Il est intéressant de revoir un film à très gros succès chez soi aujourd’hui après l’avoir vu en salle quarante ans avant. Ni soi, ni la société américaine, ni le monde ne sont pareils.
La vertu de l’honneur, si présente dans cette histoire – soit pour regretter qu’elle manque, soit pour célébrer son assomption – a bel et bien disparu. Les Yankees de nos jours sont plus égoïstes et plus enclins au fric qu’hier encore, et notre regard s’est modifié. Nous reconnaissons plus qu’avant le courage simple des pompiers (auquel ce film est dédié) – ils font leur métier – tandis que le métier des autres acteurs nous parait de plus en plus vain et même nocif.
Un architecte (Paul Newman) désire se retirer à la campagne après avoir construit la tour de 550 m la plus haute du monde (à l’époque) à San Francisco. Il ne revient que pour l’inauguration, et pour convaincre sa maitresse, ambitieuse journaliste sur le point d’obtenir une rédaction en chef, de tout quitter pour venir avec lui. Mais il s’aperçoit, avec le chef de la sécurité (O. J. Simpson) de cet immeuble immense de près de 200 étages divisés entre bureaux et habitation, que les court-circuit menacent en cas de surtension. Or c’est la soirée d’inauguration et tous les étages doivent être illuminés. Le tout-Frisco est là avec sénateur, maire, promoteur, actrices célèbres et tutti quanti.
La réception de 300 personnes se déroule au 135ème étage panoramique, aux baies vitrées ouvertes sur la ville, alors que le feu se déclare au 81ème étage. Les pompiers sont appelés, le ballet des lances à incendie commence, mais tout se dégrade. Les court-circuit se multiplient, les conduites de gaz (!) font exploser les vitres, créant un appel d’air, attisé encore par les puits d’ascenseurs. Ne restent que les escaliers, mais descendre plusieurs dizaines d’étages n’est pas facile – et certains escaliers sont soufflés par les explosions. Paul Newman fera d’ailleurs des acrobaties sur une rampe suspendue au-dessus du vide pour sauver une petite fille apeurée et son frère en kid d’époque, casque à musique vissé sur les oreilles et qui n’a donc rien entendu des annonces incendie. Toute la bêtise des enfants-rois est ainsi dénoncée en passant, même si le kid se rattrape en prenant soin de sa sœur et en descendant lui-même la rampe branlante.
Se met en place alors le sauvetage – au mieux – de la plupart. Par ascenseurs, escaliers, nacelle, hélitreuillage… toutes occasions de placer des scènes intenses. Mais près de 200 morts resteront sur le terrain, grillés par les flammes ou écrabouillés par leur chute. La première hantise des hautes tours commençait alors en Occident. Les Japonais, sur l’expérience millénaire des tremblements de terre, étaient conscients des risques, pas les Yankees dans leur orgueil des années 1970.
Orgueil qui poussait non seulement à la démesure, mais aussi à l’avidité. Si l’architecte recommandait des câbles électriques isolés et certains matériaux surdimensionnés, le promoteur et son gendre aussi vil qu’égocentrique, ont volontairement rogné sur les normes, se contentant du légal – de l’officiel administratif. Ainsi ne sont-ils pas « responsables » et le gendre le payera de sa vie, le promoteur ne perdant que sa réputation.
Le duo pompier-architecte est l’une des clés du film. Le pompier-chef (Steve McQueen) dit à l’architecte (Paul Newman) qu’au-delà de sept étages, les pompiers ne peuvent guère intervenir ; puis, dans la toute dernière scène, que si les architectes consultaient les pompiers, ils construiraient différemment. Chiche ! dit alors Newman, prêt à remettre sur le chantier son ouvrage. Mais cette morale est quand même ternie par les coulisses du tournage : Steve McQueen, jaloux de la notoriété de Paul Newman, a exigé d’avoir le même nombre de lignes de dialogues dans le scénario.
Le reste des petites histoires personnelles est plus fade. La belle amante de Newman (Faye Dunaway), qui se balade seins nus sous deux voiles qui lui passent derrière le cou, est certes excitante dans les flammes, la suie et le danger, mais son dilemme entre profession et passion sonne un peu faux. Le responsable des relations publiques (Robert Wagner) parti baiser sa secrétaire (Susan Flannery), en déconnectant sa ligne téléphonique intérieure, se trouve pris au piège pour ne pas avoir été prévenu et ne pouvoir joindre personne ; il est châtié de son « péché » par les flammes diaboliques qui viennent le saisir et braiser sa belle (qui a la niaiserie de rester cul nu en pleine tourmente !). L’escroc boursier (Fred Astaire) est pathétique lorsqu’il tombe amoureux de la belle veuve riche (Jennifer Jones) qui voit clair en son jeu. Tout comme la femme du maire (Sheila Mathews) qui ne pense qu’aux clés du coffre que sa fille ne saura pas trouver s’ils trouvent la mort… Le sénateur (Robert Vaugn) est inconsistant et le promoteur (William Holden) véreux à souhait derrière ses lunettes carrées d’homme d’affaire qui fait sérieux.
L’hubris guette l’Amérique ! Elle se voit volontiers en pointe avancée de la science (après la conquête de la lune – et après Le Sous-marin de l’apocalypse du même Irwin Allen) comme en maître du monde (libre). Or le ver est dans le fruit : l’Amérique secrète sa propre perte par l’avidité pour l’argent, par l’égoïsme de ses décideurs, par la vanité de ses élites du show-biz, par la non-éducation des kids laissés à leurs désirs immédiats. Cette génération des années 70 a créé les George W. Bush et les Bernard Madoff, attisé le terrorisme et attiré la crise financière systémique… Revoir ce film permet de saisir le moment où survient le dérapage : les années 70.
DVD La tour infernale (The Towering Inferno) d’Irwin Allen, 1974, avec Steve McQueen, Paul Newman, William Holden, Faye Dunamay, Fred Astaire, Jenifer Jones, O.J. Simpson, version en anglais uniquement : Warner Home 2000, €8.80, version en plusieurs langue, dont l’originale et le français : Warner Bros 2009
Commentaires récents