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Nietzsche et la morale

La morale est une interprétation d’un système de valeurs. Elle est le produit d’une société, des affects et du corps de chacun. Nietzsche en fait la résultante des instincts physiques « des symptômes de réussite ou d’échec physiologique ». Pour lui, il n’existe aucun fait qui soit moral ou immoral, mais simplement l’interprétation qu’on lui donne. Vérité en-deçà, erreur au-delà, disait déjà Pascal en parlant les Pyrénées.

Les morales varient avec les peuples et les cultures; elles varient avec le temps; elles restent humaines malgré la fixation que l’on voudrait sur l’éternel. « La » morale n’existe pas (illusion religieuse du seul Dieu Vrai… qui varie suivant les civilisations) mais la pluralité des morales dans le monde. Lorsque l’on parle en Occident de « morale », il est évident que l’on ne parle que de « notre » morale historique, ascétique dualiste, formalisée par Platon et prolongée par la doctrine d’Eglise du christianisme.

D’où, dans Par-delà le bien et le mal et dans La généalogie de la morale, la typologie « naturelle » que tente Nietzsche des morales. Il distingue – en restant dualiste… – la morale des maîtres et la morale des esclaves. Chacune a une généalogie et des conséquences pratiques, notamment quel type humain est ainsi transformé par les valeurs morales historiques.

La morale ascétique est une déficience de la volonté de puissance aboutissant au nihilisme et à la condamnation de la réalité au motif que tout vaut tout. Issue du platonisme puis des stoïciens, elle s’incarne dans le christianisme, revivifiée dans les sectes protestantes puritaines, avant d’investir le jacobinisme de Saint-Just et Robespierre, puis le socialisme et le communisme jusqu’à Pol Pot. Se développe alors « la moraline » (das Moralin), sorte de médicament social de bien-pensance, par exemple celui du christianisme bourgeois et hypocrite qui sévissait fort à l’époque de Nietzsche. L’apparence de la moralité compte plus que la moralité même. Les romans de Huysmans, la correspondance de Flaubert, décrivent fort bien ce vernis convenable en société qui masque les turpitudes intérieures et privées.

Mais l’hypocrite est un type éternel de toute morale : Molière l’a excellemment décrit sous les traits de Tartuffe. A noter que Donald Trump est le contraire même de Tartuffe : il dit tout cru et tout haut ce qu’il veut et arrache le mouchoir du sein qu’il veut voir ; il met tout en œuvre pour forcer la réalisation de sa volonté. Ce pourquoi il plaît au « peuple » qui a moins besoin de faire de l’hypocrisie une seconde nature pour vivre en société. En effet, qui veut arriver a besoin de « paraître », d’être autre qu’il n’est pour se montrer conforme, obéissant, cooptable par les élites jalouses de leur statut. Sauf que Trump n’a aucune morale, ce qui n’est pas ce que prône Nietzsche. L’enfant gâté est plutôt du côté du laisser-aller que de la discipline nécessaire à une nature forte.

Plus près de nous, Français, la triste moraline socialiste dérape depuis des décennies en pilotage automatique comme ces appareils où il suffit de mettre une pièce pour que sorte encore et toujours la même chanson. Les ténors de la Gauche bien-pensante édictent des fatwas dans les médias pour stigmatiser et déconsidérer ces loups démoniaques (de droite ou « ultra-libéraux » pas moins) qui osent souiller leur onde pure… Ils font de la démagogie sans le savoir avec leurs grands mots (tout est « grand » pour la morale) : émancipation, démocratie, égalité « réelle », progrès, justice « sociale », primat du politique, collectif, écologie « sociale et solidaire ». On voit combien la vraie vie fait voler en éclat ces grands principes lorsque le droit tombe sous les kalachnikovs, lorsque l’émancipation promise toujours pour demain n’arrive pas à avancer sous la pression du victimisme (les assassins seraient de pauvres victimes de la société, la désintégration scolaire n’aurait rien à voir avec l’immigration, le collectif est forcément plus fort que les communautarismes…). La moraline de gauche est l’impérialisme médiatique de l’indignation, une impuissance masquée sous les grands mots, le masque idéologique de la réalité des privilèges jacobins, des zacquis menacés.

Haïr la chair, lutter contre les passions et valoriser l’altruisme et la pitié forme selon Nietzsche une morale hostile à la vie, à la santé et à l’épanouissement humain. Comme un ressentiment envers la nature humaine, comme pour se venger de la vie. Les écolos forment aujourd’hui la pointe avancée de cette austérité du repli sur soi, réprimant tous les désirs (sauf ceux des peuples non-occidentaux) pour s’humilier du « péché » d’avoir « exploité » la nature. Souffrir donne bonne conscience : voyez comme je suis vertueux parce que je suis malheureux !

Ernest Renan dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse, parus en 1883 : « Damne-toi, pourvu que tu m’amuses ! – voilà bien souvent le sentiment qu’il y a au fond des invitations, en apparence les plus flatteuses, du public. On réussit surtout par ses défauts. Quand je suis très content de moi, je suis approuvé par dix personnes. Quand je me laisse aller à de périlleux abandons, où ma conscience littéraire hésite et où ma main tremble, des milliers me demandent de continuer » VI.4 Car le « mal » (qui est la transgression de la morale ambiante), fascine le bien-pensant qui n’ose pas oser. Cette remarque d’il y a deux  siècles s’applique littéralement au cas Gabriel Matzneff, bouffon du sexe pour les intello-transgressistes post-68 qui ne tentaient pas faire le quart de ce qui était raconté (et amplifié) dans le « journal » maudit. Jusqu’à ce que la nymphomane de 13 ans qui a bien joui se repente en ses blettes années et se pose en « victime », en Moi aussi de la mode du viol, en féministe dénonçant le pouvoir mâle, surfant sur la vague pédo-crimes pour se faire mousser dans un opus a-littéraire où il y a surtout du con et des fesses. Renan rirait bien de cette prétention à se refaire une vertu sur ses dépravations de jeunesse.

Plus sérieusement, il faut se remettre dans le contexte d’époque : 2020 n’est pas 1985, l’époque a changé et la société aussi. Faire jouir les mineurs n’est plus d’actualité : ils font bien cela tout seul et c’est tant mieux pour se construire, les adultes ayant des préoccupations trop égoïstes pour ne pas les blesser. A l’époque des faits, y a-t-il eu « viol » sur mineure de 15 ans ? Est qualifié de viol toute pénétration par violence, contrainte, menace ou surprise : une fille pubère de 13 ans en 1985 (17 ans après mai 68, 1 ans après Canal+ surnommé Anal+ et quelques années avant l’émission de Fun radio Lovin’fun où le Doc et Difool disséquaient la sexualité exubérante ado) a-t-elle pu être « surprise » comme « ne connaissant pas la sexualité adulte » ? Un père absent et une mère démissionnaire ne constitue-t-il pas une « incitation à commettre de la part d’un tiers » – ici des parents irresponsables ? Ce sont toutes ces questions que la justice, qui s’est autosaisie, doit trancher dans le cas Springora contre Matzneff. Outre que « sans violence, contrainte, menace ou surprise, l’atteinte sexuelle entre un(e) majeur(e) et un(e) mineur(e) de 15 ans n’est pas considérée comme une « agression » sexuelle mais comme une « atteinte » sexuelle sur mineur(e), qu’il y ait ou non pénétration. Le viol n’est prescrit qu’aux 48 ans de la victime – tiens, justement en mars 2020… – tandis que l’atteinte est prescrite aux 38 ans. On comprend toujours mieux lorsque l’on fait la généalogie de la morale affichée : dans le cas Springora, l’intérêt bien compris (en indemnisation et surtout notoriété) relativise la grandiloquence victimaire…

Retourner ce jeu social est de bonne guerre : avouez et vous serez pardonné, repentez-vous et vous aurez toute bonne conscience pour vous poser à votre tour en juge. Ainsi font les curés catholiques avec la confession, ce pouvoir inquisiteur d’Eglise qui permet la maîtrise des âmes. Ainsi font les psys freudiens qui croient que le dire guérit, ce qui leur permet de fouiller impitoyablement tous les souvenirs enfouis, tous les non-dits dissimulés, y compris les reconstructions fabriquées. Ainsi font les communistes avec leur ‘bio’ fouillée où tout ce qui est bourgeois en vous est impitoyablement mis en lumière, ce qui vous ‘tient’ politiquement. Ainsi font les criminels qui « s’excusent » et « demandent pardon » pour voir leur peine réduite (pleurs et lamentations au procès bienvenus). Ainsi font les politiciens, surtout américains, qui avouent et assument, « faute avouée étant à-demi pardonnée » dans le catéchisme puritain.

« La moralité s’oppose à la naissance de mœurs nouvelles et meilleures : elle abêtit », dit encore Nietzsche dans Aurore §19. Voulant s’imposer comme éternelle et universelle, elle nie la diversité des peuples, leur histoire et leur liberté d’esprit. Elle veut créer une « imitation de Jésus-Christ », un « homo œconomicus » libéral ou un « homme nouveau » communiste, un égalitaire pas macho ni phobe des démocraties contemporaines – en bref discipliner, surveiller et punir. Ce pourquoi la philosophie doit se faire critique de cette domination, de cet universalisme impérial qui n’est que sectaire. Les Chinois et les Indiens ne disent pas autre chose; quant aux Russes, ils privilégient une interprétation chrétienne différente du puritanisme yankee. « L’immoraliste » de Nietzsche est celui qui combat cette morale absolue, pas celui qui est sans morale (il serait amoral, non immoral).

