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Total Recall de Paul Verhoeven

La planète Mars et les voyages virtuels, cela revient nettement à la mode, trente ans après la sortie du film ! Dans cette aventure de science-fiction adaptée d’une simple nouvelle de Philip K. Dick (We Can Remember It for You Wholesale – En gros, nous pouvons nous en souvenir pour vous – publiée en 1966) un homme (Arnold Schwarzenegger) sauve la planète rouge d’un prédateur industriel volontiers fasciste, après avoir été manipulé et ses souvenirs réimplantés. Au fond, rien de nouveau sous le soleil américain : les puissants gouvernent et utilisent des esclaves pour parvenir à leurs fins. Quand ceux-ci se révoltent, ils en sont tout surpris, comme si la Providence leur faisait injure : quoi, ne sont-ils pas fait eux-mêmes en élite élue du peuple élu pour bâtir une nouvelle terre promise ?

Doug Quaid, en 2048, fait un cauchemar récurrent. Cela se passe sur Mars – où il est censé n’être jamais allé – avec une belle jeune femme athlétique et brune – alors que la sienne est blonde. Ouvrier au marteau-piqueur sur un chantier terrestre, Doug est obsédé par son inconscient surgi des rêves et cède aux sirènes de la publicité omniprésente dans les métros. La société Rekall (recall = rappel) propose des voyages virtuels moins chers et plus confortables que les voyages réels. Il suffit de paramétrer la machine pour qu’elle implante dans le cerveau des souvenirs aussi réels que ceux qui ont été vécus. Big Brother n’est pas loin, mais privatisé.

L’ouvrier se laisse tenter, pour explorer cette planète rouge dont il rêve chaque nuit. Sa femme est contre mais il passe outre. Il veut savoir, même si la « vérité » ainsi créée n’est au fond qu’alternative – artificielle. Mais le conditionnement se passe mal. Il semble que l’implantation de souvenirs factices entre en conflit avec les souvenirs vécus. Doug Quaid aurait-il déjà été sur Mars ? Dans le rôle d’agent secret hétéro qu’il s’est choisi ? La société Rekall, effrayée des conséquences, ne veut plus rien savoir de lui et le drogue, le rembourse, efface ses données et le colle dans un taxi automatique qui le ramène chez lui. Quatre hommes, dont son ami de chantier Harry, l’attendent et tentent de l’enlever et il ne doit qu’à ses muscles imposants (et à son entrainement passé ?) de les zigouiller tous. Il y aura d’ailleurs au moins une centaine de morts durant le film, le début des années 1990 faisant bon marché de la vie humaine en virtuel. Après les deux guerres du Golfe, l’Afghanistan et les attentats du 11-Septembre, il en sera autrement.

Lorsqu’il raconte son aventure à sa femme, (la venimeuse Sharon Stone), celle-ci appelle « un médecin », son vrai mari crétin (Michael Ironside), puis tente de le descendre au pistolet mitrailleur avec une maladresse aussi invraisemblable que louche. En fait, elle lui avoue cyniquement qu’elle n’est pas sa femme mais chargée de le surveiller ; Doug Quaid n’est pas Doug Quaid mais un autre. Ses souvenirs ont été réimplantés après son séjour sur Mars comme agent secret du patron minier Cohaagen (Ronnie Cox) qui l’a engagé pour découvrir les rebelles sur la planète. Car la lutte des classes existe sur la planète rouge entre ceux qui possèdent les machines à produire de l’air et les autres, qui subissent le monopole.

Quaid assomme celle qu’il croyait son épouse et fuit jusqu’à un hôtel… où le téléphone vidéo ne tarde pas à sonner. Un ancien « ami » lui annonce qu’il dépose une valise que Quaid lui a confié au cas où il disparaîtrait. Comment l’a-t-il retrouvé et pourquoi maintenant ? Ce sont des questions qui n’ont pas de réponse (avant la fin). Dans cette valise, Quaid trouve de l’argent, des cartes d’identité, divers instruments et un ordinateur portable sur lequel une vidéo de Quaid explique qu’il n’est pas Quaid mais celui qui parle : Hauser (comme Gaspard ?). Il doit se rendre sur Mars.

Ce qu’il fait, passant le contrôle déguisé en vieille femme. Mais le système s’enraye, défaillance ironique de la technique en écho à la manipulation technique sur l’humain – et à la dérision sur le « héros » hollywoodien. L’Amérique se moque déjà des Rambo invincibles et des convictions ancrées (alors qu’elles peuvent être suggérées) comme du « transformisme » qui vise à augmenter les capacités humaines : si le résultat dépend d’un bug ou d’un mauvais montage, l’avenir n’est pas rose ! C’est l’occasion d’une course-poursuite avec mitraillages, cassure du dôme de protection (bien fragile pour l’an 2048…) d’où l’air s’échappe, avec des gens aspirés à l’extérieur, en bref un nombre de morts de plus en plus impressionnant.

Le faux Quaid se rend à l’hôtel Hilton dont il se souvient vaguement (le film diffuse plusieurs pubs de grandes marques actuelles en affiches lumineuses sur la place). Sa carte le fait reconnaître du réceptionniste qui lui donne la même suite et le contenu d’un coffre qu’il a retenu avant de partir. Dans ce coffre un seul papier, une affiche d’un club érotique dans Venusville, le quartier chaud de la planète, avec pour mention : « demander Melina ». Il s’y rend, dans un taxi conduit par une espèce de Jamaïcain qui se révélera menteur et mutant en plus de traître (Mel Johnson Jr) – la psychose ironique de l’Etranger pour l’Américain moyen : on ne peut jamais se fier à ces sous-êtres « anormaux » (ni blanc, ni anglo-saxon, ni protestant).

De poursuites en bagarres, Quaid rencontre la brune et athlétique Melina (Rachel Ticotin) – sur le même type qu’il avait choisi en option chez Rekall. Elle ne le croit pas quand il dit ne plus se souvenir. Peu à peu la réalité lui sera révélée : il était le sbire du puissant patron des mines qui garde son monopole de l’air produit sur Mars en protégeant un secret bien gardé : les réacteurs construits par les séléniens aptes à reconstituer une atmosphère sur Mars grâce à la calotte glacière souterraine. De fil en aiguille, et de combats en morts supplémentaires, Quaid parviendra avec l’aide de Melina et des rebelles à contrer l’industriel, à actionner le réacteur et à sauver la planète à la fois de l’asservissement et de la misère. Pas mal pour un futur gouverneur de Californie ! A moins que cela ne soit qu’un rêve… la dernière image sème le doute, exprès.

Nous sommes dans la bande dessinée façon geek, aussi absurde qu’invraisemblable mais le film ne manque pas de moments cocasses qui restent à la mémoire des années après, comme cet écran de contrôle du métro où les surveillants voient passer les squelettes – jusqu’à ce qu’une arme apparaisse en rouge -, le rat baladeur de la puce de suivi de Quaid, la pute mutante à double paire de seins, le chef des rebelles enceint d’un mutant intuitif, l’usage facétieux des hologrammes pour duper la milice bornée du dirigeant, et ainsi de suite. De l’action, de l’ironie, une fin optimiste – voilà un bon divertissement que j’ai revu avec plaisir.

