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Mieux vaut résister que supplier dit Montaigne

Montaigne, en son premier essai de son premier livre, disserte sur la pitié. C’est vertu chrétienne, bien qu’il ne l’évoque point ; c’est vertu stoïcienne qu’il évoque donc – mais pour la remettre en cause. « La plus commune façon d’amollir les cœurs de ceux qu’on a offensés, lorsqu’ayant la vengeance en main, ils nous tiennent à leur merci, c’est de les émouvoir par soumission à commisération et à pitié ». Mais, si vous l’avez tenté un jour, vous aurez constaté que cela fonctionne rarement. La vengeance est la plus forte, la violence comme enivrée de la soumission même, comme si le mouton tout bêlant appelait le couteau. Abraham a failli y céder lorsqu’il a levé la lame sur son fils unique Isaac, tout jeune adolescent.

Aussi Montaigne s’empresse-t-il de balancer cette affirmation de foi par une seconde phrase : « toutefois la braverie, et la constance, moyens tout contraires, ont quelquefois servis à ce même effet ». Et de citer de multiples exemples de résistants qui ont étonné les assaillants avant de les amener à considérer que leur courage vaut bien merci, à défaut de prendre de mauvais coups. A don, contre-don. Si vous vous laissez faire, l’épée vous tranchera ; si vous résistez bravement, l’assaillant y regardera à deux fois et calmera sa brutalité. La raison y reviendra, et avec elle le cœur, peut-être. « Scanderberg, prince de l’Epire, suivant un soldat des siens pour le tuer, et ce soldat ayant essayé, par toute espèce d’humilité et de supplications, de l’apaiser, se résolut à toute extrémité de l’attendre l’épée au poing. Cette sienne résolution arrêta tout net la furie de son maître qui, pour lui avoir vu prendre un si honorable parti, le reçut en grâce ».

Car c’est être fort que de reconnaître la force ; c’est au rebours faiblesse que de châtier la faiblesse. Sauf si l’on veut éliminer les faibles, ce qui est faiblesse aussi car crainte de l’être soi-même ou de le montrer. En tel cas, la résistance est un défi qui permet de racheter sans honte le mouvement de merci. « Ayant eu à dédain les larmes et les prières, de se rendre à la seule révérence de la sainte image de la vertu, que c’est l’effet d’une âme forte et impitoyable, ayant en affection et en honneur une vigueur mâle et obstinée. Toutefois dans les âmes moins généreuses, l’étonnement et l’admiration peuvent faire naître un pareil effet ».

Mais, ayant disserté sur tout cela, Montaigne n’est pas encore satisfait. C’est toujours le « oui, mais ». D’un exemple s’oppose un exemple contraire et d’une loi que l’on croit générale aussitôt de multiples exceptions. Voilà Pompée qui pardonne à toute la ville des Mamertins sans en retirer ni satisfaction ni gloire ; sa merci était donc faiblesse. Voilà Alexandre, que l’on dit aujourd’hui le Grand, qui fit tuer le commandant de la ville de Gaza Bétis malgré sa résistance valeureuse et obstinée. Pourquoi ? Trois hypothèses selon Montaigne : la hardiesse lui était si commune qu’elle ne l’étonnait point ; la hardiesse était tellement sienne qu’il ne pouvait supporter de se voir égaler par un autre ; l’impétuosité naturelle de sa colère ne tolérait aucune opposition. Pour ma part, je pencherais pour la dernière hypothèse, plus plausible d’un Grec antique.

