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Lian Hearn, Le clan des Otori

Gillian Rubinstein, née en 1942 en Angleterre, est célèbre en Australie pour ses romans destinés à la jeunesse. Très discrète avec trois enfants, elle a avoué son vrai nom en 2002, vu le succès de sa série japonaise pour adulte Le clan des Otori, adaptée au cinéma. Trois tomes étaient initialement prévus, deux autres se sont ajoutés quatre ans plus tard. Les enfants des Otori ont suivi en deux tomes pour le moment, prolongeant le succès.

Nous sommes au XIVe siècle dans le Japon médiéval où les clans des seigneurs locaux se disputent le pouvoir par alliances et traîtrises, pressurant les paysans pour financer l’armement de leurs guerriers. La guerre est un métier, ce qui explique qu’il faut les employer sous peine d’en faire des ronins sans maîtres, autrement dit des mercenaires, voire des bandits de grands chemins. Le paysage est imaginaire, seules les villes de Hagi et de Matsue sont réelles, tout le reste est inventé. L’autrice, fascinée par le Japon, s’est longuement documentée sur l’époque et ses mœurs, ce qui donne un ton très réaliste aux aventures racontées.

Nous saisissons Tomasu, à peine 15 ans, vagabondant dans la montagne qui entoure son village de Mino ; son père est mort, il ne l’a pas connu, et sa mère lui a donné deux petites sœurs. Le garçon mue et grandit, il a besoin de se dépenser, son ouïe s’affine. Lorsqu’il revient le soir venu au village, tous les habitants ont été tués par les soudards du seigneur Tohan qui veut éradiquer les Invisibles, une secte religieuse qui ressemble fort aux chrétiens cachés avec son dieu unique, ses prières rituelles et son interdiction de tuer. Tomasu se fait repérer et ne doit de pouvoir fuir que par sa présence d’esprit à jeter des braises sur le cheval du seigneur Iida qui brandit son sabre pour le massacrer. Poursuivi par trois comparses, dont un au visage de loup, il va être rattrapé lorsqu’un guerrier surgit de derrière un arbre. Il le défend, tue un sbire, coupe la main d’un autre et fait s’enfuir le dernier. Il prend Tomasu sous sa protection.

Ce guerrier est le seigneur Otori Shigeru (à la japonaise, le nom de famille est placé avant le prénom, comme en France en classe dans les années 1950 et 60). Le garçon lui rappelle son jeune frère Takeshi, tué durant les guerres récentes. Il a d’ailleurs un air de famille qui se renforcera en grandissant. Shigeru l’adopte et lui donne le prénom de Takeo. Mais l’adolescent est convoité par la Tribu, mélange de secte musulmane des Assassins et des pratiques errantes, commerçantes et sécuritaires du peuple juif (l’autrice porte un nom de ce peuple). Tomasu-Takeo est l’un d’eux, son père appartenait à la Tribu, où il est renommé Minoru et surnommé le Chien pour ses performances en ouïe et odorat supérieures à celle de ses cousin, mais aussi par jalousie du principal héritier de la famille la plus puissante, Akio des Kukita.

Parallèlement, la jeune Shirakawa Kaede, est otage depuis l’âge de 7 ans auprès du seigneur Nobuchi, allié d’Iida Sadamu, chef du clan des Tohan. Lorsqu’elle atteint 15 ans, sa beauté se révèle et sa féminité manque de la faire violer par un guerrier du château. Le capitaine Araï la sauve en égorgeant le sbire mais Iida est mécontent et l’exile, tout en songeant à marier au plus vite la jeune fille. Parmi les clans, les mariages sont arrangés pour assurer les alliances et grossir les terres. Quoi de mieux que le chef du clan des Otori pour l’héritière du domaine de Shirawaka, les deux faisant allégeance à Iida ? Le mariage est donc décidé, poussé par les oncles de Shigeru qui administrent jusqu’à présent le territoire et verraient bien leur neveu otage du seigneur. Il est secrètement prévu qu’une fois dans la place, Shigeru sera assassiné sous un prétexte quelconque et que la fille Haeda sera la putain d’Iida, déshonorée par la pseudo-trahison de son époux.

Mais rien ne se passe comme prévu. Otori Shigeru, qui se rend au château de Yamagata depuis sa forteresse sur la mer et entre deux fleuves de Hagi, emmène Otori Takeo, son nouveau fils adoptif qu’il a fait former aux lettres et au combat guerrier durant deux années par Ishiro son maître et par Kenji, son ami de la Tribu. Kaede, lorsqu’elle voit le jeune garçon chevauchant derrière Shigeru son futur mari, en tombe immédiatement amoureuse. Shigeru trahi, torturé et attaché nu le long des remparts, les épaules démises, Takeo va vouloir le venger en tuant le seigneur Iida. Avec ses talents natifs de la Tribu qu’il ne maîtrise pas encore, mais aussi le courage guerrier des Otori, il va pénétrer le château, délivrer son père et l’aider au suicide selon les rites, tandis que Kaede, qui manque de succomber au viol d’un Iida ivre de sa bonne fortune, le tue d’une épingle dans l’œil et d’un coup de poignard à la poitrine. Sacré couple que ces deux jouvenceaux de 17 et 15 ans ! Ils s’empressent d’ailleurs de faire l’amour tout nu près du cadavre, dans la fièvre de l’action. Fin du tome 1.

Mais la Tribu veille ; elle a autorisé Takeo à venger son père adoptif mais veut le récupérer pour ses talents et ses gènes afin qu’il serve d’étalon pour de futurs gamins aux pouvoirs renforcés. Après avoir engrossé Kaede, Takeo engrossera Yuki, une fille de la Tribu. Pris entre trois identités, Tomasu, Takeo et Minoru, le garçon aura fort à faire pour décider qui il veut devenir. Les Invisibles ne tuent point ; il a tué par obligation puis honneur. Les seigneurs ne volent pas ; il a volé et menti pour la Tribu. Un membre de la Tribu ne connaît aucune autre allégeance que la Tribu, allant où ses intérêts le commandent, et sans discuter ; Minoru est rebelle par la génétique, son père ayant fui la Tribu (qui l’a d’ailleurs assassiné). Outre sa mère, qui l’a tendrement aimé, sire Shigeru a éprouvé pour lui un amour filial qui le touche et l’honore, tandis que la Tribu, même avec ses membres les plus amicaux, est constamment prête à le trahir et à le tuer s’il n’obéit pas.

Il choisira l’honneur, donc la guerre.

Profitant d’une mission à Hagi pour récupérer les registres de feu Shigeru, une mine de renseignements sur la Tribu qui pourra lui donner prise sur elle, il faussera compagnie à Akio, son cousin mentor et surveillant qui l’aurait bien zigouillé pour avoir baisé Yuki, et rejoindra le monastère bouddhiste de Terayama. Ce lieu est fidèle aux Otori et situé en pleines montagnes, inaccessible en hiver, et son chef est un ancien guerrier ami du défunt Shigeru qui ne demande qu’à entraîner le fils adoptif qui lui ressemble si fort. Après maintes péripéties dangereuses, poursuivi par les sbires de la Tribu qui veulent l’occire, Takeo (qui a repris ce prénom Otori) y parvient, aidé par le moine Makoto qui avoue être amoureux de lui. L’amour est libre au Japon et chacun fait les expériences qu’il souhaite avec les garçons et les filles et Tomasu ne s’en est pas privé avec ses petits camarades au village de Mino lorsqu’il était encore enfant. Mais, devenu Takeo, il est resté raide amoureux de Kaede, laquelle, pendant ce temps, est courtisée par le riche seigneur Fujiwara qui préfère les garçons mais voudrait l’ajouter à sa collection de belles choses et donner ainsi le change à la Cour impériale, d’où il a été exilé.

Kaeda, dont le père est mort et qui se retrouve sans protecteur, prend les choses en mains sur son domaine et le relève, en attendant un mariage qu’elle diffère, désespérant de revoir Takeo. Apprenant qu’il est au monastère Terayama, elle s’y rend dès le printemps apparu et le retrouve. Ils refont l’amour et s’y marient secrètement. Fin du tome 2.

