Articles tagués : oeil pour oeil

Fire Fire – Vengeance par le feu de David Barrett

Jeremy Coleman (Josh Duhamel) est un jeune pompier orphelin, élevé en institution, qui a trouvé une famille dans la fraternité du feu. Un soir qu’il sort de la voiture avec ses copains pour aller acheter des chips dans une supérette de station-service, il assiste en direct au meurtre froid et sans état d’âme d’un gros Noir qui tient la caisse et de son fils, mince adolescent qui rêvait d’être basketteur. Il les connaît, cela lui fait mal, il est plaqué à terre et le chef de gang David Hagan (Vincent D’Onofrio), laisse son adjoint décider du sort du témoin. Il va évidemment l’éliminer.

D’où course-poursuite, Jeremy blessé au bras mais qui parvient à fuir, l’autre croyant l’avoir descendu. Ses copains qui sont allés faire le plein le récupèrent, l’emmènent aux urgences et appellent la police. Le lieutenant Mike Cella (Bruce Willis) lui fait reconnaître Hagan, déjà fiché pour de nombreux meurtres, dont celui de deux de ses coéquipiers, mais que son avocat retord (Richard Schiff) finit toujours par faire libérer.

David Hagan est un fan d’Adolf Hitler. Il est suprémaciste blanc et n’a aucun scrupule à buter des Noirs, à empiéter sur le territoire de leurs gangs, et à s’imposer dans la guerre de tous contre tous qu’exige son idéologie pronazie. Il voulait le bail de la supérette, idéalement placée pour tous les trafics illicites, car au carrefour de l’autoroute et d’autres routes. Il a tatoué sur sa gorge une croix gammée rouge sang et, sur sa poitrine, un aigle étendant ses ailes. Il se croit invincible parce qu’invaincu, la « justice » démocratique étant incapable de l’enfermer pour de bon ou de lui régler son compte. Car si la peine de mort existe dans certains Etats américains, ce n’est plus le cas en Californie et les prisons sont des passoires pour qui a le pouvoir et l’argent.

Jeremy reconnaît sans peine Hagan lors d’un tapissage dans les locaux de la police, mais celui-ci joue la provocation en montrant combien il s’est renseigné sur lui, citant son nom, son adresse et son numéro de sécurité sociale. Il a ainsi « dissuadé » de nombreux témoins d’apporter leur déclaration au tribunal par des menaces directes sur leur vie et celle de leurs proches. Mais Jeremy n’a pas de famille, ni même de petite amie attitrée. Il est déterminé à témoigner pour que passe la justice.

Il est alors soumis au programme fédéral de protection des témoins, dont s’occupent les marshals à compétences fédérales. Il est pourvu d’un nouveau nom, d’une nouvelle adresse sécurisée. Sauf que la corruption par la menace de mort, propres à tous les fascistes, est bien plus efficace que celle par l’argent. Un officier fédéral du programme de protection des témoins est enlevé, torturé, menacé assez fort sur sa famille pour révéler ce qu’il faut. Jeremy, qui est tombé amoureux de la marshal métisse Talia (Rosario Dawson) – pied de nez au suprémacisme blanc – est retrouvé, visé, traqué.

Sa partenaire est blessée, il la sauve et descend l’un des tireurs, mais il doit à nouveau fuir. Les fédéraux jurent que « cette fois » ses références seront effacées des fichiers courants, soumises à autorisation très restreinte, mais pourquoi ne l’ont-ils pas fait avant ? Incurie génétique de toute bureaucratie, on se fie aux « procédures », concoctées par des bureaucrates loin du terrain, en général inefficaces.

Comme Hagan s’est procuré le nouveau numéro de téléphone privé de Jeremy et qu’il le menace de s’en prendre à lui, à sa copine et à ses amis pompiers s’il témoigne, ce dernier décide de quitter le programme fédéral et de se débrouiller tout seul. Cette façon de raisonner est très américaine : l’Etat impuissant oblige chacun à retrouver son âme de pionnier et à faire justice lui-même.

