite lorsque le diplomate Jean-Baptiste Barthélémy de Lesseps (oncle du Ferdinand que tout le monde (?) connaît) l’engage pour traduire les proclamations officielles.

Son père mort d’une attaque cérébrale, les domestiques du palais enfuis, son cheval volé, ses habits arrachés jusqu’à ses bottes, Armand qui s’est laissé ballotter sans réagir se retrouve en chemise et caleçon à errer dans la rue. Il rencontre providentiellement Pauline et les acteurs qui le sauvent et le rhabillent. Il va devenir l’un d’eux, jouant même un rôle au pied levé dans le théâtre aux armées pour remplacer un goutteux. Il va aussi baiser Pauline, la plus jeune de la troupe, qui sait y faire pour avoir ce qu’elle veut à son profit et celui des autres, en offrant son cul. Armand se croit « amoureux » alors qu’il est seulement pris par les sens. Erreur banale de la jeunesse. Il est jaloux du colonel Barderoux qui fait la cour à Pauline (et avec qui elle a couché pour avoir du poulet).

Mais l’empereur l’a décidé, la ville a brûlé à cause des incendiaires de Rostopchine, l’hiver approche, une contre-attaque russe a réussi : il faut quitter Moscou. Du jour au lendemain. Pauline couche encore pour négocier une charrette supplémentaire pour emporter ses cadeaux. Armand ne peut que suivre en toutou désorienté.

Premier volet d’une fresque comme l’auteur les affectionne, suivi par Les Désordres secrets puis Les Feux du matin, Le Moscovite résonne dans l’actualité. Il a été écrit pourtant il y a un demi-siècle. Comme quoi on ne change pas les mentalités sans un très long temps.

Henri Triyat, Le Moscovite, 1974, J’ai Lu 1999, 243 pages, €6,12

Henri Troyat, Le Moscovite suivi de Les désordres secrets et Les feux du matin, Flammarion 2014, 478 pages, €23.00

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Henri Troyat, La neige en deuil

C’est un beau roman, une belle histoire. Elle pourrait permettre d’apprendre à lire aux collégiens rebutés par les livres. C’est aussi le choc de deux mondes et de deux époques, le village de montagne et la ville, la vie traditionnelle et la modernité.

Isaïe, surnommé Zaïe par son petit frère de 30 ans qu’il a aidé à mettre au monde tout seul alors qu’il avait déjà 22 ans, est un homme solitaire et robuste, ancien guide de haute montagne que trois accidents mortels sous sa conduite ont décidé à ne plus grimper. Le dernier la grièvement blessé et sa tête, opérée, est un peu vide. Il perd la mémoire et son attention n’est plus parfaite. Il vit désormais de son petit troupeau de moutons qu’il aime comme des bêtes familières et de deux chèvres qu’il traie pour cuire du fromage qu’il va vendre à la ville.

Marcelin son frère est un enfant sans mère, trop gâté par ce frère aîné qui n’a pu remplacer un père. Il est fainéant et peu courageux et voudrait gagner de l’argent sans presque rien faire en s’associant dans un commerce d’articles de ski ou en montant lui-même sa propre boutique. Pour cela, il lui faut un capital et rien de mieux que de vendre la maison d’altitude que son arrière-grand-père a construit au XIXe siècle de ses propres mains. Isaïe n’est évidemment pas d’accord puisqu’il y vit et les deux frères se querellent. Marcelin a le droit pour lui puisque nul n’est tenu de rester en indivision et il rage de l’entêtement de son aîné.

Il se trouve qu’une catastrophe aérienne vient de se produire sur la montagne, l’avion Calcutta–Londres s’est écrasé avec ses passagers. La saison n’est pas propice au sauvetage et une équipe partie au secours d’éventuels survivants rebrousse chemin, son guide principal étant mort dans une crevasse. Il se dit dans la presse que l’avion transportait de l’or, mythe habituel à tout ce qui vient de l’Inde. Marcelin trouve donc judicieux d’aller grimper lui-même sans rien dire à personne, mais avec son frère pour guide, afin de rafler portefeuilles et bijoux, appareils photo et objets de luxe, sinon des lingots d’or.