Je n’ai pas encore lu les trois autres mais je ne résiste pas à vous en parler tout de suite car ils promettent de nouvelles aventures de la même eau. Un vrai feuilleton dans le style des Trois mousquetaires ! Avec tout l’exotisme du Japon des samouraïs.

Lian Hearn, Le clan des Otori, 2001-2003 et 2007-2008, réédité en Folio 2021

1 – Le silence du rossignol, 384 pages, €8,80

2 – Les neiges de l’exil, 389 pages, €8,80

3 – La clarté de la lune, 448 pages, €1,95 occasion e-book Kindle €8,49

4 – Le vol du héron, 768 pages, €10,40

5 – Le fil du destin, 704 pages, €9,80

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Bilan d’une génération 1980-2020

La revue Le Débat en 2001 a fêté ses 20 ans par un bilan des changements intervenus durant cette période en France. L’intérêt d’une telle rétrospective intellectuelle ? Remettre dans son contexte les phénomènes contemporains, voir d’où ils viennent, donc ce qu’ils signifient. Vingt plus tard encore, fin 2019, les mutations de la période 1980-2000 n’ont fait que s’accentuer, pas en révéler de nouvelles.

Parmi les changements majeurs, la politique s’est désacralisée, l’État s’est appauvri et les Français ont résisté.

La politique est devenue plus technicienne : le président de la Réserve fédérale américaine est perçu plus comme président des États-Unis que le président politiquement élu. L’adaptation française à ce phénomène a été la décentralisation, la cohabitation, l’irruption des agences et hauts comités indépendants, et l’intégration européenne. Le sacré des idéologies, communiste puis « socialiste » des Droits de l’Homme, a laissé la place à l’équilibre des pouvoirs et au droit. On appelle ça « le libéralisme ». Il s’applique en politique, à la vie privée, aux mœurs – mais aussi à l’économie. Or le libéralisme, inventé en France contre l’Etat absolutiste parisien, royal et catholique par Voltaire, Montesquieu, Diderot et Tocqueville, n’est pas l’anarchie libertarienne de la loi de la jungle où « l’homme est un loup pour l’homme » – version inventée aux Etats-Unis des pionniers par Henri David Thoreau, Murray Rothbard et Robert Nozick. L’Europe n’est pas l’Amérique. L’Etat qui protège et règlemente les conflits entre les intérêts privés au nom de l’intérêt général est un Etat qui intervient. Avec quel dosage ? Là est le débat – pas dans la disparition de l’Etat.

L’État français, quant à lui, accapare toujours plus de la richesse nationale tandis que les services qu’il rend sont de moins en moins performants : armée (on l’a vu durant la guerre du Golfe), éducation (de plus en plus bureaucratique et de moins en moins en prise sur la réalité sociale), justice (toujours plus lente et de moins en moins comprises). L’intérêt public n’est plus aussi légitime après la reconnaissance des délires de Vichy, de la faillite du Crédit Lyonnais et de l’incendie des paillotes corses. Échec des réformes, démagogie, féodalités politiciennes, absence de vision d’avenir, dogmes idéologiques : pauvre politiciens ! Ce pourquoi l’Etat en France doit reculer, pour laisser la société civile respirer. C’est un peu ce que revendiquaient de façon pataude les gilets jaunes avec leur référendum d’initiative populaire.

Les Français ont résisté à cette déliquescence comme à la crise économique due au franc trop fort et aux politiques monétaires restrictives (jusqu’en 2010) de l’euro. À la base, les institutions freinent : familles, municipalités, associations. L’ascenseur social n’est pas en panne mais ralenti, et de nouveaux clivages surgissent : privé/public avec leurs inégalités devant les salaires, les retraites et le chômage, actifs/retraités, grandes écoles/universités, ville/banlieue, constellation sociologique centrale (qui gère les associations, lance les modes, influence administration et politique)/constellation populaire (qui refuse les évolutions en cours et la dégradation de son niveau de vie et vote PC, FN ou Chasse, pêche, nature et traditions). L’individualisme croît comme la recherche de communauté. Quand l’État central recule et que le relais n’est pas pris par les collectivités décentralisées, les clans se reforment. Le compagnonnage d’entreprise a laissé la place aux réseaux sociaux et les syndicats aux « mouvements ». La sexualité n’est plus épanouie comme en 1968 mais un problème, bien décrit par Michel Houellebecq. L’organisation de type mafia n’est pas un épiphénomène mais une forme sociale qui répond aux désordres politiques ; elle est l’autre face de la déréglementation, un problème surgi de la loi de la jungle. Lorsqu’on se retrouve tout seul, on cherche protection. Y compris dans « le retour » des religions – souvent moins croyantes que rituelles et communautaires.

Après les changements, les modèles : Mitterrand, mondialisation, culture jeune, société médiatisée.

François Mitterrand fascinait toujours : 220 livres sur lui avaient été publiés à fin 2000. Il apparaît en pleine lumière mais on ne se sait au fond rien de lui (sa maladie, son pétainisme, sa double vie). Il a mobilisé la gamme complète des thèmes humains : le rapport à la souffrance, l’amitié, la famille, le pouvoir, l’expression de soi, la fidélité à soi-même, le rapport à l’irrationnel, l’interrogation sur la mort. Il est, en l’an 2000, un exemple de vie bien remplie, mouvementée, riche, en bref réussie.. En 2019, il s’éloigne ; les gens lui préfèrent De Gaulle, figure tutélaire, ou Chirac, ce spadassin de la politique qui n’a pas foutu grand-chose une fois au pouvoir – sauf dissoudre pour amener la gauche à gouverner 5 ans ou à  bafouiller de « ne pas appliquer » une loi pourtant votée et qu’il a lui-même promulguée… mais qui, par sa mort, rappelle les années « d’avant ».

La mondialisation a vu le triomphe du marché, la concurrence de tous pour tout, l’élévation globale de la richesse mais le creusement des inégalités, l’emballement de la technologie et les craintes qu’elle suscite, le pillage des ressources ; l’universalisation de l’opinion et de la morale mais principalement celle de la culture dominante américaine ; la prise de conscience que les grandes questions sont planétaires (échanges, finances, trafics, ressources naturelles, climat, données numériques, maintien de la paix). En contrepartie, la pensée du premier venu reçoit sur les réseaux sociaux la même dignité que celle du philosophe ou du spécialiste, même si un authentique travail de la pensée ou de la recherche nécessite des outils conceptuels et des référents qui sont très longs à acquérir. Chacun « se croit », dans un narcissisme ambiant exacerbé par l’exigence d’exister soi dans un monde cruel où l’on se trouve bien seul.

Les cultures jeunes d’aujourd’hui ont une stratégie de l’esquive. Ils ne sont ni pour ni contre, ni de droite ni de gauche, ni impliqués ni indifférents : ils auto-référencent. L’adepte de la glisse ne cherche pas à fuir la ville mais en use comme un terrain de jeu, en décalage avec la génération d’avant. La jeunesse n’est plus révolutionnaire mais insurrectionnelle. Elle libère une zone pour un temps bref : événement festif, rave party, ZAD, manif. Après ? – Rien. La politique continue comme avant, sans eux. L’hédonisme dionysiaque expérimente. Le narcissisme des corps triomphe en selfies constamment renouvelés et publiés – allant parfois jusqu’au nombrilisme du moi. Le principe de plaisir est roi. Les particularismes veulent tous des « droits » au nom du « respect » qui serait dû à leur petit mais unique ego. Rien de cela n’est grave, aussi vite oublié que survenu. Il n’y a que les naïfs d’extrême gauche pour croire en faire une politique ; malgré « la crise » et malgré tout, ils demeurent minoritaires.

Car la médiatisation joue son rôle d’amplificateur et d’éternel présent. Les saltimbanques s’érigent en donneur de leçons au nom du politiquement correct, ils manipulent l’émotion au détriment du débat raisonné, ils relaient les fantasmes (OGM, GPA, rumeurs, périls « brun », grand remplacement, apocalypse climatique). Ils se font de la publicité en se donnant le beau rôle envers les exclus, les victimes, les sans-papiers, les réfugiés, les immigrés, les violées, les battus. Malgré le net, l’intelligentsia française reste fascinée par le petit écran comme le phalène par la lampe : histrionisme, bavardage, vanité, posture, vide intellectuel masquée par le beau ramage, permettent d’occuper le terrain au détriment des arguments et parfois du réel. Il s’agit de se faire voir comme on vend une lessive ; pour cela, outrances verbales, violence du ton et injures personnelles sont le meilleur moyen de faire du marketing pour soi – le buzz.