C’est en effet lui ou moi. Tant que Hagan reste en vie, il mettra des contrats sur Jeremy et sur Talia. Même s’il est emprisonné, il ne sera pas hors d’état de nuire. Il faut donc carrément le descendre, ce que « la justice » n’autorise pas dans les Etats démocratiques. Même le flic Cella ne le pourrait pas, sauf en état de légitime défense – mais avec témoins et film en preuve directe, et encore ! La critique implicite des avocats est patente : ils pourrissent la justice par leurs excès de pinaillages procéduriers. Ils sont d’ailleurs aussi menacés que les victimes s’ils ne font pas ce que les tueurs veulent.

Le réalisateur Barrett, adepte des sports extrêmes, est un homme décidé et il veut que ses héros le soient. Jeremy, jeune amoureux, va se surpasser. Lui qui n’a jamais tué personne mais plutôt sauvé des vies du feu, va tirer au pistolet comme le lui a appris Talia ; il va obtenir des malfrats comme de l’avocat de savoir où se niche l’épais Hagan. Il va bouter le feu à son repaire, préparant soigneusement sa sortie.

Bien-sûr, rien ne se passe comme prévu. La marshal Talia va compromettre « par amour » la couverture de Jeremy, se faire suivre et capturer par un tueur – nous sommes ainsi dans les clichés Hollywood sur les « faibles » femmes soumises à leurs émotions. Elle sera ligotée dans la salle où part le feu. Mike Cella, le flic désabusé, laisse faire « jusqu’à 18 h seulement » – il lancera un avis de recherche contre Jeremy ensuite. Et puis… chacun est professionnel – autre trait américain – et fait ce qu’il sait faire de mieux. Je ne vous le décris pas, c’est assez prenant. Le Bien triomphera, sinon nous ne serions pas à Hollywood.

Voilà, à défaut d’un grand film, un bon film d’action, malgré l’absence de toute trace d’humour ou même d’ironie. On ne s’ennuie pas, on halète, on frissonne (to thrill). La leçon est un peu cousue de gros fil métis, mais nous sommes cinq ans avant l’ère Trump et l’état d’esprit est en train de virer à droite toute aux Etats-Unis. L’histoire ainsi contée tente de faire la part des choses, le oui-mais de la « justice » ou de ‘l’œil pour œil dent pour dent’ de la fameuse Bible, canal Ancien testament.

DVD Fire Fire – Vengeance par le feu parfois titré Témoin gênant (Fire with Fire), David Barrett, 2012, avec Josh Duhamel, Bruce Willis, Rosario Dawson, Vincent D’Onofrio, 50 Cent, ‎ France Télévisions Distribution 2017, 1h33, €13.00 Blu-ray €12.16

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Un justicier dans la ville 2 de Michael Winner

Juste avant le tournant moral et rigide opéré sous Reagan, Hollywood n’en finissait plus de vilipender le laxisme post-68. New York, Los Angeles, étaient gangrenées par la violence des jeunes marginaux, dealers, violeurs, voleurs. L’architecte Paul Kersey (Charles Bronson) avait dans un premier film (plus soft en 1974) vu sa femme tuée et sa fille violée à New York. Malgré sa description précise des agresseurs, la police n’avait rien foutu et les juges avaient laissé tomber ; il avait dû régler lui-même cette affaire. Cette fois, lorsque la même chose lui arrive à Los Angeles, il ne fait plus ni confiance à la police ni à la justice : il se fait justice lui-même.

Chacun sait que le christianisme version protestante ne reprend les livres de l’Ancien testament que dans leur version en hébreu, alors que le catholicisme les reprend dans leur version traduite en grec par les Septante. Il y a quelques divergences d’interprétation. Pas plus l’une que l’autre n’est « authentique » car les versions ont été copiées et recopiées durant des centaines d’années, non sans quelques modifications, mais la Bible en hébreu est plus radicale que la Bible en grec, et les protestants sont plus rigoristes (et les producteurs du film, Menahem Golan et Yoram Globus, sont juifs). Si le Christ leur dit qu’il faut aimer ses ennemis, eux préfèrent le diction ancien : œil pour œil, dent pour dent. Ce pourquoi la peine de mort subsiste dans de nombreux états américains.

