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Temps de steppe

Heureusement le beau temps se confirme, le soleil donne et les chevaux sont heureux. La lumière fait qu’il nous semble marcher ailleurs que là où nous avons mis nos sabots hier. La pause a lieu au soleil devant un panorama de collines herbues et arborées, les trois yourtes aux Français toutes petites sur l’étendue. Juste derrière nous se dresse le bois où nous avons déjeuné dans un froid de canard, proche du « lac de l’étrier ».

La grimpée d’hier dans la forêt se transforme aujourd’hui en grande descente à cheval, pénible aux genoux car les pieds sont tendus sur les étriers pour compenser la pente. Suit la longue vallée « de l’étalon blanc ». A son ouverture est établi le camp de yourtes d’avant-hier, où nous nous arrêtons pour camper à nouveau et rendre les yaks.

Le soleil est arrivé avant nous et les petits enfants ont quitté leurs lourds vêtements pour courir tout joyeux en tee-shirts légers. Ils jouent comme des fous avec le ballon de Tserendorj. La belle lumière au soleil descendant dore les visages et fait ressortir leur teint fleuri.

Le dîner est cette fois préparé par les chauffeurs. Les cuisinières ont quand même rajouté des sushis de riz aux feuilles d’algue. Ils ont eu tout le temps puisqu’ils n’ont pas conduit hier et aujourd’hui. Il s’agit du plat typique de la steppe, le ragoût mongol. Le mouton inévitable est cuit au bouillon avec quelques herbes sauvages et légumes. L’originalité consiste dans le mode de cuisson : on jette dans la marmite des pierres chauffées au rouge. Avec ce procédé, la viande est cuite à point en toutes parties du plat, sans brûler. Elle est tendre et grasse. L’usage veut que les convives se saisissent en premier lieu des pierres grasses et les fassent passer alternativement dans ses mains. Cela défatigue et masse les paumes tout en les graissant bien. On mange ensuite la viande avec les doigts. Les légumes sont très rares et ne servent que de bouquet garni.

Celui qui tombe sur l’une des deux omoplates se doit de la gratter soigneusement. Elle servira en effet à la divination. Débarrassée de toute parcelle de viande, celui qui interroge la présentera à la flamme nue d’un feu en pensant intensément au problème qu’il doit résoudre. Le scapulomancien interprétera alors les craquelures produites sur l’os par la chaleur du feu et répondra à la question. Nul ne s’y essaie… Veut-on vraiment savoir ce qui nous attend ?

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Hong Kong

Quand Hiata voyage… Une « mini-découverte » de la Chine à partir de Hong Kong va nous mener dans les provinces du Guangxi (Guilin), Yunnan (Kunming, Dali, Lijiang), Chongqing (Chongqing, Yichang), une croisière sur le Yangzi, Hebei (Pékin ou Beijing), Shaanxi (Xi’an), Guangdong (Guangzhou ou Canton) durant un mois, nous transportant en avion, train, car, bateaux divers, chaise à porteurs et à pieds.

H K

L’entrée en Chine se fera par Hong Kong en arrivant de Nouvelle-Zélande. Hong Kong est une région administrative spéciale qui ne reviendra définitivement dans le giron de la Chine qu’en 2049. On peut y reconnaître l’autoritarisme de Madame Thatcher, la dame au sac à mains redoutable et redouté, ne pliant jamais, et dont le « No » et le « Give my money back » a retenti dans le monde entier !

PREPARATRICES D ORDONNANCES

Gratte-ciel, autoroutes, magasins ultra chics, tout est démesuré sur ce « petit » territoire. On dit que les Chinois de Hong Kong sont les plus superstitieux des Chinois. Les diverses pratiques de divination sont omniprésentes et l’édification des immeubles actuels ne sauraient offenser les esprits en les posant au mauvais endroit. Géomancie, Feng shui, sur lesquels sont venus se greffer les notions de yin, et de yang, les cinq éléments, les cinq points cardinaux, les cinq couleurs. Peut-être faut-il s’imprégner de la grandeur de la Chine avec les références occidentales de Hong Kong. Le guide, l’autocar et le chauffeur sont à l’image de cette Chine, jeune, moderne, dynamique, des iPads dans les bras quand ce n’est pas plusieurs. Histoire de demeurer british, on roule à gauche ici.

PHARMACOPEE

Visite succincte de Hong Kong. Le quartier de Mongkok où se situe notre hôtel, le marché aux oiseaux et aux fleurs. L’occasion aussi de goûter aux dim-sum cantonais (raviolis et petits pâtés) qui sont la spécialité de ce restaurant kitsch. Very british, on s’attend à y croiser Mrs Thatcher… Le musée de Madame Tussaud sera remplacé par Ocean Park. Cet espace de loisirs convient parfaitement aux Chinois, grands enfants, et même aux Tahitiens. Pas de tradition vestimentaire, des minijupes, des robes, des shorts, des pantalons, des bottes, des nu-pieds, des chaussures fermées, des hauts-talons… Chacune et chacun de s’abriter sous une ombrelle ou un parapluie, chaque œil bridé de photographier, de se faire photographier, on visite en famille, en groupes… tee-shirts oranges pour se repérer ou être repérés dans la foule quand on appartient à un groupe.