DVD Total Recall, Paul Verhoeven, 1990, avec Arnold Schwarzenegger, Rachel Ticotin, Sharon Stone, Ronny Cox, Michael Ironside, StudioCanal 2003, 1h50, €6.80

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Danton d’Andrzej Wajda

L’histoire ne se répète jamais, mais les hommes si : ainsi le révèle une fois de plus ce grand film, commandé par le gouvernement socialiste dès 1981 à un auteur polonais, mais qui a fait fuir Mitterrand et ses caciques à la projection, dont l’inénarrable Jack Lang toujours plus que les copains (plus américain avec son prénom, plus à gauche, plus dans la ligne, plus sexuellement « libéré » quand c’était la mode, plus rigoriste depuis, plus artiste…). Ils y voyaient trop ce qui leur pendait au nez : le révisionnisme historique pour faire coller leur idéologie à la réalité, les « Grands Principes » qui n’entrent pas dans le moule du réel et suscitent irrémédiablement l’autoritarisme jusqu’à la dictature… Car « le socialisme » peut être un projet idéal, une utopie de bonheur futur, il n’en est pas moins une illusion sur la nature humaine comme sur les contraintes économiques et politiques.

Wajda saisit la Révolution à son acmé : la Terreur au printemps 1794. Cinq ans après la révolte de la Bastille, « le peuple » a de nouveaux maîtres qui parlent (trop bien) en son nom pour régner à sa place. Mais des queues dans les rues attendent le pain, les « sections » de Sans-Culottes surveillent les propos politiques. Un Comité de Salut public s’est créé qui n’a pour objet que le salut de ceux qui le composent – comme pour tout ce qui porte le nom de « public » (service public, santé publique, fille publique). L’interprétation marxiste en vogue à gauche dans la France des années 1980 a fait de Robespierre le héros défenseur des prolos et de Danton un corrompu affairiste défenseur des bourgeois. C’est un peu simple.

Si le film se fonde sur L’Affaire Danton de la dramaturge polonaise Stanisława Przybyszewska, inspirée par l’historien marxiste français Albert Mathiez, il remémore les années Staline. La pièce a en effet été écrite entre 1925 et 1929. Toute révolution, qu’elle soit française, russe, chinoise, cubaine – ou polonaise avec Solidarnosc en 1982 – court sur les mêmes rails et vers le même abîme. Faute de contrepouvoir, c’est le droit du plus fort qui l’emporte, la dictature d’un Comité, vite enrôlé autour d’un chef plus charismatique et plus impitoyable que les autres, qui devient dictateur à vie.

Danton le Montagnard (Gérard Depardieu), bon vivant, aime la vie, le vin, la bouffe, les gens et « le peuple » l’acclame. Il veut la paix à l’extérieur, du pain pour tous à l’intérieur et la fin du régime d’exception qu’est la Terreur. Il ne croit pas aux « Grands Principes » mais aux principes simples, énoncés dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen. Pas plus, pas moins. Le pouvoir d’un seul ou d’une coterie étroite n’est pas la république (la chose publique) ; les procès d’intention et les jugements écrits d’avance ne sont pas le droit ; les arrêtés et décrets ne sont pas la loi ; saccager un journal d’opposition n’est pas la liberté d’expression.

Robespierre le Jacobin (Wojciech Pszoniak) est frigide, austère, il se méfie des gens, notamment du peuple enfantin qui doit selon lui être guidé. En 1983, nous avons avec Danton « la droite » qui préfère la liberté et « la gauche » qui se prosterne devant l’égalité (sous la houlette du grand Sachant à l’Elysée). Mais nous avons au même moment Lech Walesa, syndicaliste en Pologne qui défend la cause du peuple, et le général Jaruzelski qui prend ses ordres à Moscou. Inversion des gauches… L’autoritarisme, le caporalisme, la dictature sont – mais oui – à… gauche ! Le libéralisme, les libertés concrètes, les débats démocratiques dans le respect du droit se retrouvent à droite. Que choisir ?

Parmi ces tendances ainsi définies par le film (et par les années 1980), les idéologues choisiront la gauche ; ceux qui pensent par eux-mêmes choisiront la droite. Comme Danton/Depardieu le clame devant le peuple, le jacobinisme réclame des médiocres, des béni oui-oui ; la république, elle, réclame des gens qui pensent. Nous en sommes toujours là. Platon l’élitiste tyran qui sait mieux que vous ce qui est bon pour vous – ou Aristote qui se méfie de la « démocratie », lit de tribuns populistes et de tyrannie implacable, et qui préfère une république balancée.

Au début du film, un frêle enfant blond est bien obéissant en apprenant sa leçon de citoyen. Il récite le catéchisme d’une voix monocorde, sans comprendre manifestement ce qu’il dit car il retient mal. Tout nu (donc page blanche, innocence et oubli) dans le tub où il est lavé par sa sœur adulte Marie-Eléonore Duplay (Anne Alvaro) qui loge Robespierre chez elle rue Saint-Honoré, il est frappé sur les mains pour ses « fautes ». Nous sommes dans l’obéissance à un nouveau Dieu par une dévote, pas en république citoyenne. A la fin du film, le gamin habillé révolution parvient à peu près à retenir la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen par cœur et sa sœur toute fière le présente à Robespierre comme une victoire de la révolution. Les yeux fiévreux du malade jacobin s’illuminent. Piètre victoire que cet asservissement idéologique… L’homme nouveau de la révolution serait-il donc ce robot mécanique aseptisé qui obéit sans discuter et récite le politiquement correct sans penser ? Embrigader la jeunesse est le premier souci de toutes les dictatures, les socialistes comme les autres. Car il faut montrer que la réalité ne compte pas mais seulement « les principes » ; que la politique est un volontarisme qui fait plier la « nature » et le « destin » (deux concepts jugés à droite) ; qu’il faut mieux se tromper avec Sartre qu’avoir raison avec Aron – autrement dit laisser périr des millions de personnes de famine en Ukraine stalinienne ou en Chine maoïste, ou dévaluer trois fois le franc en un an et demi de socialisme mitterrandien, que de reconnaître qu’on a tort.

Parce que Danton ne sait pas décider quand il s’agit de tuer (or, en politique, l’hésitation est fatale), son « ami » Robespierre le fait arrêter, juger expéditivement et guillotiner avec son journaliste Camille Desmoulins (Patrice Chéreau) et quelques autres « comploteurs ». Il le suivra à quelques mois avec son idéologue Saint-Just (Bogusław Linda), ayant fait tellement peur aux autres par cet emballement saturnien (où la Révolution dévore ses enfants), qu’il a été arrêté, jugé expéditivement et guillotiné lui aussi. « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit ».

Gérard Depardieu est grand dans ce rôle de Danton ; il est humain de chair et de ventre face à un Robespierre glacé qui se rend malade à force de vouloir tout contrôler. La liberté était pour les nobles, et les bourgeois l’ont conquise en faveur de l’égalité ; mais l’égalité devenue folle a engendré la Terreur au nom du peuple, et la tyrannie, car elle a oublié le dernier mot du triptyque : la fraternité. Ou plutôt elle a perçu la fraternité comme une égalité forcée de tous, sans qu’une seule tête ne dépasse (sauf celle du Grand Dirigeant) – et cela est sa conception de la « liberté ». Tous pareils, pas de jaloux. Or la Révolution française, inspirée des Lumières après le christianisme, était libérale, en faveur de toutes libertés par rapport au droit divin, à la hiérarchie de la naissance et aux corporatismes de métiers.