Car la morale reste digne d’être questionnée, pensée en-dehors du christianisme ou du laïcisme platonicien dominant. Les vertus que Nietzsche attribue au philosophe sont en effet des valeurs « morales » : indépendance d’esprit, courage, patience, méfiance critique, modestie… Il les appelle « la probité ». Ce serait l’héritage et le prolongement de l’exigence chrétienne de vérité et d’honnêteté que de reconnaître les origines autres que sociale de la morale en vigueur (par exemple des origines soi-disant divines, ou des origines « naturelles »), donc d’exercer la critique pour mettre en lumière son aspect ascétique suicidaire (dont la repentance pour tout est un trait contemporain). Ernest Renan montre à l’envi cet habitus catholique de « suicide orthodoxe » dans ses Souvenirs cités plus haut.

Pour Nietzsche, une morale demeure utile : elle est un instrument d’éducation qui permet d’élever le niveau humain en le civilisant. Il s’agit pour lui d’encourager le vouloir créateur issu de l’instinct de vie, d’épanouir les potentialités créatrices de chacun dans tous les domaines, de modifier ainsi les coutumes, les mœurs et les institutions. Quelque chose de l’utopie de Marx sans les torsions des exégètes hégéliens ou activistes.

L’obéissance aux mœurs est la morale définie dans une culture, soit une forme d’élevage (au triple sens d’élever l’animal, d’éduquer les passions individuelles et de rendre l’être humain meilleur – selon les trois étages que sont instincts, affects et esprit). Tendre vers le sur-humain doit être la visée de cette morale pour Nietzsche ; elle implique de lutter contre le laisser-aller (Par-delà le bien et le mal) en entraînant les individus à affronter ce qui est douloureux ou terrible au lieu de le nier au profit d’illusions. Tout vient de la vie, de son élan, de sa force. Une morale en société ne peut que refléter ces valeurs de vie si la société veut perdurer dans l’histoire. En ce sens, Nietzsche n’est pas un « libertaire » au sens de 1968 ; il n’est ni pour la sexualisation tout azimut, ni pour les passions débridées, ni pour la chienlit morale et politique. Il est pour s’« élever », pas pour se ventrouiller.

Céline Denat et Patrick Wotling, Dictionnaire Nietzsche, Ellipses 2013, 307 pages, €18.30

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Nu au compteur

Le nu ne s’est jamais aussi bien porté… sur le net. Cela alors que la morale ambiante est de plus en plus puritaine, contrainte par les trois religions du Livre grimpant vers l’intégrisme.

En témoignent les « termes recherchés » sur les moteurs qui aboutissent à mon blog – en regard des articles les plus lus.

Un florilège des mots ou fragments de phrases tapés en recherche, avec leur orthographe incertaine et leurs raccourcis cocasses mérite d’être cité :

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« Surprise, seins, bander, nu(e), baiser, dénudé, en chaleur, troc, jupette, slip, ligoter, esclave, bikini, sans culotte (révolutionnaire ou soixantuitarde ?), naturiste, punition, cul, sucer… » montrent une adolescence fiévreuse. Le terme « gamin » ou la mention de l’âge questionne sur la première fois, sur l’âge du premier désir, sur la curiosité plus que sur les actes : « bande dessinee en francais pour adulte concernant la baise qui est lisible », « gamin baiseur », « polynesian teens ». La naïveté des termes laisse parfois pantois : « naturistes tous nu » – on se demande pourquoi ils seraient naturistes.

Les références aux Noires, à une fille touareg, à une « française bourgeoise » ou à la nudité « au pogrom » laissent penser qu’il y a de la « diversité » chez les quêteurs de réponse. Avec un certain sadisme parfois : punir pour mettre à jouir. Le pire et le plus drôle étant le « donald trump etant scout » : le questionneur souhaite-t-il que le paon macho yankee se soit fait violer par un moniteur prêtre ?

Ne viendrait-on majoritairement sur mon blog que pour le sexe ?

Parmi les articles les plus lus depuis l’origine (2010), on trouve quand même Tahiti, l’euro, Le Clézio, Stevenson, Céline, l’antisémitisme, Facebook, entre autres. Parmi les articles les plus lus dans les derniers sept jours, Stendhal et la politique, le mouvement social de los Indignados en Espagne, Nietzsche, Philip Roth et Philippe Sollers – même si la misère sexuelle et les corps chantent à la plage sont en bonne place.

Au fond, les moteurs de recherche ramènent surtout les images du blog dans leurs filets, moins les textes. Quand ceux-ci font l’objet d’un mot-clé, le lecteur est tout de suite plus sérieux : prof ou scolaire, amateur cultivé, chercheur. Mais si je ne mettais aucune illustration, comme un ancien blogueur qui se piquait de mots, je gage que les visites sur mon blog seraient bien moins fréquentes. Les images attirent sur le texte et font du buzz ; on vient ensuite pour plus sérieux, comme les auteurs au programme de français ou de philo, ou même sur la politique.

Il est bon de regarder de temps à autre ce qu’on lit des publications que l’on donne. Pour ne pas rester hors-sol, pour prendre le pouls du lectorat, pour s’expliquer les quelques 1200 visites quotidiennes – et plus le dimanche (est-ce pour la critique de film ou par qu’il y a plus de temps pour surfer ?).

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Trump trompe son monde

Le Donald n’est pas un accident de l’histoire mais s’inscrit pleinement dans la culture américaine du gros bâton. Nul n’a mesuré la taille du sien, sauf peut-être sa femme et ses maîtresses, mais il le brandit avec un « art du deal » qui est sa marque de fabrique. Trump est le vendeur-type, il vous séduit et vous menace mais ne vous lâche pas. Il correspond à l’archétype américain du héros-leader, bien loin du « libéralisme » dans lequel la gauche européenne croit que baigne les Etats-Unis.

La tempérance, l’analyse en raison, le bon sens qui prend du recul, tout ce qui fait le propre du libéralisme, c’est en Europe qu’il règne jusqu’à présent. Pas en Amérique – ni au nord, ni au centre, ni au sud. Ce pourquoi Donald apparaît macho, frustre, vulgaire. Il n’est pas policé, à peine civilisé – mais en accord avec le monde du cinéma que la planète entière consomme avec appétit via Hollywood.

Trump est un grand acteur. Il a toujours raconté des bobards, ainsi le dit-il lui-même, et ils ont toujours marqué les esprits. Goebbels ne disait pas autre chose : « calomniez, mentez, il en restera toujours une impression ». Trump se costume, se teint la houppette en blond aryen, joue un rôle, se donne une image différente de celle qu’il est dans le privé. Les stages de prise de parole vous apprennent aisément comment faire et les Etats-Unis excellent dans ces méthodes (lucratives) de développement personnel. Dans un pays où tout se vend, réussir à vendre sa propre image est le nec plus ultra du succès.

Car le monde est un théâtre où ne comptent que les apparences. L’ineffable « CIA » n’avait-elle pas craint l’URSS beaucoup plus que ses moyens limités et archaïques dans la réalité ne le méritaient ? Pour agir dans le monde, vous êtes seul. Il vous faut donc agir sur vous-même pour arriver. Et la passion – que Trump vante à l’envi – est ce qui vous permettra de le faire. Sans passion, pas d’audace et sans audace, pas de réussite. Tous les gagnants ont participé ; s’ils n’ont pas réussi, ils feront mieux la prochaine fois. Concentrez-vous sur ce que vous voulez de positif, dit Trump, et plus votre énergie sera grande, plus vous aurez une chance. Cette constante fait de lui un être prévisible, contrairement à l’impression de chaos qu’il donne.

Selon Olivier Fournout, maître de conférences à Telecom-Paristech, dont est tiré cette analyse publiée dans la revue Le Débat de septembre 2018, « Trump est la récolte d’un monde que nous semons ». Trump est grand, « mais sans étrangeté, dans le quotidien de la communication capitaliste, libérale, démocratique, consumériste, de masse, dont nous respirons les différents courants, les différentes modalités, à chaque instant ».

Indiscipliné tout gamin, Donald persévère : son camp, il s’en fout ; ses électeurs, il les manipule ; l’establishment, il le provoque. Certes, ses outrances sont évidentes, mais elles lui rapportent plus qu’elles ne lui coûtent jusqu’à présent. Il est l’anti et incarne celui-qui-dit-non pour tous les frustrés, les aigris, les maltraités de son Amérique (et il y en a !). Il s’agit d’une stratégie politique volontaire qui paye, faisant de lui quelqu’un de neuf, de révolutionnaire, sans compromis. Aller contre ce que tout le monde pense permet les meilleurs deals – quand ils réussissent. Cela ne marche guère pour l’instant avec la Corée du nord… Une question de culture ? ou seulement de temps ?

La société selon Trump est à l’image de son cinéma : ultraviolente et sans pitié. Doit s’appliquer alors l’individualisme le plus exacerbé et la loi de la jungle. Même votre chef, même l’Etat peut vous trahir, sans parler de votre amoureuse, les gens sont là pour vous tuer. Il s’agit de tirer le premier. D’où l’autodéfense comme dans les westerns : ripostez ! D’où restez seul, a lonesome cow-boy ou Jason Bourne. D’où le mythe actif de « la gagne » comme au poker (menteur) : osez et raflez toute la mise, négociez à mort, ne faites aucun prisonnier. C’est avec la bite et le couteau que l’on survit, pas avec son pois chiche toujours en retard d’une réflexion, selon Trump. Le coup de pied au cul sert de seule politique, en interne comme à l’international.

