Malgré le titre, issu d’un poème de Shelley, il s’agit d’un roman policier français. Marcus Malte est né en 1967 à La Seyne-sur-Mer et sa bibliographie annonce qu’il a publié dix livres pour enfants dans le même temps qu’il écrivait neuf romans policiers pour adultes. ‘Garden of love’ – le jardin de l’amour – est une histoire très étrange. Il s’agit d’un mélange de fantastique allemand à la Novalis et du réalisme américain à la Faucon maltais. Nous sommes quelque part dans l’entre deux.
La scène se passe dans une ville côtière moyenne d’un pays moyen – la France – entre les années 1960 et les années 2000. Les acteurs sont des gens moyens, ni vraiment riches, ni vraiment populaires, poursuivant d’évanescentes études avant d’opter pour un métier intermédiaire… Cette indétermination n’est pas fade, au contraire ! Elle sert l’histoire car le propos du roman est de montrer que « nous sommes plusieurs ».
Nous sommes ange et démon, gentille et folle, étudiante et pute, amoureux et policier, lycéen et dandy, fasciné et meurtrier. Adultes, le flic et le psychopathe échangent leurs existences, entremêlent le récit. Nul ne sait plus qui écrit ou qui décrit. Le lecteur, jusqu’au premier tiers, en est désorienté. C’est à ce moment qu’il ne faut pas lâcher !
Car il y a le récit d’enquête et le manuscrit du psychopathe, chacun ayant des circonstances atténuantes pour ce qu’ils sont devenus. Eh oui, on ne naît pas flic, on le devient. Nul n’est bon s’il ne comprend son inverse criminel. Si les prénoms changent, de chapitre en chapitre, l’existence de l’un et de l’autre semble la même – ou presque.
C’est dans ce presque que s’engouffre l’intrigue. En chapitres courts, écrits direct mais sans sacrifier à la démagogie banlieue. Quelques envolées poétiques surnagent qui frappent le lecteur littéraire, ce qui fait aimer ce style policier « à la française ». Mais nous ne sommes pas dans l’introspection sociale à la Simenon, ni dans l’écolo-gauchisme brouillon qui constitue « l’atmosphère » propre à Fred Vargas. Nous sommes ailleurs. Dans le jardin de l’amour.
Celui qu’il faut cultiver sous peine de voir croître de vigoureuses plantes sauvages qui agrippent et étouffent quiconque s’aventure sur le terrain. L’amour absolu, l’amour déçu, l’amour perdu peuvent en un rien de temps faire basculer de l’autre côté. Dans ce qu’on appelle par crainte « la folie » ou, quand on défend la loi « le crime », mais qui est l’autre nom du « Cri » d’Edward Munch : l’effrayante solitude du mal aimé. A chacun son remède, ou l’alcool ou le meurtre selon qu’on est flic ou voyou. Cela pour oublier, anesthésier, préserver un semblant de soi qui s’effiloche. L’amour piège comme un jardin clos où l’on s’enfance. S’enfancer, c’est s’enfoncer en soi, régresser.
Nier le présent et le réel, c’est tuer. Régresser dans le vert paradis des amours fusionnelles. Enfantines entre frère et sœur, adolescentes entre ami et amie, adultes avec femmes et gamins. Qui ne grandit pas refuse, et qui refuse massacre pour ne plus voir. Parents absents ou indifférents rendent l’amour qui manque plus vital encore. Merci à l’égo-hédonisme mai 68 que l’auteur a semble-t-il subi ! Le vide aspire au plein et pulvérise tout ce qui se met sur son chemin.
Construit en labyrinthe, ce roman policier français contemporain est étrangement attachant. Déconcertant au premier abord, poétique en diable, couvert de prix. Il hante encore longtemps une fois refermé. Est-ce parce qu’il a une sensibilité à vif ? Qu’il écrit aussi pour les enfants ? Ce que Marcus Malte dit des « anges » et des « petits shérifs » ne peut laisser nulle personne saine indifférente. Un auteur à découvrir !
Marcus Malte, Garden of love (en français !), 2007, Folio policier 2015, 352 pages, €8.10 e-book Kindle €7.49
Mélenchon, méchant bon
J’ai eu l’heur de publier sur ce blog en 2011 une note sur Jean-Luc Mélenchon, politicien entre Péguy et Doriot. Un lecteur l’a retrouvée et la commente cinq ans et demi plus tard comme digne d’actualité. Je l’en remercie et, comme les commentaires sont fermés sur les notes après un à deux mois – pour ne pas susciter des « polémiques à la françaises » aussi vaines que stupides, une fois l’actualité passée – il a publié son avis dans la rubrique « à propos ». Comme ce n’est ni le lieu pour le lire, ni pour débattre d’un sujet en particulier, je me permets de replacer dans le fil des notes ce commentaire de grand intérêt, que j’accompagne de quelques réflexions. Le débat est ainsi ouvert, quelques mois avant les prochaines présidentielles en France, et quelques semaines avec les primaires des sept nains du PS.