Les trois mots de la devise républicaine comptent autant l’un que l’autre – et la liberté est placée en premier. Il s’agit de l’épanouissement de chaque être humain avant tout, dans l’égalité la plus grande possible mais sans empiéter sur la liberté d’être qui génère des différences inévitables, compensées par la fraternité qui unit les mêmes membres d’une nation aux frontières définies qui se donne elle-même ses propres lois par ses représentants ou par le référendum. Qu’est-ce qu’une révolution, robespierriste, stalinienne, maoïste, castriste, mitterrandienne ou polonaise si elle clame les Droits de l’Homme en alignant aussitôt les décrets ou les fusils pour se faire obéir ?

La plus grande bêtise jamais dite par un socialiste français dans ces années 1980 reste celle d’André Laignel à Jean Foyer, à l’Assemblée nationale le 13 octobre 1981 : « Vous avez juridiquement tort, parce que vous êtes politiquement minoritaire ». Dans cette conception idéologique, le droit est celui du plus fort… Le socialisme, comme tous les -isme persuadés de détenir la seule Vérité dans l’histoire, montrait son vrai visage.

DVD Danton, Andrzej Wajda, 1983, avec Gérard Depardieu, Wojciech Pszoniak, Anne Alvaro, Patrice Chéreau, Lucien Melki, Angela Winkler, Serge Merlin, Alain Macé, Bogusław Linda, Roger Planchon, Jacques Villeret, Gaumont 2010, 2h11, standard €10.00 blu-ray €13.34

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Esclavage islamique

Le sectarisme dans l’islam, promu par l’idéologie médiévale des princes saoudiens et les capitaux florissants qu’ils tirent encore du pétrole, doit être connu, dénoncé et combattu. Il subsiste encore trop de bénévolence chez les intellos « de gauche », trop de soupçon « d’islamophobie » qui inhibe toute raison, trop de déni.

Être « de gauche » signifiait (jusqu’à présent) être pour les libertés dans l’égalité progressive, la liberté individuelle ne pouvant être accomplie sans celle des autres, le processus étant un long chemin, mais obstiné. Être « de gauche » veut donc dire se méfier des races, des genres, des religions et des milieux sociaux qui enserrent les personnes et emprisonnent les identités dans une « essence » immuable.

Être blanc, breton, corse ou rifain est de naissance, mais cet état de fait ne doit pas enfermer dans une clôture qui exclut les non-blancs, bretons, corses ou rifains, ni se couper du reste du monde. Même chose si l’on est femme ou homme, lorsque l’on croit à Jéhovah, à Dieu ou à Allah, ou à rien – ou que l’on appartient à la grande bourgeoisie ou au petit peuple. Cela s’appelle xénophobie lorsque l’on se méfie jusqu’à la haine, ou racisme lorsqu’on se croit supérieur.

Ainsi les salafistes peuvent-ils être qualifiés de « racistes » et de « xénophobes » parce qu’ils considèrent non seulement tous les non-croyants à l’islam comme des chiens, mais aussi ceux qui ne sont pas de leur secte particulière comme des mécréants à capturer, violer ou décapiter à merci. On peut dire la même chose des intellos « de gauche » qui refusent tout dialogue avec ceux qui contestent leur irénisme ou leur naïveté.

Daesh Questions reponses sur les femmes captives

Lorsque les injures prennent la place des arguments, on peut être sûr que la raison n’est pas partagée et que les passions de haine et de rejet l’emportent. Être « de gauche » a toujours voulu dire (jusqu’à présent) choisir la voie de la raison, seule apte à tempérer les passions et à dompter les pulsions. Même au prix des excès bureaucratiques, techniciens et étatistes, je vous l’accorde – ce pourquoi je préfère cette variante « libérale » de la gauche, qui maintient la prééminence de l’humain dans la politique comme dans l’économie.

Mais lorsque la raison démissionne, par faiblesse personnelle ou parce que l’on préfère le nid de la communauté, le pire de l’animal humain peut se révéler. L’État islamique a des dirigeants intelligents et rationnels ; ils savent manipuler les bas instincts du tout-venant et les passions de la masse musulmane, frustrée par son retard à la modernité et par la domination militaire des Américains, Israéliens, Russes et autres Occidentaux.

Si l’État islamique se dit islamique, ce n’est pas par hasard, il reprend dans l’islam ce qui figure en toutes lettres dans les écrits théologiques accumulés depuis l’époque bédouine à l’époque de Mahomet. Sauf que l’islam a su évoluer et que le salafisme, très proche du wahhabisme saoudien, n’est qu’une secte rigoriste qui ne représente pas tout l’islam. Il réinterprète et remet au goût du jour des interprétations tombées en désuétude ou carrément faussée pour servir son dessein politique de restaurer un Califat (Allah n’est qu’un prétexte secondaire).

mathieu guidere sexe et charia

Ainsi de l’esclavage. Si tous les hommes sont des frères en théorie coranique… la pratique n’a cessé de justifier diverses formes d’esclavage. Naître en servitude vous asservit par essence, être capturé à la guerre fait de vous des choses dont votre vainqueur peut user et abuser (presque) à sa guise (l’usus, fructus et abusus du droit romain).

« Toutes les dynasties musulmanes ont été esclavagistes à des degrés divers. Malgré la stabilisation des frontières de l’Islam, les razzias sur les territoires frontaliers, puis la piraterie et la guerre de course ont permis la perpétuation et l’enracinement de l’esclavage ». Est-ce un militant du Front national qui écrit ces lignes ? Un raciste xénophobe et islamophobe selon les critères « de gauche » de certains intello-médiatiques ? Pas le moins du monde : il s’agit du professeur d’islamologie Mathieu Guidère à l’université de Toulouse 2. Il publie un article fort documenté sur Les femmes esclaves de l’État islamique dans le numéro de janvier-février de la revue Le Débat, publiée chez Gallimard.

En historien, il précise : « Dans la première moitié du XXe siècle ne reste donc que l’Arabie saoudite et le Yémen (…) comme contrées esclavagistes. En 1936 pourtant, le roi Abdelaziz promulgue un règlement interdisant l’importation d’esclaves par voie maritime au motif que la charia interdit de capturer et de réduire en esclavage les sujets des nations avec lesquelles il existe un traité. Les souverains du Yémen et du Koweït font de même peu de temps après. Mais le statut légal d’esclave n’est pas aboli ». Le statut d’esclave subsiste donc dans le droit saoudien…

Dans cet article fort intéressant, Mathieu Guidère traduit pour les non-arabisants (dont 95% des intello-médiatiques) une brochure explicative de l’État islamique intitulée Questions-Réponses sur les femmes captives, à destination des combattants et des nouvelles recrues. Ce qu’on y lit est édifiant : les femmes sont des objets, qu’on peut prendre et user à volonté parce qu’elles sont mécréantes, donc des choses. Il est permis d’avoir des rapports sexuels avec les femmes captives, soit immédiatement lorsqu’elles sont vierges, soit au bout de trois mois si elles peuvent être enceintes. D’où l’attrait pour les fillettes à peine pubère – dès 9 ans – car le combattant peut être sûr qu’elles sont vierges ! Même avant cet âge, « il est permis d’avoir des relations sexuelles avec l’esclave non pubère si elle est apte à l’accouplement. En revanche, si elle n’y est pas apte, il faut se limiter à en jouir sans rapport sexuel ». En jouir… vous avez bien lu.

sexe avec fillette Daesh Questions reponses sur les femmes captivesEst-ce être « islamophobe », selon l’injure à la mode des intello-médiatiques « de gauche » que de s’insurger contre cette pédophilie autorisée ? Contre cette réduction à la chose des femmes de tous âges ? Contre cet asservissement des gens qui ne croient pas comme vous ? « La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée. Cela dénote un rapport trouble à l’imaginaire, au désir de vivre, à la création et à la liberté », écrivait Kamel Daoud avant d’être stigmatisé par des intello-médiatiques qui se disent « de gauche ». Signé évident que « la gauche » est bel et bien morte ! Faut-il conseiller aux prêtres amateurs d’extrême-jeunesse sous le cardinal Barbarin de se convertir à l’islam salafiste pour que les gens « de gauche » trouvent « normal » leur mauvais penchant – autorisé par leur légitime « différence »? Est-ce ce déni de réalité, ce refus de débattre, ce refuge dans la bien-pensance morale, qui signifie être « de gauche » ? La dite « gauche » crève de ces ambiguïtés de horde, son cadavre délétère bouge encore. Il sera probablement enterré dès la prochaine présidentielle.