Nous ne pouvons qu’en admirer d’autant la pratique mitterrandienne de tenir la chaîne culturelle par les deux bouts, de la haute intelligentsia au show-business : les deux se légitiment l’un l’autre. Une leçon pour Macron ? La vertu sans peine est ainsi largement diffusée, commentée et légitimée, comme au beau temps de l’agence Tass soviétique. Conformisme idéologique et manichéisme moral en sont la résultante inévitable, parfaitement accordés au langage consensuel et binaire des médias comme à l’esprit radical et généreux de la jeunesse, toujours au présent – et qui ne juge du passé qu’au filtre de l’immédiat (la collaboration, le consentement sexuel, l’enrichissement politique, les pratiques en usage).

Voici donc le monde tel qu’il était en 2000. En 2020, vingt ans après comme dirait l’autre, rien n’a changé au fond… La crise financière a eu lieu, appauvrissant un peu plus les Etats par la dette, l’énergie s’est faite plus rare, créant une atonie de la croissance et des craintes millénaristes sur le climat, les réseaux ont explosé tout en révélant la traque massive et sans contrôle des données personnelles, le narcissisme s’est accentué avec son cortège de selfies musclés, de kits de survie, de comportements antisociaux et autres armures de protection, voire d’allégeance à une communauté d’idéal (Daech, suprémacisme blanc, Israël envers et contre tout). La Chine prend sa place de puissance due à sa population et les Etats-Unis ne cessent de décliner, comme l’Europe et la Russie, engendrant des nationalismes biberonnés aux ressentiments sociaux et culturels. En phare de la nouvelle ère, le clown Trump et sa tromperie, sa vanité crasse d’égoïste parvenu, sa traitrise envers tout « allié », sa volonté de dominer toute négociation au nom du Deal-roi. Et les illusions du Brexit.

Il est vain de souhaiter changer le monde mais beaucoup plus subtil de le subvertir là l’on se sent concerné. Le décalage, la transgression, la réflexion, la gratuité, permettent de voir plus loin et de susciter plus d’attachement où c’est utile, dans les situations concrètes. Soyons donc subversifs !

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Peter Tremayne, Les mystères de la lune

Le titre anglais – La lune du blaireau – n’a pas de sens pour qui ignore les légendes celtes et l’éditeur a bien fait pour une fois de modifier le titre. La lune du blaireau est la pleine lune où il fait si clair que lesdits blaireaux, dit-on, sèchent l’herbe qui tapissera leur nid !

Sœur Fidelma et frère Eadulf sont en effet plongés dans l’épaisseur du passé druidique au royaume de Muman, la province sud-ouest de l’Irlande. Trois jeunes filles sont découvertes éventrées sauvagement un jour de lune du blaireau, sur les rochers calcaires qui s’élèvent sur la forêt en une forteresse naturelle. Tout près de l’endroit où Laig, vieux druide vivant en ermite, enseigne encore aux jeunes gens les légendes du paganisme et les initie à la puissance des astres.

Nous sommes en 667 et le pays n’est christianisé que depuis une trentaine d’années, un peu plus d’une génération en ces temps où l’on faisait des enfants tôt. Les femmes atteignent en effet « l’âge du choix » à 14 ans, cet âge où la puberté leur permet d’enfanter donc de choisir un compagnon. Nul besoin de s’engager devant Dieu pour l’éternité, comme cela se fera plus tard. Le droit irlandais permet de s’engager à l’essai pour un an et un jour, et de se quitter bons amis sans rien se devoir à l’issue de la période. C’est d’ailleurs le contrat qu’a choisi Fidelma pour se lier à Eadulf. Bien que frères en religion, l’Église de Rome n’interdisait pas encore le mariage des religieux. Cela se fera vers 1050, époque de grande intolérance chrétienne, époque des croisades, où le pape Léon IX ordonna même que toutes les femmes de prêtres soient envoyées comme esclaves à Rome pour le servir… (p.18) Inutile de se demander d’où viennent l’autoritarisme moral, le césarisme politique et le machisme hiérarchique en Europe continentale ! – Très clairement de l’Église de Rome.

Fidelma, à la suite de ses aventures précédentes avec son compagnon, vient d’accoucher d’un fils, le petit Alchù. Mais elle a changé. Ce bébé ne la lie-t-elle pas à la maternité et au ménage, elle qui aime tant l’aventure et la réflexion ?

L’Irlande est à cette charnière entre un monde qui n’est plus barbare depuis des siècles, mais pas encore féodal. Les familles se regroupent en clans autour de chefs qui commencent à faire allégeance à des rois de provinces. Tout ce petit monde guerroie entre soi mais recourt volontiers à l’arbitrage du haut roi. Ces relations personnelles, qui donneront la féodalité classique, sont encore tempérées par le droit irlandais. Très ancien, il est très respecté et introduit des compensations selon le rang de la personne lésée. Il prononce l’égalité des femmes et des hommes en droit. Une femme peut demander le divorce, tout comme un homme ; s’il est fondé, elle récupère sa dot et la moitié des biens acquis durant la vie commune. Nous n’avons pas fait mieux à l’époque contemporaine. Nul ne doit se faire vengeance soi-même, sauf légitime défense. Toute calomnie est jugée sévèrement par un tribunal composé du chef, du supérieur religieux et du brehon – juriste versé en droit et coutumes. Ce roman aux péripéties très réussies, insiste légitimement sur ces aspects ignorés de l’époque.

Fidelma, en tant que dalaigh des cours de justice (une sorte de procureur fort érudit en droit), se verra confier la mission de faire la lumière sur ces meurtres qui commencent à agiter la province. N’a-t-on pas vu trois « étrangers » – noirs de surcroît ! – rôder dans les parages ? L’Église ne les protège-t-elle pas parce qu’ils sont religieux eux aussi ?

Qui s’exalte à la nuit face à la lune ronde dans le ciel ? Quelles sont ces passions diverses et rivalités amoureuses entre beaux jeunes hommes, l’un injustement accusé, l’autre inquiet et le dernier bouillant héritier présomptif du chef ? Comment se fait-il qu’un gamin de 12 ans découvre une pépite au pied d’un rocher qui pourrait être de l’or ? Dans cet excellent opus Tremayne, les nœuds de l’intrigue s’emmêlent et nous égarent. Mais la froide logique d’Aristote permettra à Fidelma de réussir en virtuose. Entre histoire, superstitions et passions, vous ne vous ennuierez pas.

Jusqu’à l’ultime page de l’épilogue où un rebond inattendu prépare déjà l’aventure suivante !

Peter Tremayne, Les mystères de la lune (Badger’s Moon), 2003, 10/18 janvier 2009, occasion €1.40 e-book format Kindle €10.99

Les romans policiers historiques de Peter Tremayne chroniqués sur ce blog

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Peter Tremayne, Les cinq royaumes

Connaissez-vous sœur Fidelma de Kildare, dont le frère est roi de Cashel en Irlande, et qui est dàlaigh ou avocat des cours de justice au 7ème siècle ? Cette jeune femme, parlant plusieurs langues dont le grec et le latin, a reçu le degré juste au-dessous du plus haut en matières juridiques celtes. Et c’est le grand mérite de la série que de nous faire découvrir la richesse préchrétienne de ces royaumes du bout des îles. En Irlande, par exemple, la femme était l’égale de l’homme pour maintes choses, le divorce était possible et les prêtres chrétiens pouvaient encore s’y marier. Rome n’avait pas encore étendu sa loi et ses mœurs méditerranéennes jusque là.