H K

Je me suis assise pour écrire, une jeune fille tente de lire par-dessus-mon épaule, une autre demande à me tirer le portrait avec son amie. Me voilà devenue une vedette en Chine ? Pour s’y rendre nous empruntons l’un des trois grands tunnels, celui-ci était long de 2 km, je vous rappelle que le tunnel de Tahiti sur la côte Est mesure… voyons un peu mes notes : 200 m. Après deux jours passés dans le monde sino-occidental nous partirons en avion pour Guilin dans la Chine du Sud-Ouest. Le lendemain est consacré à la visite d’un temple bouddhique en plein centre-ville. Chut, le silence est réconfortant. Le lieu est ceint par des immeubles gigantesques mais on est dans un monde à part, au milieu de bâtiments, de ponts, de mares, de jardins. Un havre de paix pour une méditation.

Hiata de Tahiti

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Alix le héros occidental

« Alix est né en une nuit, inspiré par la statuaire grecque et par la ‘Salammbô’ de Flaubert », dit Jacques Martin qui lui donna le jour en 1948. Alix surgit brusquement dans l’histoire vers l’âge de 15 ans, en simple pagne bleu de travail, les pieds nus. Il est esclave dans les confins barbares, une ville assyrienne où il a été vendu par les Phéniciens. Il doit sa liberté au chaos voulu par les dieux sous la forme d’un tremblement de terre et à la fin d’un empire asiatique sous les coups de boutoir de l’armée romaine. Double libération des forces obscures. Adoubé par le général Parthe Suréna qui lui met la main sur l’épaule, lui donne une épée et le dit « courageux », il se voue à Apollon et à César.

Dès le premier album, Alix se lave de son esclavage initiatique en renaissant par trois fois : par la mère, par le père et par l’esprit.

  • Capturé par des villageois superstitieux qui veulent le massacrer, il est poussé dans le vide et plonge dans l’eau amère. Il en émerge, renaissant, la main sur le sein, tel Vénus sortant de l’onde.
  • Puis, grondement mâle, Vulcain se fâche et fait trembler la terre qui s’ouvre pour avaler le garçon. Alix est sauvé d’un geste de pietà par le bras puissant de Toraya, un barbare qu’il séduit parce qu’« il lui rappelle un fils qu’il a perdu jadis ».
  • Dernière renaissance : la civilisation. Butin de guerre de soldats romains, Alix est racheté par le grec Arbacès, séduit par sa juvénile intrépidité. Marchand cynique et fin politique, il tente de le l’utiliser à son profit en tentant d’abord de le séduire, puis en le cédant au gouverneur romain de Rhodes, Honorus Gallo Graccus. Ce dernier a commandé une légion de César lors de la conquête de la Gaule. Il a fait prisonnier par une traîtrise familiale le chef Astorix (créé avant Goscinny !), a vendu la mère aux Égyptiens et le gamin aux Phéniciens. Il reconnaît Alix qui ressemble à son père. Comme il a du remord de ce forfait, il adopte donc l’adolescent pour l’élever à la dignité de citoyen et à la culture de Rome.

Durant les vingt albums dessinés par Jacques Martin, Alix a entre 15 et 20 ans. Il a du être vendu par les Romains vers 10 ans pour devenir esclave, avec tout ce que cela peut suggérer de contrainte physique, de solitude affective et de souplesse morale. Mais, tels les jeunes héros de Dickens, cœur pur et âme droite ne sauraient être jamais corrompus. Alix a subi les épreuves et n’aura de cesse de libérer les autres de leurs aliénations physiques, affectives ou mentales. Enfant sans père, il offre son modèle paternel aux petits.

C’est pourquoi, comme Dionysos ou Athéna, Alix surgit tout grandi d’un rayon de soleil dans Khorsabad dévastée. Apollon est son dieu, son père qui est aux cieux. Il a comme lui les cheveux blonds et le visage grec. Astucieux, courageux, fougueux – rationnel – le garçon voit son visage s’illuminer dès le premier album, ébloui d’un sourire lorsqu’il aperçoit la statue d’Apollon à Rhodes. Dans le dessin, l’astre du jour perce souvent les nuées.

Alix aime la lumière, la clarté, la vérité – comme le Camus de ‘Noces’. Il recherche la chaleur mâle des rayons sur sa nuque, ce pourquoi il pose souvent la main sur l’épaule du gamin en quête de protection. Ce pourquoi il va si souvent torse dénudé, viril et droit au but : il rayonne. Son amour est simple et direct, son amitié indéfectible. Il ne peut croire à la trahison de ceux qu’il aime, il fera tout ce qui est en son pouvoir pour les protéger et les sauver. Apollon est le dieu qui discipline le bouillonnement de la vie jeune, ces hormones qui irriguent l’être du ventre à la tête en passant par le cœur. L’élan vital fait traverser le monde et ses dangers poussé par une idée haute, une force qui va, sûre de son énergie au service de la bonne cause.