Manque à cet animal hollywoodien la faculté de fédérer, d’utiliser l’intelligence collective (il récuse les traités multilatéraux), d’entraîner une équipe (combien de départs ou de « démissions » à la Maison Blanche ?) ou une coalition (il conchie ses alliés). C’est sa fragilité. Trump, un colosse aux pieds d’argile ? Il est trop tôt pour le dire mais un second mandat pourrait le révéler.

Ce qu’il faut retenir est que Donald Trump n’est pas surgi d’une autre planète mais des profondeurs mêmes des Etats-Unis. Il appartient à la mentalité américaine du pionnier avec la foi d’un côté, le gros bâton de l’autre. Il suffit de se croire gagnant prédestiné au sein d’un peuple élu bâtissant un nouveau monde, et la force est ce qui va, ce qui s’impose de soi. Got mit uns, disaient « les autres », In God we trust scintille sur les billets verts. Le cow-boy éradique les Indiens sans état d’âme, les fermiers ravagent la prairie par droit d’occupation, les affairistes dealent sans scrupules, les financiers volent légalement, l’armée instaure le chaos dans tous les pays où elle passe faute de conscience des conséquences politiques futures.

« Trump est typique du pragmatisme américain dont le style essaime à travers le monde par l’action conjointe des grands et petits cabinets de conseil, des grandes et petites formations au management, du cinéma hollywoodien et du storytelling publicitaire ». Pourquoi nous étonner (je fus longtemps étonné) ? Pourquoi encore souscrire au mythe américain et avaler sa junk-food, porter son uniforme de jean ou de costume-cravate noir quaker, se soumettre à son puritanisme biblique, laisser ses lois extraterritoriales empiéter sur notre souveraineté et ses GAFA accaparer nos données ? La servitude est toujours volontaire et Trump, par son outrance, se montre en roi nu

Olivier Fournout, Trump banal, trop banal. Le président des Etats-Unis et son modèle, in revue Le Débat n°201, septembre-octobre 2018, pp.47-61, e-book Kindle €14.99 broché €21.00

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Doit-on craindre un retournement boursier bientôt ?

Le scénario actuellement anticipé est optimiste, le maintien d’une croissance assez forte de l’économie mondiale supérieure à la croissance potentielle. Le FMI prévoit toujours, en avril, une croissance mondiale 2017 de 3,5% et en 2018 de 3,6%, l’OCDE étant à 3,3 et 3,6 et le consensus Forecast, toujours moins optimiste, à 2,9 % en 2017 et 3,0% en 2018. Les Etats-Unis croîtraient pour leur part de 2,1 à 2,4% en 2017 et de 2,4 à 2,8% en 2018, et la zone euro – en retard – de 1,6 à 1,7% en 2017, et 1,6 en 2018.

Ce n’est pas déraisonnable, malgré les changements politiques un peu partout dans les pays occidentaux qui introduisent de l’incertitude sur les règles économiques et sur la fiscalité. Mais, en gros, ces changements apparaissent favorables à la croissance.

Volatility index depuis 10 ans

D’où pourrait venir le risque ? Des deux économies principales de la planète : les États-Unis et la Chine. Donald Trump a promis une baisse de la fiscalité et encourage les entreprises à revenir produire au pays ; il envisage pour cela de réduire les contraintes de production, y compris celles sur la pollution. Mais il y a beaucoup de discours et peu d’actes concrets. La « sortie » des Etats-Unis de l’accord sur le climat ne sera juridiquement effective que dans 4 ans. D’ici là, les contraintes sont faibles. Et nombre d’entreprises américaines voient tout le bien qu’elles pourraient tirer de politiques environnementales, ne serait-ce que pour suivre le progrès technologique – dont elles se veulent la pointe.

Le recul de la profitabilité des entreprises en raison de la fin de l’expansion cyclique, lorsque les salaires réels augmentent plus vite que la productivité, pourrait donc être dilué par ces mesures de fiscalité et de dérèglementation favorables, en attendant le relai du prochain cycle industriel.

Indice américain Standard & Poors depuis 1999

Le cas de la Chine est plus préoccupant, mais rappelons que, malgré son poids démographique et son immensité géographique, la Chine n’est qu’une puissance économique moyenne dans la production mondiale. La croissance réussirait encore à atteindre autour de 6,2% en 2018, mais le chiffre est « politique » en l’absence de tout indicateur d’offre et de demande concret. Le parti tient à garder son pouvoir, donc l’Etat surveille et punit, en bonne morale socialiste, militant pour une réduction de la liquidité afin d’éviter les dépenses somptuaires, « politiques » et inutiles. Ce qui va mécaniquement faire monter les taux d’intérêt et pénaliser l’investissement. Mais ce coup de froid sur la surchauffe devrait faire baisser la pression de l’endettement et de la surproduction dans certains secteurs, tout en limitant la hausse rapide des salaires. Ce qui ne peut qu’ajuster à peu près l’économie chinoise au mouvement du monde. Encore ne faut-il pas en faire trop, et il est difficile d’en juger lorsque le marché n’existe pas.

Indice chinois SSE Shanghai A depuis 1999

Si ces deux risques surviennent, aux Etats-Unis et en Chine, leurs effets devraient être faibles sur les taux d’intérêt sans risque (emprunts d’Etat à 10 ans) car ils sont déjà très bas. En revanche, la surprise agitant les acteurs d’autant plus violemment qu’ils ne l’avaient pas vu venir, les cours de bourse pourraient connaître de fortes corrections. L’indice américain Standard & Poors est en effet au plus haut historique. Les primes de risque, entre emprunts souverains et pour le crédit pourraient se tendre. Les indices européens sont plus raisonnables, retrouvant leur niveau de 2015, mais pourraient suivre à la baisse par « solidarité » d’aversion au risque. L’indice chinois Shanghai A, après un excès en 2015, retrouve aujourd’hui son niveau de 2010 et n’apparaît pas surévalué. Il tomberait comme les autres, mais sans catastrophe.

Le pire n’est jamais certain et les deux premières années Trump devraient être positives, mais il est toujours bon de chercher d’où pourrait venir le risque – pour le surveiller et réagir à temps.

Indice français CAC40 depuis 1999

Indice européen Euronext 100 depuis 1999

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Démocratie et algorithmes

Les Lumières avaient du bon, elles visaient à découvrir en l’humain ses possibilités cachées et à les révéler au grand nombre. La raison est la chose du monde la mieux partagée, disait Descartes. Mais chaque mouvement connait le risque de sa dérive. De la raison nait le raisonnable, mais aussi le rationnel et le rationalisme.

Si chacun peut être raisonnable, s’il maîtrise ses passions et sublime ses pulsions, le rationnel est déjà plus ambigu. Connaître en raison le monde est le but du savoir scientifique qui fonctionne par essais et erreurs, hypothèses et tests. Mais cette méthode rationnelle est elle-même une croyance, comme l’a montré Nietzsche, une « volonté de savoir ». Cette volonté côtoie d’autres volontés, toutes aussi légitimes qu’elle, comme la volonté de se préserver et la volonté de puissance. Faire de la rationalité l’alpha et l’oméga de l’être humain, c’est le réduire. Croire au tout mathématisable, c’est amputer l’humain.

Le rationaliste croit que tout est calculable, que tout est paramétrable et qu’il suffit d’accumuler des masses de données (Big data) pour en calculer les probabilités selon les circonstances, et définir des modèles algorithmiques pour décider. Exit l’humain, place aux machines ; exit la politique, cet art de concilier les contraires par la négociation et le compromis, place au rationnel pur.

Déjà, les politiciens montrent qu’ils maîtrisent de moins en moins les décisions. Les grands problèmes de notre époque ne sont plus à la mesure des élus, souvent professionnels de la politique avec une vue étroite des choses et des gens, faute d’expérience dans la réalité vécue. Leur temps est celui de l’élection, pas du long terme – qui seul importe pour le climat, les ressources, les migrations, la démographie, la santé, et ainsi de suite. Ils ne sont plus audibles parce qu’ils fonctionnent entre eux, en petits jeux tactiques, tout en se servant au passage dans l’argent public et vivant largement. Une fracture entre peuple et élite se double d’une perte de légitimité du régime représentatif : pourquoi élire des prébendiers s’ils sont impuissants à faire quoi que ce soit d’utile ?

La tendance longue est à la bureaucratie, remplacer l’action politique par la gestion des choses. Elle est amplifiée, depuis des décennies, par la technocratie : c’est pas moi, c’est « on ». Les hautes autorités, Bruxelles, la Cour de justice, la Banque centrale, le FMI, l’ONU… sont autant de démission apparente du politique, qui noie les décisions sous l’anonymat et la machinerie bureaucratique. Ce pourquoi, avec ses gros sabots, Donald Trump touche une corde sensible : lui veut réhabiliter la décision politique, même si c’est avec une insigne maladresse et avec un mépris total des conséquences. Le Brexit est l’expression de la même tendance, en plus subtil.

Bureaucratie, technocratie, ne restait à venir que l’automatisme. Le voilà qui vient. La personne disparaît au profit de la donnée, le gouvernement au profit de la gouvernance, le pouvoir de décider à l’abandon aux machines. Ce vieux mythe de la société autorégulée, harmonieuse, cette République de Platon ou ce Phalanstère de Fourier, renaissent avec l’idéologie transhumaniste, transdémocratique. Le destin historique du marxisme rejoint la main invisible du libéralisme pour enfumer le peuple par un opium puissant : celui du tout-calculable par la puissance informatique, du tout-prévisible par les algorithmes du Big data, du non-travail grâce aux machines, robots et autres applications numériques. Et les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) – tous américains… – de se réjouir du monde qui vient, tout entier voué au divertissement, au temps de cerveau disponible, au paraître, à la futilité – et à l’International Business Machine.

