Articles tagués : servilité

Stendhal et la province

Stendhal en ses Voyages en France est immergé dans la province. Il en est issu, il ne l’aime pas, il a en horreur toute sa ” petitesse bourgeoise “. Mais comme la France est essentiellement composée de provinces, il est forcé de composer. Et, parcourant cette France-là, il s’y intéresse, la découvre et la pense – c’est la vertu de voyager. Si les Français sont d’habitude (et faussement) mesurés à l’aune de Paris, tout étranger qui voudrait connaître ” la France ” aurait à passer plusieurs mois dans une ville de province, conseille Stendhal.

Certes, il lui faudra supporter ” l’air bête ” de tout le monde, la tyrannie de l’opinion dans les villages et les petites villes, la prétention de ceux qui ne connaissent rien d’autre que ce qui les entoure. ” Le signe caractéristique du provincial, c’est que tout ce qui a l’honneur de lui appartenir prend un caractère d’excellence “ (Saint-Malo, juillet 1837, p.320). ” Si le provincial est excessivement timide, c’est qu’il est excessivement prétentieux ; il croit que l’homme qui passe à vingt pas de lui sur la route n’est occupé qu’à le regarder ; et si cet homme rit par hasard, il lui voue une haine éternelle “ (Nivernais, 18 avril 1837, p.19). Cette petitesse de province qu’il raille reste parfois d’actualité, il en est maints exemples.

Le pire est ” l’ennui “, cet incommensurable ennui de province, la vie au ras des mottes, une hibernation à la russe, grisâtre, éternellement hors du coup. Des générations entières semblent s’y emmurer comme en mausolée, végétatives. La vie de province n’est-elle pas un interminable deuil où l’on renonce à tout sans avoir rien connu ni aimé ? Sauf près de la mer : ” La mer par ses hasards guérit le bourgeois des petites villes d’une bonne moitié de ses petitesses ” (Langres, 5 mai 1837, p.51). C’est à peu près ce que dira l’historien Fernand Braudel en opposant une France du large, ouverte sur le monde, à une France des paysans, ancrés dans leur glèbe et heureux que rien ne change.

stendhal memoires d un touriste

C’est pourtant en province qu’est la force de la France, sa profondeur. Stendhal note que c’est dans les villes de province que se rencontre cette jeunesse prête à tout et non contaminée par la fatuité parisienne, par sa révérence pour les ” statuts ” acquis. La jeunesse provinciale de son siècle en veut ; elle est l’avenir industrieux du pays. ” C’est l’antipode de la politesse de Paris, qui doit rappeler avant tout le respect que se porte à elle-même la personne qui vous parle et celui qu’elle exige de vous. Chacun ici, en prenant la parole, songe à satisfaire le sentiment qui l’agite, et pas le moins du monde à se construire un noble caractère dans l’esprit de la personne qui écoute, encore moins à rendre les égards qu’il doit à la position sociale de cette personne. C’est bien ici que M. de Talleyrand dirait : on ne respecte plus rien en France “ (Valence, 11 juin 1837, p.147).

Le Parisien sait tout, a tout vu, et regarde de haut quiconque objecte : ” Le pédantisme des savants de Paris est tout en réticences et en sourires de satisfaction. Ces messieurs vous font comprendre, avec une politesse exquise, qu’une découverte dont vous leur parlez ne peut pas exister, car ils ne l’ont pas expliquée. Ou bien c’est une chose extrêmement ancienne, oubliée et passée de mode, qui a été cent fois expliquée ” p.149. Et Stendhal d’ajouter : ” Ces savants deviennent gobe-mouches et bientôt pédants et académiciens (c’est-à-dire n’osant plus dire la vérité sur rien, de peur d’offenser un collègue) “ p.480.

Il faut faire la part de la torpeur d’époque, après le déchaînement révolutionnaire et l’ambition napoléonienne. Mais Louis XVIII et Charles X venaient de passer et la France d’alors s’éveillait à la modernité technique, industrielle, économique. Tout comme de nos jours après Mitterrand II et Chirac I puis II et Hollande I. ” La bonne compagnie de l’époque actuelle, seul juge légitime de ce que nous imprimons, a une âme de 70 ans ; elle hait l’énergie sous toutes ses formes ” (Bourgogne, 27 avril 1837, p.34).

Il fallait bien sortir de cette torpeur ! Car ” quel dommage que la patrie de Marot, de Montaigne et de Rabelais, perde cet esprit naturel piquant, libertin, frondeur, imprévu, ami de la bravoure et de l’imprudence ! Déjà il ne se voit plus dans la bonne compagnie, et à Paris il s’est réfugié parmi les gamins de la rue. Grand Dieu ! allons-nous devenir des Genevois ? “ Ainsi parlait Stendhal à Fontainebleau le 10 avril 1837 (p.6). Au contraire, ” le grand malheur de l’époque actuelle, c’est la colère et la haine impuissante. Ces tristes sentiments éclipsent la gaieté naturelle au tempérament français. Je demande qu’on se guérisse de la haine, non par pitié pour l’ennemi auquel on pourrait faire du mal, mais bien par pitié pour soi-même. Le soin de notre bonheur nous crie : ” chassez la haine, et surtout la haine impuissante ! “, (Lorient, 7 juillet 1837, p.295). Ne croirait-on pas lire un pamphlet contre la gauche dont le seul programme fut ” l’anti-Sarko ” ? ou contre la droite, dont la seule critique à l’encontre de Hollande fut contre Taubira et son mariage gai ?