Comme il existe des esprits stupides, lourds et pesants, qui ne VEULENT pas voir et qui refusent de croire ce qu’on leur dit, je publie quelques fac-similés de l’article – que j’incite chacun à lire.

Mathieu Guidère, Les femmes esclaves de l’Etat islamique, 2016, revue Le Débat n°188, Gallimard, pp.106-119, €20.00

Mathieu Guidère, Sexe et charia, 2014, édition du Rocher, 199 pages, €16.90

ebook format Kindle, €11.99

Islam sur ce blog

La police « de gauche » de la pensée à propos de Kamel Daoud

 

 

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Michel Tournier, La goutte d’or

michel tournier la goutte d or
Le sujet m’apparaissait racoleur, dans le vent des naïvetés sans frontières et du bon sauvage comme de la manipulation électoraliste de SOS racisme, pote dressé en boutonnière. Qu’un écrivain comme Michel Tournier puisse s’abaisser à commettre un roman sur un thème tellement à la mode m’agaçait. Il me semblait perdre encore un peu plus de sa substance, lui qui a besoin de méditer et de mûrir de longues années ses livres.

Or je découvre en La goutte d’or un sujet philosophique qui dépasse le misérabilisme de l’immigration et le tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil de la nunucherie médiatique. Tournier écrit là ses Lettres persanes.

Berger adolescent de 15 ans qui garde ses chèvres près de l’oasis de Tabelbala au Sahara algérien, Idriss débarque en France parce qu’une touriste lui a volé son visage en photo. Il craint le mauvais œil mais est attiré aussi, il faut le dire, par le mirage occidental. Il découvre en Europe un empire de l’image. Habitant chez un cousin le quartier arabe de la Goutte d’or (il n’y a jamais coïncidence chez Michel Tournier), il est chargé en petit boulot de convoyer un chameau à travers Paris jusqu’au Jardin d’acclimatation. Les vitrines ne cessent de lui renvoyer son image. A l’opposé du signe, qui est esprit, l’image est matière ; elle enchaîne les sens. Le Sahara médiatisé par le film tourné avec le chameau n’est pas le Sahara mais un rêve exotique ; la publicité télévisée joue sur l’émotion levée par les symboles primaires : l’eau vitale, la soif possible, la joie des choses simples, le sexe. Les adolescents arabes, confrontés à cet univers qui leur est interdit par la religion, en perdent leur identité et se noient dans les significations qu’ils ne peuvent saisir.

Michel Tournier en profite pour explorer cet opium du monde occidental : l’image toute-puissante. Dans la grande cité parisienne, Idriss subit « toutes les agressions de l’effigie, de l’idole et de la figure. Trois mots pour désigner le même asservissement. L’effigie est verrou, l’idole prison, la figure serrure » p.201. L’auteur, photographe et voyeur, a beaucoup médité sur la reproduction des visages et des corps. L’image est chose morte mais exerce sa fascination d’éternité sur les esprits simples. Le cinéma est une séance d’hypnose contemplative, un opium populaire. Tourner un film, c’est tenter de rendre éternelle une image, une émotion, une beauté, un destin – comme ceux des garçons que le cinéaste Mage (au nom peu innocent) tente de retenir dans son nid du 18ème arrondissement – quartier du sex-symbol, du peep-show, du spectacle des chairs.

Idriss loue son corps pour mouler des mannequins de vitrine. La figure du mannequin résume et caricature notre industrie de l’image. Le mannequin est une coque vide, une parfaite apparence. Alors que la statue est unique, le mannequin de vitrine est tiré à des dizaines d’exemplaires. Il n’exalte ni l’individu ni le corps humain mais sert de présentoir, d’armature, aux vêtements de la mode. A l’origine pourtant, il est moulé sur un corps vivant, celui d’Idriss, 15 ans. Ce que l’auteur décrit avec ce réalisme minutieux qu’il affectionne, d’autant que cette naissance poisseuse et tiède le trouble. L’image mimétique du jumeau emprisonne le soi ; l’image photographique est un viol symbolique – et ce n’est pas par hasard si la touriste photographe avait les jambes nues – ; l’image publicitaire est un show illusionniste. Le portrait classique avait déjà ce pouvoir maléfique d’enchaîner à une illusion. Idriss, jeune berger saharien, apprendra qu’« une seule clé peut faire tomber ces chaînes : le signe » p.201.

Il se lance donc dans la calligraphie auprès d’Abd al Ghafari, art fort prisé en Islam où la civilisation musulmane l’a porté à un haut degré de raffinement car les représentations des créatures de Dieu sont interdites par le Coran. La calligraphie est l’algèbre de l’âme, elle ouvre à l’abstrait, donc à la réflexion. Le signe libère, contrairement à l’image, car il est analytique et décompose l’être ou le paysage en ses éléments premiers, tout comme fait le désert.

Le portrait maléfique pris par la reine blonde perd son pouvoir hypnotique le jour où un adolescent lettré l’analyse en mots, le traduit pour l’esprit. Une image a un pouvoir total parce qu’elle adresse simultanément ses messages. « L’image n’est qu’un enchevêtrement de signes, et sa force maléfique vient de l’addition confuse et discordante de leurs significations » p.208. Ainsi la tête de Méduse paralyse, et l’on tombe amoureux non des corps mais des visages. Or, pour le lettré, l’image n’est pas muette : il n’est que de savoir lire. Le visage est le plus difficile parce qu’il inspire des émotions fortes : la crainte, la honte, la haine, l’amour.

Notre civilisation de l’image attire le tiers-monde illettré tout comme elle fascine les musulmans par transgression de l’interdit. Son luxe sensuel fascine, induit en tentation. Mais si, derrière cette apparence, il n’y avait rien ?

Idriss, fasciné par la danseuse noire Zett Zobeida, porte au cou l’amulette en goutte d’or qu’elle a perdue, analogue à la bulla aurea des enfants Romains libres, gardée jusque vers 17 ans. Il se la fait voler par une pute lors de son débarquement à Marseille. Lorsqu’il retrouve le bijou dans une vitrine chic de la place Vendôme, cœur de Paris, l’adolescent arabe armé de son sexe-piqueur n’hésitera pas à lézarder la vitre pour libérer sa goutte. Elle est en forme de perle, renflée en bas, qui n’est image de rien, juste une goutte d’or pur, mais symbole de sa liberté.