Big Brother is watching you !

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Droite et gauche du même capitalisme

Comme le yin et le yang, droite et gauche sont intégrées dans le même système économique et social. La droite a en son sein un peu de gauche par la voix des libéraux, la gauche a de même en son sein un peu de droite par la voix des sociaux-démocrates. Mais la vielle droite traditionnelle n’existe plus, pas plus que la gauche de papa. De Gaulle avait déjà renouvelé la droite, Mitterrand a enterré la gauche. Depuis, la société a muté et les clivages droite-gauche subsistent, mais liés dans le même système.

Le monde s’est globalisé, la communication développée, et chacun voit bien que le seul système qui fonctionne est capitaliste. Exit la prétention scientiste d’ordonner la société d’en haut, de planifier l’existence de la naissance à la mort, de gérer l’économie par le fonctionnariat. Même l’extrême-gauche ne réclame plus le totalitarisme d’Etat à la Lénine ; pas plus que l’extrême-droite le fascisme organique. Tous deux se contentent de brailler plus fort pour se poser en justiciers de la morale – sans surtout vouloir un jour gouverner. Marine Le Pen serait bien embêtée si elle devait être élue en mai.

L’initiative privée des libéraux rejoint la créativité de chacun pour les socialistes, la vertu du libre-échange rencontre l’universalisme multiculturel. Droite ou gauche, les valeurs vont à l’individu. Cette révolution culturelle, émergée après 1968, est l’aboutissement du processus des Lumières via l’égalité chrétienne devant Dieu, la raison ou le bon sens en chose du monde la mieux partagée, et du processus démocratique vers l’égalisation des citoyens décrit par Tocqueville. Ce pourquoi l’antiracisme a engendré le mouvement des sans-frontières et des droits « pour tous », redonnant à la gauche un rôle. Ce pourquoi les industries du divertissement et des réseaux ont encouragé le narcissisme de masse, chacun se mirant au miroir de l’autre, changeant le rôle de la droite. Et les deux sont liés, droite et gauche, la « progression » des droits dépendant étroitement des performances de l’économie de marché…

Bien sûr, subsistent des différences. La droite préfère partir de l’individu pour aller vers la société, l’Etat se présentant alors comme régulateur et protecteur ; la gauche préfère aller de la société à l’individu, l’Etat octroyant toujours plus de nouveaux droits.

Sauf que la migration de masse qui débute à peine et le terrorisme en épiphénomène intérieur, changent les choses. La société devrait une fois de plus muter, suscitant une nouvelle droite et une nouvelle gauche bien différentes de celles d’aujourd’hui. La planification d’en haut retrouve un sens via la régulation des flux, le contrôle des frontières, la sécurité, la défense des industries. L’initiative d’en bas ne doit pas être découragée par le prurit réglementaire et l’assommoir fiscal.

Comme toujours, tout commence dans l’excès, car pour se faire entendre dans le piaillement de volière des réseaux et autres forums de l’Opinion, il faut forcer le trait.

La droite nouvelle se veut extrême – mais plus elle approche du pouvoir effectif, plus elle se nuance. Regardez Donald Trump à une semaine d’intervalle : imprécateur éructant en meeting, rationnel posé devant le Congrès. Regardez Theresa May : Brexit means Brexit, mais prenons le temps d’examiner rationnellement les choses et de négocier serré. La France manque d’intellectuels à droite pour penser la nouveauté migratoire et la nouvelle société, mais le tropisme conservateur du peuple confronté à la peur d’un brutal changement offre un boulevard pour les politiciens prêts à se saisir concrètement du problème.

La gauche nouvelle reste à naître, car ce n’est pas avec les vieux ronchons comme Mélenchon que l’on fait surgir du neuf, malgré l’hologramme et autres paillettes technologiques. Benoit Hamon est lui-même un vieux de la vieille, trop professionnel de la politique pour être innovateur ; il tente l’impossible « synthèse » de l’éternel socialisme entre utopies qui font rêver et réalités qui s’imposent au pouvoir. Comme le pouvoir s’éloigne, priorité à l’utopie – il sera temps ensuite de doucher les trop crédules, comme Mitterrand en 1983 et Hollande en 2013. Reste que la gauche des ex-frondeurs comme celle des radicaux n’a rien à dire sur la migration de masse, sur le terrorisme religieux, rien à opposer aux angoisses populaires. Elle apparaît, malgré ses oripeaux « révolutionnaires », en retard d’une époque.

Je ne sais pas qui va l’emporter in fine, après les récentes élections aux Pays-Bas, d’ici l’été en France et à l’automne en Allemagne. Nous pourrions fort bien voir la pression de l’extrême-droite batave, du Front national français et la chute d’Angela Merkel. Ce pourquoi Theresa May ne se hâte que lentement : l’Europe risque de changer drastiquement en 2017. Mais la mutation sociale se poursuit, quels que soient les aléas politiques, écume de la vague de fond. Globalisation, numérisation et migration vont changer la donne de l’individualisme hédoniste développé depuis 1968 en Occident. Peut-être le nouveau modèle se trouve-t-il en Chine ou en Inde aujourd’hui ? Ou quelque part dans le renouvellement de notre passé d’Ancien régime ? Que l’on en pense du bien ou du mal, il faudra avant tout l’analyser pour le comprendre.

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Qu’est-ce que la post-vérité ?

Il y a la vérité et il y a le mensonge ; il y a aussi la vérité « relative », qui dépend du point de vue d’où l’on se place. Il n’y a pas de « post » vérité, qui signifierait un dépassement (dialectique ?) de la vérité en soi. Le terme utilisé est donc un raccourci : nous nous trouvons dans une ère de « post » vérité parce que « la » vérité ne fait plus recette pour la majorité de nos contemporains.

A cela quatre raisons :

  1. La vérité est indifférence : tout est relatif ! Ne nous a-t-on pas assez serinés depuis deux générations ce slogan tiré de la théorie d’Einstein ? Puisque toute vérité dépend du point de vue, choisissons notre point de vue et ce sera notre vérité. Pas « la » vérité en soi mais celle de notre œil, de notre cœur, de notre raison. Nous appellerons cette vérité un mythe et le croire sera le socle qui nous fera agir. La vérité « scientifique » elle-même – qui devrait rester pure, a été mise à mal par le socialisme « scientifique » de Marx et Engels (qui n’était qu’une croyance philosophique) et par les multiples fraudes de chercheurs qui cherchaient surtout la notoriété, et moins à trouver qu’à prouver.
  2. Le réel est indifférent, trop « raisonnable », trop contraignant. Il est souffrance, mieux vaut l’illusion. L’intrusion des philosophies orientales, et la mode New Age qui va avec, conduit dans nos sociétés matérielles confortables, à « préférer » les illusions apportées par les croyances – dont les religions -, par le groupe fusionnel, les drogues, l’alcool. Puisque la société ne nous force pas à nous colleter au réel grâce à ses filets de sécurité sociale, santé, chômage, retraite, vivons dans le rêve ou la foi, nous aurons toujours à bouffer. Le revenu universel du dieu Hamon rencontre ici toute sa place, comme le message daechiste des vierges futures (rien que pour les mecs, aucune brochette d’éphèbes prêts à servir n’est prévue au paradis d’Allah pour les méprisables femelles). L’indifférence au réel se manifeste par le dédain de la raison et l’inclination vers la passion : celle-ci emporte, la volonté supplante le raisonnable, il suffit de dire « je veux » pour que toutes les planètes se mettent à tourner autour du même soleil impérieux, la foi vous sauvera. Le volontarisme furieux des Le Pen et des islamistes rencontre ici son public.
  3. Le temps est indifférent, seul compte présentement le présent. Les gadgets électroniques remplacent la pensée par « l’information » continue, le lien par « le réseau », la sensation par « le choc » répété. Un clou chasse l’autre – d’où la meilleure défense qui est l’attaque, et plus c’est gros, plus ça passe, ces deux piliers fondamentaux de toute propagande. Donald Trump, amuseur de téléréalité, a piqué ses procédés de show aux télévangélistes, même s’il imite sans le savoir Hitler. En France, le Front national est expert mais tire ces techniques du Dr Goebbels – que l’on étudiait jadis à Science Po. François Fillon est trop naïf pour user de ces méthodes pas très catholiques, ce qui le dessert.
  4. Le pouvoir de l’élite est indifférent, ce qu’elle dit n’est que du performatif, les actes suivent trop rarement les mots pour qu’on les croie encore. Il y a eu trop de « mensonges d’Etat » depuis l’origine de la république pour que cette répétition des mêmes erreurs ait ancré dans la tête du citoyen qu’il ne faut jamais faire confiance au pouvoir. Rappelons-nous l’affaire Dreyfus, le scandale de Panama, Pétain comme « bouclier », l’attentat de l’Observatoire, le « je vous ai compris » sur l’Algérie, les dénis successifs sur les méfaits du nucléaire (le nuage de Tchernobyl arrêté à la frontière…), le Rainbow Warrior – et aux Etats-Unis entre autres le Watergate et les armes de destruction massives en Irak… Sans parler des impostures intellectuelles à la Maurras, Sartre ou Althusser. La « vérité » officielle est une communication qui disqualifie les politiciens, les intellos, les « sachant » (qui n’en savent pas plus que vous quand on y pense). Critiquer, contester, élaborer une communication « alternative » apparaît comme un devoir civique – au risque de sombrer (trop souvent) dans la théorie du Complot.