L’esprit confus, Isaïe consent à le guider par une autre voie que celle de l’équipe de secours, plus raide mais plus courte et qu’il connaît bien. Les deux hommes partent très tôt un matin et Isaïe retrouve ses réflexes de montagnard, son endurance et son acuité du paysage. Ils parviennent à l’épave de l’avion au sommet. Tout est éventré et des cadavres jonchent la neige en deuil. Sauf qu’une forme remue et gémit dans la carcasse, celle d’une jeune hindoue blessée.

Tandis que Marcelin pille les cadavres, Isaïe emporte la jeune femme. Pas question pour Marcelin de la sauver puisque cela indiquerait à tout le monde qu’ils sont venus à l’épave et on leur demanderait des comptes. Adieu le pillage et le capital qu’il pourrait procurer pour la boutique. Isaïe ne l’entend pas de cette oreille, digne et droit comme il a toujours été. Les deux frères se battent et Isaïe laisse Marcelin derrière lui en redescendant la montagne. Son frère le suit par ce qu’il ne sait pas s’orienter, mais il ne l’écoute pas. Il a choisi sa voie et lui une autre.

Un sauvetage vain puisque la jeune femme ne parvient en bas qu’à l’état de cadavre. Elle n’a pu résister à deux journées dans le froid et aux blessures qu’elle a subies. Mais Isaïe est heureux, il a accompli son devoir et tenté de sauver une vie. Quant à Marcelin, c’est un mauvais homme, il est mort pour lui il y a déjà longtemps. Son amour l’a trop longtemps rendu aveugle et son état diminué n’a rien arrangé. Mais le retour à la montagne et aux gestes professionnels qu’il avait avant son accident lui redonne son âme.

Grand prix du prince Rainier de Monaco 1952

Henri Troyat, La neige en deuil, 1952, Librio 2021, 160 pages, €3.00

DVD La neige en deuil, Edward Dmytryk, 1956, RéZolution Culturelle 2019, avec Spencer Tracy, Robert Wagner, Stacy Harris, Claire Trevor, William Demarest, 1h45, €13.00

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Henri Troyat, Grandeur nature

Un acteur de théâtre médiocre vit chichement à Paris avec sa femme et son fils de 12 ans, Christian. Il n’a jamais percé, le public réclamant des bluettes et le cinéma parlant, en plein essor, des « gueules ». et un autre jeu. Antoine Vautier court d’agence en agence mais « la crise » est là et les cachets rares, sauf pour quelques publicités ridicules qui rabaissent le métier.

Jeanne, sa femme d’intérieur, s’occupe du ménage et prépare chaque soir soigneusement les cigarettes à rouler (moins chères) et le repas du maître de maison. Mais l’argent se raréfie, les dettes chez les commerçants augmentent, le loyer est impayé et le percepteur comme le gaz menacent de poursuites. Le cinéaste Despagnat a vaguement promis un rôle dans son prochain film, mais il tarde. Il cherche l’enfant, celui qui doit jouer le rôle principal.

Brusquement, Antoine a une idée. Puisque son gamin s’ennuie au lycée, pourquoi ne pas le présenter à Despagnat ? La mère est affolée, le petit livré en pâture, tout blond, tout maigre, tout sensible ! Mais les créanciers aboient et ils vont bientôt mordre. Pourquoi ne pas tenter ? Christian, pourtant dûment chapitré par son père, ne lui obéit pas et joue le bout d’essai comme il le sent. Son naturel plaît, il est pris.