Le voyage initiatique prend fin lorsqu’Idriss retrouve son identité dans la calligraphie, art musulman, loin de la séduction illusoire des images, art occidental. Et le message fait un peu IIIe République : le garçon apprendra à lire, à écrire, et il sera sauvé…

Michel Tournier, La goutte d’or, 1986, Folio 1988, 224 pages, €8.20
e-book format Kindle, €7.99
Les œuvres de Michel Tournier chroniquées sur ce blog

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Migrants : boulets ou aiguillons ?

Dans l’opinion commune, l’immigration est un problème. Trop de chômage, pas assez de logements, trop de décalage de mœurs, pas assez de qualifications : l’immigré, surtout clandestin, apparaît comme l’ennemi : de l’emploi, du vivre-ensemble, des prestations sociales. Les réactions vont de la charité (provisoire) au rejet (haineux).

Mais parlons clair : cette immigration qui est rejetée, est celle des ex-colonisés français, qu’on imagine (pas toujours à tort mais pas entièrement à raison) emplis de ressentiment et de volonté de se venger en « nous » imposant leur religion, leurs coutumes, leurs groupes de pression. Ils sont souvent vus comme des « profiteurs » de l’État-providence (en accouchant à Marseille ou par le regroupement familial des polygames), État français qu’ils ont rejeté par la lutte pour l’indépendance et où ils veulent imposer leur communauté identitaire séparée, fondée sur la religion.

refugies 2014

L’immigration qui arrive est différente, elle ne vient pas des ex-pays colonisés français et elle rejette massivement l’intégriste islamique. Pourquoi fuir en effet l’Irak ou la Syrie si ce n’est pour fuir la morale d’asservissement des incultes du Coran ? On peut penser que ces nouveaux migrants seront vaccinés contre les dérives sectaires de l’islam à l’œuvre en Afghanistan, Pakistan, Irak, Syrie, Libye, Somalie – et adopteront la laïcité civile plus facilement. Ils sont aussi habitués à vivre en pays mosaïque, pour les Syriens par exemple occupés dans l’histoire par les Cananéens, les Phéniciens, les Hébreux, les Araméens, les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Grecs, les Arméniens, les Romains, les Nabatéens, les Byzantins, les Arabes, les Croisés, les Turcs et quelque temps par les Français. L’attrait de l’Union européenne est pour eux réel : zone riche, gérée par le droit, où l’on peut s’exprimer en paix. L’inverse du califat islamique.

Il est donc possible que ces migrants là soient mieux acceptés que les autres.

Au risque de jalousies et de frictions entre les nouveaux, bien accueillis, et les anciens, rejetés plus ou moins sourdement.

Reste la question du logement et des aides sociales. Grâce à l’ineffable Duflot, la construction a perdu trois ans tant les « normes », les « avis » et la paperasse se sont multipliés sous l’écologiste de ministère. L’urgence est saturée, il va falloir faire appel aux régions moins demandées et aux églises et associations qui ont des locaux vides. Mais tout cela est provisoire, d’autant que les quelques milliers annoncés par les politiciens risquent de devenir un flux constant de plusieurs centaines de milliers à horizon d’un an ou deux. Il va donc falloir construire – et vite – pour assurer du logement « social » ou proche. Donc alléger la paperasserie inhibante.

Est-ce avec le notable indécis et passif à la tête de l’État que la France sera à la hauteur du défi ?

L’autre question est celle du « modèle social », qui comprend les valeurs, les taxes et l’économie.

Sur les valeurs, il faut réaffirmer tranquillement mais avec une force concrète la république, bien loin des discours insipides pondus par un énarque sans culture (l’Éducation nationale a démissionné depuis une trentaine d’années…) et ânonné par un président manifestement sans convictions. Sans laisser les procédures judiciaires se multiplier durant des années, rendant ridicule la décision finale, ni les populistes « de gauche » et les zassociations de gauche toujours plus à gauche faire de l’angélisme internationaliste en répétant que tout le monde il est gentil. Il est nécessaire – évidemment – que l’Éducation nationale fasse évoluer son crétinisme bureaucratique pour enseigner la France à ces nouveaux arrivés : ce qui veut dire la langue française (et pas le charabia toléré jusque dans l’orthographe au bac), son histoire « nationale » insérée dans celle de l’Europe et du monde (et pas ces vastes ensembles politiquement correct où tout vaut tout) – et son esprit. Ce dernier passe par la littérature, l’éducation civique et la philosophie. Sans démagogie : les immigrés nouveaux ne sont pas de « pauvres incultes » à qui il faudrait faire la charité « égalitaire » de donner le bac sans effort. Ils ne réclament pas cela, mais probablement – au contraire ! – de travailler pour s’assimiler.

Car l’assimilation reste le modèle français, pas la juxtaposition communautariste sur le modèle anglo-saxon.

La France a une aura au moyen-orient : autant qu’elle corresponde à cette image valorisante, plutôt qu’aux petits arrangements syndicaux entre profs et administration sous peine de grève… Mesure-t-on assez, à l’Éducation nationale, la mesquinerie et le ridicule de ces grèves à répétition vues de l’étranger ? Elle fait rêver, la France, de loin… de près, comme elle paraît moche quand personne ne fait un effort. De cette désillusion naît parfois le ressentiment : les promesses vaniteuses ne sont pas tenues.

Sur le modèle social, l’égalité pour tous ne se conçoit pas sans frontières. Je l’ai déjà montré, le contribuable français, par son impôt sur le revenu comme par la TVA, ne peut pas financer la misère du monde entier, « l’aide au développement » » étant parfois curieusement répartie. A l’intérieur, il ne saurait être question de rogner sur les prestations populaires au profit des étrangers nouvellement arrivés. Il va donc falloir faire des choix – réels ! Encore plus d’impôt ? Une zakat à l’envers, cet impôt religieux pour tolérer la présence des croyants qui ne croient pas comme nous ?

En termes économiques, cette immigration est un choc, mais aussi une chance. Contrairement aux malthusiens des 35 heures qui pensent le gâteau fini et veulent « partager » le travail en travaillant de moins en moins (tout en étant payé pareil…), en économie la croissance de la production intérieure est la somme des gains de productivité ET de la croissance de la population qui travaille. Mais oui, c’est bien en travaillant plus qu’on gagne plus ! Car on produit plus, générant donc plus de salaires, de taxes, de biens…

Reste l’adéquation entre les emplois proposés et les migrants arrivés. Pour les plus qualifiés et pour les moins qualifiés, ce devrait être possible ; dans le milieu ce sera plus dur. Là il y aura concurrence… à moins que les besoins grandissants de cette population nouvelle ne crée sa propre croissance par sa consommation. C’est souvent ce qui se passe, le cas de l’Espagne entre 2000 et 2008 montre qu’une arrivée massive de migrants peut conduire à une forte hausse de la construction et de la consommation.

hassad et melenchon copains

Inutile donc de se lamenter sur le bon vieux temps où chacun restait chez soi. Ce qui arrive arrive, et il aurait fallu laisser les dictateurs en place (Saddam Hussein, Muhamar Kadhafi, Bachar el Hassad) pour qu’ils « tiennent » leur population. Est-ce cela que l’on voulait ? Puisque non (sauf Mélenchon), subissons-en les conséquences. Et regardons ce qu’il peut y avoir de positif… à condition que le hollandisme secoue un peu sa lourdeur contente d’elle-même pour – enfin ! – encourager clairement l’emploi, baisser les taxes et faire reculer le mammouth paperassier.