Au fond, seuls les vrais chercheurs scientifiques sont forcés de croire encore en « la » vérité. Les autres n’adhèrent qu’aux vérités partielles, relatives, « utiles ». La fameuse transparence démocratique dont les intellos civiques nous bassinent les oreilles n’apparaît que comme une arme de communication pour le combat politique. Ce sont les fameuses « affaires », qui surgissent curieusement aux moments où un intérêt électoral ou le vote d’une loi est en jeu. Ce n’est pas la vérité qui pousse ces « lanceurs d’alerte », mais le militantisme partisan – loin, très loin de l’intérêt général.

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La vérité est exigée nue, par volonté de naturel

Nietzsche est peut-être le seul philosophe qui se soit interrogé sur les présupposés du concept de « vérité ». Pourquoi croire à cette dualité du vrai et du faux ? N’y a-t-il rien de gris, d’intermédiaire, de yin dans le yang et réciproquement ? Pourquoi cette croyance fanatique en les bienfaits de la vérité et cette horreur du faux ? Est-ce bien la réalité humaine constatée ? Si l’erreur est humaine, ne serait-ce pas parce qu’elle a une certaine utilité, au moins pratique ? Ne sert-elle pas à mieux vivre ?

La vérité est alors une valeur, pas une essence objective. La volonté de vérité est une volonté comme une autre – même si elle caractérise notre civilisation occidentale plus qu’une autre dans l’histoire. « La question des valeurs est plus fondamentale que la question de la certitude » (Fragments posthumes XII, 7). La prétendue vérité se réduit alors à la position relative, humaine, de certaines erreurs devenues conditions d’existence. Une erreur ancienne apparaît plus vraie qu’une vérité trop récente, que l’on ne croit pas encore tout à fait. Même la science n’établit de vérités que réfutables, « falsifiables » selon Karl Popper. Ce qui est vrai à un moment donné ne l’est plus que partiellement à un moment ultérieur. Parce que la connaissance avance, la puissance de calcul, l’exploration de l’univers, l’approfondissement de ses lois mathématiques.

Puisque la vérité est une valeur, elle est en concurrence avec d’autres valeurs qui peuvent apparaître un moment comme plus importantes : « La question est de savoir jusqu’à quel point [un jugement] favorise la vie, conserve la vie, conserve l’espèce », suppute Nietzsche (Par-delà le bien et le mal, 4). La vérité cherche à établir la certitude, sans laquelle il ne peut y avoir de sécurité pour les humains. Le connu inspire confiance, donc « est vraie une chose qui suscite un sentiment de sécurité » (Fragments posthumes, XII, 7).

D’où les Trump et autre Le Pen ou Mélenchon : affirmatifs, pirouettant, aptes à retomber toujours sur leurs pattes. Ce n’est pas la vérité qui compte, mais leur habileté. Ils disent ce que « tout le monde » croit, changent d’avis aussi vite lorsque la réalité les rattrape, baignent dans la com’ le public comme des amuseurs de foire. Mais la politique n’est-elle pas une grande foire, un Beauty contest où il s’agit de choisir le plus séduisant ?

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Gide et la post-vérité

Le président Donald Trump, aussi éléphantesque dans le magasin de porcelaine démocratique que l’appendice dont il porte le nom, n’a rien inventé. La post-vérité est le nom contemporain du mensonge déconcertant. Staline en était passé maître, élevé au cynisme de Lénine (qui était certain d’avoir ‘scientifiquement’ raison) et à la propagande de Goebbels (qu’il admirait fort). André Gide le rappelle dans son Journal.

Il l’a seriné contre le moralement correct bourgeois de son temps, jusqu’à ce que Freud montre que « le sexe » pouvait faire l’objet d’une réflexion, d’un discours et d’un savoir – pas seulement d’une réaction offusquée ni du déni le plus honteux.

Il l’a affirmé contre la pression catholique, « scandalisée » évidemment – moins d’ailleurs par ses mœurs que par son esprit de libre-examen. Cette propension protestante ne pouvait être qu’hérésie pour un catho, sentir le souffre et montrer la griffe du diable.

Il l’a réitéré à propos de l’URSS dont il avait vu les débuts avec bienveillance et même optimisme, et qui l’a déçu rapidement dès qu’il a pu en mesurer sur place les limites orwelliennes : « Toute pensée non conforme devient suspecte et est aussitôt dénoncée. La terreur règne ou, du moins, s’efforce de régner. Il n’est plus de vérité qu’opportune ; c’est-à-dire que le mensonge opportun fait prime et triomphe partout où il peut. Les ‘bien-pensants’ seuls auront droit à l’expression de leur pensée. Quant aux autres, qu’ils se taisent, ou sinon… » 15 janvier 1945, p.1009.

Sinon, c’est le goulag pour les sans-grades, le procès public où les « aveux » sont extorqués par torture, torture des proches, ou carrément inventés. La lutte antinazie oblige à composer avec le stalinisme soviétique, « mais demain, c’est contre ce nouveau conformisme qu’il importera de lutter » p.1010.

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Contre tous les conformismes. Qu’ils soient raciaux, nationaux, sociaux, familiaux ou amicaux. Certes, nul ne pense tout seul, nul n’a raison sans raison – mais les bêtes humaines sont moins intelligentes qu’elles le croient. Le mimétisme, la pensée unique, l’influence du groupe, les mots d’ordre de foule, tout cela inhibe la raison au profit de la horde. Gide affirme donc avec raison : « Ce n’est que lorsqu’elle diffère des autres qu’il m’importe d’exprimer mon opinion, et qu’il m’apparaît que celle-ci mérite d’être dite, vraie ou fausse » 18 janvier 1945, p.1012.

Chacun peut y réfléchir, opposer des arguments, en bref débattre. Ce qui est le propre de la politique comme de l’expression démocratique. Sans débat, sans opinions contradictoires, sans liberté de penser, d’exprimer et de croire – pas de démocratie possible. C’est ce que Lénine, Staline et leurs épigones Mao, Castro, Pol Pot, Kim Jong-Il, Daech ont montré par expérience in vivo. C’est ce que Poutine, Erdogan, Maduro, Duterte, Trump assument aujourd’hui sous l’apparence démocratique – et l’islam salafiste sous l’apparence religieuse. En attendant tous les autres, qui piaffent à la porte : Le Pen ou Mélenchon en France notamment, mais aussi les idiots utiles à toutes les pensées totalitaires.

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Pour tous ces gens, seul compte la force. Le droit légitime est celui du plus fort. La loi, celle de la jungle. L’histoire n’est faite que par les vainqueurs. Celui qui se veut roi peut se pavaner nu, aucun courtisan ne le verra, sous peine d’avoir la tête tranchée. Seul l’enfant dit que le roi est nu. Andersen ne dit pas ce qu’il advint de l’enfant. Nous, nous le devinons.

André Gide, Journal II, 1926-1950, édition Martine Sagaert, Gallimard Pléiade 1997, 1649 pages (1106 pages sans les notes), €76.50

André Gide, Journal – une anthologie 1889-1949 (morceaux choisis), Folio 2012, 464 pages, €9.30

Le site André Gide en anglais http://www.andregide.org/

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Primaire à droite : mission accomplie

La sortie de Nicolas Sarkozy ouvre à droite le débat sur les projets. Pour que l’ouverture puisse avoir lieu aussi à gauche, il faut que François Hollande abandonne l’idée de se représenter.

1 . Nicolas Sarkozy n’a pas été retenu pour le second tour des primaires.

Comme Cécile Duflot chez les Verts – et probablement François Hollande s’il s’obstine à se représenter : les électeurs les ont assez vus. La droite n’est pas la seule à vouloir essayer des personnalités nouvelles, la France non plus, ni l’Europe (voyez le Brexit), ni même les Etats-Unis avec Donald Trump. « Sortez les sortants » reste le slogan, peut-être primaire, mais efficace (voyez Copé à 0.3% !). Et plus de 4 millions de votants montrent combien les citoyens ont envie de ne plus se laisser faire par les appareils. L’erreur du Parti socialiste est d’avoir laissé Macron en-dehors, par sectarisme de « vieille gauche ».

Paradoxalement, c’est peut-être la victoire inattendue de Trump qui a éliminé Nicolas Sarkozy.

Une incertitude nationale n’allait pas se superposer à une incertitude internationale. Les citoyens – même de droite – en ont marre d’être pris pour des cons par des émules de Mitterrand-Chirac pour qui « les promesses n’engagent que ceux qui les croient ». Tenter un personnage droit dans ses bottes, non pris dans les affaires (à ce stade), qui affiche clairement ce qu’il est (conservateur moral et libéral économique), qui reconnaît l’épaisseur historique chrétienne de la France (contre les intégristes laïcards et islamistes), qui voit la Russie dans l’Europe et prend ses distances avec des Etats-Unis de plus en plus tentés par leur propre intérêt – voilà qui a peut-être fait voter François Fillon dans la toute dernière semaine.

Alain Juppé a pâti de son caractère « attrape-tout », synthèse vague de la droite dure au centre mou – mais surtout de son manque d’envie d’y aller. Trait de caractère froid et trop cérébral qui le dessert, tout comme l’indécision chronique dessert François Hollande. Pareil pour sa propension à la synthèse qui ne définit aucune voie directe. Les électeurs veulent pouvoir choisir entre des projets nets.

A ce stade, la mission est accomplie : éliminer sans conteste l’hypothèque Sarkozy.

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2 . Pour la suite, que ce soit Fillon ou Juppé, le jeu restera suffisamment ouvert à droite pour qu’un choix positif puisse se faire, sur les personnalités comme sur les grandes lignes des programmes.