« Bonjour, votre article de 2011 sur Mélenchon, Péguy et Doriot m’a paru intéressant, y compris en 2016-2017.
Le temps rectifie cependant quelques unes de vos idées, comme l’opposition de Mélenchon à l' »aigle » russe…
Le rapprochement avec Doriot me paraît, quoiqu’il en soit, pertinent, sinon comme stricte analogie du moins comme hypothèse-guide.
Au passage, d’autres idées de votre article me paraissent approximatives. Ainsi, le bien-être des ouvriers de l’automobile est une légende (qu’il s’agisse de Toyota, de Ford, de Renault, de Fiat, en 1970 ou 2016, que l’organisation soit fordiste ou par groupes de qualité).
Mais pour rester au centre de votre article : avec Mussolini ancien leader socialiste, Doriot évoluant du PCF à la collaboration pro-nazie, l’opportunisme narcissique (et l’insécurité mal compensée qui peut-être va avec) engendre bien des vicissitudes et les parcours sont souvent TORTUEUX et chez les apprentis caudillos. « Le futur Duce de l’Italie fasciste est élevé par un père forgeron et militant anarchiste et une mère institutrice et très religieuse (catholique). »
Je crois que les méthodes et de style de Mélenchon, les fantasmes qui s’échappent parfois de sa bouche par manque de maîtrise et par sincérité semi-volontaire…, tout cela permet de voir qu’il n’est pas tel qu’il apparaît à ses suiveurs et à ses électeurs.
Les indices d’une idéologie vermoulue et réactionnaire sont pourtant assez patentes. Il doit lui-même faire des rectifications fréquentes, sur un mode agressif et embarrassé, ou encore rectifier son programme pour tenter de les intégrer et sauver la face. Voir ici ses vœux. La stance à l' »universalisme » (blah blah…) inciterait à nuancer le rapprochement avec Péguy… et à mieux cerner le caractère opportuniste du bonhomme.
Politiquement incohérent, il n’en serait pas moins nocif, selon moi, s’il en avait les moyens… Mais son style et la confusion qu’il trimbale ne sont pas des caractères isolés dans les mouvances militantes et semi-intellectuelles de notre époque.
Merci pour votre article et pour certaines pages de votre blog.
Pierre Grimal »
Ce qui est intéressant est que l’étude sur le bonhomme Mélenchon a peu vieilli : le politicien est toujours « méchant » par haine personnelle contre la société, qu’il sublime en la projetant sur « le peuple ».
Il veut évidemment en faire « le bien » malgré lui, au peuple. Ce pourquoi il est un méchant bon.
Mais il ne peut aller dans le sens du peuple qu’en résolvant ses propres contradictions venues de l’extrême-gauche trotskiste-lambertiste : internationalisme ? le peuple veut du nationalisme ; anticapitalisme ? le peuple veut surtout du boulot ; écologisme ? le peuple ne veut pas régresser au moyen-âge ; démocratie directe ? le peuple veut bien participer, mais pas gouverner, ça l’ennuie – son individualisme exige épouse et pavillon, DVD possédés et quant à soi préservé. Pas sûr que la Grande transparence robespierriste de Mélenchon soit en phase avec ce que veut le peuple…
J’écrivais aussi sur ce blog en 2012, à propos de Mélenchon, le malentendu qu’il provoque (et continue de provoquer) :
Le rassemblement des mélenchonistes apparaît bien hétéroclite.
Mais veut-il vraiment gouverner ? Je me posais la question en 2014 sur ce blog. La posture du Commandeur, Victor Hugo tonnant du haut de son exil, est bien plus valorisante pour ce théâtral politicien, que la discipline de chaque jour des affaires à régler par compromis… Le fusionnel d’une Assemblée unique et d’un gouvernement direct, me paraît une compensation personnelle pour un gamin frustré de père à 11 ans qui semble ne jamais s’en être remis (ce qui me navre) – mais pas un remède au mal français qu’est l’immobilisme d’âme paysanne et la répugnance à changer (si bien servis par Chirac puis Hollande).
Yaka et encore yaka, résumais-je en 2016 dans un billet de blog, sur les outrances de l’extrême-gauche, Mélenchon inclus. Je n’ai pas changé d’avis depuis. Mélenchon aime gueuler, pas gouverner. Car gouverner, c’est prévoir, et ne pas suivre le vent du peuple selon qu’il girouette de l’est à l’ouest ou du nord au sud. Mélenchon se positionne comme national-populiste, qu’il le veuille ou non. Il ne veut pas de Poutine comme Grand frère, même s’il admire probablement sa façon, de faire. Donald Trump aussi… Mélenchon est adepte non de la démocratie mais de la démocrature – la dictature, mais du Salut public, de la Patrie en danger – tout ce que Castro a réalisé durant ses quasi 60 ans de règne autocratique sans partage.
Un grand méchant, Mélenchon, même s’il se veut un méchant bon.
Les commentaires sont ouverts sur cette note pour 40 jours