La France vire-t-elle fasciste ?

Comme après la crise boursière des années 1930, vite devenue financière, économique et sociale, la crise boursière des années post-2008, vite devenue financière, économique et sociale, suit son cours. La dernière étape est inévitablement politique. Comme dans les années 30, le populisme un peu partout dans le monde occidental développe ses outrances, ses naïvetés et ses mensonges intéressés. Cela a abouti hier à Mussolini en Italie, à Hitler en Allemagne, à d’autres régimes ou partis plus ou moins autoritaires en Europe (Franco en Espagne, Horthy en Hongrie, le rexisme en Belgique, Pétain et Laval en France…).

Et aujourd’hui ? L’histoire ne se répète jamais, sauf que le tempérament humain reste le même. Les « réactions » pavloviennes aux mêmes événements produisent des mêmes comportements malgré l’histoire qui enseigne, la culture qui progresse, les années qui passent. Ce qui est arrivé hier arrive donc aujourd’hui : la révolte antiparlementaire, anti-représentative, anti-élite, anticapitaliste, antilibérale, anti-étrangers ; la peur du déclassement culturel, la hantise de dégringoler l’échelle sociale, de payer trop d’impôts par rapport aux autres, de ne pas avoir sa part du gâteau redistributif, d’être exclu du petit rebond de prospérité après crise. Ce fut le cas en 1925 en Italie, en 1933 en Allemagne, en 1936 en Espagne, en 1940 en France…

Les classes moyennes et populaire s’unissent alors pour contester « le système » : dans les années 30 les petits capitalistes, artisans et commerçants, les petits fonctionnaires et les intellos mal reconnus, les ouvriers qualifiés déclassé par le lumpenprolétariat, les retraités grugés par les impôts, les paysans laminés par la distribution. Tous ont formé le terreau du fascisme, du nazisme, du franquisme, du pétainisme, du rexisme… Le Parti populaire français rivalisait avec le Rassemblement national populaire et Solidarité française pour contester le pouvoir et prôner la démission du gouvernement et l’instauration d’un plébiscite par appel direct au « peuple ».

La passion était l’Etat seul et ni les partis, ni les élites, ni les administrations : « Tout dans l’Etat, rien hors de l’Etat, rien contre l’Etat ! » braillait Mussolini, ancien combattant et militant socialiste engagé devenu homme fort du fascisme naissant. Comme à l’école primaire, les gens primaires en appelaient au maître contre les frustrations dues aux copains plus habiles ou plus forts. L’Etat allait égaliser tout et tous, protéger la nation et « le peuple », nationaliser les profiteurs et rétablir les frontières contre les « étrangers » (tout en allant soumettre quelques pays nègres – comme l’Ethiopie – pour offrir de la promotion sociale aux incapables – mais blancs).

La revendication des frontières, de la France seule, l’égalitarisme jaloux et des impôts pour « les riches » reviennent aujourd’hui chez les fachos des ronds-points ; ils portent gilet jaune en guise de chemise noire, sauf que… manquent dans la France d’aujourd’hui les partis de masse et les hommes forts – machistes à la Poutine, Trump ou Bolsonaro. Cela fait une différence : si le terreau social est le même, la solution n’est pas trouvée.

Le fascisme voulait l’héroïsme contre l’égoïsme ; le gilet jaune étale son égoïsme (et moi ? et moi ? et moi ?), refusant toute organisation, programme ou porte-parole. Leur seul héroïsme consiste à tourner en rond – uniquement le samedi –  et à laisser casser les biens publics par des bandes couvées avec indulgence (ça fait du buzz à la télé). Tout patriotisme est absent, une seule revendication aussi vaine qu’inepte réussit seule à faire un semblant d’unanimité : « Macron démission ». Le président Macron, élu sans conteste en 2016, ne démissionnera pas. Alors quoi ?