Le détail importe peu, et c’est l’erreur des médias (notamment de la presse écrite) de vouloir du grain à moudre pour contester les chiffres, traquer l’idéologie sous-jacente et commenter en moraliste. Les électeurs s’en foutent ! Régionales, Brexit, Trump : n’a-t-on pas encore assez expérimenté la façon nouvelle qu’ont les votants à privilégier la personne au catalogue ? la volonté affichée au détail ? l’élan au moralisme ? le projet global au programme détaillé ?

En France, c’est pourtant simple : dans la devise de la République (que tous valident), la liberté est première à droite, l’égalité à gauche et la fraternité au centre. Seuls les extrêmes coiffent le tout d’un étatisme para-fasciste ou para-communiste.

La fraternité a été mise à mal à la fois par les mesures ayant conduit à la Manif pour tous et par le terrorisme à base islamique qui montre que l’intégration est en panne et l’immigration heureuse une chimère. Exit le centre.

L’égalité reste revendiquée, mais en second, tant elle a manifestement échoué sous tous les gouvernements de gauche au pouvoir à éradiquer (comme dans les pays voisins) le chômage et à redresser les finances publiques trop sollicitées par une inflation de « droits » sans contrepartie. Exit la gauche.

L’idée à droite – par-delà les « programmes » – est que seule la liberté pourra permettre l’initiative, l’entreprise, l’emploi, l’association, la générosité… Donc permettre d’assurer une meilleure égalité (contre le chômage, pour les droits, pour accueillir les réfugiés de guerre) – et une fraternité plus naturelle, car débarrassée des jalousies du « pourquoi lui et pas moi ? ». Depuis le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, cela n’avait pas été tenté. François Fillon le propose, pourquoi pas ? Les électeurs préfèrent-ils la continuation de l’immobilisme Hollande dans les cinq ans à venir, face à un Trump égoïste, à un Poutine sans scrupules et à des salafistes qui vont revendiquer toujours plus de « droits » d’exception ?

3 . Pour que le premier tour des présidentielles 2017 se fasse sur l’avenir plutôt que sur le passé, il est nécessaire que François Hollande quitte lui aussi la scène.

Qu’il laisse la place soit à un dauphin choisi par lui, soit au bal des prétendants sélectionnés par les primaires.

Une fois ce double rejet Sarkozy-Hollande assuré, tout est possible – un président de droite comme un président de gauche. Encore une fois, il s’agit de tactique, pas de stratégie. Il fallait dégager le terrain pour édifier ensuite un avenir.

Qui aura voté Juppé ou Fillon aux primaires de droite pourra très bien voter Valls ou Macron au premier tour 2017.

Mais il n’est pas sûr qu’un duel Hollande-Fillon laisse gagner le représentant usé d’un Parti socialiste à bout de souffle – même face aux réformes libérales dures annoncées par le champion de la droite. Un duel Macron-Fillon, en revanche, permettrait un vrai débat moderne… et un résultat qui ne peut être prédit d’avance.

Le président sortant reste, pour la caste technocratique qui a peur de perdre ses prébendes pour les prochains 5 à 10 ans, le candidat « normal » du Parti socialiste.

L’appareil n’a personne d’autre pour survivre, puisque François Hollande symbolise une synthèse qui maintient encore ensemble des socialistes qui n’ont plus grand-chose à voir entre eux : Martine Aubry, Manuel Valls, Arnaud Montebourg ou Emmanuel Macron sont incompatibles au fond. Ce non-choix pour un candidat naturel rassembleur permet de poursuivre la fiction du social-libéralisme déguisé en social-démocratie. François Hollande serait également le bouc émissaire idéal en cas de défaite : « Cépamoi célui » !

Rendez-vous dans quelques jours, lorsque le président dira s’il se représente ou pas. Mon avis est que non ; mais le poids de l’appareil est tel qu’il se « résignera » peut-être. A son probable détriment.

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Trump va-t-il tromper son monde ?

Emmanuel Todd, démographe et sociologue, interrogé par Atlantico, livre une analyse toute en hauteur de l’élection « surprise » de Donald Trump aux présidentielles américaines. Pour l’avoir lu, écouté et rencontré, je sais Emmanuel fils rebelle d’un père trop connu, qui aime polémiquer juste pour exister. Une sorte d’adolescent attardé avec ses deux versants : le premier, agaçant, de perpétuel trublion souvent injuste et partial (son « islamo-gauchisme » militant, sa critique puérile de l’euro, ses raccourcis sur « l’ultra »-libéralisme) ; et le second, intuitif, des idées qui jaillissent. Lorsqu’il étaie ses intuitions par des analyses, il peut être brillant. C’est ce qu’il fait sur l’élection trompeuse du candidat des Eléphants.

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Son idée est qu’il faut « chercher les déterminants de la vie politique et idéologique au-delà de l’économie : dans les structures familiales, les valeurs religieuses, les stratifications éducatives ». Il a donc considéré que le néolibéralisme affiché depuis Reagan correspondait à l’infrastructure humaine en familles nucléaires des Etats-Unis et à la prégnance des sectes protestantes pour qui chacun fait son salut tout seul. D’où l’hyperindividualisme (rebelle, pionnier, gagneur, sans pitié), donc l’acceptation  des inégalités sociales et la baisse du revenu médian (pas moyen !) des ménages. Or cela fait maintenant une génération que ces revenus baissent. Engendrant une conséquence : « la mortalité des Américains blancs de 45 à 54 ans entre 1999 et 2013 (…) a un peu baissé pour les Blancs qui avaient fait des études supérieures complètes, elle a stagné pour ceux qui avaient fait des études supérieures incomplètes, elle a augmenté en-dessous de ce seuil, entraînant l’élévation du taux global. Nous en sommes au point où le groupe majoritaire, les Blancs, représentant 72% du corps électoral, est tellement en souffrance que sa mortalité augmente. Les causes de cette augmentation ne sont pas « naturelles » : il s’agit de suicides, d’alcool, de drogue, d’empoisonnements médicamenteux ». L’infrastructure commandant la superstructure, selon la théorie de Karl Marx, l’idéologie (qui est la justification des intérêts matériels) devait changer. Donald Trump (en compagnie de Bernie Sanders qui a échoué chez les démocrates) en est le vecteur.

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La mondialisation a rendu moins sûre la vie des gens moyens. Perte d’emplois industriels par délocalisation, perte de savoir-faire par coûts du travail plus bas des pays émergents, dévalorisation des études par la restriction des postes bien rémunérés aux chercheurs, inventeurs et entrepreneurs audacieux, immigration sauvage encouragée par les patrons, dérégulation sociale et recul de l’Etat-providence – tout cela a fondé le vote Trump (et fonde le vote pour le Brexit comme les sentiments anti-UE et anti-technocrates des électeurs européens et français).

Tout sauf Clinton était le mantra – et foin de la vulgarité, du sexisme, de l’isolationnisme, de la xénophobie du candidat. On ne croit pas ce qu’il « dit », on approuve son « caractère », sa façon de renverser la table et de ne pas causer politiquement correct.

Face aux Poutine, Xi Jinping, Erdogan, Hassan Roani, Duarte, la nécessité d’un président fort, voire gueulard, s’exprime. Les institutions internationales lient trop les Etats-Unis, ils veulent reprendre leur liberté « hyperindividualiste » pour conforter d’abord les citoyens américains – donc foin de l’OTAN, de l’ONU, de la CPI, du FMI et ainsi de suite. Tout cela n’est qu’une idée, une ambiance générale, qui ne se traduira pas concrètement par un retrait, ni par la réalisation des déclarations à l’emporte-pièce du candidat Trump.

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Mais cela vise à remettre les intérêts en premier : ceux des citoyens (qui espèrent) mais surtout ceux des industriels, lobby financier, pétrolier et de l’armement compris (qui comptent les sous et savent compter en politique). Ce sont ces « intérêts » économiques qui vont constituer l’infrastructure de la prochaine politique américaine à l’international (on le voit, paradoxalement, sur le climat), pas les slogans de campagne.

« L’idée d’intervention de l’Etat redevient populaire. C’est ça la véritable toile de fond de l’élection de Trump. C’est aussi pour cela qu’il a pu mettre l’intérêt économique réel des gens – le protectionnisme, le retour à la nation – au cœur de l’élection, plutôt que la passion religieuse ou raciale », analyse Todd.

Avis aux primaires de la droite et du centre comme aux primaires de la gauche. Les technocrates trop primaires doivent laisser la place aux intuitifs qui voient où est la fracture : dans l’abandon social – pas dans les passions religieuses ou raciales.

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Invasion Los Angeles – They live

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Un ouvrier blond (Roddy Piper) nommé John Nada et à la carrure de lutteur sympathise avec un gros musclé noir nommé Frank Armitage (Keith David) sur un chantier provisoire de Los Angeles. Ce dernier, bienveillant aux éprouvés de la vie, l’invite à venir loger dans son bidonville, sis près d’un temple où un pasteur aveugle prêche l’Apocalypse. Nada veut dire Rien en espagnol, signe que la brute est un brin anarchiste, battu par son papa et enfui de la maison vers dix ans. Il s’est fait tout seul, comme le veut le mythe américain, et se vêt de jean Levis et d’une grosse chemise à carreaux.