Commence alors pour le couple la fierté de voir leur gamin émerger. Pour Jeanne la fin des ennuis financiers et l’orgueil social de papoter sur le petit génie. Pour Antoine, c’est un peu différent. Il est content que son fils sauve le ménage et réussisse, mais amer de n’être réduit qu’au rôle secondaire de « père du petit Vautier » chez ses collègues, pour les critiques, au café. Il est déchu de son savoir-faire, l’ordre des choses est renversé, le fils a supplanté le père. Même si, à cette époque, les parents prennent tout des cachets des enfants, comme des maquereaux. La modernité du cinéma dévalorise le talent du théâtre, réclamant plus de naturel, de spontanéité du corps, moins de surjoué dans la voix.

Jeanne n’en a plus que pour Christian, elle néglige son mari. Celui-ci, sa fierté blessée, se voit déclassé dans son couple comme dans son métier. Il cède aux avances d’une maîtresse, part en tournée trois mois avec elle. Il joue du comique dans les villes de province, là où ses trucs de théâtreux peuvent donner leur mesure. Il plaît mais cela lui laisse un goût amer, lui qui aurait aimé jouer Hamlet ou un grand rôle qu’il croit à sa mesure.

C’est en tournée qu’il apprend par les journaux l’échec du second film de Despagnat avec le petit Christian. Cette foi, le juvénile qui joue un prince en fait trop, mal dirigé ou grisé par son premier succès. Avec la puberté qui monte aussi, peut-être n’a-t-il plus cette grandeur nature qui fit son succès ? Antoine se sent coupable d’une joie mauvaise, celle de voir rabaissé le faux talent du jeune minois, le succès feu de paille du cinéma moderne.

Ce n’est que partie remise, le rassure-t-on, un troisième film pourra réhabiliter le gamin. Mais Despagnat, plus commerçant qu’artiste, industrie oblige, choisit pour le rôle un autre jeune garçon, un Italien fiévreux aux yeux de même couleur que ceux de Napoléon puisqu’il doit jouer Bonaparte enfant. Si le théâtre était surtout un art, proche de son public local, le cinéma est une marchandise, projetée aux foules anonymes. Le talent est dès lors dévalué au profit de la mode. Il ne faut pas jouer vrai, il faut émouvoir. Faire parler, faire vendre.

Ce monde moderne d’entre-deux guerres n’est plus celui d’Antoine. Il n’est plus le chef de famille qui rapporte la pitance à la maison pour nourrir sa nichée mais se trouve concurrencé par son rejeton mineur. Il n’est plus cet acteur de métier qui a longuement peaufiné son talent mais est supplanté par le minois et la spontanéité. Faut-il prostituer son fils à l’industrie moderne pour survivre ? Faut-il rester à jamais pauvre, subsistant avec peine de cachets ici ou là, publicités, doublures ou figurations ? Faut-il rêver d’un autre couple avec une maitresse plutôt que de vivoter dans les liens du sien ?

Ce bon roman social observe les mutations du monde industriel, saisies dans la culture. Le théâtre a fait son temps, le cinéma est bien plus populaire. Bientôt viendront la télévision, puis les séries, l’Internet et les chaînes en réseau. Qu’en est-il du talent par rapport à la mode ? De l’humaine vérité contre le choc assumée et l’émotion construite ? La culture mute et peut-être se meurt.

Henri Troyat, Grandeur nature, 1936, Livre de poche1971, 255 pages, occasion €1.99

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Henri Troyat, Étrangers sur la terre

Ces deux volumes qui couvrent l’entre-deux guerres sont la troisième partie de la saga intitulée Tant que la terre durera, curieusement pas rééditée. Comme quoi, fût-on de l’Académie française et reconnu comme Immortel, la gloire passe vite en une seule génération… au rythme du zapping permanent de la mode imitée des USA. Ces deux tomes peuvent évidemment se lire indépendamment.

L’auteur, né russe Лев Асланович Тарасов en 1911 à Moscou, a émigré en France à 6 ans avec ses parents, fuyant la révolution bolchevique. Il se représente en Boris, fils cadet de la famille Danoff, Michel et Tania, dont l’aîné se prénomme Serge. Il décrit tout le drame de l’immigration, la difficile assimilation à la France, l’écartèlement entre les deux cultures, le choix final de devenir français en demandant la nationalité, effectuant son service militaire, épousant une française et partant pour la guerre de 40 dans sa nouvelle patrie.