Alix adolescent ressemble à l’éphèbe verseur de bronze trouvé à Marathon. Il est une version idéalisée en blond de Jacques Martin jeune. L’autoportrait de 1945 de l’auteur (publié dans ‘Avec Alix’), montre les mêmes cheveux bouclés, le nez droit, les grands yeux, le visage allongé. Cet égotisme permet la mise en scène de son propre personnage, projeté dans une époque où tous les fantasmes pouvaient se réaliser sous couvert d’aventures et de classicisme historique.

Dès les premières pages du premier album, Alix « l’intrépide » est malmené sadiquement par les adultes. Empoigné, frappé, jeté à terre, cogné, lié à une colonne pour être brûlé vif, il n’oppose que sa chair nue, ses muscles naissants et son cœur vaillant au plaisir quasi-sexuel que les brutes ont à faire souffrir sa jeunesse. En 1948, l’époque sortait de la guerre et la brutalité était courante ; les adultes se croyaient mission de discipliner l’adolescence pour rebâtir un monde neuf. Le jeunisme et la sentimentalité pleureuse envers les enfants ne viendront qu’après 1968 et dans les années 1980.

Alix sera assommé, enchaîné torse nu dans des cachots sordides, offert aux gladiateurs, fouetté vif pour Enak avant d’être crucifié comme le Christ.

Les jeunes lecteurs aiment ça, qui défoule leurs pulsions. Ils l’ont plébiscité. Les albums des dix dernières années sont moins physiques, moins sadiques ; l’autoritarisme adulte a reculé au profit de passions moins corporelles. Les filles sont désormais lectrices d’Alix à égalité avec les garçons.

A partir des ‘Légions perdues’, Alix prend dans le dessin le visage de l’Apollon du Parthénon, sur sa frise ionique est. Dans ‘Le fils de Spartacus’, il s’inspire un peu plus du David de Michel-Ange (p.8).

« Rien de tel pour se réveiller que ce brave Phoebus », dira Alix dans ce même album (p.36). Apollon fut condamné à la servitude pour avoir tué python le serpent – tout comme Alix fut esclave. Apollon veille à l’accomplissement de la beauté et de la vigueur des jeunes gens – tout comme Alix élève Enak et Héraklion. En revanche, Apollon invente la musique et la poésie, arts peut-être trop féminins vers 1950. Alix y paraît tout à fait insensible, n’étant ni lyrique, ni philosophe, mais plutôt de tempérament ingénieur. Le propre d’Apollon est aussi la divination, or Alix reste hermétique aux présages et aux rêves (apanages d’Enak) qui se multiplient dans ses aventures.

L’hiver, il est dit qu’Apollon s’installe chez les Hyperboréens, loin dans le nord. Alix, de même, revient plusieurs fois à ses sources gauloises – le plus souvent dans un climat neigeux et glacé. La Gaule hiberne encore, elle ne s’éveillera que fécondée par la puissance romaine – la civilisation. Les filles qu’aime Apollon meurent le plus souvent : Daphné devient laurier, Castalie se jette dans un torrent, Coronis meurt sous les flèches. On ne compte plus les jeunes filles amoureuses d’Alix qui disparaissent.

Alix, solaire, rayonne. Le poète chinois, dans ‘L’empereur de Chine’, lui déclare : « tu es bon et courageux, fils du soleil (…) parce que ton cœur est généreux. » Par contraste, Enak est terrestre, mélancolique et nocturne. Alix le réchauffe à ses rayons, l’entraîne en aventures par son débordement d’énergie. Le gamin est comme une plante avide de lumière, terrorisé quand il est seul. Comme le dieu, la présence d’Alix suffit à chasser les idées noires et les démons, à déranger les plans des méchants, précipitant leur démesure et amenant le dénouement.

Alix est la raison romaine, évaluateur moral et bras armé de l’ordre civilisateur, impitoyable à la cruauté et à la tyrannie. Alix n’admet ni les despotes ni les marchands ; ils rompent l’équilibre humaniste. Vendu plusieurs fois, à des Phéniciens puis par Arbacès (‘Alix l’intrépide’), il combat les menées des riches égoïstes (‘L’île maudite’), des naufrageurs avides (‘Le dernier spartiate’), la lâcheté des marchands contre ceux qui font régner la terreur (‘Le tombeau étrusque’, ‘Les proies du volcan’), les exploiteurs de la révolution (‘Le fils de Spartacus’) ou des technologies d’asservissement (‘Le spectre de Carthage’, ‘L’enfant grec’). Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Dans les derniers albums issus des scénarios préparés par l’auteur (décédé depuis), il contre l’enrichissement personnel maléfique (Le‘Démon de pharos’) et s’oppose aux nationalistes ethniques de la Gaule bretonne (‘La cité engloutie’).

Rappelons que le personnage d’Alix a su séduire François Mitterrand et Serge Gainsbourg, tous deux personnages de talent et non-conventionnels.

Les autres notes sur la BD Alix sont à découvrir dans la catégorie Bandes dessinées du blog.

Dessins de Jacques martin tirés des albums chez Casterman :

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