Et une fois de plus Montaigne pirouette, ne voulant pas trancher, prudence bien commune à son époque de guerre civile et d’esprits fanatiques, bornés par la religion. « C’est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant que l’homme. Il est malaisé d’y fonder jugement constant et uniforme. »

Au fond, il laisse le lecteur penser par lui-même. A chacun d’élaborer ses propres « essais ». Dans le doute, résister paraît meilleur car c’est un automatisme animal : ainsi la fuite déclenche chez le chat ou le chien le réflexe de poursuite, ainsi les islamistes du Bataclan ont-ils cessé de tirer sur la foule lorsqu’un seul policier s’est mis à leur tirer dessus – ils étaient sidérés, ramenés à leur condition de mortels, douché qu’on « ose » leur résister comme si Allah n’était pas avec eux.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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Braveheart de Mel Gibson

Sixième de onze enfants d’une mère irlandaise et ayant travaillé en usine en Australie, Mel Gibson aime à incarner l’aspiration à la liberté des opprimés : les Irlandais, les Ecossais, les survivants de l’apocalypse de Mad Max, les révoltés de la Bounty, les fédéraux contre la mafia en jouant Eliott Ness. Il a 39 ans et est en pleine maturité physique et professionnelle lorsqu’il incarne le légendaire William Wallace, héros de l’indépendance écossaise entre 1280 et 1305.

Le gamin crasseux (James Robinson) de la ferme pauvre isolée dans les Highlands, voit son père et son frère aîné partir combattre l’Anglais qui vient piller le pays ; ils en reviennent cadavres, tranchés de coups d’épée et percés de coups de piques. Brutal, le réalisateur Gibson montre le sang, les blessures, les chevaux éventrés (des maquettes), toute l’horreur bouchère de la guerre. Pris par son oncle sous son aile, éduqué à l’étranger dans les lettres et les armes, le jeune garçon va devenir un homme. Ce qui compte, lui dit son oncle, c’est avant tout la tête ; le bras ne vient qu’ensuite. William Wallace adulte (Mel Gibson) revient sur ses terres et ne rêve de de pouvoir cultiver et fonder une famille en ne demandant rien à personne, en autarcie comme tous les pionniers que la politique indiffère.

Mais l’Anglais ne l’entend pas de cette oreille. Le roi Edouard 1er (Patrick McGoohan), dit le Sec pour son cynisme sans pitié, veut mettre à merci ces loqueteux rebelles et impose le droit de cuissage sur les jeunes mariées écossaises à tous les nobliaux anglais qui occupent le pays (droit inventé, qui n’existait pas en ce temps). Il tente ainsi une acculturation ethnique pour mêler les sangs en même temps que la contrainte imposera le pouvoir de Londres. Wallace, qui aime la belle Murron (Catherine McCormack), celle qui lui avait offert un chardon enfant sur la tombe de son père, la voit en passe d’être violée ; il la défend, la pousse sur un cheval, mais le terrain et l’Anglais empêchent sa fuite et elle est égorgée en public par le shérif (sans être violée, ce qui est catholiquement correct mais moyenâgeusement peu vraisemblable). Mel Gibson, en bon catho tradi, élimine ce qui le gêne dans l’Histoire. Mais il pratique le biblisme à l’américaine, qui privilégie l’ancien Testament au nouveau, en rendant œil pour œil et dent pour dent : il égorge lui-même le shérif égorgeur.

C’est ainsi que le jeune Wallace devient rebelle, et comme il n’est ni rustre ni bête – il sait même le latin et le français – il va donner du fil à retordre à Messires les Anglais. D’autant qu’Edouard 1er mandate son fils tapette (Peter Hanly) pour mater la révolte écossaise, afin de le viriliser (en vrai, le futur Edouard II est plus cultivé que pédé, mais Gibson aime forcer le trait entre « Bien et Mal »). C’est sa femme Isabelle de France (Sophie Marceau), la future reine, fille de Philippe le Bel, qui porte la culotte (bien qu’elle n’eût qu’environ 12 ans à l’époque de la véritable histoire et n’était pas encore mariée au prince de Galles…). Elle est envoyée par le roi pour soudoyer Wallace, mais tombe sous son charme ; en lieu et place d’un barbare qui ne connait que la violence, elle découvre son courage, son grand amour massacré et sa passion pour la liberté. Braveheart est traduit en québécois par Cœur vaillant, ce qui fait très scout catholique (et ravit Gibson) mais reflète assez bien la bravoure passionnée contenue dans le mot. Mel Gibson, en bon descendant d’Irlandais, dote plutôt la Française d’un amour de la révolution et de la liberté bien peu dans l’air des temps féodaux. Il pratique la post-vérité à l’hollywoodienne en réécrivant l’histoire qui convient à sa propre époque.