Les parents Danoff, riches commerçants avant la révolution, sont réduits aux petits boulots après que le père, très slave en ses engouements irraisonnés, ait confié une grande part de ses économies à un escroc beau-parleur, russe comme lui mais plus assidu à flamber l’argent de la crédulité des autres qu’à réaliser ce fameux film qu’il faisait miroiter à la belle époque du cinéma nouvellement parlant. Les parents parlent français mais avec accent, surtout la mère qui ne fait aucun effort pour sortir de son milieu russe blanc. Serge s’ennuie au lycée et devient gigolo, entretenu dès la terminale par une couguar riche du double de son âge. Un jour, lassé d’elle, il sort et elle se tue durant son absence. Il part pour l’Afrique coloniale française codiriger une usine de pains de glace mais flambe, selon sa lâche habitude d’aristo décati, et finit pour se racheter à la Légion.

Boris, assez jeune pour se souvenir de la Russie du tsar sans en être imprégné, accepte la descente sociale parce qu’il ne se souvient pas vraiment d’autre chose. Il est bon élève, travailleur, passionné d’électricité et de mécanique. Imbu d’honneur, passion aussi bien russe que française, il présente à 14 ans devant son prof une pétition de la classe pour rappeler un élève renvoyé. Il est puni et s’insurge mais, lorsqu’il va trouver le prof chez lui, il découvre un autre homme. Un qui le comprend et le juge assez mûr pour lui expliquer les dessous de l’affaire. Ils deviennent amis, il fait connaissance de sa fille, un peu plus jeune que lui.

Mais ce n’est pas d’elle qu’il va tomber amoureux, mais de l’adolescente d’un avocat très bourgeois et dédaigneux des « étrangers » – pauvres de surcroît. Le mariage projeté ne se fera pas, l’âge de la majorité étant fixé très tard, à 21 ans, pour bien garder les rejetons bourgeois catholiques sous la tutelle paternelle. Ce n’est que le père mort – d’une crise cardiaque en pleine plaidoirie – que Boris pourra revoir quatre ans plus tard celle qu’il aime vraiment mais qui était trop lâche pour laisser tomber son petit confort et aller contre sa famille. Elle est mariée par convenance selon les désirs de son père mais son mari est immonde et elle divorce. A ce moment, la guerre intervient. Elle est enceinte de Boris et attend un petit Michel.

Ce roman autobiographique se lit bien, même au galop tant la langue est fluide et l’action bien menée. Les personnages hauts en couleurs ne manquent pas parmi ces Russes blancs ex-princes ou généraux devenus chauffeurs de taxis ou ouvreurs dans les boites. L’oncle Akim, colonel des hussards d‘Alexandra, est réduit à tourner des pièces en usine après avoir élevé des poules. Il vit dans le passé, comme Michel qui ne rêve que de revenir à Moscou reprendre possession de sa demeure et de ses magasins. Mais les bolcheviques sont bien implantés au pouvoir et zigouillent tous ceux qui peuvent leur faire de l’ombre. Même en plein Paris, sous les yeux naïfs du gouvernement parlementaire affairiste et d’une police qui s’en fout (ce ne sont que des bougnoules, pouvait-on dire, qu’ils se massacrent entre eux, ça en fera de moins). Car c’est un immigré Russe, Gorgulov qui a assassiné le président de la République Paul Doumer en 1932, et c’est un russe encore, bien qu’aussi juif, Stavisky, qui est à l’origine du scandale financier des bons de Bayonne (une pyramide de Ponzi) et qui sera retrouvé suicidé de deux balles dans la tête tirées à trois mètres en 1934 – dit-on. De quoi faire descendre les milices antiparlementaires dans la rue en février 1934.