Peter Tremayne est le pseudonyme de l’érudit anglais Peter Berresford Ellis. Ses origines sont pleinement celtes mais éminemment mélangées entre bretons, irlandais, écossais et gallois, ce qui explique sa passion pour ce monde d’avant Rome. Il a créé le personnage de sœur Fidelma pour le faire connaître, sous la forme pratique et stimulante du ‘whodunit’ (who done it ? ou « qui l’a fait ? »), cet art du roman d’enquête où les Anglais sont passés maîtres depuis Agatha Christie au moins. Sœur Fidelma n’a pas froid aux yeux. Outre son érudition et sa foi chrétienne, elle a grand sens de la justice et elle sait se défendre. Elle pratique assidûment ces disciplines druidiques qui disparaîtront bientôt sous la férule catholique et romaine : la méditation et le combat à mains nues. Mais c’est bel et bien ses « petites cellules grises » qui sont son maître atout.

Absolution par le meurtre avait l’unité de lieu et de temps classique d’une abbaye où un synode religieux allait décider du ralliement à la règle de Rome de communautés ecclésiastiques irlandaises et saxonnes. Le suaire de l’archevêque se passait à Rome, dans les palais du Pape, alors Valérien. Cette troisième enquête sur une série provisoire de quinze, se passe au sud-ouest de l’Irlande, dans cette partie sauvage qui a conservé encore de nos jours les traditions historiques les plus anciennes. Les îles Skellig, escarpées, sauvages, occupées par des moines qui fuient le monde et les femmes sont au large, la côte est découpée par la mer, le roc creusé de caves, la terre verte de prés à moutons.

C’est en cet endroit sauvage, tenu par des clans qui font allégeance à cinq rois, que des monastères maintiennent le savoir et la discipline. L’abbaye de Ros Ailithir est mixte et riche. Elle possède surtout une vaste bibliothèque où les manuscrits de parchemin côtoient encore ces baguettes de coudrier gravées de signes en écriture ancestrale, l’ogham, que quelques-uns savent encore lire. Le vénérable Dàcan, irascible mais de grand savoir, y est venu passer deux mois pour étudier l’ancienne histoire des royaumes. Mais ne voilà-t-il pas qu’il est assassiné ? Et que ce meurtre déclenche une querelle politique pour savoir qui est coupable ? Au cas où le meurtrier ne serait point découvert, l’abbé responsable devrait réparation : pas moins que la cession d’un petit royaume ! Sœur Fidelma se met à l’œuvre sur ordre de son roi – qui est aussi son frère.

Ni l’action, ni la réflexion, ni les usages du temps, ni la psychologie humaine, ne sont oubliés. Cette enquête est l’une des meilleures de la série et tient en haleine avec art. Au fond, ce haut moyen-âge de l’année 665 après notre ère, en Irlande, n’était point si farouche.

Peter Tremayne, Les cinq royaumes, 1995, 10/18 2004, 363 pages, €11.72, e-book format Kindle €10.99

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Alecos Papadatos, Démocratie, BD

papadatos democratie
Nous sommes en 490 avant notre ère, à la veille de LA bataille. Dans la nuit de Marathon, sur les hauteurs qui dominent la plage où campent les Perses, hulule la chouette, symbole d’Athéna. Deux jeunes hommes qui ne peuvent pas dormir se racontent leur existence, peut-être avant de mourir demain. Ils sont bientôt entourés de leurs compagnons tant l’existence de l’un se confond avec ce pourquoi ils sont là : la naissance de la démocratie, pour la première fois dans le monde.

Le premier jeune homme est Thersippe, qui sera le coureur de Marathon selon certains historiens (d’autres lui donnent un nom différent) ; il périra dans son effort pour annoncer la victoire aux Athéniens le lendemain, après 42 km et 195 m – performance que l’on reproduit aujourd’hui à chaque épreuve olympique. Le second, le narrateur, est Léandre, personnage inventé.

Léandre remonte cette nuit-là à l’été de ses 16 ans, beau gaillard gracile perpétuellement torse nu, féru de dessin et de peinture. Après avoir enfreint les ordres de son père qui ne lui a permis de peindre qu’un seul des murs de la salle alors qu’il a peint les quatre, emporté par son enthousiasme, il est envoyé se colleter à la dure réalité : celle de négocier un bon prix pour l’huile d’olive du domaine auprès d’un marchand de Thrace. Porter les ballots d’olives et les jarres d’huile lui exercera les muscles tandis que le négoce lui assainira la tête, pense son père qui veut en faire un homme.

Lorsqu’il est de retour à Athènes après avoir réussi, c’est le jour de la procession des Panathénées. Tout le peuple est autour de la citadelle pour voir le spectacle. Dans cette presse, deux tyrannoctones ont prévu d’abattre le tyran Hipparque, qui gouverne avec son frère Hippias en manipulant la masse et en s’en mettant plein les poches. Aristogiton et son jeune amant Harmodios, dont on dit que le tyran les avait insultés, poignardent Hipparque avant d’être pour l’un, le plus jeune, abattu par la garde et pour l’autre arrêté, torturé puis exécuté après avoir donné le nom de ses complices aristocrates. Dans la répression qui suit l’acte, le père de Léandre est tué par la police scythe.

harmodios et aristogiton

Son géniteur mort, sa maison incendiée, ses biens confisqués (par un ex-ami de son père…), Léandre s’exile, toujours en pagne, jusqu’à Delphes où une connaissance de son père le fait travailler à inventorier les offrandes dans le Trésor. L’adolescent retrouve Hero, la jeune nièce du commerçant à qui il a négocié ses olives il y a peu ; elle est pythie apprentie.

Peu à peu, le garçon se rend compte que l’oracle délivre des messages qui sont filtrés par des prêtres de Delphes appelés « saints », éminemment corruptibles. Malgré l’oracle sibyllin, l’interprétation penche vers qui paie le plus. Mais qu’importe : ce qui compte est d’y croire. La foi insuffle une volonté bien plus forte que la seule raison. La force d’un oracle tient à l’histoire racontée qui donne sens. Qui croit est doué d’un pouvoir de convaincre et de vaincre.

C’est ce qu’apprend au candide Léandre un mystérieux Athénien, Clisthène, venu solliciter de l’oracle l’appui de Sparte pour renverser le tyran survivant Hippias. Clisthène l’Athénien sera considéré comme le père de la démocratie. Il instaurera un système de votes où les citoyens ne sont plus regroupés en tribus clientélistes, mais en circonscriptions où les diverses classes sont mélangées. Chacun verra donc plus l’intérêt général que celui de son clan – et ce sera bien le peuple qui décidera à la fin et non pas quelques aristocrates.

papadatos democratie bd
Ce roman dessiné historique conte donc une double quête : celle de l’adolescent Léandre de 16 à 32 ans – et celle de la démocratie athénienne qui émerge avant Marathon. Devenir adulte et devenir citoyen s’apprend, s’entretient et se conforte, car l’état d’homme libre et responsable est toujours précaire, dans un combat sans fin.

Athéna, qui parle au garçon dans ses rêves, représente la transition entre le monde ancien des dieux (les forces obscures qui meuvent l’humain) et le monde nouveau des hommes (ce rationnel scientifique et démocratique sans cesse à consolider). Les deux totems de la déesse sont le serpent et la chouette, alliant la force de qui sort de la terre à la clairvoyance de qui voit dans la nuit – le désir et la raison. Athéna se situe entre ses frères : Apollon garant de l’ordre, de la beauté et de l’intelligence, et Dionysos en état de perpétuelle ébriété hormonale et de joie, insufflateur du désir et de la volonté. Si Dionysos est sorti de la cuisse de Zeus, Pallas Athéna est sorti du même par la tête. Déesse emblématique d’Athènes, elle se veut l’équilibre du bon sens, état fragile toujours à rectifier, paix armée sans cesse sur le qui-vive. La cité ne sera grande que lorsqu’elle incarnera cette double vertu de puissance et de discipline – notamment face aux Perses à Marathon.

  • Ainsi le corps du citoyen est-il celui d’un athlète, pareil aux dieux représentés sur les vases que Léandre aime peindre et par les statues. Il est soldat plus que travailleur – et le lecteur pourra comparer les anatomies respectives de Léandre (fils de négociant libre) et de Givrion (fils d’esclave, son ami).
  • Ainsi l’esprit du citoyen est-il entre la logique volontiers sophiste et manipulatrice des philosophes, et la passion collective de la foule – le lecteur pourra comparer les personnages de Pisistrate et de Solon.