Vaste programme, comme disait de Gaulle d’un autre (presqu’aussi vaste)…

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Carantec musée maritime

Entre l’église et la mairie, 8 rue Albert-Louppe, est caché le musée maritime. De l’extérieur, il ressemble à une boutique et les jours de marché il est presque impossible de le découvrir si l’on ne sait pas qu’il est là. En fait, le musée est double : la boutique officielle se trouve sur la droite en allant vers l’église, et l’annexe est juste en face, dans un bâtiment moderne. Ce petit musée ne paye pas de mine, et pourtant, il recèle une mine de choses : des souvenirs de l’ancienne marine à voile ; des souvenirs de la Résistance locale aux nazis.

La vie de la mer est présentée par de vieilles photos, des vidéos, un cormoran empaillé. De jeunes colons du « Roi d’Ys », une sorte de HLM de béton bruyant sur le chemin de la ‘Chaise du Curé’, s’extasient devant le palmipède géant. Un petit blond d’environ 9 ans, étonnamment costaud, roulant des muscles sous son tee-shirt tendu qu’il n’a semble-t-il plus guère l’habitude de porter, semble le chef du groupe. Il parle peu, il donne le ton. Un petit Noir aux grands yeux émerveillés par le volatile semble son lieutenant.

Des cartes postales début de siècle montrent une plage du Kellen fort occupée, mais avec des baigneurs forts habillés – ce qui fait rire les gamins, fort peu vêtus en ce jour d’été. « T’as vu ? y’en a un qui joue au sable avec une cravate ! Y sont tarés, y seraient mieux à poil ! » La vie des goémoniers de l’île Callot est présentée et les questions des petits de fuser : « ça sert à quoi le go-machin ? ça se mange ? cékoi de l’engrais ? pouah ! ça pue ! »

L’’Alcide’ fut un fier corsaire malouin. Sa maquette reconstituée impressionne fort le blond. Las ! Il est venu se briser sur les rochers à l’entrée de la baie de Morlaix lors d’une violente tempête. Juste devant Carantec ; c’était en 1747. Les habitants ont recueilli ce que la mer a rejeté sur les plages, des pêcheurs remontant les casiers et des plongeurs plus récemment ont fait le reste. De nombreux objets du navire figurent désormais dans les vitrines du musée. Tout cela laisse les gamins à peu près indifférents : on n’a pas retrouvé de pistolets et le seul canon récupéré n’est pas ici mais au musée de Morlaix !

Mais comme leur chef ne dit rien, s’attardant à contempler les mâts et les voiles du navire miniature, l’air rêveur, ils tournent autour en grommelant, mais sans quitter la salle. Des maquettes, des panneaux, des outils, expliquent la construction navale, fleuron de Carantec durant plus d’un siècle. Les Carantécois furent marins-pêcheurs côtiers, mais aussi marins de yachts aux beaux temps de la « saison », de Napoléon III à la guerre de 14. Je ne sais, du blond vigoureux ou du Noir étonné, lequel se prénomme David ; ce que je sais, c’est que ledit David est un spécialiste des bêtises pour se faire remarquer et que le moniteur gronde.

Je laisse le groupe de gamins à leurs jeux pour me rendre en face, dans l’annexe résistante. Car la côte nord de la Bretagne fut le lieu de nombreux réseaux de résistance – par tradition irrédentiste, par religion contre le centralisme romain, l’athéisme parisien ou l’asservissement nazi. Profitant de leur parfaite connaissance des rochers, des courants et des lunes, Trégorrois et Léonards firent passer en Angleterre des clandestins et des aviateurs alliés abattus par la mer, au nez et à la barbe des Allemands, ces lourds terriens trop confiant dans leur technique et leurs patrouilleurs au large.

Le réseau Sibiril a réussi ainsi 193 évasions entre 1940 et 1944, en 15 départs. L’annexe du musée maritime en rend compte par des cartes, des photos, des lettres et des objets d’époque. Car l’évasion est aussi en rapport avec la mer. Le large, c’est la liberté ! Le ‘Requin’, court esquif manœuvrant, fut l’un des 16 bateaux de cette épopée. Le ‘Jean’, dont il subsiste une plaque, un goémonier de 6,50 m, a transporté 18 évadés le 29 septembre 1943 avec pour capitaine Jean Gestalin. La traversée vers l’Angleterre, port de Salcombe, a duré 23 heures par un fort vent du nord-ouest de force 8 à 9.

Un ‘Avis’ du général von Stulpnagel du 22 septembre 1941 déclare que tout mâle (sans distinction d’âge) qui aiderait un aviateur ou un parachutiste ennemi sera fusillé. Que toute femme de même sera envoyée en camp de concentration. Mais que tous ceux qui aideront à capturer un ennemi sera récompensé d’une prime « pouvant aller jusqu’à 10 000 francs ». Je ne crois pas qu’il ait eu beaucoup de Bretons qui s’enrichirent, à cette époque…

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Michel Onfray, La sagesse tragique

Article repris par Medium4You.

Voici un petit livre sur Friedrich Nietzsche, écrit dans l’enthousiasme de la jeunesse à 28 ans et préfacé vingt ans plus tard par un philosophe devenu passeur des œuvres. C’est une excellente introduction à Nietzsche, courte et percutante, se mettant dans le courant de la branchitude pour mieux recadrer les préjugés. Il faut lire Nietzsche, dit le médiatique libertaire ! Car il vous libère personnellement de tous les esclavages, à commencer par celui de l’opinion, de la mode, de la morale, de la politique, des déterminants économiques, des religions.

« Je sais que Nietzsche n’est pas de gauche, ni hédoniste, libertaire, ou féministe » p.12. On pourrait ajouter chrétien ou socialiste dans la liste de ce qu’il est de bon ton « d’être » en apparence dans les années 2000. Tout ce que le philosophe n’est pas suscite automatiquement la haine pavlovienne des fusionnels, des branchés, de tous ceux qui n’ont qu’une ambition : être comme les autres, d’accord avec le dernier qui parle, surtout pas « différent », oh là là ! Il y a donc mauvaise foi, méchanceté, manipulation des textes, jeu de pouvoir intello dans ce qui paraît sur Nietzsche depuis des décennies. Michel Onfray, c’est son grand mérite, rectifie au bulldozer ces tortillages de cul pour donner la cohérence de la vie et des idées du philosophe au marteau, prophète de Zarathoustra l’apollinien dionysiaque.

Nietzsche c’est l’énergie au cœur de toutes choses. Ce qu’il appelle la volonté de puissance n’a rien de la tyrannie SS ni de l’emprise stalinienne sur les masses mais constate l’énergie vitale en chaque être, de la cellule végétale à nos corps de primates intelligents. Cette énergie est un fait, elle sourd de la vie même puisque vivre est lutter contre l’inertie de la matière.

Aux hommes d’exception de faire servir cette énergie au mieux de leurs capacités humaines. Ils sont appelés « sur »-hommes parce qu’ils se détachent de la masse indistincte vouée à seulement survivre et se reproduire. L’indistinction est ce « dernier homme » qui rumine bovinement en regardant passer les trains de l’histoire, masse grégaire à la Ortega y Gasset qui se laisse modeler comme une vulgaire pâte à partis collectivistes, fascistes ou communistes, humains « esclaves » de la mode, de l’apparence, de l’opinion.