Relire Troyat aujourd’hui permet de mettre en relation l’immigration russe d’hier avec l’immigration maghrébine d’aujourd’hui. Il est intéressant de lire les observations d’un protagoniste, cultivé et inséré dans sa nouvelle patrie. Dans tous les cas, l’émigration apparaît forcée par les circonstances (guerre, misère économique, pouvoir totalitaire) et l’émigré ne rêve tout d’abord que de revenir au pays après avoir établi sa fortune. Mais pour cela, il lui faut s’intégrer, parler la langue, vivre selon la culture du pays d’accueil, faire la part des choses entre sa tradition familiale et celle du pays d’accueil.

Lev Tarassov, dit Henri Troyat, observe fort bien ce qui différencie la façon de penser russe de la française. « Nous réfléchissons gravement, lourdement, aux problèmes essentiels de l’existence, Dieu, l’âme, la mort, le bien, le mal, l’amour, tels sont les thèmes éternels de nos méditations. Nos écrivains les tournent et les retournent sans se lasser. D’où une impression de monotonie grandiose, géniale. Les écrivains français, en revanche, sont moins obsédés par la métaphysique. Quand ils l’abordent, c’est avec le désir d’mettre une théorie nouvelle sur un vieux sujet. Ils s’amusent intellectuellement à faire jouer toutes les facettes du problème. (…) Ils analysent. Ils divisent. Ils démontent. (…) Si un Russe se perd dans les méandres de la déduction, il remplace la logique par le sentiment, l’intelligence par l’élan du cœur. Un Français, lui, ne renonce jamais à la logique, à l’intelligence ». II, 3, p.48. Cet écart enrichit celui qui le pense et le vit. Auquel cas émigrer n’est pas un moins, un manque, mais un plus, un supplément d’âme. Encore faut-il acquérir les capacités intellectuelles et humaines de s’ouvrir à l’autre et ne pas se borner à ses croyances natales.

Parler sa langue, pratiquer sa religion, manger sa cuisine, sont du domaine du privé. Pour tout le reste, à Rome faire comme les Romains : élever ses enfants selon la méritocratie de l’école républicaine, bien parler la langue, poursuivre des études, se faire des amis et éventuellement épouser une Française (ou un Français) et engendrer de petits Français. Troyat montre que ce n’est pas tous les jours facile, et que le choix d’une nouvelle patrie est un déracinement culturel, mais que l’ancienne culture peut cohabiter en privé avec la nouvelle en public et le cœur d’hier avec l’esprit d’aujourd’hui.

C’est ce que demandaient les Romains aux Juifs chrétiens par le sacrifice aux dieux civiques (peu importait d’y croire), c’est ce que font spontanément tous ceux qui demandent une carte verte de résident aux Etats-Unis. Alors, pourquoi cela ne serait-il pas exigible en France de ceux qui prétendent y immigrer ?

Henri Troyat, Etrangers sur la terre, 1950, Folio Tome 1 et 2, 1979, autour de 440 pages chacun, occasion €62.00

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Henri Troyat, Le jugement de Dieu

Ces trois nouvelles médiévales ont pour point commun d’avoir été écrites au début de la Seconde guerre mondiale. La France, vaincue par ses faiblesses et notamment son pacifisme après la guerre imbécile de 14, est en déroute. Le juif errant, le combat du créateur, le voyage du jeune homme, sont autant de contes qui font s’évader du présent pour trouver compensation dans le merveilleux et la foi. Car ces trois nouvelles parlent toutes de Dieu.

Le jugement de Dieu met en scène un miracle : accusé par une matrone d’avoir tué un bourgeois, Alexandre Mirette se voit condamner à l’ordalie d’être plongé dans l’huile bouillante. S’il en ressort indemne, c’est qu’il est innocent ; s’il y reste, il est coupable. Dans ce jeu cruel du si tu perds je gagne et si tu gagnes je gagne, le miracle a lieu. Le jeune criminel est plongé dans le bain mais n’a rien ; à l’inverse, la matrone qui l’accusait le verbe haut est frite. Dieu a donc sauvé son innocence ? Pas vraiment. Car Dieu l’ignore, il ne veut rien avoir à faire à lui. Alexandre vivra sous le poids de ses fautes sans qu’elles soient jamais punies ; il restera l’éternel solitaire. Le mot juif n’est pas écrit sous l’Occupation, mais le conte est bien la transposition du Juif errant qui ne connaitra jamais de paix, celui qui a bafoué le Christ, préférant la superstition maniaque des rites au prophète humain. Les Juifs sont persécutés car Dieu s’est détourné d’eux qui l’ont renié par la croix.

