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N’interprétez pas les ordres de Dieu ! s’exclame Montaigne

Le chapitre XXXII de ses Essais Livre 1, affirme « qu’il faut sobrement se mêler de juger des ordonnances divines. » Dieu ne nous récompense pas ni ne nous punit en nos œuvres ; il a d’autres desseins plus… éternels. Montaigne explique avec raison que « le vrai champ et sujet de l’imposture sont les choses inconnues. » Moins vous en savez, plus vous pouvez parler dessus, inventer, imaginer, affirmer. Qui pour vous contredire, puisque nul ne sait rien ? « A cette cause, dit Platon, est-il bien plus aisé de satisfaire parlant de la nature des dieux que de la nature des hommes, parce que l’ignorance des auditeurs prête une belle et large carrière et toute liberté au maniement d’une matière cachée. »

Nous ne pouvons qu’y souscrire et noter, en notre époque, les billevesées des croyants de Daech qui affirment agir au nom d’Allah, prenant leurs désirs pour des réalités et leur ressentiment pour un commandement de Dieu. Nous pouvons noter aussi les niaises catholiques autour du père Hamel qui voient un dessein caché de Dieu dans son martyre. Dieu ne dit rien, même s’il s’appelle Allah – ce sont les humains qui lui prêtent des mots et des intentions alors que, s’il existe, il s’en fout bien des misérables vermisseaux que nous sommes, infimes dans l’univers infini de sa création. S’il commande, c’est pour l’éternité, pas pour un petit présent qui passera aussi vite qu’un éclair. S’il commande, c’est selon les textes qu’il a rendu sacrés, et selon ses commandements dont le premier est « tu ne tueras point ».

Mais Montaigne n’est pas exégète de la Bible. Il est un observateur pragmatique et aigu des gens de son temps. Il philosophe en généralisant. « Il advient de là qu’il n’est rien cru si fermement que ce qu’on sait le moins, ni gens si assurés que ceux qui nous content des fables, comme alchimistes, pronostiqueurs, (astrologues) judiciaires, chiromanciens, médecins. (…) Auxquels je joindrais volontiers, si j’osais, un tas de gens, interprètes et contrôleurs ordinaires de desseins de Dieu, faisant état de trouver les causes de chaque accident, et de voir dans les secrets de la volonté divine les motifs incompréhensibles de ses oeuvres ». Si j’osais ? – il ose. Ce qui n’est pas rien, en son temps de guerre de religions. Montaigne est un esprit libre, libéré des textes et des commandements, qui pense par lui-même, le plus droit possible en sa raison.

Et de noter avec ironie que l’hérétique et le pape, « Arrius et Léon  (…) moururent en divers temps de morts si pareilles et si étranges » : tous deux ont rendu l’âme en chiant, tout simplement… Où donc serait le « dessein de Dieu » ? Il les considérait manifestement comme de la merde, l’un comme l’autre, le contesté et le légitime. A moins que les humains se trompent à vouloir absolument y voir un signe !

Les alchimistes d’aujourd’hui sont volontiers politiciens lorsqu’ils nous « promettent » – tant et plus s’ils sont libéraux sociaux, ou pire et moins s’ils sont croyants en écologisme ou en gauchisme révolutionnaire. Leurs fans sont des dévots par instinct de foule, pas des convaincus par raison ; ils sont emportés par mimétisme, pas persuadés en personne. Ils sont dévots de « la belle histoire » du futur où tout sera mieux une fois les immigrés foutus dehors, les financiers capitalistes taxés à mort, les productivistes enchaînés aux règles drastiques de la décroissance durable, les « sans rien» décidant par référendum populo. Tout est cohérent mais tout est imaginaire. Les alchimistes n’ont pas produit de l’or, les écologistes ne produiront pas de l’énergie sans vent ni soleil quand il n’y en a pas, en hiver où l’énergie est la plus vitale, autrement qu’avec des matières fossiles ou du nucléaire. Après tout, l’énergie du soleil n’est-elle pas purement nucléaire et entièrement « naturelle » ?

Le peuple est badaud, il croit ce qu’on lui dit, bêtement. « Il vaudrait mieux l’entretenir des vrais fondements de la vérité », s’exclame Montaigne ! Vaste programme, disait de Gaulle… de la connerie.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50 h

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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