Prenez l’exemple de Bordeaux, qui fut rattachée à la France par Charles VII en juin 1451 : ” En s’unissant à la France, Bordeaux tomba dans une monarchie absolue, où le favori décidait despotiquement de tout ; de là ses fréquentes révoltes (…) Il était naturel que Montaigne et Montesquieu naquirent dans ce pays qui, du gouvernement raisonnable, était tombé dans le favoritisme, et s’en irritait d’autant qu’il ne s’avouait pas nettement son cas. Les esprits à Bordeaux n’étaient pas avilis par l’habitude de la servilité “ (Bordeaux, 9 avril 1838, p. 646).

Est-ce ce qu’il faut souhaiter à la gauche comme à la droite pour que la France soit enfin bien gouvernée ? Car le pouvoir trop centralisé engendre la petitesse, l’infantilisme, le ressentiment. Voyez le fonctionnaire, note Stendhal : ” étudiez la vie de cet homme. Vous verrez peut-être qu’abreuvé de mépris, poursuivi par la crainte du coup de bâton ou du coup de poignard, comme un tyran, sans avoir le plaisir de commander comme celui-ci, il ne cesse de songer à la peur qui le ronge qu’au moment où il peut faire souffrir autrui. Alors, pour un instant, il se sent puissant, et le fer acéré de la crainte cesse de lui piquer les reins. Appliquez-lui le remède indiqué par le célèbre Cuvier : ” traitez-le comme un insecte. Cherchez quels sont ses moyens de subsistance, essayez de deviner ses manières de faire l’amour, vous verrez… “ (Lorient, 7 juillet 1837, p. 296).

Ironique, mordant, réaliste, acéré – Stendhal est plus que jamais de notre époque !

Stendhal, Voyages en France, Gallimard Pléiade 1992, 1664 pages, €70.00
Stendhal, Mémoires d’un touriste, Folio 2014, 848 pages, €10.40
e-book format Kindle, €9.99

Catégories : France, Livres, Stendhal, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Paul Doherty, Le combat des reines

Paul Doherty Le combat des reines

Nous sommes sous le règne du roi anglais Edouard II, encore possesseur de la Gascogne et de ses vins que lorgne le roi de France Philippe le Bel. Les Templiers viennent d’être occis, sous les prétextes fallacieux propres à tous les politiciens lorsqu’ils veulent se débarrasser de leurs adversaires – et faire main basse sur leurs richesses. Seule l’Angleterre n’a pas chassé les Templiers et la papauté de Rome, jamais en reste de servilité à l’égard des puissants, menace. Les barons anglais grondent contre le favori du roi, le trop beau Gaveston sorti de la roture. L’époque est donc propice aux complots et cabales, ce qui fait le pouvoir des obscurs – donc des femmes.

Car c’est de femmes qu’il s’agit dans ce roman policier historique.

Paul Doherty a soutenu sa thèse d’histoire à Oxford sur la reine Isabelle, fille de Philipe le Bel qu’Edouard II a épousée. Il connaît donc très bien le sujet, son époque et sa psychologie. La garce, violée régulièrement avant 12 ans par ses trois frères lorsqu’elle demeurait encore à Paris, savait y faire en intrigues de toutes sortes. Ce n’était pas un mignon comme Gaveston, une reine douairière comme Marguerite, un évêque repu et retord comme Langton ou des barons grossiers se croyant corégents qui allaient lui faire peur. La reine d’Angleterre, venue de France, hait son père et ne sera certes pas son espionne à la cour. Pas plus sa suivante Mathilde, nièce du médecin parisien des Templiers brûlé par les sbires de Philippe et experte en potions de toutes sortes.

Le roi Edouard est réfugié dans son ‘manoir de Bourgogne’ au cœur des terrains étendus du, palais de Westminster. Les barons menacent d’un coup de force, soutenus en sous-main par Philippe de France et par les évêques avides du trésor des Templiers. Mathilde et sa maîtresse Isabelle vont déjouer le complot dans une suite de rebondissements où les chambres fermées de l’intérieur et les morts mystérieuses ne manquent pas !

Paul Doherty donne ainsi le tome 2 de la série « Mathilde de Westminster », née de Clairebon proche de Brétigny en Essonne, qu’il a commencée avec Le calice des esprits’.

Qui aime l’histoire se délectera des intrigues dignes des ‘Trois mousquetaires’. Qui aime le moyen âge se réjouira des détails pittoresques apportés aux menus des banquets, aux vêtements du petit peuple, aux mœurs des ecclésiastiques, à la crédulité sur les reliques, au règlement des marchés et aux enseignes des tavernes. Et si l’illustre Agatha Christie vous a beaucoup appris sur les effets de l’eau de muguet, vous en saurez autant avec Paul Doherty sur les effets d’une ingestion de violette…

Paul Doherty, Le combat des reines (The Poison Maiden), 2007, édition 10-18 Grands détectives janvier 2010, 347 pages, €8.80

Les romans de Paul Doherty chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,