Le dessin, plutôt sommaire et volontiers pressé, fait souvent surgir la grâce du mouvement et de l’expression, inspiré des lutteurs minoens d’Akrotiri à Santorin. Léandre et Hero sont beaux en leur jeunesse, ils irradient la lumière du désir et courbent leurs formes en élans gracieux. Ils se détachent comme l’avenir sur un passé plus grossier – comme la démocratie qui naît sur l’asservissement coutumier.

papadatos democratie garcon

Papadatos fait passer la leçon de l’histoire – les valeurs de notre civilisation – par le dessin. L’aventure et l’amour sont complétés par des annexes d’historiens pour mieux comprendre. Le lecteur percevra plus clairement cette ligne arbitraire qui passe entre moutons et citoyens, mais aussi mieux que sur une carte cette frontière impalpable entre la Grèce et la Turquie (hier la Perse) – ce pourquoi ce pays n’a rien à faire dans l’Union européenne (sauf à ne vouloir qu’un marché de libre-échange sans aucune âme).

« Toute fin nous ramène aux intrigues », dit le Léandre de 32 ans à ses compagnons d’insomnie. Il parle de la démocratie, sans cesse menacée par les clans et par les castes, sans cesse à refonder. « Au temps où nous pensions qu’on était les bons, et tous les autres les mauvais (…) cette façon de penser met toujours en avant ceux qui agissent par eux-mêmes, pour eux-mêmes, les ‘grands’ noms, les ‘chefs’, les tyrans, et ceux qui nous sauvent des tyrans » p.197.

Une leçon que les partis politiques d’aujourd’hui devraient méditer, au parti Socialiste comme chez les Républicains, politiciens qui se croient volontiers investis de la mission de commander aux autres. « Cette façon de penser nous ramène à la peur et à la folie, au visage de la Gorgone. Et la force de la Gorgone peut se retourner vers nous à tout moment. Nous pouvons être notre pire ennemi ». Ce ne sont pas les élections régionales de décembre 2015, faisant surgir brutalement un Front national menaçant, qui vont démentir cette antique leçon de politique.

Pour vivre ensemble et faire cité, il ne faut pas diviser mais unir – donc adhérer à une histoire commune. Seule une histoire donne un sens à la vie (p.198) – donc une histoire particulière, patriotique, à construire et à transmettre. Avis au ministre Belkacem et aux pédagogos du mammouth ! Dompter la sauvagerie de l’homme pour rendre l’existence plus douce à tous est la voie d’Athènes, dit le Poète (Eschyle, lui aussi présent à la bataille de Marathon). Une grave leçon de notre culture – il y a déjà 25 siècles ! Leçon que l’inculture de nos politiciens est en train de nous faire perdre.

Alecos Papadatos et al., Démocratie (Democracy), 2015, bande dessinée Vuibert, traduit de l’américain, 237 pages, €21.00

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Peter Tremayne, La septième trompette

peter tremayne la septieme trompette
L’attrait de Peter Tremayne est qu’il vous emmène en Irlande, sur les marges chrétiennes de l’empire romain finissant. Nous sommes en 670, au sud-ouest de l’île, dans une région où chaque vallée a un roi ou presque. Les clans se fédèrent auprès d’un « haut roi ». Malgré cette organisation féodale pour garantir prospérité agricole et protection contre bandits et pillards, les érudits et les flemmards, comme les ambitieux qui ne sont pas « nés », se placent dans le giron de l’Église pour mieux vivre, en savoir plus et donner libre cours à leurs ambitions.

Mais l’Église de Rome est à cette époque de bascule entre les usages libéraux des anciens temps celtiques et les nouveaux usages hiérarchiques et machistes du monde méditerranéen. Fidelma de Cashel, sœur du roi du Muman et ex-sœur en monastère, a obtenu un grade juridique élevé (celui d’anruth qui précède celui d’ollamh), il ne lui en manque plus qu’un pour être juge suprême. Mariée bien que religieuse, soucieuse de préserver les acquis du droit celte bien que chrétienne, avocate bien que sœur de roi, elle n’aime rien tant que s’imposer en tant que femme dans les complots masculins, et agiter ses petites cellules grises au détriment des hormones mâles qui croient que la force prime le droit.

C’en est parfois un peu agaçant, tant les répétitions de préséance pour s’imposer sont rituelles, mais le lecteur habitué n’y fait même plus attention. Même chose pour les noms imprononçables et à rallonge des clans celtiques et les imbrications de parenté qui rendent les derniers chapitres assez peu digeste.

L’action est rondement menée, débutant par un crime et finissant par un massacre, malgré une intrigue inutilement compliquée qu’on ne connaît heureusement qu’à la fin. Un paysan, près du château invaincu de Cashel, découvre un jeune noble mort de trois coups de poignard dans le dos sur le gué qui passe ses terres. Fidelma enquête, ce qui va la mener, flanquée de son fidèle mari et compagnon d’aventures Eadulf de Seaxmund’s Ham, à rencontrer un prêtre ivre qui va la traiter de putain, un jeune homme blond élancé qui se dit barde, d’horribles bandits sans scrupules qui vont l’enlever, un jeune garçon qui sera égorgé, un supérieur de monastère fanatique – mais pas pour son église -, une jeune écervelée avide de fêtes alors que la guerre est aux portes, quelques guerriers fidèles et musclés et un serpent élevé au sein de la famille.

Tout cela se lit fort bien sauf le final, heureusement égayé (si l’on peut dire) par un jeu de poignard en pleine cours de justice. La parution des œuvres n’est pas dans l’ordre, l’auteur regrettant manifestement avoir fait prendre sa retraite à Fidelma et Eadulf dans Le concile des maudits. Pour le bonheur des fans.

Peter Tremayne, La septième trompette (The Seventh Trumpet), 2013, 10-18 mai 2014, 334 pages, €7.80 (€11.99 en format Kindle…)
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Stéphane Béguinot, Bonnie Highland Laddie

Stephane Beguinot Les aventures des MacClyde 2
Voici la suite de la saga écossaise d’heroic fantasy dont le premier volume en 572 pages, paru en 2010, s’intitulait Le clan du Grey Watch. Celui-ci est à peine moins gros, à la mesure de l’appétit de grand air et d’action des lecteurs. Car, après un début un peu poussif où toute la jeunesse s’échauffe aux jeux entre clans, ce qui intéresse moyennement, puis par un enchaînement curieux où toute la même jeunesse se met derechef à pouliner – enfin l’action débute avec éclat. L’ennemi Grey Watch se révèle en plein essor, toutes flèches dehors. Dès lors, le souffle épique porte l’histoire et tient en haleine jusqu’au bout.

L’auteur a su se départir du ton un peu gentillet du premier tome. Il y a encore des BA (beaucoup moins), du sexe (un peu), de la cruauté (amplement), et de l’aventure (en veux-tu, en voilà). Pour les tortures et raffinements de cruauté, que la jeune génération adore, je vous laisse découvrir, elles sont plutôt raffinées. Mais pour le sexe, en voici un court échantillon : « Imaginez-là, revenant d’un abordage victorieux, parfumée de poudre et de sang, les vêtements en lambeaux, dévoilant son anatomie. Insatiable et excitée, elle en redemande et exige un corps à corps amoureux avec vous… Je vous laisse imaginer la suite » p.234. Avouons que nous aussi !

Un peu déshabitué de tous ces noms barbares, Eimhir, Angus, Uilleam, Caitriona, Eithne, Cowan (qui s’écrit autrement), le lecteur va être désorienté quelque temps, ne sachant plus trop qui est qui. Manque indéniablement un récapitulatif des personnages comme dans les romans anglais.