La République américaine est née de la résistance au colonialisme anglais et s’est voulue fédérale pour diviser les pouvoirs. Chaque citoyen est comptable de la patrie, il ne délègue à « l’Etat » le monopole de la violence légitime que sous vigilance. Ce pourquoi il garde le droit de porter des armes. Lorsque l’Etat et les institutions sont défaillants, il prend lui-même son destin en main. Ces films du début des années 1980 ne font que préfigurer ce qui sera la « réaction » américaine après le 11-Septembre 2001, puis le Wikileaks de Julian Assange ou le film XIII : la résistance personnelle soit à l’anarchie laxiste, soit au contrôle centralisé.

A Los Angeles, les jeunes populaires, Blancs et Noirs mêlés, sont gonflés d’hormones et égarés de cocaïne. Ils se baladent en groupe, torse nu sous des gilets ouverts ou arborant un tee-shirt filet qui laisse voir leurs muscles. Ils bousculent, insultent, prennent. La société bourgeoise libérale de gauche les laisse faire, idéologiquement impuissante et physiquement indigente. Son inverse, Rambo, naît à cette date, revivifiant le mythe du Batman athlétique qui bat les méchants sur leur propre terrain. Kersey se voit dépouillé de son dollar mais aussi de son portefeuille par cinq gars en allant acheter une glace pour sa fille Carol (Robin Sherwood), restée muette après son viol à New York. Il poursuit l’un des agresseurs, un Noir armé d’un couteau au tee-shirt filet – mais ce n’est pas lui qui a le portefeuille.

Il passerait donc la chose par pertes et profits si son permis de conduire avec son adresse ne figurait dans le portefeuille. La bande des cinq va repérer sa maison, une demeure cossue dans un quartier vert. Et elle décide d’entrer. La cuisinière femme de chambre Rosaria (Silvana Gallardo) est brutalement violée, ses vêtements déchirés. Elle est prise dans le couloir, sur le lit, par chacun des jeunes hommes bien membrés. Le film la montre entièrement nue et s’étend complaisamment sur la scène du viol avec violence suivie de meurtre, dans les cris de la victime et les halètements d’excitation des agresseurs. Kersey rentre à ce moment avec sa fille et il est vite assommé. La femme de chambre nue tente d’attraper le téléphone mais maladroitement, ce qui fait du bruit ; le chef blond qui porte un pied de biche lui en balance un coup qui lui fend le crâne aussi sec.

Le gang doit fuir et Carol est emmenée dans leur squat, un sous-sol de parking miteux. Comme elle est belle et pubère, l’un des Noirs la viole consciencieusement, doucement mais profond, après lui avoir ôté soutien-gorge et culotte. Carol reste frigide comme une poupée gonflable malgré les caresses sur les seins, les suçons de téton et l’ardeur du mâle. Comme quoi le « faites l’amour, pas la guerre » des hippies pacifistes ne suffit pas au bonheur. Une fois l’affaire faite, elle se relève et profite d’un moment de flottement pour fuir. Poursuivie, elle se jette dans une fenêtre et tombe sur une grille hérissée de piques où elle s’empale et meurt. Est-ce un suicide ? Est-ce une réaction normale de fuite ? Est-ce une « leçon morale » pour dire que la loi du plus fort aboutit à la volonté de ne plus vivre du reste de la société ?

Devant ce désastre, Kersey ne décrit pas les agresseurs à la police qui, de toutes façons, sera inefficace ; s’ils arrêtent l’un ou l’autre, les juges décréteront des circonstances atténuantes ou un égarement psychiatrique au moment des faits. Lui préfère faire justice à sa manière : au revolver, comme un cow-boy de l’ancien temps.

Il va dès lors acheter des vêtements de pauvre, louer une chambre miteuse pour 50 $ par mois à un Chinois dans le quartier miteux, et passer ses soirées à rechercher la bande. Il s’y reprendra à deux fois avant de les abattre un à un, profitant de nouvelles agressions de leur part ou d’un deal d’armes contre drogue. Un flic de New York (Vincent Gardenia) a été appelé en renfort par la police de Los Angeles parce que le mode opératoire des exécutions rappelle celui qui avait eu lieu. Rusé, le flic suit Kersey en taxi lors de son périple nocturne mais se trouve embringué dans la fusillade avec les trafiquants et prend une balle mortelle. Kersey peut donc continuer sa traque car il lui en manque un au palmarès (Thomas F. Duffy).