Nada remarque des choses étranges, la télévision semble brouillée par des hackeurs qui diffusent des mises en garde, un hélicoptère tourne en recherchant quelque chose, le pasteur trop bavard est entraîné à l’intérieur du temple malgré ses protestations. Dans l’édifice religieux, des chants s’élèvent, mais Nada le trop curieux découvre qu’il s’agit d’enregistrements. L’activité principale semble être un laboratoire qui élabore d’étranges lunettes noires. La police intervient en force et embarque tout le monde, rasant le bidonville au bulldozer. Nada et Frank en réchappent et le premier n’a de cesse de revenir chercher l’un des cartons dissimulés qu’il a vus. Il est rempli de ces lunettes banales…

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Il en prend une paire et cache les autres, dubitatif. Mais en se promenant en ville, quelle n’est pas sa surprise de constater que ces lunettes très spéciales lui permettent de lire les messages cachés sur les affiches, et de voir les vrais visages de ceux qu’il croise dans la rue. Certains sont humains, comme lui, d’autres ont des crânes en plastique et un rictus de squelette, les yeux exorbités comme des robots. Ce sont « des extraterrestres », sans que cette affirmation ne soit jamais expliquée.

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Nada cherche à convaincre Armitage de chausser lui aussi une paire de ces fameuses lunettes pour voir la réalité en face et résister avec lui. Mais le Noir refuse, obstinément persuadé de ne jamais faire de vagues pour pouvoir s’en sortir. C’est l’attitude de nombre d’Américains en ces années de remise en cause de l’Etat-providence. Le fait que porter longtemps ces lunettes donne mal au crâne montre qu’il est douloureux de renoncer à ses illusions sur le monde et sur les autres.

Nous sommes tout juste 20 ans après 1968 et l’ère Reagan dure aux modestes pas très doués va s’achever avec l’élection de George Bush senior. La baisse des impôts a profité aux entreprises et aux riches tandis que l’aide médicale et l’aide aux chômeurs a été abaissée. Le chômage n’est alors que de 5.3% et le déficit fédéral de 2.9%, ce qui fait rêver nos édiles 2016, mais – par contraste avec l’époque glorieuse précédente – touche négativement des millions d’Américains. Cependant, Nada croit en son pays, il veut s’en sortir tout seul. Le peut-il ?

C’est là qu’intervient la parabole du film, tirée de la nouvelle Les Fascinateurs (Eight O’Clock in the Morning) de Ray Faraday Nelson. Le rêve de l’Amérique ne peut plus s’opérer parce que les « extraterrestres » tiennent le pouvoir par les médias, les affaires, la consommation et la suggestion. Transformer la caste des riches en extraterrestres est une façon de les exclure de la patrie américaine, tant vantée durant l’ère Ronald Reagan ; c’est en faire des prédateurs égoïstes, non patriotes, et qu’on peut flinguer à merci (Nada ne s’en prive pas).

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Ouvrez les yeux ! Tel est le message, pas subliminal du tout, de ce film réalisé avant l’ère Internet. Le prêcheur aveugle est évidemment celui qui sait, en liaison directe avec Dieu via les textes sacrés, et celui qui voit, puisque ses yeux sont déconnectés des signes affichés partout. On vous cache des choses mais il ne tient qu’à vous d’observer et de vouloir – sans suivre la presse ou la publicité comme des moutons.

Mais rien de socialiste dans cette opposition au capitalisme : John Nada est un « poor lonesome cow-boy », un justicier solitaire. Il doit se bagarrer virilement et lourdement (bien loin de Rambo l’efficace…) avec Frank pour le convaincre d’au moins essayer de voir avec les lunettes. Il se laisse embobiner par une garce trop chic aux yeux de glace (Meg Foster) qui est infiltrée chez les résistants. Rien de communautaire dans leur lutte, au contraire des extraterrestres toujours en bande organisée un peu comme le Parti communiste dans cette URSS qui allait s’effondrer trois ans plus tard. La révolution populaire n’est pas dans le tempérament américain, mais l’héroïsme si : Nada et Frank sulfatent à tout va les aliens qui grouillent dans les égouts sous la surface des rues, véritable monde parallèle où les affaires se font, comme la communication.

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Nous sommes en plein mythe américain où la Bible d’une main et le Colt de l’autre, le Bon éradique les Méchants sur une musique de cow-boy. Les Méchants sont ici ceux qui tissent leur toile de domination sur les entreprises, les médias et la politique. Un complot contre la liberté par des « plus égaux que les autres », mais venu « d’ailleurs » – puisque l’ailleurs est tout ce qui n’est pas pleinement américain…

Donald Trump, avec son curieux prénom de canard Disney et son nom d’éléphant du parti Républicain, reprend ce mythe des « étrangers » qui dominent, et en appelle à la revanche des « vrais Américains ». Comme quoi la science-fiction peut prédire l’avenir : il aura fallu attendre une génération.

DVD Invasion Los Angeles (They live), film de John Carpenter, 1988, avec Roddy Piper, Keith David et Meg Foster, Studiocanal 2015, blu-ray, €14.95

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Poutine le modèle souverainiste

Dans le bal des populismes, Poutine n’est pas le dernier. Issu du système soviétique dans sa frange à la fois la plus disciplinée et la plus avancée (le KGB), Vladimir est un patriote. Il est russe et aime la Russie. Mais il est un pragmatique : qu’est-ce qui peut fonctionner pour conforter la mère patrie et lui rendre sa grandeur perdue en 1991 à la chute du socialisme réalisé ?

L’atout et la faiblesse de la Russie est son immensité. A cheval sur l’Europe et l’Asie, bourrée de matières premières mais surtout sous les glaces sibériennes, peuplée à l’ouest de l’Oural et presque vide à l’est face aux masses chinoises, la Russie est une mosaïque ethnique d’environ 120 nationalités. Il y a même des musulmans, 15% de la population, même s’ils sont russes pour certains depuis le XVIe siècle. Elle est donc forte et fragile ; pour durer, il lui faut une main de fer, croit Poutine (et le peuple avec lui).

Que faire donc pour assurer un destin viable à cette masse au XXIe siècle ? D’abord recentraliser, ensuite inféoder, enfin affirmer une idéologie claire, nette et patriote : souverainisme, nationalisme, populisme. C’est à cette trilogie que Vladimir Poutine va s’atteler.

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Pour conquérir le pouvoir, rien de mieux que quelques attentats spectaculaires en 1999 (dont il ne semble pas innocent) ; l’homme fort attendu, qui jure de « buter les terroristes jusque dans les chiottes » (les Tchétchènes), survient comme auréolé d’un pouvoir que chacun est prêt à lui confier. La servitude volontaire des citoyens est un soulagement après l’anarchie intellectuelle, économique et politique des années Eltsine. S’il combat officiellement la corruption, il la tolère pour lui-même et son clan car elle est au service de la patrie – et dès lors tous les moyens sont bons. Le pouvoir, c’est d’abord le pouvoir central, l’affirmation du souverainisme en un seul chef.

Pour redonner du sens à la Russie, rien de mieux que de rejouer au grand frère slavophile, le pays fort qui menace et protège le glacis de pays satellites comme au temps de la guerre froide. D’où les escarmouches en Géorgie et en Abkhazie, d’où le coup de sang lorsque « la rue » a renversé l’inféodé ukrainien. Le nationalisme ne se porte jamais mieux que sous le communisme, Poutine l’a appris de Staline en 1941 et l’a vérifié sous les successeurs de Mao lorsque « la rue » est mobilisée contre le Japon ou les Etats-Unis. Pour cela, tous les moyens sont bons : rétorsions économiques, attentats, chantage, bombardements, invasion… Evidemment « au nom de la paix ». Bien qu’européen, Poutine s’est senti blessé par l’indifférence de l’Europe pour un système jusqu’à l’Oural et par le rejet des Etats-Unis après les attentats de 2001 ; il n’a de cesse que de réaffirmer qu’il existe. Laissé hors d’Europe, il réinvente l’Eurasie, bien que la Chine ne soit pas très demandeuse.

Pour conforter les masses, rien de mieux que de leur donner du pain (c’est le volet économique, pas très réussi) et des jeux (inféoder les médias et terroriser les indépendants), mais surtout rien de mieux que d’affirmer une idéologie (leçon kaguébiste bien retenue). L’idéologie, c’est le populisme, le conservatisme grand-russe : il est composé à la fois de morale familiale populaire, de religion chrétienne orthodoxe et du bouc émissaire facile de l’Occident décadent (blablateur, pédéraste, empêtré dans les règles de droit, putassier, égoïste, avide, soi-disant individualiste et laissant pour compte un nombre de plus en plus élevés d’exclus) – d’autant plus que Poutine parle et comprend très mal l’anglais. Il se vante de ses grands-parents paysans au nord de Moscou depuis le XVIIe siècle et de ses parents ouvriers qui ont résisté au siège de Leningrad durant 900 jours contre les nazis. Il s’est marié mais n’a que deux filles (gageons qu’il aurait préféré, comme Le Pen, au moins un garçon), et il divorce en 2013 (ce qui n’est pas très « moral » dans la tradition mais fait « moderne »).

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Vladimir Poutine n’est pas un théoricien, il se moque de suivre Leibnitz ou Hegel, il laisse ça aux intellos qui l’entourent. Ce qu’il veut, c’est que ça marche, et rien de tel que de jouer les Rambo ou de montrer les muscles façon Schwarzenegger, pour menacer et protéger à la fois. Poutine se met volontiers en scène torse nu, chassant l’ours ou enfant sur les genoux de sa mère (Wikipédia) et se targue d’être 8ème dan de judo au 10 octobre 2012, commencé à 11 ans. Le souverainisme est d’être maître chez soi ; le nationalisme d’exalter sa patrie, son ethnie et sa culture ; le populisme de suivre les inclinations primaires du peuple en ayant l’air d’être leur chef. Avec cela, vous durez : deux mandats présidentiel, un comme premier ministre, et deux nouveaux probables mandats présidentiels. Va-t-il battre le record de Brejnev ?