Il y a aussi des scories, des fautes d’orthographe laissées de côté : je paris (pour je parie) vers la p.25, tir (tire) au flanc p.36, d’une mort (sans e) p.172, sans fard (avec un d) p.367, taches vertes (et pas tâches !) p.368, un curieux « contre sur » p.245. Et cet usage à contresens du mot ‘infime’ (sans doute pris pour infini ?) dans l’expression « infime honneur » p.374 : infime – qui signifie tout petit – n’a rien du grand honneur que le sens semble exiger… Restent quelques erreurs d’accords au subjonctif, mais l’Éducation nationale n’a rien foutu depuis deux générations pour respecter la langue – et qui le sait encore ? Il y a surtout un usage immodéré du jargon branché : problématique, échanger (tout seul, en l’air, sans dire quoi), écoute, bruiter, challenge, stress, angoisser, culpabiliser, gérer, investiguer, attentiste, impactant…

Mais vous retrouverez, outre les héros (dont la très irritante Eimhir qui fonce toujours sans réfléchir et met en danger tout le monde), les bons vieux fantômes (qui se régénèrent dans le whisky), les kiltômes, kiltishs, twinômes et même des fantômelles. Outre les crossigeons et une dragonne (qui se porte en lac et pas au poignet) née des amours d’une eau chargée en minéraux et d’un ricochet multiple en virtuose. Si Steafan (le père de toute cette marmaille écossaise et de ces personnages) se fait disparaître, empalé lors d’un raid, c’est peut-être pour garder l’imagination plus libre et laisser la place à ses enfants.

On dit aussi que l’auteur, ayant atteint désormais l’âge respectable de 50 ans, a instillé quelques amis dans les personnages secondaires. Il en brosse un portrait parfois énigmatique. Ses célèbres jeux de mot ne sont pas le meilleur de son style (« Devrait-on pour autant jeter la pierre à ceux restés de marbre ? » p.364), mais maintiennent un ton alerte, au final réjouissant. S’amuser à écrire est le premier pas pour bien conter. Et tout le tome est dédié à Bonnie Highland Laddie, le « beau jeune homme des hautes terres » (nous dit-on p.379) ; il se révèle… fils de fantôme ! Un beau pied de nez à notre quotidien trop rationnel.

Vous en reprendrez bien une dose ?

Stéphane Béguinot, Bonnie Highland Laddie – Les aventures des MacClyde 2, 2013, éditions Carmichael, 395 pages, €23.00
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Le premier volume, chroniqué sur ce blog

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Casanova, La patrie en danger

roger demosthene casanova la patrie en danger

Roger Démosthène Casanova (RDC) est quelqu’un. Son CV ne fait pas moins d’une quinzaine de pages. Il montre un être double, passion et raison. Docteur ès science et expert international mais Corse bouillant, analyste mais porté à la décision politique, soucieux de la démographie mais père d’un seul enfant. Il édite un essai qu’il vaudrait mieux appeler pamphlet tant le ton est urgent, mais bourré de références pour qui veut vérifier. Ce qu’il dit n’est pas faux, mais mélangé et excessif. C’est dommage car le sujet mérite une analyse à froid. Un récent sondage TNS met en avant en France la perte des repères, la peur du dynamisme religieux musulman et l’accrochage à la laïcité comme bouée. Autant dire que le thème est d’actualité.

En résumé, pour l’auteur l’avenir est aux sociétés durables. Mais ce qui constitue l’environnement ne se limite pas au milieu naturel ; il englobe aussi toutes les relations complexes des hommes avec la nature et entre eux. La menace actuelle n’est pas seulement climatique ou liée à la rareté relative des ressources ; elle porte aussi sur les conditions de vie en société. Or l’islamisme représente un véritable changement de civilisation en France, qui est ignoré ou dénié.

Non, RDC n’est pas au Front national, il est plutôt dans ces micro-partis que sont Riposte laïque et Résistance républicaine. Il cite Jean Jaurès dès la page 12 : « le courage est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe ». RDC poursuit malheureusement par 9 pages de « marre de… » qui font dans la complainte et n’analysent rien, ne faisant pas avancer un débat nécessaire. Certes, « les partis politiques se comportent de plus en plus comme des clans et non comme des porteurs d’idées et d’idéaux » – mais est-ce le rôle des partis politiques d’être des laboratoires d’idées ? La Constitution leur a reconnu une fonction, celle de sélectionner les candidats aux postes électifs. Les partis sont donc des machines électorales, ni des think tank, ni des universités. Les 45 pages de « Prolégomènes » sont donc en grandes parties inutiles.

Suit une première partie dont on ne voit pas bien ce qu’elle vient faire. Intitulée « Comprendre pour agir », elle ne porte que sur la biosphère, l’eau, l’énergie et tout ça. Certes, les interrelations homme/biosphère et politique/développement durable sont évoquées, mais sans lien ni avec l’introduction, ni avec la partie suivante. Sauf à prouver que les politiciens sont bien légers dans l’analyse et la prévision des catastrophes naturelles, et que les organisations internationales sont de lourdes bureaucraties conformistes inaptes à appréhender la complexité.

La partie 2 est consacrée à la France et sa « démocratie malade », où l’on apprend que l’expression du vote a été confisquée en 2005 par le refus de prendre en compte le NON majoritaire des citoyens français au nouveau Traité européen. Qui a refusé ? Cette oligarchie de la politique, de la finance et des médias peu à peu installée et qui s’organise en « nomenklatura à la soviétique ». C’est vite dit, mal analysé et peu documenté, mais pas faux : les affaires Tapie, Bettencourt, DSK et Cahuzac (entre autres) en témoignent.

La partie 3 est vouée aux « agents et concepts destructeurs de la civilisation occidentale » et au « totalitarisme islamiste ». Le lecteur entre (enfin !) dans le vif du sujet ; il a attendu 137 pages, la moitié du livre. Là, le propos est plus cohérent, mieux organisé, étayé de nombreux renvois à des rapports et à des publications comme à des exemples personnels, l’auteur ayant beaucoup travaillé en Afrique et autour de la Méditerranée dans le secteur minier et le développement, puis comme fondateur et directeur du DESS Gestion de la Planète, développement durable et environnement de Sophia-Antipolis.

roger demosthene casanova

Ces « agents destructeurs » pour RDC sont

  1. le mondialisme, idéologie anglo-saxonne ennemie de l’Europe, qui est pour le marché unique (Londres) et la finance libre (New York),
  2. les « ennemis de l’intérieur » (listés p.146 en redondance de la partie 2) que sont une « invasion sournoise », la « méconnaissance de la réalité par les décideurs », la « servitude volontaire du peuple, sa résignation », la « bulle protégée » de l’oligarchie politico-financière et médiatique, la « médiocrité des dirigeants de notre société » en termes de morale civique, de culture, de courage et de hauteur de vue,
  3. La propagande des lieux communs comme « l’avenir est au métissage », « l’islam a tant apporté à l’humanité », la « Turquie a sa place en Europe »,
  4. la « repentance » entretenue par l’oligarchie démago,
  5. le « déni des cultures » et de leur incompatibilité de valeurs parfois,
  6. le déni historique qui fait de « l’islam (une) religion de paix et de tolérance »

En conclusion, dit l’auteur, il est urgent de « résister », en « légitime défense » à la montée des musulmans et de l’intégrisme dans l’islam. Citant sans distance l’assez douteux révérend Peter Hammond (Slavery, Terrorism & Islam, 2005) – à ne pas confondre avec l’économiste de renom du même nom à Stanford – RDC expose (sans convaincre) qu’autour de 10% de musulmans dans la population il y a délinquance admise envers les non-musulmans et pression rigoriste sur le comportement religieux ; qu’au-delà de 20% de musulmans dans la population naissent des émeutes et des milices « djihadistes » (Éthiopie), voire une guerre civile (Liban Bosnie). La France peut-elle être comparée historiquement, sociologiquement et politiquement à ces pays ? L’exemple de la Turquie de 1915-1920 aurait été plus probant : éradication brutale de tous les non-musulmans par génocide (Arméniens chrétiens) ou expulsion (Grecs orthodoxes). Mais là encore, la France 2013 dans l’UE n’est pas la Turquie en guerre alliée au Reich de Guillaume II.