Qui proposer à sa place ? La duccesse marinée en la peine, au casque chevelu décoloré pour faire propre aryen ? Le ducce du camion qui ne connait ni droit ni loi ? Le Dupont trop feignant pour vérifier ses affirmations avant de balancer un gros mensonge afin de Trumper son monde ? Quand ces matamores de ronds-points l’ouvrent, c’est pour se rendre ridicules. Faut-il écouter les leçons de démocratie de l’Italien arrivé par hasard au pouvoir contre l’immigration ? Le pays qui a inventé le fascisme tout comme la Russie qui a inventé stalinisme et goulag sont-ils vraiment des « modèles » pour la France ? Mélenchon se tait, ne voulant pas subir de sort de Karl Liebknecht ou de Rosa Luxembourg, tant les extrémistes de droite sont survoltés, jouant volontiers du couteau au Brésil ou en Pologne et menaçant « de mort » en France même les députés de la République. Le « socialisme » est inaudible, même si « Pépère » essaie de chevroter qu’un président ne devrait pas faire ça. L’opposition Wauquiez est aux abonnés absents, une hémorragie de militants centristes éclaircissent les rangs de « La » République (LR), sauf une poignée de sénateurs qui justifient leur fauteuil en creusant « l’affaire » des possibles dysfonctionnements de l’Elysée.

Alors qui, les gilets ? Un bon gros beauf tiré au sort ? Referait-on des élections présidentielles aujourd’hui, selon les sondages, ce serait… Macron qui repasserait : faute d’alternative crédible. Le problème avec le mouvement jaune est qu’il s’agit d’un agrégat sans lien autre que brailler ensemble et frire des merguez dans la grande fête « où l’on se parle » – pas d’un parti politique proposant un programme politique et des leaders politiques aptes à gouverner. Se sentir bien ensemble (un seul jour par semaine) ne fait pas un projet dans la durée. Un sac à patates, selon le mot de Marx, n’est pas une classe sociale consciente de ses intérêts.

Ce qui domine est l’anarchie. Ni Dieu, ni maître, ni Macron. Bon : et l’on se gère comment ? Par des référendums sur tout et n’importe quoi ? Par une mosaïque de revendications locales, tribales, minoritaires ? La juxtaposition des égoïsmes a-t-il jamais accouché d’un projet collectif ? On comprend sans peine pourquoi les gilets jaunes ne veulent surtout pas « participer » au grand débat : il est national et devra formuler des propositions de lois concrètes. Or ils sont bien incapables de s’élever au niveau de la nation (encore moins de l’Europe face aux géants du monde !), incapables de formuler des projets d’intérêt collectif autres que « Macron démission » et que « moi y’en a vouloir des sous » pour moi !

Ils se disent « apolitiques » ce qui est le signe, depuis Alain, d’un conservatisme qui ne propose aucun progrès. L’anarchisme de droite (à la Céline) est proche de l’extrême-droite mais refuse l’embrigadement (à la Brasillach) : il est une maladie infantile du fascisme, peut-on dire en paraphrasant Lénine. Seul le processus de brutalisation des années 1930, l’accoutumance à la violence verbale et physique – jusqu’aux menaces de mort – est préoccupant : il fait le lit du premier macho fort en gueule qui passera ramasser les miettes et les pétrira en parti puissant. Mélenchon aurait bien voulu jouer ce rôle, las ! l’époque est plutôt à droite et, sauf à virer Doriot (passé du communisme au fascisme d’un seul élan), peu de chance qu’il y arrive.

Le « mouvement » des gilets jaunes apparaît donc comme un geste, pas comme un acte ; comme une velléité, pas comme une volonté ; comme une jacquerie à prétexte fiscal, pas comme un projet pour le pays. Alors, non, la France ne vire pas fasciste. Pour le moment.

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4 réflexions sur “La France vire-t-elle fasciste ?