Le Puy Saint-Clair se passe à Tulle où un artisan sculpteur a réalisé le gisant de sa jeune épouse morte. C’est son chef d’œuvre, là où il a mis tout son amour. Mais la guerre de religion entre papistes et huguenots fait rage. La ville est attaquée, envahie, tout comme la France catholique de 1940 par les luthériens et huguenots renégats de l’Allemagne hitlérienne. François Lamarsaude défend la ville avec la milice, puis il est submergé par la vague des soldats réformés. Il rampe vers le cimetière pour y trouver la paix et y revoir une dernière fois son œuvre de pierre. Il en défend l’accès comme un lion, tuant et sabrant, méritant bien de la ville. Mais celle-ci est bombardée au canon et un huguenot ignare rase d’un boulet le gisant adoré. Lamarsaude est désespéré ; il ne lui reste plus qu’à mourir. Mais la Vierge apparait, sous les instances de sa femme qui l’aimait. Lui s’aperçoit que la gloire mortelle ne vaut rien en regard de la gloire immortelle d’avoir été aimé et de l’être à jamais.

Le merveilleux voyage de Jacques Mazerat fait voguer un humble artisan sur un navire dont il a restauré la figure de proue. Il est tombé amoureux de la belle de bois tandis que sa bonne amie de chair l’ennuie un brin. Il s’embarque à Dieppe et vogue vers la mer Rouge. En chemin, le bateau attaque un navire portugais et s’en empare. Une belle mauresque captive ensorcelle le Jacques, chargé de lui apporter à manger. La brume se lève et le navire d’escorte a disparu ; quant à l’équipage de prise, il est en proie à la maladie et tout le monde meurt sauf Jacques. La sorcière arabe lui a fait jeter à la mer sa médaille d’or de saint Jean, cadeau de son amie de Dieppe et qu’il portait sur sa poitrine nue. Jacques se retrouve sans foi ni loi, perdu sur l’océan. L’arabe s’évanouit en fumée. Sauvé par une galère, Mazerat doit s’y engager comme galérien volontaire, subissant le fouet quand il ne tient pas la cadence. Au bout de dix jours, en attaquant un navire, la galère est abordée et coulée ; Jacques s‘évade avec un compagnon. Mais celui-ci ne tarde pas à mourir pour avoir bu d’une eau trop pure pour être honnête. Le jeune homme est seul jusqu’à ce qu’une bande de « nègres » emplumés ne vienne s’ébattre sur la plage, venus en pirogues et dansant autour du feu. Jacques sympathise, offre au chef des verroteries échouées de la galère. Il veut surtout récupérer sa médaille de saint Jean et soudoie les nègres pour qu’ils l’y conduisent en pirogue et qu’ils plongent. Ce qui est fait, mais la médaille reste introuvable. C’est un miracle (encore un) si Jacques, abandonné par les sauvages, se prend les doigts dans la chaine d’or brassée par le sable alors qu’il regagne la plage. Un homme grand et fort l’y attend, qui se propose de le reconduire à Dieppe. Il rame, infatigable, aborde puis se perd dans la ville, l’église. Jacques qui l’y suit, voit qu’il a repris sa pose de saint, statufié dans la nef. Sa bonne amie est en prières devant lui.