Qu’est-ce qui empêche les Alexandre et les Diogène aujourd’hui, les Léonard de Vinci et les Einstein ? La mauvaise conscience morale prescrite par les « esclaves » qui ne trouvent bien que ce qui rabaisse tout le monde à leur niveau, et imposée en système par les religions du renoncement : christianisme, bouddhisme, socialisme. Ce dernier – une hérésie laïque du christianisme – est marxiste bismarkien, le seul que Nietzsche connût. Le Surmoi rigide des religions et des idéologies au nom d’un au-delà, d’un ailleurs ou d’un éternel lendemain (qui chante et qui rase gratis…), secrète une moraline permanente qui refoule les instincts vitaux comme le montrera Freud. La répression sociale des désirs engendre névrose de civilisation et ressentiment politique, envie de tout casser et d’éradiquer le vieil homme au nom d’une utopie radicale d’égalité abstraite.

A chacun, dit Nietzsche, de se révolter contre ces contraintes et structures qui aliènent : travail, famille, patrie. La morale comme la domination économique, l’asservissement politique comme la crainte religieuse sont des carcans qui rendent esclaves. Chaque  individu doit être maître de ses propres valeurs, ce qui signifie avant tout maître de lui. Nietzsche n’est pas un nihiliste pour qui tout vaut tout, ni un anarchiste pour qui tout est permis, ni même un libertaire vautré dans l’accomplissement ici et maintenant de tous ses désirs. C’est un peu la limite de Michel Onfray que de le tirer vers ses propres fantasmes. Nietzsche aime le bouillonnement des passions et désirs (son côté Dionysos) mais il aime y mettre son ordre par une rigueur qui hiérarchise (son côté Apollon). Non, tout ne vaut pas tout ! Des valeurs sont préférables à d’autres – mais ce n’est pas à une instance extérieure à chacun de l’imposer comme un commandement. Chacun se commande lui-même : telle est sa liberté.

Nietzsche est grec antique pour qui la minorité exemplaire des être humains d’exception doit entraîner les autres à incarner l’homme au mieux de son potentiel : un esprit sain dans un corps sain, avec de saines affections. Nietzsche a pour maître les moralistes français, de Montaigne à Chamfort, qui jugent du bon et du mauvais pour eux, et non pas du bien et du mal en soi. Ce que l’on accomplit ici et maintenant, il faut le vouloir comme s’il devait revenir éternellement. C’est ainsi que l’éternel retour du même peut être désiré comme matrice des actes. Telle est la seule façon d’agir selon sa conscience. Il ne s’agit pas de morale venue d’ailleurs, ni de contrainte sociale politiquement correcte, mais d’éthique personnelle : être fier de soi dans ce que l’on fait. Être responsable de ses actes et les assumer à la face du monde.

Il n’y a donc pas d’élitisme social chez Nietzsche, non plus que de contrainte de « brutes blondes », comme quelques citations sorties de leur contexte pourraient le laisser croire. Michel Onfray insiste bien sur ce point et le démontre. « Le Maître donne, non par pitié ou compassion, mais par excès de force, débordement de vie. Ses objectifs ? Maîtrise de soi, rigueur et vigueur, noblesse et grandeur. Non pas commander, mais se gouverner » p.140. Et d’ajouter, perfide pour la mode médiatique qui se pose afin d’anticiper les places à venir (si les socialistes compassionnels du ‘care’ gagnent l’élection présidentielle) : « Jaurès ne s’y était pas trompé, lui qui voyait dans le surhumain une potentialité à laquelle il suffirait de consentir » p.144. Nietzsche déclare que le socialisme est une supercherie qui conforte le système d’esclavage industriel et la tyrannie de la majorité médiocre en reportant toujours à demain la liberté personnelle au nom de la Morale.

Le travail aliène lorsqu’il est imposé et n’offre aucune satisfaction à l’être humain. A l’inverse, le loisir (l’otium des anciens), permet la création personnelle au quotidien. « Qui n’a pas les deux-tiers de sa journée pour lui-même est esclave », déclare Nietzsche dans ‘Humain trop humain’, §283. Humour de Nietzsche, qui n’est pas relevé par Onfray : 2/3 d’une journée de 24h font 16h… ce qui laisse 8h de travail pour la société et pour gagner sa croûte. On peut bien sûr ne considérer que les heures éveillées et calculer les 2/3 de 16h, ce qui laisse 10h de loisirs et donc… 35h de travail par semaine. Mais les individus sont-ils moins aliénés quand ils ont du temps libre ? La pression sociale des potes, des cousins, de la famille, du quartier, de la télé et des médias, de fesse-book et autres chaînes mobiles, des associations, du parti, de l’État, de la religion, permet-elle d’être enfin soi ? Bien sûr que non. Ni le temps de loisir ni la technique ne libèrent… si chacun ne se prend pas lui-même en main pour épanouir ses potentialités.

Pour cela, rire, danser et jouir de ses sens, prescrit Nietzsche. Il faut penser léger, se moquer de ceux qui font la tronche, des politiciens pour qui tout est « grave » et des religions prêchant l’enfer à qui n’obéit pas aux Commandements. Il faut une vie bonne à la Montaigne, parce qu’elle est la seule que nous ayons, sans illusions sur l’au-delà. Exubérance et maîtrise, élan mais art : croit-on que la danse n’est pas une discipline ? Marcher, randonner pour penser mieux, en mouvement, loin de ce « cul de plomb » qui caractérise « la pensée allemande » (et tant de philosophes-bureaucrates français). Écrire souvent mais ciseler ses aphorismes par le travail comme on forge une épée avant de la plonger dans l’eau froide.

« Soyons les poètes de notre vie », dit Nietzsche à ceux qui ne l’ont pas compris, « et tout d’abord dans le menu détail et le plus banal » (Gai savoir §289). Lisez Nietzsche ! Il est un maître de vie. Lisez-le avec le guide Onfray, qui est un bon pédagogue.

Michel Onfray, La sagesse tragique – du bon usage de Nietzsche, 1988, Livre de poche 2006, 188 pages, €5.70

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Alix le héros occidental

« Alix est né en une nuit, inspiré par la statuaire grecque et par la ‘Salammbô’ de Flaubert », dit Jacques Martin qui lui donna le jour en 1948. Alix surgit brusquement dans l’histoire vers l’âge de 15 ans, en simple pagne bleu de travail, les pieds nus. Il est esclave dans les confins barbares, une ville assyrienne où il a été vendu par les Phéniciens. Il doit sa liberté au chaos voulu par les dieux sous la forme d’un tremblement de terre et à la fin d’un empire asiatique sous les coups de boutoir de l’armée romaine. Double libération des forces obscures. Adoubé par le général Parthe Suréna qui lui met la main sur l’épaule, lui donne une épée et le dit « courageux », il se voue à Apollon et à César.

Dès le premier album, Alix se lave de son esclavage initiatique en renaissant par trois fois : par la mère, par le père et par l’esprit.

  • Capturé par des villageois superstitieux qui veulent le massacrer, il est poussé dans le vide et plonge dans l’eau amère. Il en émerge, renaissant, la main sur le sein, tel Vénus sortant de l’onde.
  • Puis, grondement mâle, Vulcain se fâche et fait trembler la terre qui s’ouvre pour avaler le garçon. Alix est sauvé d’un geste de pietà par le bras puissant de Toraya, un barbare qu’il séduit parce qu’« il lui rappelle un fils qu’il a perdu jadis ».
  • Dernière renaissance : la civilisation. Butin de guerre de soldats romains, Alix est racheté par le grec Arbacès, séduit par sa juvénile intrépidité. Marchand cynique et fin politique, il tente de le l’utiliser à son profit en tentant d’abord de le séduire, puis en le cédant au gouverneur romain de Rhodes, Honorus Gallo Graccus. Ce dernier a commandé une légion de César lors de la conquête de la Gaule. Il a fait prisonnier par une traîtrise familiale le chef Astorix (créé avant Goscinny !), a vendu la mère aux Égyptiens et le gamin aux Phéniciens. Il reconnaît Alix qui ressemble à son père. Comme il a du remord de ce forfait, il adopte donc l’adolescent pour l’élever à la dignité de citoyen et à la culture de Rome.