L’ensemble de l’ouvrage n’est pas convainquant parce que nombre d’immigrés d’origine musulmane en France ne sont pas pratiquants, que ceux qui sont pratiquants sont en majorité ouverts, et que seule une infime minorité de jeunes mal intégrés par les cités et par la faillite de l’Éducation nationale sombrent dans la délinquance, voire le terrorisme. Ce qui n’est pas dit mais qui en revanche est vrai, est que ces immigrés intégrés ou voulant l’être se taisent trop souvent – par lâcheté et démagogie – envers leurs « frères » qui fautent. Qu’ils ne montrent pas (ou pas assez) que le Coran n’a pas une lecture unique, qu’elle a varié dans l’histoire, que le salafisme ne reflète qu’un courant bédouin archaïque, même s’il est financé par la trop riche Arabie Saoudite, et qu’il existe d’autres courants compatibles avec la neutralité de l’État et avec la démocratie.

La conclusion de l’opuscule est un amalgame de récriminations sans liens avérés entre elles comme le mariage gay, la dépénalisation du cannabis, le communautarisme, les naturalisations abusives, le vote des étrangers, le contournement de la laïcité, le « racisme anti-blanc » et l’effet cliquet des renoncements. On est presque soulagé de lire enfin une phrase de raison dans ce qu’il faut bien appeler un fatras conclusif : « Qu’on ne se méprenne pas. Ce n’est pas l’islam religion qui est le problème de fond (chacun peut croire à ce qu’il veut) mais l’islam civilisation qui pousse au communautarisme et à l’explosion de la Nation française » p.216. Pas faux – donc comment agir ?

L’auteur retrouve sa maîtrise pour exposer (beaucoup trop succinctement) trois points :

  1. Poser les principes du vivre ensemble
  2. Les mettre en débat national et européen
  3. User des moratoires pour prendre les bonnes décisions (sur la dette, l’immigration, le droit du sol, la tolérance…)

Au total, je juge le livre mal maîtrisé, qui hésite entre le pamphlet politique (mais sans les bons mots et avec trop de références) et l’essai sur l’avenir durable (qui serait bienvenu et avec des références faisant mieux autorité). Il aurait fallu articuler plus clairement environnement et société durable en décrivant comment chaque peuple décide de faire société par des mythes politico-religieux et des valeurs citoyennes (voir Maurice Godelier) ; dire que cela se constitue historiquement par adhésion et qu’au contraire le « métissage » subi conduit à la révolte du peuple contre la caste oligarchique ; enfin montrer combien aujourd’hui les « résistances » existent (même chez les bobos) : notamment la recherche universitaire (Hugues Lagrange, Gilles Kepel) et le féminisme (Dictionnaire des femmes créatrices, 4800 pages, éditions des Femmes 2013). Dire surtout que l’individualisme poussé par les désaffiliations des Lumières exige une éducation solide et un apprentissage de l’outil Internet… Donc pas mal de boulot pour accoucher de quelque chose qui fasse avancer !

Roger Démosthène Casanova, La patrie en danger, éditions Mélibée 2013, 229 pages, €16.15

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Journaux des dames de cour du Japon ancien

Nous sommes autour de l’an mille, dans un Japon de cour bien plus évolué que le nôtre. C’était avant l’âge de féodalité où les shoguns et les daimyôs et leur suite de samouraïs ont submergé l’imaginaire. Le Japon d’avant le XIe siècle – âge féodal – était lettré et bouddhiste. La littérature chinoise avait été introduite dès l’an 300 et le bouddhisme en 552. Les femmes japonaises, alors, étaient instruites, avait droit d’hériter de leur père et possédaient en propre leur demeure. La période Heian voit le transfert de la capitale à Kyoto, appelée la Cité de la Paix, de 794 à 1185. C’est un Japon raffiné, délicat et très civilisé que nous pouvons découvrir.

Ce court livre donne trois journaux des dames d’époque, signe qu’elles étaient largement plus considérées que les nôtres à la même période malgré la polygamie qui favorisait les clans. La cour était un centre éclatant où chacun rivalisait de prouesses poétiques et amoureuses, faute de guerre à mener, et où chacune se paraît, se montrait et répondait en vers. Les communications difficiles entre la capitale et les provinces rendaient les voyages hasardeux et l’observation de la nature omniprésente. Le paysage très varié du Japon, maritime et montagneux, les saisons très marquées, engendraient la poésie. Les temples, retirés dans les montagnes, attiraient les dévots qui songeaient à la vie future. Celle-ci n’était pas un paradis mais une réincarnation : autant prévoir le degré de vertu nécessaire pour renaître correctement !

La poésie a pris en ces temps une résonance extraordinaire, qu’il faut peut-être attendre jusqu’au XVIIIe siècle européen pour voir revenir. Le tanka de 31 syllabes en 5-7-5-7-7 est la forme courante.

Le Journal de Sarashina, qui commence le volume, commence l’âge de ses 12 ans en 1021 pour se finir après la cinquantaine. Le nom de cette femme auteur n’est pas connu, tout au plus savons-nous qu’elle était fille d’un Fujiwara gouverneur. Solitaire toute sa vie pour cause de morts, d’exil et d’existence au rang moyen, l’auteur se tourne vers la nature. Elle a ce don d’animer les paysages, de personnifier la lune ou les vagues, de remplacer les êtres humains qui la déçoivent par ces êtres végétaux ou minéraux, ou par les astres. La lune est souvent l’œil de Bouddha, l’éternité sereine des nuits. Ce tropisme nature est souvent le cas de ceux qui sont mal intégrés dans leur société, solitaires non reconnus qui compensent avec les bêtes et les plantes ce que les humains ne leur donnent pas. C’est ainsi le cas de beaucoup d’écologistes de notre temps, des poètes romantiques se disant « maudits », des routards à pétard de la Beat generation, et des précaires de province de nos années 2000. Ainsi d’une chatte trouvée, très belle, peut-être la réincarnation d’une fille de noble conseiller : « La chatte me dévisagea et se mit à miauler en allongeant sa voix. Peut-être est-ce mon imagination, mais en la regardant, elle ne me parut pas une chatte ordinaire. Elle semblait comprendre mes paroles te je la plaignais » p.40. Qui sait comprendre le chat saisira toute l’empathie de la conteuse.

Un jeune homme survient, l’émoi est partagé, quelques poèmes échangés. Et puis… Ni les circonstances, ni les convenances, ne permettaient la liaison au grand jour. « J’attendis une occasion propice ; mais il n’y en eût pas, jamais ». Peut-on dire en si peu de mots l’océan de tristesse ? « Je souhaiterais que les amoureux de la nature puissent voir la lune qui décline après l’aurore, dans un village de montagne, à la fin d’une nuit d’automne » p.49. Pour avoir assisté, au Japon, à pareil spectacle, je puis vous dire combien il est poignant.

Le Journal de Murasaki Shikibu met en scène une fille de prince, épouse de seigneur gouverneur puis dame de compagnie de l’impératrice. Murasaki, surnom qui veut dire herbe pourpre, réminiscence d’un célèbre poème, est surtout l’auteur mondialement connu du Dit du Genji sur la vie de cour à Kyoto. Son Journal est un complément intime de son grand œuvre. Elle observe avec application la vêture de celle-ci ou de celui-là, a prestance virile ou la souplesse sociale, l’étiquette et les cérémonies. Ainsi de Yorimichi, le fils de seize ans du Premier ministre, qui suscite en elle une discrète sensualité : « Le jeune seigneur du Troisième Rang était assis, le store à demi relevé. Il semblait plus mûr que son âge et il était fort gracieux. Même au cours de conversations légères, des expressions comme : « Belle âme est plus rare que beau visage » lui venaient doucement aux lèvres et nous remplissaient de confusion. C’est une erreur de le traiter en jeune garçon. Il garde sa dignité parmi les dames, et je vis en lui un héros romanesque très recherché lorsqu’il s’en fut en se récitant à lui-même… » p.91.

Le Journal d’Izumi Shikibu raconte par elle-même la vie de la poétesse la plus célèbre de son temps ! Fille et épouse de gouverneurs, elle devient la maîtresse du prince Tametaka et se consume d’amour contrarié par les convenances. Les poèmes que les deux échangèrent sont l’essence de ce Journal.

« Je suis une goutte de rosée,

Pourtant je ne suis pas inquiète,

Car il me semble que j’ai existé sur cette branche

Depuis bien avant la naissance du monde » p.166.

