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La grande évasion de John Sturges

Un grand film d’aventures avec pour prétexte la Seconde guerre mondiale, à une époque qui préférait célébrer les héros que se repentir sur les victimes. Prenez des aviateurs abattus – des deux camps – mettez-les dans le Stalag Luft III spécial exilé en Pologne et renforcé « à l’allemande », agitez et servez. « Inspiré d’une histoire vraie » relaté dans le récit publié de Paul Brickhill, ce film est drôle et optimiste. Il raconte l’honneur et le courage mais aussi la débrouille et la ruse. Les Allemands sont un peu lourds, de leur philosophie à leur musique, de leurs voitures à leur nourriture. De cette caricature (qui garde un fond de vérité), le réalisateur américain tire un bon film de gendarmes et de voleurs.

Qu’a-t-il passé par la tête d’un lourdaud galonné ou d’une gestapette fascinée par la force plutôt que par la réflexion, pour rassembler ainsi derrière les mêmes barbelés d’un camp de campagne les as de l’évasion de tous les Alliés ? La Luftwaffe a gardé l’honneur de tenir elle-même ses prisonniers mais la Gestapo veille, armée privée de petits bureaucrates sadiques, pleins de ressentiment contre l’ancien système qui les méprisait. Mais l’honneur ne commande pas de donner sa parole de ne pas s’évader, c’est même un devoir d’officier de le tenter.

L’intelligence collective est supérieure à l’intelligence personnelle, lorsqu’elle est multipliée par les compétences reconnues à chacun et organisée par un maître d’œuvre qui les fait travailler ensemble. C’est ce qu’apprend à ses dépens l’Américain individualiste captain Hilts (Steve McQueen) lorsqu’il s’évade et est repris. Il souscrit dès lors à l’œuvre commune qui n’est pas moins de faire évader jusqu’à 250 prisonniers par des tunnels sous les barbelés pour les disperser dans toute l’Allemagne. Leur traque prendra des moyens qui ne seront pas affectés aux fronts et affaibliront d’autant les nazis.

Tout est donc prévu pour réussir. Trouver le bon endroit, évaluer la distance à creuser – neuf mètres sous terre pour éviter tout bruit -, évacuer les tonnes de déblais, trouver des vêtements civils, des cartes et des boussoles mais aussi des ausweis et des papiers d’identité crédibles, des billets de train. L’expertise de chacun est mise à contribution pour fabriquer des pioches avec des crics volés aux véhicules ennemis par une habile diversion dans le camp même, des étais de tunnel avec les lattes des châlits, un chariot sur rail pour ramper dans le tunnel, des éclairages… Les chefs prennent le surnom de leur spécialité.

Des activités culturelles et sportives sont donc organisées pour masquer toute cette activité, du jardinage pour répandre les déblais via des poches de pantalon astucieuses, des chorales pour masquer le bruit de la pioche, des ateliers de dessin pour les faux papiers au prétexte de dessiner des oiseaux, des guetteurs pour prévenir de toute inspection.

Un tunnel est découvert par Werner, un soldat allemand bien brave et un peu niais (Robert Graf), mais deux autres sont en construction et l’évasion peut avoir lieu à la nouvelle lune par le tunnel le plus avancé : Harry. Astuce suprême, Hilts accepte auparavant de s’évader pour se faire reprendre, ayant simplement reconnu les environs et minuté l’accès à la gare la plus proche. Une fois sa période de « frigo » révolue (la prison du camp), il peut livrer les précieux renseignements à tout le monde. Cette mise en avant de l’apport yankee est une invention d’Hollywood, la réalité fut plus européenne… il n’y avait qu’un seul américain dans le camp, et il était membre de l’armée britannique.

Le grand jour arrivé, le tunnel est ouvert à son extrémité mais… il manque sept mètres ! Les bois sont tout proches mais les miradors aussi et restent donc dangereux. Seul le va et vient des sentinelles permet un créneau régulier pour évacuer un par un les sortants du tunnel. Cela ralentit la cadence, même si une alerte aérienne qui fait éteindre toutes les lumières permet d’aller plus vite un temps. Il faut bien sûr qu’un maladroit fasse tomber son paquet d’un blanc impensable pour s’évader de nuit et qu’un sous-officier de garde soupçonne quelque chose. Le tunnel est découvert, les sortants repris. Mais soixante-seize ont pu s’évader.

C’est alors que commence la dispersion et la traque, objet de multiples aventures et du suspense ad hoc. Quelques-uns partent par le train, pourtant surveillé, mais les faux papiers semblent passer, sauf pour le commander Ashley-Pitt qui se fait tuer (David McCallum). Le Matériel (James Coburn) part en vélo, il réussira à gagner la France puis l’Espagne, via la Résistance. Deux autres volent un avion d’entraînement piloté par le Chapardeur (James Garner) et s’élancent vers la Suisse, mais se crasheront faute de carburant et le Faussaire qui voit mal (Donald Pleasence) n’avertira pas à temps son compagnon que les soldats arrivent ; il sera descendu et l’autre renvoyé au camp. Le captain yankee volera une moto et, poursuivi par une horde brune, tentera de sauter les barbelés de 3,70 m de haut à la frontière suisse mais échouera d’un cheveu. Le chef (Richard Attenborough), évadé dix-neuf fois, sera fusillé par la Gestapo en même temps que quarante-neuf autres repris, sur ordre du maréchal Wilhelm Keitel – qui sera condamné et pendu à Nuremberg pour ce crime de guerre. Seule une petite dizaine sera renvoyée au camp, dont le colonel commandant (Hannes Messemer) sera déchu. Le reste ? Il réussira.