Cette séduction va aller très loin puisqu’Isabelle va trahir son roi pour renseigner Wallace afin qu’il évite les pièges qui lui sont tendus ; elle va même coucher avec lui pour donner un fils à son mari, trop tapette pour lui en faire un, même si le roi Edouard a jeté d’une ouverture de la tour de Londres le trop beau compagnon du prince de Galles (ce qui est historiquement incorrect, Peter Gaveston fut exilé avant de revenir à la mort d’Edouard 1er). Ironie filmique du renversement de situation : la guerre biologique que voulait mener Edouard le Sec par droit de cuissage pour engendrer des mâles anglais à droit d’aînesse se retourne contre lui, puisqu’Isabelle devrait donner naissance à un petit Wallace qui deviendra roi d’Angleterre. Telle est du moins la légende, un brin raciste (peut-être en réaction à la moraline trop politiquement correcte de l’ère Bill Clinton), véhiculée en 1995 par le film. Légende car William Wallace fut exécuté en août 1305, tandis que le futur Edouard III ne naitra qu’en novembre 1312. Mais ce qui compte est ici la symbolique : encore une fois l’œil pour œil de l’Ancien testament.

Wallace souffre de l’ordure politique et des chicanes entre nobliaux écossais, assez lâches et habilement stipendiés par les Anglais. Il fait gagner l’armée à Stirling avec les nobles, mais est vaincu à Falkirk, trahi par ces mêmes nobles. Pour se venger, il va exécuter lui-même les meneurs Lochlan et Mornay, tout en laissant à Bruce la vie sauve, reste d’une vieille fidélité et reconnaissance pour l’autre courage, celui de la politique, que lui-même n’aura jamais. Bruce deviendra le premier roi d’Ecosse en 1306, un an après la mort de William Wallace.

Trahi une dernière fois, par le père lépreux de Bruce (signe que la politique pourrit tout), Wallace sera torturé en public selon le trium médiéval (hanged, drawn and quartered – pendu, écartelé et démembré) parce qu’il refusera jusqu’au bout de demander pitié et de faire allégeance au roi d’Angleterre. Lequel meurt opportunément au même moment que Wallace, d’un feu intérieur qui le brûle et l’a privé de parole – deux symboles de l’emprise du Diable selon l’imagerie catholique, la parole symbole de l’humain et de la relation à Dieu, le feu, symbole de l’enfer et des tourments éternels.

Le film est bien réalisé, les scènes d’action alternent avec les scènes intimistes, la violence brute avec l’intelligence et l’humour. Le paysage rude des Highlands, qui rappelle souvent celui des fjords de Norvège, semble mettre aux prises les descendants des Vikings aux descendants des Saxons, la culture fermière du nord à la culture urbaine du sud, le peuple (pur) contre les élites (corrompues). Les urbains veulent dominer les fermiers – tout comme dans l’Ouest sauvage et durant la guerre de Sécession américaine – et les fermiers résistent, voulant rester « sires de soi ».

Beaucoup d’approximations historiques et d’anachronismes font de ce film plus un récit mythique hollywoodien qu’un document d’histoire. Mel Gibson délivre un message clair : la liberté avant tout ; elle est la condition de l’amour et de la droiture, elle définit toute morale selon la religion. Car si le Dieu catholique nous a donné la liberté de pécher, c’est pour mieux nous rendre responsables de notre destin ici-bas et au-delà. A bon entendeur…

DVD Braveheart de Mel Gibson, 1995, avec Mel Gibson, Sophie Marceau, Patrick McGoohan, Catherine McCormack, Twentieth Century Fox, blu-ray 2010 version longue 2h51 €11.80, édition single €7.20, édition Digibook Collector + livret €19.99

L’histoire romancée de Bruce, qui deviendra premier roi d’Ecosse

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