Quel miracle sauverait la France blessée en cette fin de 1940 ? Il est étonnant de voir, quatre-vingt ans après, combien le déni de réalité permet de s’évader dans l’impossible, combien s’illusionner sur les superpouvoirs saints ou divins permet de compenser sa propre impéritie ou lâcheté. Le Russe d’Arménie né en 1911 mais arrivé à 9 ans en France où a fait toutes ses études, prix Goncourt 1938, a légalisé son nom de plume Troyat en lieu de Torossian lorsqu’il est devenu français, puis a été démobilisé en 1940, à 30 ans.

Henri Troyat, Le jugement de Dieu, 1941, Livre de poche 1973, 286 pages, occasion 

Henri Troyat, Romans d’hier : Faux jour, Le vivier, Grandeur nature, La clef de voûte, L’araigne, Le jugement de Dieu, Le mort saisit le vif, Le signe du taureau, La tête sur les épaules, Presses de la Cité Omnibus 1992, 1129 pages, €12.00

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Henri Troyat, Le cahier

La Russie des années 1850 est archaïque. La capitale et la cour vivent à l’époque moderne avec bals et théâtres, restaurants et plaisirs, étiquette et rang ; la campagne vit encore au moyen-âge avec grands domaines et serfs attachés, seigneur paysan et moujiks. Le barine, la barinya et le bartchouk (le maître, la maitresse et le jeune maître) sont la trinité de Klim le serf (Clément en russe). Il est né la même année que Vissarion et lui a servi de compagnon de jeu et d’émule pour son éducation primaire. Puis, à 12 ans, le barine a décidé d’envoyer son fils en pension à Moscou et de renvoyer le fils de serf à sa condition : servir son maître au domaine. Mais Klim sait lire et écrire, il apprécie les poésies de Pouchkine ; il tient un cahier de sa vie, qui donne le titre au roman.

Vissarion aime commander mais surtout parader ; il n’aime pas la campagne ni la terre. Etudiant médiocre, de caractère faible, il échoue aux examens de droit en première année et s’engage comme scribouillard fonctionnaire. Son père, un peu Bouvard et un brin Pécuchet, accumule un savoir livresque qu’il tente d’appliquer à la médecine et à l’agriculture sur ses terres, sans succès ; il est ruiné. Klim aime la campagne, son bartchouk et le barine ; il est né pour servir.

Lorsque le barine meurt, le fils vend le domaine et « les âmes » qu’il contient – sauf une : Klim, qui le sert à Moscou. Mais il veut éblouir une actrice de théâtre qui le dédaigne et ruine son héritage en corbeilles de roses et repas fins. Il se croit trop au-dessus du travail pour garder son poste médiocre. Comme il joue, il se ruine et se trouve contraint de vendre Klim !

L’époque est pourtant aux idées libérales venues des Lumières européennes. Après la défaite de Crimée, Le tsar Alexandre II soumet à la noblesse un projet d’émancipation des serfs, avec beaucoup de précautions mais qui va dans le bon sens – le sens de l’Europe et probablement du monde entier. Mais, Troyat le montre, la liberté exige en contrepartie la responsabilité. Le serf russe est tellement content de ne rien avoir à décider ! Il n’est pas responsable de son destin et sa vie est réglée par un autre : Dieu peut-être mais le barine avant lui. Cette position confortable se reflète dans le fonctionnariat russe, pléthorique à la française, où l’irresponsabilité est érigée en point d’honneur. Seul décide Dieu peut-être mais le tsar avant lui.

Le domaine de Znamenskoié vendu, le cordon ombilical est coupé entre le Russe et la terre ; restent les idées – grandes et utopiques, dangereuses en politique. Klim va-t-il retrouver Vissarion par fidélité ? Le bartchouk va-t-il traiter son kazatchok avec égalité comme son penchant idéologique le réclame ?

Une jolie histoire simple, populaire, comme Henri Troyat, né russe en 1911, a su en produire. Utile pour comprendre comment l’explosion révolutionnaire a pu se produire dans ce pays immense et retardé où la réalité n’imposait aucune contrainte aux idées, où la religion forçait à l’utopie sans garde-fou et où l’inégalité entre la richesse et la misère engendrait des rancœurs quasi raciales. Klim le dit à plusieurs reprises, nobles et moujiks ne se sentaient pas de la même espèce.