Durant les vingt albums dessinés par Jacques Martin, Alix a entre 15 et 20 ans. Il a du être vendu par les Romains vers 10 ans pour devenir esclave, avec tout ce que cela peut suggérer de contrainte physique, de solitude affective et de souplesse morale. Mais, tels les jeunes héros de Dickens, cœur pur et âme droite ne sauraient être jamais corrompus. Alix a subi les épreuves et n’aura de cesse de libérer les autres de leurs aliénations physiques, affectives ou mentales. Enfant sans père, il offre son modèle paternel aux petits.

C’est pourquoi, comme Dionysos ou Athéna, Alix surgit tout grandi d’un rayon de soleil dans Khorsabad dévastée. Apollon est son dieu, son père qui est aux cieux. Il a comme lui les cheveux blonds et le visage grec. Astucieux, courageux, fougueux – rationnel – le garçon voit son visage s’illuminer dès le premier album, ébloui d’un sourire lorsqu’il aperçoit la statue d’Apollon à Rhodes. Dans le dessin, l’astre du jour perce souvent les nuées.

Alix aime la lumière, la clarté, la vérité – comme le Camus de ‘Noces’. Il recherche la chaleur mâle des rayons sur sa nuque, ce pourquoi il pose souvent la main sur l’épaule du gamin en quête de protection. Ce pourquoi il va si souvent torse dénudé, viril et droit au but : il rayonne. Son amour est simple et direct, son amitié indéfectible. Il ne peut croire à la trahison de ceux qu’il aime, il fera tout ce qui est en son pouvoir pour les protéger et les sauver. Apollon est le dieu qui discipline le bouillonnement de la vie jeune, ces hormones qui irriguent l’être du ventre à la tête en passant par le cœur. L’élan vital fait traverser le monde et ses dangers poussé par une idée haute, une force qui va, sûre de son énergie au service de la bonne cause.

Alix adolescent ressemble à l’éphèbe verseur de bronze trouvé à Marathon. Il est une version idéalisée en blond de Jacques Martin jeune. L’autoportrait de 1945 de l’auteur (publié dans ‘Avec Alix’), montre les mêmes cheveux bouclés, le nez droit, les grands yeux, le visage allongé. Cet égotisme permet la mise en scène de son propre personnage, projeté dans une époque où tous les fantasmes pouvaient se réaliser sous couvert d’aventures et de classicisme historique.

Dès les premières pages du premier album, Alix « l’intrépide » est malmené sadiquement par les adultes. Empoigné, frappé, jeté à terre, cogné, lié à une colonne pour être brûlé vif, il n’oppose que sa chair nue, ses muscles naissants et son cœur vaillant au plaisir quasi-sexuel que les brutes ont à faire souffrir sa jeunesse. En 1948, l’époque sortait de la guerre et la brutalité était courante ; les adultes se croyaient mission de discipliner l’adolescence pour rebâtir un monde neuf. Le jeunisme et la sentimentalité pleureuse envers les enfants ne viendront qu’après 1968 et dans les années 1980.

Alix sera assommé, enchaîné torse nu dans des cachots sordides, offert aux gladiateurs, fouetté vif pour Enak avant d’être crucifié comme le Christ.

Les jeunes lecteurs aiment ça, qui défoule leurs pulsions. Ils l’ont plébiscité. Les albums des dix dernières années sont moins physiques, moins sadiques ; l’autoritarisme adulte a reculé au profit de passions moins corporelles. Les filles sont désormais lectrices d’Alix à égalité avec les garçons.

A partir des ‘Légions perdues’, Alix prend dans le dessin le visage de l’Apollon du Parthénon, sur sa frise ionique est. Dans ‘Le fils de Spartacus’, il s’inspire un peu plus du David de Michel-Ange (p.8).

« Rien de tel pour se réveiller que ce brave Phoebus », dira Alix dans ce même album (p.36). Apollon fut condamné à la servitude pour avoir tué python le serpent – tout comme Alix fut esclave. Apollon veille à l’accomplissement de la beauté et de la vigueur des jeunes gens – tout comme Alix élève Enak et Héraklion. En revanche, Apollon invente la musique et la poésie, arts peut-être trop féminins vers 1950. Alix y paraît tout à fait insensible, n’étant ni lyrique, ni philosophe, mais plutôt de tempérament ingénieur. Le propre d’Apollon est aussi la divination, or Alix reste hermétique aux présages et aux rêves (apanages d’Enak) qui se multiplient dans ses aventures.

L’hiver, il est dit qu’Apollon s’installe chez les Hyperboréens, loin dans le nord. Alix, de même, revient plusieurs fois à ses sources gauloises – le plus souvent dans un climat neigeux et glacé. La Gaule hiberne encore, elle ne s’éveillera que fécondée par la puissance romaine – la civilisation. Les filles qu’aime Apollon meurent le plus souvent : Daphné devient laurier, Castalie se jette dans un torrent, Coronis meurt sous les flèches. On ne compte plus les jeunes filles amoureuses d’Alix qui disparaissent.

Alix, solaire, rayonne. Le poète chinois, dans ‘L’empereur de Chine’, lui déclare : « tu es bon et courageux, fils du soleil (…) parce que ton cœur est généreux. » Par contraste, Enak est terrestre, mélancolique et nocturne. Alix le réchauffe à ses rayons, l’entraîne en aventures par son débordement d’énergie. Le gamin est comme une plante avide de lumière, terrorisé quand il est seul. Comme le dieu, la présence d’Alix suffit à chasser les idées noires et les démons, à déranger les plans des méchants, précipitant leur démesure et amenant le dénouement.

Alix est la raison romaine, évaluateur moral et bras armé de l’ordre civilisateur, impitoyable à la cruauté et à la tyrannie. Alix n’admet ni les despotes ni les marchands ; ils rompent l’équilibre humaniste. Vendu plusieurs fois, à des Phéniciens puis par Arbacès (‘Alix l’intrépide’), il combat les menées des riches égoïstes (‘L’île maudite’), des naufrageurs avides (‘Le dernier spartiate’), la lâcheté des marchands contre ceux qui font régner la terreur (‘Le tombeau étrusque’, ‘Les proies du volcan’), les exploiteurs de la révolution (‘Le fils de Spartacus’) ou des technologies d’asservissement (‘Le spectre de Carthage’, ‘L’enfant grec’). Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Dans les derniers albums issus des scénarios préparés par l’auteur (décédé depuis), il contre l’enrichissement personnel maléfique (Le‘Démon de pharos’) et s’oppose aux nationalistes ethniques de la Gaule bretonne (‘La cité engloutie’).

Rappelons que le personnage d’Alix a su séduire François Mitterrand et Serge Gainsbourg, tous deux personnages de talent et non-conventionnels.

Les autres notes sur la BD Alix sont à découvrir dans la catégorie Bandes dessinées du blog.

Dessins de Jacques martin tirés des albums chez Casterman :

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