Total Recall de Paul Verhoeven

La planète Mars et les voyages virtuels, cela revient nettement à la mode, trente ans après la sortie du film ! Dans cette aventure de science-fiction adaptée d’une simple nouvelle de Philip K. Dick (We Can Remember It for You Wholesale – En gros, nous pouvons nous en souvenir pour vous – publiée en 1966) un homme (Arnold Schwarzenegger) sauve la planète rouge d’un prédateur industriel volontiers fasciste, après avoir été manipulé et ses souvenirs réimplantés. Au fond, rien de nouveau sous le soleil américain : les puissants gouvernent et utilisent des esclaves pour parvenir à leurs fins. Quand ceux-ci se révoltent, ils en sont tout surpris, comme si la Providence leur faisait injure : quoi, ne sont-ils pas fait eux-mêmes en élite élue du peuple élu pour bâtir une nouvelle terre promise ?

Doug Quaid, en 2048, fait un cauchemar récurrent. Cela se passe sur Mars – où il est censé n’être jamais allé – avec une belle jeune femme athlétique et brune – alors que la sienne est blonde. Ouvrier au marteau-piqueur sur un chantier terrestre, Doug est obsédé par son inconscient surgi des rêves et cède aux sirènes de la publicité omniprésente dans les métros. La société Rekall (recall = rappel) propose des voyages virtuels moins chers et plus confortables que les voyages réels. Il suffit de paramétrer la machine pour qu’elle implante dans le cerveau des souvenirs aussi réels que ceux qui ont été vécus. Big Brother n’est pas loin, mais privatisé.

L’ouvrier se laisse tenter, pour explorer cette planète rouge dont il rêve chaque nuit. Sa femme est contre mais il passe outre. Il veut savoir, même si la « vérité » ainsi créée n’est au fond qu’alternative – artificielle. Mais le conditionnement se passe mal. Il semble que l’implantation de souvenirs factices entre en conflit avec les souvenirs vécus. Doug Quaid aurait-il déjà été sur Mars ? Dans le rôle d’agent secret hétéro qu’il s’est choisi ? La société Rekall, effrayée des conséquences, ne veut plus rien savoir de lui et le drogue, le rembourse, efface ses données et le colle dans un taxi automatique qui le ramène chez lui. Quatre hommes, dont son ami de chantier Harry, l’attendent et tentent de l’enlever et il ne doit qu’à ses muscles imposants (et à son entrainement passé ?) de les zigouiller tous. Il y aura d’ailleurs au moins une centaine de morts durant le film, le début des années 1990 faisant bon marché de la vie humaine en virtuel. Après les deux guerres du Golfe, l’Afghanistan et les attentats du 11-Septembre, il en sera autrement.

Lorsqu’il raconte son aventure à sa femme, (la venimeuse Sharon Stone), celle-ci appelle « un médecin », son vrai mari crétin (Michael Ironside), puis tente de le descendre au pistolet mitrailleur avec une maladresse aussi invraisemblable que louche. En fait, elle lui avoue cyniquement qu’elle n’est pas sa femme mais chargée de le surveiller ; Doug Quaid n’est pas Doug Quaid mais un autre. Ses souvenirs ont été réimplantés après son séjour sur Mars comme agent secret du patron minier Cohaagen (Ronnie Cox) qui l’a engagé pour découvrir les rebelles sur la planète. Car la lutte des classes existe sur la planète rouge entre ceux qui possèdent les machines à produire de l’air et les autres, qui subissent le monopole.

Quaid assomme celle qu’il croyait son épouse et fuit jusqu’à un hôtel… où le téléphone vidéo ne tarde pas à sonner. Un ancien « ami » lui annonce qu’il dépose une valise que Quaid lui a confié au cas où il disparaîtrait. Comment l’a-t-il retrouvé et pourquoi maintenant ? Ce sont des questions qui n’ont pas de réponse (avant la fin). Dans cette valise, Quaid trouve de l’argent, des cartes d’identité, divers instruments et un ordinateur portable sur lequel une vidéo de Quaid explique qu’il n’est pas Quaid mais celui qui parle : Hauser (comme Gaspard ?). Il doit se rendre sur Mars.

Ce qu’il fait, passant le contrôle déguisé en vieille femme. Mais le système s’enraye, défaillance ironique de la technique en écho à la manipulation technique sur l’humain – et à la dérision sur le « héros » hollywoodien. L’Amérique se moque déjà des Rambo invincibles et des convictions ancrées (alors qu’elles peuvent être suggérées) comme du « transformisme » qui vise à augmenter les capacités humaines : si le résultat dépend d’un bug ou d’un mauvais montage, l’avenir n’est pas rose ! C’est l’occasion d’une course-poursuite avec mitraillages, cassure du dôme de protection (bien fragile pour l’an 2048…) d’où l’air s’échappe, avec des gens aspirés à l’extérieur, en bref un nombre de morts de plus en plus impressionnant.

Le faux Quaid se rend à l’hôtel Hilton dont il se souvient vaguement (le film diffuse plusieurs pubs de grandes marques actuelles en affiches lumineuses sur la place). Sa carte le fait reconnaître du réceptionniste qui lui donne la même suite et le contenu d’un coffre qu’il a retenu avant de partir. Dans ce coffre un seul papier, une affiche d’un club érotique dans Venusville, le quartier chaud de la planète, avec pour mention : « demander Melina ». Il s’y rend, dans un taxi conduit par une espèce de Jamaïcain qui se révélera menteur et mutant en plus de traître (Mel Johnson Jr) – la psychose ironique de l’Etranger pour l’Américain moyen : on ne peut jamais se fier à ces sous-êtres « anormaux » (ni blanc, ni anglo-saxon, ni protestant).

De poursuites en bagarres, Quaid rencontre la brune et athlétique Melina (Rachel Ticotin) – sur le même type qu’il avait choisi en option chez Rekall. Elle ne le croit pas quand il dit ne plus se souvenir. Peu à peu la réalité lui sera révélée : il était le sbire du puissant patron des mines qui garde son monopole de l’air produit sur Mars en protégeant un secret bien gardé : les réacteurs construits par les séléniens aptes à reconstituer une atmosphère sur Mars grâce à la calotte glacière souterraine. De fil en aiguille, et de combats en morts supplémentaires, Quaid parviendra avec l’aide de Melina et des rebelles à contrer l’industriel, à actionner le réacteur et à sauver la planète à la fois de l’asservissement et de la misère. Pas mal pour un futur gouverneur de Californie ! A moins que cela ne soit qu’un rêve… la dernière image sème le doute, exprès.

Nous sommes dans la bande dessinée façon geek, aussi absurde qu’invraisemblable mais le film ne manque pas de moments cocasses qui restent à la mémoire des années après, comme cet écran de contrôle du métro où les surveillants voient passer les squelettes – jusqu’à ce qu’une arme apparaisse en rouge -, le rat baladeur de la puce de suivi de Quaid, la pute mutante à double paire de seins, le chef des rebelles enceint d’un mutant intuitif, l’usage facétieux des hologrammes pour duper la milice bornée du dirigeant, et ainsi de suite. De l’action, de l’ironie, une fin optimiste – voilà un bon divertissement que j’ai revu avec plaisir.

DVD Total Recall, Paul Verhoeven, 1990, avec Arnold Schwarzenegger, Rachel Ticotin, Sharon Stone, Ronny Cox, Michael Ironside, StudioCanal 2003, 1h50, €6.80


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