Articles tagués : évasions

Carantec le réseau Sibiril

Lorsque la France s’effondre en six semaines, en juin 1940, certains ne l’acceptent pas. ils ne sont pas tous à Londres.

carantec musee maritime

Le musée maritime de Carantec – dont j’ai déjà parlé –  créé par Yves Le Gall rend hommage depuis 1990 à ces héros de la résistance française.

drapeau a croix de lorraine

Jakez Guéguen, marin qui habite près de Caractec, au Pont de la Corde, effectue trois allers-retour vers Jersey, encore non occupée avec son sablier de 8 m, le Pourquoi-Pas.

sablier pourquoi pas 31 evades

Mais c’est le constructeur de bateaux Ernest Sibiril, à Carantec, qui va développer le réseau. Dès le 3 juillet 1940, il rapatrie quatre soldats anglais et plusieurs dizaines de jeunes français volontaires pour la France libre.

sablier pourquoi pas jacques gueguen

Guéguen est arrêté par la police allemande, relâché pour raison de santé, puis menacé d’être à nouveau arrêté pour purger sa peine ; Sibiril va l’aider à fuir avec son fils en février 1942. Le réseau réussira par la suite une vingtaine d’autres évasions, selon plusieurs routes maritimes : 4 par Jacques Guéguen, 14 par Ernest Sibiril, et trois autres évasions individuelles.

souvenirs d occupation musee carantec

Près de 200 évadés dont 4 aviateurs américains et 2 britanniques ont ainsi pu rejoindre l’Angleterre et emporter des renseignements sur l’armée allemande pour le deuxième bureau et le MI5.

evasions par mer a partir de carantec

Comme tous les bateaux en état de flotter avaient été recensés par l’occupant, il a fallu en construite de nouveau clandestinement, et remettre en état de vieilles coques de rebut. C’est ainsi qu’Ernest Sibiril construisit dans son chantier naval le Requin, un cotre de 5.99 m, pour s’évader lui-même avec toute sa famille et sept autres, dont un pilote anglais. Sibiril avait échappé par miracle à une arrestation en juillet 1943.

cotre le requin pour rallier angleterre

Il fallait aussi équiper et ravitailler les bateaux pour qu’ils puissent traverser la Manche, parfois sur plusieurs jours. Puis transporter à Carantec en camion sans se faire prendre les candidats à l’évasion. Les héberger et les nourrir en attente de la nuit propice. Piloter les bateaux pour sortir de la baie de la Penzé.

routes evasion réseau Sibiril depuis carantec

Les départs avaient lieu discrètement, de nuit, les dates sans lune et à pleine mer afin de profiter du courant sans mettre les voiles ni actionner le moteur. La météo n’était pas non plus toujours propice… Les gardes-côtes anglais ont arraisonné tous les bateaux sauf un, à l’arrivée dans les eaux territoriales ; ils craignaient les espions.

temoignage evade reseau sibiril

Armand Léon, goémonier de l’île Callot, jouxtant Carantec, fut le dernier à traverser, à la barre de son 6.75 m Amity. En février 1944 il emmena 21 volontaires, entassés comme on l’imagine. Malgré la tempête, tout se passa bien car « ils étaient assez nombreux pour écoper », déclara le tranquille marin à l’arrivée.

ici londre radio

Les messages codés de la BBC, dans l’émission Les Français parlent aux français, annonçaient l’arrivée à bon port des évadés.

bbc evades parlent aux francais

Les Anglais, fair play, disent que Carantec détient le record des évasions réussies. Le professionnalisme des marins, le bon sens breton et la prise de risques raisonnée a permis ce succès.

alain sibiril a 14 ans

Le fils d’Ernest Sibiril, âgé de 11 ans en 1940, s’est évadé avec son père à 13 ans en 1943. Il assurait les missions de surveillance aux abords du chantier, situé près du port en bord de mer, et a gardé toutes ces années ce lourd secret. Petit homme déjà, il n’a jamais eu le temps d’être adolescent.

de gaulle a carantec

Le général de Gaulle est venu, après guerre, rendre hommage aux Carantécois.

Catégories : Bretagne, Mer et marins | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Carantec musée maritime

Entre l’église et la mairie, 8 rue Albert-Louppe, est caché le musée maritime. De l’extérieur, il ressemble à une boutique et les jours de marché il est presque impossible de le découvrir si l’on ne sait pas qu’il est là. En fait, le musée est double : la boutique officielle se trouve sur la droite en allant vers l’église, et l’annexe est juste en face, dans un bâtiment moderne. Ce petit musée ne paye pas de mine, et pourtant, il recèle une mine de choses : des souvenirs de l’ancienne marine à voile ; des souvenirs de la Résistance locale aux nazis.