Las ! Les flics mettent la main sur lui in extremis et il passe en jugement. Comme de bien entendu, le juge prononce un internement psychiatrique car sa raison était altérée au moment des faits. Le violeur fait un signe de victoire à sa mère. Kersey va s’introduire dans l’hôpital psychiatrique et finir par le tuer, non sans mal car la bête est puissante et réactive.

Pour lier la sauce, une amourette sans grand intérêt avec une journaliste de radio (Jill Ireland, épouse de Charles Bronson) s’entremêle à la vengeance. La belle a des idées libérales, milite contre la peine de mort et se trouve convaincue par « l’antipsychiatrie » (très à la mode dans les décennies 1960 et 70) qui traite en douceur les malades, ce qui leur permet le plus souvent de mieux simuler et d’échapper au pénitencier. La belle âme s’offusque de la loi du talion et ne conçoit pas « l’amour » à l’état de nature. Elle fait donc ses valises et fuit dans sa coûteuse voiture de sport racée, la Chevrolet Corvette Sting Ray convertible. L’intello-bourgeoisie refuse de regarder le réel en face, ce pourquoi un ancien acteur cow-boy réactionnaire remporte la présidence en janvier 1981.

Car si la vengeance personnelle n’est pas socialement acceptable (auquel cas, à quoi sert l’Etat ?), les carences de la police, de la justice et le laxisme moral ambiant des couches intellectuelles n’est pas plus socialement acceptable. Un juste milieu humain est à tenir entre la punition (indispensable) et la faute sociale équitablement pesée (qui entraînera réinsertion). Seul l’un des garçons a tué ; les autres ont violé. Quand Kersey donne la mort à chacun, est-ce proportionné ? Est-ce « justice » ? La froideur de Kersey face aux bourreaux, son absence de souffrance exprimée lors de l’enterrement de sa fille, l’absence d’empathie envers sa compagne journaliste, en font une sorte de machine implacable peu crédible. Est-ce voulu ? Tout citoyen ne peut s’improviser vengeur impunément.

DVD Un justicier dans la ville 2 (Death Wash 2), Michael Winner, 1982, avec Charles Bronson, Robin Sherwood, Jill Ireland, Vincent Gardenia, Ben Frank, Silvana Gallardo, Thomas F. Duffy, Laurence Fishburne, VERSION LONGUE Sidonis Calysta 2019, 1h31, standard €16.99 blu-ray €19.99

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Braveheart de Mel Gibson

Sixième de onze enfants d’une mère irlandaise et ayant travaillé en usine en Australie, Mel Gibson aime à incarner l’aspiration à la liberté des opprimés : les Irlandais, les Ecossais, les survivants de l’apocalypse de Mad Max, les révoltés de la Bounty, les fédéraux contre la mafia en jouant Eliott Ness. Il a 39 ans et est en pleine maturité physique et professionnelle lorsqu’il incarne le légendaire William Wallace, héros de l’indépendance écossaise entre 1280 et 1305.

Le gamin crasseux (James Robinson) de la ferme pauvre isolée dans les Highlands, voit son père et son frère aîné partir combattre l’Anglais qui vient piller le pays ; ils en reviennent cadavres, tranchés de coups d’épée et percés de coups de piques. Brutal, le réalisateur Gibson montre le sang, les blessures, les chevaux éventrés (des maquettes), toute l’horreur bouchère de la guerre. Pris par son oncle sous son aile, éduqué à l’étranger dans les lettres et les armes, le jeune garçon va devenir un homme. Ce qui compte, lui dit son oncle, c’est avant tout la tête ; le bras ne vient qu’ensuite. William Wallace adulte (Mel Gibson) revient sur ses terres et ne rêve de de pouvoir cultiver et fonder une famille en ne demandant rien à personne, en autarcie comme tous les pionniers que la politique indiffère.