Une précieuse littérature qui a traversé les siècles et montre combien le Japon ne doit pas être réduit à l’électronique d’aujourd’hui ni au militarisme d’hier.

 Journaux des dames de cour du Japon ancien, Xe siècle, traduction française 1925, Picquier poche 2011, 212 pages, €7.60

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Donna Leon, La petite fille de ses rêves

Je ne sais si les années qui passent ou une certaine lassitude atteignent Donna Leon, ou si l’Italie s’enfonce dans le relativisme politiquement correct dominé par l’argent – toujours est-il que le cynisme le plus cru est présent dans cette 17ème enquête du commissaire vénitien Guido Brunetti.

Les Gitans, Tziganes et autres Zingaros ? Il est exigé désormais de les appeler Rom. Ils vivent en marge de la société, subsistant de trafics de voitures, incitant leurs enfants à voler et allant même jusqu’à les prostituer. Les « services sociaux » n’y voient que la rançon du rejet social, donc rien à dire : les policiers se contentent les ramener systématiquement tout moins de 14 ans à « ceux qui se disent leurs parents ». Aucune sanction, pas même une remontrance, aucun fichier, aucun placement d’office, aucune mesure éducative : laissons ce qui est être – tel est la lâcheté sociale du politiquement correct. Les gosses rom sont des poussières à mettre sous le tapis.

Quoi d’étonnant à ce que, devant cette carence de l’État, chacun se débrouille comme il peut ? L’Italie est donc régie par le copinage, les clans, la corruption. Les faibles font appel aux puissants, les puissants font de l’autodéfense, en toute impunité puisque le pouvoir d’État est à leur botte. C’est dans ces eaux glauques qu’évolue le commissaire Brunetti, humaniste revenu de bien des choses. Il se réfugie dans sa famille, parmi ses amis, dans cette ville qui l’a vue naître et qu’il ne quitte guère. Ses joies sont ses enfants Rafi et Chiara, sa femme Paola, son adjoint Vianello, la belle Elettra qui pénètre tous systèmes informatiques officiels, et la cuisine vénitienne faite de pâtes, de légumes et de produits de la mer. Sans oublier le vin et la grappa. Reflet d’époque que ce no future hédoniste à l’italienne.

Il n’y a donc guère d’action et beaucoup de psychologie, aucune happy end mais la négociation cynique autour d’un corps de fillette laissé à la morgue pour qu’on en fasse ce qu’on veut. A se demander si, le roman commencé, Donna Leon n’a pas été découragée par la réalité des choses. Elle introduit en effet au début un prêtre qui fait de l’argent et un autre renvoyé d’Afrique pour escroquerie. Y aurait-il un lien avec cette fillette retrouvée noyée dans un canal, une bague cachée dans le vagin et une montre dans la culotte ? Qui a subi des relations sexuelles répétées alors qu’elle n’a que onze ans. On imagine que l’intrigue aurait pu tourner autrement au lieu de tourner court.

L’amoralité la plus désabusée s’étale à chaque page.

  • L’Église ? Une puissance, mais le clergé : « C’est leur goût pour le pouvoir qui me les rend aussi antipathiques. C’est l’élément moteur de tant d’entre eux ! Je crois que cela déforme leur âme » p.60.
  • Croire ? Bof, chacun trouve les béquilles qu’il peut, même s’il est politiquement correct de rester poli devant cette institution italienne qu’est l’église catholique.
  • Les politiciens ? Tous pourris, jusqu’au ministre de l’Intérieur dont le fils échappe toujours aux conséquences judiciaires de ses bagarres, excès de vitesse et autres usages de drogue.
  • Les valeurs chrétiennes, humanistes, de gauche ? « Juste le même genre de pieuses banalités qu’on trouve dans les éditoriaux de ‘Famiglia Cristiana’ (…) Mais c’est certain, les gens adorent qu’on leur débite ces clichés (…) Parce que du coup, ils n’ont rien à faire, répondit Paola. Il leur suffit d’éprouver des sentiments politiquement corrects pour qu’ils s’imaginent qu’ils sont aussi méritants que s’ils avaient fait quelque chose » p.111. Ressentir suffit, compatir ne va pas jusqu’à agir, c’est fini. Les gens sont désormais impuissants… et la police aussi. Alors, à quoi bon ?

Ce roman est celui des désillusions : « ceux qui parlent d’égalité, de respect des cultures et des traditions » p.195 oublient qu’une société ne survit que par le droit. Le relativisme multiculturel aboutit à l’anarchie, au chacun pour soi, à Dieu pour personne.

  • Oui, il faut faire quelque chose, au lieu de crier au racisme dès qu’on objecte quoi que ce soit.
  • Oui, il faut faire respecter la loi, même si cela gêne les puissants.
  • Oui, il faut transmettre les valeurs et les faire vivre au lieu de se réfugier dans l’idéalisme correct et de laisser-aller la société !

Donna Leon nous offre un roman blasé mais politiquement puissant. Elle, l’américaine, critique autant le sentimentalisme de son pays que le storytelling de la bienséance politiquement correcte italienne-européenne. Civiliser, c’est discipliner ; laisser-faire, c’est laisser aller à la barbarie toute une société au profit des mafias, dont les pires ne sont pas siciliennes, mais bien dans la « bonne » société.

Donna Leon, La petite fille de ses rêves (The Girl of his Dreams), 2008, Points policier Seuil janvier 2012, 326 pages, €6.84

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Pérou, pays d’histoire

Hiata, de Tahiti, a voyagé au Pérou. Son récit commence aujourd’hui et durera onze notes les mardi et vendredi. Bon voyage !

L’aventure, pour qui l’ose, dans ce vaste pays de 1 285 216 km², peuplé de 29 millions d’habitants soit 22 habitants au km², demeurera à jamais inscrite dans la mémoire.

La population se compose de 45% d’Amérindiens, 37% de Mestizos (métis d’Européens et d’Amérindiens), 15% de descendants d’Espagnols, 3% de Noirs, Japonais et Chinois. Les langues sont l’espagnol, le quechua parlé par 10 millions de personnes et l’aymara. 81% des Péruviens sont catholiques, il y a 1,4% d’adventistes protestants.

Cuzco était la capitale de l’Empire Inca mais il y eût également les Nazca, les Chavín, les Chimus ou les Mohica dont le chef « le seigneur de Sipan » a été découvert il n’y a pas si longtemps avec son trésor funéraire.

Il y a aussi Lima, la cordillère blanche, le lac Titicaca, les fêtes quechua et aymara, le chemin de fer à l’assaut des cimes, le Machu Pichu et puis la forêt vierge, l’Amazonie…

Les premières civilisations sont apparues autour du lac Titicaca vers 3000-2000 avant J-C. Uru Chipaya et Wankarani au nord de La Paz.

Vers 2000-1000 avant J-C, début de la civilisation Tiwanaku sur le rivage du lac Titicaca, début de la civilisation Chavin dans la cordillère blanche.

Entre 1000 et 100 avant J-C, expansion de Tiwanaku et Chavin sur le rivage de Titicaca ; début de la civilisation Vicus au nord du Pérou ; civilisation Paracas  sur la côte péruvienne.

An 1 jusqu’à 1000 de notre ère : apogée de Tiwanaku. Fusion avec la culture Wari originaire d’Ayacucho au Pérou. Tiwanaku constitue le premier grand empire de la région. Cette civilisation construit la base du réseau de routes qui connecte les Andes avec l’Amazonie, connues aujourd’hui comme « chemins de l’Inca ». A partir de l’année 400, début des civilisations de Lima, Nazca, Moche et Cajamarca. Expansion de la civilisation Monos en Amazonie. Grands travaux hydrauliques dans la plaine du Béri.

Vers 1100 se produit un changement climatique (où l’industrie n’a rien à voir !) qui provoque l’effondrement de Tiwanaku et de Moxos. Plus au nord, début des civilisations Chimu et Chincha.

Le siècle 1200-1300 est une période de guerres de clans. Le manque de direction provoque l’anarchie dans le Pérou et la Bolivie actuelle.

Dès 1300, débute l’Empire Inca.

En 1527, débutent des explorations de Pizarro et de la conquête du Pérou.

Hiata de Tahiti

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