La vie de la mer est présentée par de vieilles photos, des vidéos, un cormoran empaillé. De jeunes colons du « Roi d’Ys », une sorte de HLM de béton bruyant sur le chemin de la ‘Chaise du Curé’, s’extasient devant le palmipède géant. Un petit blond d’environ 9 ans, étonnamment costaud, roulant des muscles sous son tee-shirt tendu qu’il n’a semble-t-il plus guère l’habitude de porter, semble le chef du groupe. Il parle peu, il donne le ton. Un petit Noir aux grands yeux émerveillés par le volatile semble son lieutenant.

Des cartes postales début de siècle montrent une plage du Kellen fort occupée, mais avec des baigneurs forts habillés – ce qui fait rire les gamins, fort peu vêtus en ce jour d’été. « T’as vu ? y’en a un qui joue au sable avec une cravate ! Y sont tarés, y seraient mieux à poil ! » La vie des goémoniers de l’île Callot est présentée et les questions des petits de fuser : « ça sert à quoi le go-machin ? ça se mange ? cékoi de l’engrais ? pouah ! ça pue ! »

L’’Alcide’ fut un fier corsaire malouin. Sa maquette reconstituée impressionne fort le blond. Las ! Il est venu se briser sur les rochers à l’entrée de la baie de Morlaix lors d’une violente tempête. Juste devant Carantec ; c’était en 1747. Les habitants ont recueilli ce que la mer a rejeté sur les plages, des pêcheurs remontant les casiers et des plongeurs plus récemment ont fait le reste. De nombreux objets du navire figurent désormais dans les vitrines du musée. Tout cela laisse les gamins à peu près indifférents : on n’a pas retrouvé de pistolets et le seul canon récupéré n’est pas ici mais au musée de Morlaix !

Mais comme leur chef ne dit rien, s’attardant à contempler les mâts et les voiles du navire miniature, l’air rêveur, ils tournent autour en grommelant, mais sans quitter la salle. Des maquettes, des panneaux, des outils, expliquent la construction navale, fleuron de Carantec durant plus d’un siècle. Les Carantécois furent marins-pêcheurs côtiers, mais aussi marins de yachts aux beaux temps de la « saison », de Napoléon III à la guerre de 14. Je ne sais, du blond vigoureux ou du Noir étonné, lequel se prénomme David ; ce que je sais, c’est que ledit David est un spécialiste des bêtises pour se faire remarquer et que le moniteur gronde.

Je laisse le groupe de gamins à leurs jeux pour me rendre en face, dans l’annexe résistante. Car la côte nord de la Bretagne fut le lieu de nombreux réseaux de résistance – par tradition irrédentiste, par religion contre le centralisme romain, l’athéisme parisien ou l’asservissement nazi. Profitant de leur parfaite connaissance des rochers, des courants et des lunes, Trégorrois et Léonards firent passer en Angleterre des clandestins et des aviateurs alliés abattus par la mer, au nez et à la barbe des Allemands, ces lourds terriens trop confiant dans leur technique et leurs patrouilleurs au large.

Le réseau Sibiril a réussi ainsi 193 évasions entre 1940 et 1944, en 15 départs. L’annexe du musée maritime en rend compte par des cartes, des photos, des lettres et des objets d’époque. Car l’évasion est aussi en rapport avec la mer. Le large, c’est la liberté ! Le ‘Requin’, court esquif manœuvrant, fut l’un des 16 bateaux de cette épopée. Le ‘Jean’, dont il subsiste une plaque, un goémonier de 6,50 m, a transporté 18 évadés le 29 septembre 1943 avec pour capitaine Jean Gestalin. La traversée vers l’Angleterre, port de Salcombe, a duré 23 heures par un fort vent du nord-ouest de force 8 à 9.

Un ‘Avis’ du général von Stulpnagel du 22 septembre 1941 déclare que tout mâle (sans distinction d’âge) qui aiderait un aviateur ou un parachutiste ennemi sera fusillé. Que toute femme de même sera envoyée en camp de concentration. Mais que tous ceux qui aideront à capturer un ennemi sera récompensé d’une prime « pouvant aller jusqu’à 10 000 francs ». Je ne crois pas qu’il ait eu beaucoup de Bretons qui s’enrichirent, à cette époque…

Catégories : Bretagne, Mer et marins, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,