Mais l’Anglais ne l’entend pas de cette oreille. Le roi Edouard 1er (Patrick McGoohan), dit le Sec pour son cynisme sans pitié, veut mettre à merci ces loqueteux rebelles et impose le droit de cuissage sur les jeunes mariées écossaises à tous les nobliaux anglais qui occupent le pays (droit inventé, qui n’existait pas en ce temps). Il tente ainsi une acculturation ethnique pour mêler les sangs en même temps que la contrainte imposera le pouvoir de Londres. Wallace, qui aime la belle Murron (Catherine McCormack), celle qui lui avait offert un chardon enfant sur la tombe de son père, la voit en passe d’être violée ; il la défend, la pousse sur un cheval, mais le terrain et l’Anglais empêchent sa fuite et elle est égorgée en public par le shérif (sans être violée, ce qui est catholiquement correct mais moyenâgeusement peu vraisemblable). Mel Gibson, en bon catho tradi, élimine ce qui le gêne dans l’Histoire. Mais il pratique le biblisme à l’américaine, qui privilégie l’ancien Testament au nouveau, en rendant œil pour œil et dent pour dent : il égorge lui-même le shérif égorgeur.

C’est ainsi que le jeune Wallace devient rebelle, et comme il n’est ni rustre ni bête – il sait même le latin et le français – il va donner du fil à retordre à Messires les Anglais. D’autant qu’Edouard 1er mandate son fils tapette (Peter Hanly) pour mater la révolte écossaise, afin de le viriliser (en vrai, le futur Edouard II est plus cultivé que pédé, mais Gibson aime forcer le trait entre « Bien et Mal »). C’est sa femme Isabelle de France (Sophie Marceau), la future reine, fille de Philippe le Bel, qui porte la culotte (bien qu’elle n’eût qu’environ 12 ans à l’époque de la véritable histoire et n’était pas encore mariée au prince de Galles…). Elle est envoyée par le roi pour soudoyer Wallace, mais tombe sous son charme ; en lieu et place d’un barbare qui ne connait que la violence, elle découvre son courage, son grand amour massacré et sa passion pour la liberté. Braveheart est traduit en québécois par Cœur vaillant, ce qui fait très scout catholique (et ravit Gibson) mais reflète assez bien la bravoure passionnée contenue dans le mot. Mel Gibson, en bon descendant d’Irlandais, dote plutôt la Française d’un amour de la révolution et de la liberté bien peu dans l’air des temps féodaux. Il pratique la post-vérité à l’hollywoodienne en réécrivant l’histoire qui convient à sa propre époque.

Cette séduction va aller très loin puisqu’Isabelle va trahir son roi pour renseigner Wallace afin qu’il évite les pièges qui lui sont tendus ; elle va même coucher avec lui pour donner un fils à son mari, trop tapette pour lui en faire un, même si le roi Edouard a jeté d’une ouverture de la tour de Londres le trop beau compagnon du prince de Galles (ce qui est historiquement incorrect, Peter Gaveston fut exilé avant de revenir à la mort d’Edouard 1er). Ironie filmique du renversement de situation : la guerre biologique que voulait mener Edouard le Sec par droit de cuissage pour engendrer des mâles anglais à droit d’aînesse se retourne contre lui, puisqu’Isabelle devrait donner naissance à un petit Wallace qui deviendra roi d’Angleterre. Telle est du moins la légende, un brin raciste (peut-être en réaction à la moraline trop politiquement correcte de l’ère Bill Clinton), véhiculée en 1995 par le film. Légende car William Wallace fut exécuté en août 1305, tandis que le futur Edouard III ne naitra qu’en novembre 1312. Mais ce qui compte est ici la symbolique : encore une fois l’œil pour œil de l’Ancien testament.

Wallace souffre de l’ordure politique et des chicanes entre nobliaux écossais, assez lâches et habilement stipendiés par les Anglais. Il fait gagner l’armée à Stirling avec les nobles, mais est vaincu à Falkirk, trahi par ces mêmes nobles. Pour se venger, il va exécuter lui-même les meneurs Lochlan et Mornay, tout en laissant à Bruce la vie sauve, reste d’une vieille fidélité et reconnaissance pour l’autre courage, celui de la politique, que lui-même n’aura jamais. Bruce deviendra le premier roi d’Ecosse en 1306, un an après la mort de William Wallace.