Henri Troyat, Le cahier – Les héritiers de l’avenir tome 1, J’ai lu 1976, 375 pages, occasion €0.99

Les trois tomes, J’ai lu, €22.95

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Henri Troyat, Viou

Une petite fille orpheline en 1946 vit chez ses grands-parents au Puy-en-Velay. Son père, médecin, a été tué en tant que Résistant et sa mère est partie travailler à Paris comme assistante d’un médecin ami. A 6 ans, Sylvie surnommée Viou aime les bêtes, le chien Toby enchaîné à la porte et la vache Blanchette dans l’entrepôt, mais a du mal à apprendre ses leçons trop abstraites et à bien travailler à l’école.

Son grand-père, père de son papa, est amical mais sa grand-mère corsetée de religion, engoncée dans le moralisme et soucieuse de bienséance bourgeoise. Elle vit avec son fils mort dans l’envers du monde. Cette statue du Commandeur selon le christianisme de renoncement version saint Paul, pour qui la vraie vie est ailleurs et tout plaisir un péché, est toxique pour une petite fille qui ne demande qu’à vivre. Heureusement qu’il y a Toby, puis grand-père lorsqu’il n’est pas pris par ses affaires de négoce en gros de charbons et matériaux de construction. Il y a aussi maman lorsqu’elle revient pour les vacances.

Viou aligne les bêtises d’enfant car elle n’en peut plus du deuil perpétuel, sa vitalité déborde du carcan rigide que voudrait lui imposer la vieille bigote qui a peur de l’aimer. Son papa sans lunettes sur la photo de famille a l’air sévère alors qu’elle l’a connu rieur et bon. Elle dessine donc des lunettes sur la photo pour l’apprivoiser, car un artiste du dimanche a peint un grand portrait en couleur du père d’après la photo ; elle ne l’aime pas et l’a dit publiquement, au grand dam de la grand-mère qui croit qu’elle déteste le mort chéri. Elle introduit le chien Toby couvert de puces non seulement dans la maison mais sur son lit la nuit. Elle ment sur son classement déplorable en rédaction pour ne pas être privée de jouer le jeudi avec sa copine Dédorat.

Ecole, messe, cimetière, dîners compassés sont-ils une existence ? Ils se déroulent mornes, jusqu’à la mort du grand-père par infarctus. Ni les prières, ni l’extrême-onction administrée par le prêtre, ni la promesse solennelle d’un pèlerinage à Lourdes n’ont rien pu : Dieu est resté de marbre, indifférent à la peine des humains. A quoi cela sert-il de se priver, de vivre dans l’austérité, de se confondre en macérations, puisque de toutes façons il choisit qui il veut élire au ciel ? Ne faut-il pas plutôt bien faire son travail, qui est de vivre selon la nature qu’il nous a lui-même donnée ?

Contrairement à sa grand-mère, d’une époque révolue, Viou ne fait pas que passer sur cette terre pour aspirer à l’au-delà : elle aime Toby, elle aime sa mère, elle aime la vie ici et maintenant. Son père est mort en héros mais il sauvait des vies et aurait aimé qu’elle regarde devant plutôt que derrière elle, qu’elle vive pour l’avenir et pas dans le passé.

Or la grand-mère se déleste de tout : Toby est donné, l’affaire vendue, Viou récupérée par sa mère qui la veut auprès d’elle pour commencer une nouvelle vie. Grand-mère se retrouve seule, avec sa morale et ses chers disparus : elle aura creusé sa propre tombe car la vie gagne toujours quand on lui fait confiance. Viou a maman, son nouveau beau-père médecin, et le chien affectueux qu’il a acheté.

Le lecteur, ému, souhaite une bonne vie à Viou – à Sylvie.

Henri Troyat, Viou, 1980, J’ai lu 1999, 192 pages, €4.00

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