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Voilà donc le portrait d’une brute rusée avec un idéal patriote : de quoi se faire admirer par tous les national-populistes, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon ou Donald Trump. Pas sûr que Nicolas Sarkozy ne soit pas tenté car, comme Poutine, tous les moyens lui paraissent bons pour obtenir ce qu’il veut – y compris la pire démagogie.

Mais la soumission n’est pas réservée aux populistes, rappelons que c’est l’ineffable Jacques Chirac qui a fait  Poutine Grand-Croix de la Légion d’honneur en 2006…

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Géopolitique de l’Europe après Brexit

L’Europe est une unité de civilisation au cap ouest de l’Asie ; la Turquie n’en fait manifestement pas partie, de même que l’autre rive de la Méditerranée ; la Russie aurait vocation à y entrer, mais pas sans remettre en question beaucoup de ses façons de faire. Cette unité de civilisation n’est jusqu’à présent pas une unité politique. Le rêve (naïf et vaniteux) de « République universelle » chanté avec enflure par notre Hugo national s’est brisé sur la réalité : celle du refus anglais, celle de la réticence des pays de l’est, celle de la montée partout du souverainisme. L’Europe n’est aujourd’hui qu’un agrégat de nations de forces inégales où la puissance armée équilibre de moins en moins la puissance économique. Disons-le tout net : Hitler a en partie réussi, l’Europe sans les Anglais est aujourd’hui allemande.

revue le debat 190 mai 2016

Passons sur la nullité passée de Chirac et présente de Hollande : aucun dessein, aucune idée, aucun projet sur l’Europe. Seule compte la survie au jour le jour en fonction de petits intérêts parisiens liés au parti du président ; les rodomontades hollandaises présentées depuis le Brexit sont dans l’urgence, sans rien de préparé de longue date – elles ont peu de chances d’aboutir ; la nomination de pitoyables, exilés à Bruxelles vaut placard de la politique ; la poursuite des idéologies nationales bornées se prolonge à Bruxelles au lieu de s’élever au niveau. L’adoration de la technocratie par les énarques et la confiscation de toute démocratie par les petits partis qui font cuire leur petite soupe à petit feu dans leurs petits coins (selon les mots inénarrables du général de Gaulle), ont rendu l’Union européenne non seulement illisible au citoyen moyen, mais flanquée d’une image de contrainte qui permet aux politiciens lâches de se défausser sur « Bruxelles » de tout ce qu’ils n’osent pas présenter aux électeurs.

Nombreux sont les sceptiques, Européens mais pas comme ça, allergiques aux intrusions sans explication sur l’économie et la finance, aux règlementations maniaques sur des détails de production, mais emplies d’indulgence pour les lobbies chimiques, industriels et de santé – au détriment des gens. Inquiets aussi de la montée des nationalismes dans le monde et refusant de plus en plus viscéralement cette espèce d’intégration sans frontières de tous les pays « ayant vocation » sur les seuls critères du droit, sans aucune considération de culture ni de civilisation. Il existe en ce sens une vraie fracture entre l’Europe de l’est, restée très nationale, et une Europe de l’ouest devenue très multiculturelle. Les premiers refusent de changer de civilisation, les seconds constatent le fait des cultures qui se côtoient sur leurs sols et sont tentés d’en faire une idéologie « de progrès ». Comme si le progrès résidait dans le mélange, l’égalisation, la moyenne.

Ce que viennent de dire les Anglais avec force est : NOUS VOULONS CHOISIR. Ils ne sont pas contre l’immigration (vue comme invasion ethnique et changement des mœurs) mais contre l’afflux de migrants (qui déstabilise le système social et l’Etat-providence). Ils veulent modérer le nombre et prendre en priorité ceux qui peuvent travailler et contribuer au revenu national. Il s’agit donc d’un raisonnement économique plus que d’une passion identitaire, le pragmatisme d’une « nation de boutiquiers » aurait dit Nietzsche. Mais les Anglais ont le mérite de ne pas s’enfumer l’esprit comme les Français par fièvre idéaliste. Leur vote fait partie de ce qu’Hubert Védrine appelle (avant le Brexit) un « retour au réel », dans un entretien à la revue Le Débat, n°190, mai-août 2016.

Les bobos idéalistes de gauche en France croient le monde composé de Bisounours, gentils par essence, unis dans une « communauté internationale » (qui n’existe que dans le discours paresseux des médias français), aspirant aux Droits-de-l’Homme véhiculés par un ONU qui aurait vocation à devenir l’État central du monde et aux méchants punis par une Cour pénale internationale. « Nous vivions sur une tradition intellectuelle qui a sa grandeur, certes, mais qui faisait de nous les responsables de toutes choses, les ordonnateurs du système international, les concepteurs du droit international, les missionnaires de nos fameuses ‘valeurs’. Pour ce courant de pensée, tout ce qui se passait dans le monde nous concernait soit au titre d’un remord, maladie expiatoire issue d’une histoire mal digérée, soit du fait de l’universalité de nos idées ou de notre responsabilité auto-décrétée ! », fulmine Hubert Védrine (lui aussi de gauche, mais pas de la même) dans l’excellent article cité. Attention au retour de bâton encore à venir : malgré sa clownerie vulgaire, Donald Trump trompette à l’envie ce que pense l’Amérique, Obama compris, que seuls les intérêts yankees comptent et que les États-Unis n’ont plus la mission de sauver le monde ni de protéger de leurs dollars des alliés qui ne font pas leur part.

bisounours rose

L’Europe n’est pas l’Europe lorsqu’elle laisse la Grèce à ses démons clientélistes au lieu de l’aider à construire un État viable dont l’administration collecte efficacement des impôts justes ; l’Europe n’est pas l’Europe lorsqu’elle reste à la remorque des États-Unis à propos de la Russie, de la Syrie ou d’Israël, sans affirmations calmes ni conscience de ses intérêts propres ; l’Europe n’est pas l’Europe lorsqu’elle laisse une Merkel sans contrôle négocier seule avec un Erdogan de plus en plus islamo-fasciste des avantages indus et une entrée programmée dont personne ne veut ; l’Europe n’est pas l’Europe quand elle prend des gants avec l’islam pour ne pas « stigmatiser » une religion, alors qu’il s’agit bien d’Allah dans les cris des tueurs, et bien de la religion dans les justifications idéologiques à massacrer les mécréants ; l’Europe n’est pas l’Europe lorsqu’elle laisse faire le laisser-passer des migrants à tout va, sans distinguer le droit d’asile de la migration économique. Sans les Anglais, l’Europe est un peu moins l’Europe, même si l’Écosse et l’Irlande du nord pourront peut-être négocier d’y rester.

Définissons clairement les frontières, distinguons clairement qui a droit ou pas, renvoyons clairement dans leur pays ceux qui n’ont pas droit de venir, négocions clairement avec les pays de départ et les pays passeurs les aides au contrôle et au développement (rétorsions financières à l’appui s’il le faut), établissons clairement un Schengen fédéral volontaire qui fonctionne en instantané (pas sur l’exemple du supporter nationaliste russe revenu aussitôt après expulsion parce qu’un fonctionnaire aux 35h était déjà parti en week-end et avait omis de mettre à jour la base…). Disons aussi ce que l’Europe veut et ne veut pas, avec la Chine, les États-Unis, la Russie, les pays hors Union. Pas besoin de faire les gros yeux, la force de la puissance réelle compte par inertie : un grand marché, de nombreux chercheurs, une industrie mondiale. Sans les Anglais, notre puissance est plus faible, mais elle reste importante.

Mais pour cela… il faudrait que les dirigeants de chaque pays de l’Union cessent de se défausser haut et fort à la Chirac-Hollande sur « Bruxelles » de tout ce qu’ils cautionnent tout bas par leurs votes en Conseil européen « des chefs d’État et de gouvernement » ! L’égoïsme sacré de chaque État existe, la mise en commun de certains pouvoirs bénéfique à tous existe aussi – autant l’expliquer et convaincre. Sans les Anglais, tout sera peut-être plus facile, mais la nullité Hollande fait encore moins le poids face à la légitimité Merkel – surtout si celle-ci perçoit une volonté de coaliser les « pays du sud » contre une Allemagne hégémonique !

attractivite france 2016

Et nous, Français, cessons d’accuser la « force » de l’euro, « l’ordo-libéralisme » allemand, l’égoïsme financier anglais, la xénophobie autrichienne, le traditionalisme chrétien hongrois et ainsi de suite. Lorsque nous serons exemplaires, nous pourrons donner des leçons à tout le monde. Mais pour être exemplaires, il nous faut réformer le pays tout entier : le millefeuille territorial, le cumul des mandats, la corruption des élites, le droit du travail, les entraves à l’entreprise, la fiscalité illisible, les conflits d’intérêt dans l’homologation des médicaments, la filière agricole ; il nous faut associer les citoyens aux « grands projets » d’État, assurer une meilleure représentation parlementaire et rendre les syndicats plus représentatifs… Tout ce que nous n’avons PAS su faire depuis la chute de l’URSS, depuis Chirac, depuis Hollande, avec la parenthèse Sarkozy qui avait commencé un peu, mais trop peu et avec changement de cap inexpliqué.

Revue Le Débat n°190, mai-août 2016, €20.00

Comprendre ne signifie pas excuser, comme certains illettrés le croient. Je rappelle que je suis POUR l’Union européenne. Ci-après quelques notes sur ce blog :

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