Des situations cocasses et des situations dramatiques, l’investissement de chacun dans une œuvre collective, elle-même part d’une grande œuvre d’éradication du nazisme et du combat contre l’ennemi. C’est un excellent film « patriotique » du camp de la liberté.

DVD La grande évasion (The Great Escape), John Sturges, 1963, avec Steve McQueen, James Garner, Richard Attenborough, James Donald, Charles Bronson, MGM United Artists 2020, 2h45, €10.00 blu-ray €13.39

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Carantec musée maritime

Entre l’église et la mairie, 8 rue Albert-Louppe, est caché le musée maritime. De l’extérieur, il ressemble à une boutique et les jours de marché il est presque impossible de le découvrir si l’on ne sait pas qu’il est là. En fait, le musée est double : la boutique officielle se trouve sur la droite en allant vers l’église, et l’annexe est juste en face, dans un bâtiment moderne. Ce petit musée ne paye pas de mine, et pourtant, il recèle une mine de choses : des souvenirs de l’ancienne marine à voile ; des souvenirs de la Résistance locale aux nazis.

La vie de la mer est présentée par de vieilles photos, des vidéos, un cormoran empaillé. De jeunes colons du « Roi d’Ys », une sorte de HLM de béton bruyant sur le chemin de la ‘Chaise du Curé’, s’extasient devant le palmipède géant. Un petit blond d’environ 9 ans, étonnamment costaud, roulant des muscles sous son tee-shirt tendu qu’il n’a semble-t-il plus guère l’habitude de porter, semble le chef du groupe. Il parle peu, il donne le ton. Un petit Noir aux grands yeux émerveillés par le volatile semble son lieutenant.

Des cartes postales début de siècle montrent une plage du Kellen fort occupée, mais avec des baigneurs forts habillés – ce qui fait rire les gamins, fort peu vêtus en ce jour d’été. « T’as vu ? y’en a un qui joue au sable avec une cravate ! Y sont tarés, y seraient mieux à poil ! » La vie des goémoniers de l’île Callot est présentée et les questions des petits de fuser : « ça sert à quoi le go-machin ? ça se mange ? cékoi de l’engrais ? pouah ! ça pue ! »

L’’Alcide’ fut un fier corsaire malouin. Sa maquette reconstituée impressionne fort le blond. Las ! Il est venu se briser sur les rochers à l’entrée de la baie de Morlaix lors d’une violente tempête. Juste devant Carantec ; c’était en 1747. Les habitants ont recueilli ce que la mer a rejeté sur les plages, des pêcheurs remontant les casiers et des plongeurs plus récemment ont fait le reste. De nombreux objets du navire figurent désormais dans les vitrines du musée. Tout cela laisse les gamins à peu près indifférents : on n’a pas retrouvé de pistolets et le seul canon récupéré n’est pas ici mais au musée de Morlaix !

Mais comme leur chef ne dit rien, s’attardant à contempler les mâts et les voiles du navire miniature, l’air rêveur, ils tournent autour en grommelant, mais sans quitter la salle. Des maquettes, des panneaux, des outils, expliquent la construction navale, fleuron de Carantec durant plus d’un siècle. Les Carantécois furent marins-pêcheurs côtiers, mais aussi marins de yachts aux beaux temps de la « saison », de Napoléon III à la guerre de 14. Je ne sais, du blond vigoureux ou du Noir étonné, lequel se prénomme David ; ce que je sais, c’est que ledit David est un spécialiste des bêtises pour se faire remarquer et que le moniteur gronde.

Je laisse le groupe de gamins à leurs jeux pour me rendre en face, dans l’annexe résistante. Car la côte nord de la Bretagne fut le lieu de nombreux réseaux de résistance – par tradition irrédentiste, par religion contre le centralisme romain, l’athéisme parisien ou l’asservissement nazi. Profitant de leur parfaite connaissance des rochers, des courants et des lunes, Trégorrois et Léonards firent passer en Angleterre des clandestins et des aviateurs alliés abattus par la mer, au nez et à la barbe des Allemands, ces lourds terriens trop confiant dans leur technique et leurs patrouilleurs au large.

Le réseau Sibiril a réussi ainsi 193 évasions entre 1940 et 1944, en 15 départs. L’annexe du musée maritime en rend compte par des cartes, des photos, des lettres et des objets d’époque. Car l’évasion est aussi en rapport avec la mer. Le large, c’est la liberté ! Le ‘Requin’, court esquif manœuvrant, fut l’un des 16 bateaux de cette épopée. Le ‘Jean’, dont il subsiste une plaque, un goémonier de 6,50 m, a transporté 18 évadés le 29 septembre 1943 avec pour capitaine Jean Gestalin. La traversée vers l’Angleterre, port de Salcombe, a duré 23 heures par un fort vent du nord-ouest de force 8 à 9.

Un ‘Avis’ du général von Stulpnagel du 22 septembre 1941 déclare que tout mâle (sans distinction d’âge) qui aiderait un aviateur ou un parachutiste ennemi sera fusillé. Que toute femme de même sera envoyée en camp de concentration. Mais que tous ceux qui aideront à capturer un ennemi sera récompensé d’une prime « pouvant aller jusqu’à 10 000 francs ». Je ne crois pas qu’il ait eu beaucoup de Bretons qui s’enrichirent, à cette époque…

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