Trahi une dernière fois, par le père lépreux de Bruce (signe que la politique pourrit tout), Wallace sera torturé en public selon le trium médiéval (hanged, drawn and quartered – pendu, écartelé et démembré) parce qu’il refusera jusqu’au bout de demander pitié et de faire allégeance au roi d’Angleterre. Lequel meurt opportunément au même moment que Wallace, d’un feu intérieur qui le brûle et l’a privé de parole – deux symboles de l’emprise du Diable selon l’imagerie catholique, la parole symbole de l’humain et de la relation à Dieu, le feu, symbole de l’enfer et des tourments éternels.

Le film est bien réalisé, les scènes d’action alternent avec les scènes intimistes, la violence brute avec l’intelligence et l’humour. Le paysage rude des Highlands, qui rappelle souvent celui des fjords de Norvège, semble mettre aux prises les descendants des Vikings aux descendants des Saxons, la culture fermière du nord à la culture urbaine du sud, le peuple (pur) contre les élites (corrompues). Les urbains veulent dominer les fermiers – tout comme dans l’Ouest sauvage et durant la guerre de Sécession américaine – et les fermiers résistent, voulant rester « sires de soi ».

Beaucoup d’approximations historiques et d’anachronismes font de ce film plus un récit mythique hollywoodien qu’un document d’histoire. Mel Gibson délivre un message clair : la liberté avant tout ; elle est la condition de l’amour et de la droiture, elle définit toute morale selon la religion. Car si le Dieu catholique nous a donné la liberté de pécher, c’est pour mieux nous rendre responsables de notre destin ici-bas et au-delà. A bon entendeur…

DVD Braveheart de Mel Gibson, 1995, avec Mel Gibson, Sophie Marceau, Patrick McGoohan, Catherine McCormack, Twentieth Century Fox, blu-ray 2010 version longue 2h51 €11.80, édition single €7.20, édition Digibook Collector + livret €19.99

L’histoire romancée de Bruce, qui deviendra premier roi d’Ecosse

Catégories : Cinéma, Ecosse | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Gaston Leroux, Aventures incroyables

gaston leroux aventures incroyables bouquins
Né en 1868 et mort en 1927, Gaston Leroux a été successivement avocat, journaliste, feuilletoniste, romancier, auteur de théâtre. C’est ce dernier métier qu’il valorisait le plus (très estimé à l’époque) – c’est celui pour lequel il est le moins reconnu aujourd’hui. Son activité de romancier, en revanche, reste dans les mémoires grâce à la télévision et au cinéma. Ses héros, Rouletabille et Chéri-Bibi, sont à l’égal de Fantomas, d’Arsène Lupin ou de Vautrin.

C’est un recueil d’œuvres moins connues qui est publié par Francis Lacassin dans Bouquins, œuvres pour la plupart parues en feuilleton dans les journaux, version imprimée de la « série » télé aujourd’hui. Les amateurs se précipitaient sur la presse pour savoir la suite et le feuilletoniste devait accrocher par un style direct, de l’action sanglante, l’humilité d’un héros qui aurait pu être vous et moi, et des rebondissements inattendus répétés. Seule la fin de ces romans à épisodes laisse sur sa faim, comme bâclés, l’auteur ayant du mal à conclure. Ces procédés, repris depuis à l’envie par l’image télévisée et les thrillers américains, permettent de lire avec plaisir, de nos jours encore, la prose d’un bon bourgeois de Paris il y a un siècle. Tous les « littératreux » ne peuvent en dire autant : qui lit encore Paul Bourget ? ou Anatole France ?

Huit romans feuilletons et une poignée d’Histoires épouvantables vous permettront de passer quelques heures sans vous ennuyer dans les trains ou les avions.

Le Capitaine Hyx et La bataille invisible se passent durant la guerre de 14-18 (reprenant le thème du capitaine Nemo) ; La poupée sanglante et La machine à assassiner dans le Paris des années 20 (doublant l’allégorie de Frankenstein) ; L’homme qui a vu le diable dans une vallée reculée du Jura (mythe romantique néomédiéval du diable) ; Le cœur cambriolé dans la banlieue chic de Paris (scientisme sombre julevernien) ; et Mister Flow entre Paris, Deauville et l’Écosse (imitation d’Arsène Lupin, en plus dramatique).

Ces histoires disent l’ambivalence de la science, progrès et menace ; l’éternité de l’amour, qui rend les femmes belles et les hommes idiots ; l’essence du mal, manipulateur, voleur, jaloux ; la pression des préjugés et de la morale des vieilles filles. Aucune politique en ces pages, mais des passions personnelles exacerbées. Sauf pour la guerre 14-18, sujet du capitaine Hyx, qui se venge des exactions commises par les soudards allemands en Belgique et dans le nord de la France dès 1914, violant les femmes et coupant les mains des enfants selon des rapports officiels cités. Hyx est un pseudo comme Nemo et, comme lui, riche désirant se venger d’une offense personnelle : sa femme a été prise et molestée par la barbarie boche. Il fait construire un gros sous-marin pour enlever des officiers allemands ici ou là et appliquer le biblique « œil pour œil » : les officiers sont amputés à proportion des malheurs survenus aux civils. Ils doivent écrire des lettres et envoyer des photos de leur malheur pour que le haut commandement impérial prenne les dispositions qu’il faut pour respecter la Convention de Genève.

Publié en 1917, en pleine bataille, cette vengeance de ressentiment permet de mieux comprendre les Israéliens ou les Palestiniens aujourd’hui, tout comme les pro DAESH et les anti-DAESH. Les protagonistes discutent et contestent cette façon de faire, mais reconnaissent sa relative efficacité, tout en posant des limites (ni les femmes, ni les enfants – distinction que les ordures islamiques de DAESH ne font pas). Où le feuilleton écrit des journaux faisait bien mieux pour le débat démocratique que les borborygmes sans profondeur aujourd’hui dans les séries de la TV commerciale…

Mais il n’y aurait pas de suspense si tout était simple. Le lecteur du XXIe siècle peut mesurer combien les croyances allemandes en la supériorité de leur race, le travail de leur peuple, l’organisation de leur machine économique et militaire, préparait déjà le nazisme. Un vieux professeur d’université allemand animé par Gaston Leroux (1917) : « Madame, Messieurs, je bois et buvons à la patrie allemande qui, dans une confiance pleine d’espoir, tourne les yeux vers on maître impérial dont il n’est point une parole jusqu’alors adressée à son peuple et au monde qui ne respire la force, le courage, la piété et la justice ! dont il n’est point un acte qui ne concoure à la paix et à la joie du monde, sous le sceptre de la pensée et de la force allemande ! Hoch ! hoch ! hurrah !… » p.50.

Pourquoi affecter de nos jours d’avoir été autant surpris par les propos d’un Hitler, alors que la presse nationaliste allemande disait officiellement la même chose en 1914 ? Volonté d’excuser la légèreté française des intellos qui n’ont rien vu, rien compris (Sartre, par exemple) ? Aveuglement popu du « plus jamais ça », croyant qu’il suffit de dire « non » pour la guerre n’éclate plus jamais ?

Ce déni – tellement français, jusque dans les affaires économiques de ces derniers mois – se voit implacablement dénoncé par le feuilleton de Gaston Leroux : oui, les Français savaient, dès 1914, de quoi l’Allemagne était capable ! Oui, la guerre 14-18 préfigurait la guerre 40-45 ! Oui, Hitler était déjà, sinon encore dans les têtes, du moins dans les tripes allemandes de la première moitié du XXe siècle ! Il fallait vraiment être immature ou apatride pour ne pas s’en être rendu compte.

Mais les intellos – tout comme la majorité des journalistes, toujours suiveurs de la mode intello – nous ont montré avec Staline, puis Castro, Mao, Pol Pot, qu’ils préféraient « croire » plutôt qu’observer, s’enfler de bons sentiments valorisants plutôt que d’humbles analyses utiles.

Gaston Leroux, Aventures incroyables, 1908-1927, Bouquins Laffont 1992, 1220 pages, €29.40

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,