  1. Dans le « mouvement » des gilets, nous sommes d’accord, il s’agit bien de la classe moyenne – la même sociologie que le fascisme.
    Sauf que (je l’écris) l’histoire ne se répète jamais : nous ne sortons pas d’une guerre et nul chef macho ne se présente encore en France (le dernier peut-être fut Sarkozy – assez populaire au début, avec le recul).
    Donc la France n’est pas au bord du fascisme, avec son cortège honni de nationalisme, d’antisémitisme et ainsi de suite.
    Mais les troupes sont les mêmes : prêtes à être récupérées par qui le pourra. Pourquoi ? parce qu’elles-mêmes ne veulent pas créer un parti, ni entrer au Parlement (sauf une liste européenne, intéressante à suivre), ni même être « représentées ». Dès lors, cela reste l’anarchie, donc l’inefficacité – une insurrection ne fait pas un gouvernement. Ou bien la pression de masse, donc une sorte de fascisme, s’il est récupéré.
    Le « populisme » est un avatar (moderne et politiquement correct) du bon vieux fascisme. Il ne faut pas avoir peur du mot « fasciste », devenu épouvantail par association intéressée (de Staline) au nazisme. Il faut lire des livres sur la période mussolinienne, dont l’Italie d’aujourd’hui garde encore les traces. Le fascisme est certes un « populisme » dans la mesure où il met en action des masses « populaires »; mais il joue sur le ressentiment des classes moyennes qui ont peur de dégringoler socialement à la condition d’ouvriers ou de métayers (que leurs parents ont eu du mal à quitter). Les classes moyennes se sentent « supérieures » au prolétariat parce qu’un peu éduquées – las ! la crise économique et le chômage massif a déclassé leurs diplômes – tout comme aujourd’hui.
    Dès lors « le socialisme » – chez Mussolini comme de Mitterrand à Hollande – est dévalorisé : il échoue à faire baisser le chômage parce qu’il ne pense qu’à redistribuer, pas à produire.
    La situation commence en effet à s’améliorer depuis trois ou quatre ans et les réformes Macron ont accentué ce rebond (même le chômage régresse selon les derniers chiffres) : ce pourquoi le gâteau grossit et chacun en veut sa part Les riches n’en ont pas besoin, les pauvres sont déjà aidés, les classes moyennes ont l’impression d’être pigeonnées.
    J’y reviendrai vendredi prochain, le temps d’une réflexion.

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  2. jullien

    @Argoul
    J’ai beau beaucoup aimer votre site qui m’a fait découvrir des livres et des films dont je ne soupçonnais même pas l’existence, je dois reconnaître avec Kris que votre analyse des « gilets jaunes » frappe par l’acidité inhabituelle de son ton.

    « Comme après la crise boursière des années 1930, vite devenue financière, économique et sociale, la crise boursière des années post-2008, vite devenue financière, économique et sociale, suit son cours. » Non: la plupart des pays occidentaux sont revenus au plein-emploi, même des pays dévastés par leurs dettes et les politiques d’austérité comme l’Espagne et la Grèce ont vu leur taux de chômage baisser. Il y a donc une peu glorieuse exception française dans le maintien d’un taux de chômage élevé et stable qui pèse directement ou indirectement (en contribuant à la modération salariale) sur le pouvoir d’achat.

    « Les classes moyennes et populaire s’unissent alors pour contester « le système » : dans les années 30 les petits capitalistes, artisans et commerçants, les petits fonctionnaires et les intellos mal reconnus, les ouvriers qualifiés déclassé par le lumpenprolétariat, les retraités grugés par les impôts, les paysans laminés par la distribution. Tous ont formé le terreau du fascisme, du nazisme, du franquisme, du pétainisme, du rexisme… » Non. La base sociale du fascisme fut les classes moyennes, celle du nazisme les vétérans de la Première Guerre mondiale n’étant pas parvenus à se retourner à la vie civile. Les ouvriers préféraient les partis socialistes (communistes inclus), les paysans les socialistes, les conservateurs ou les démocrates chrétiens en fonction des régions. Le franquisme parvint au pouvoir après une sanglante guerre civile dans un pays miné par ses divisions politiques et qui ne demandait qu’à exploser. Les groupuscules fascistes français et le rexisme n’eurent guère d’audience et ne furent même pas mis au pouvoir par les Allemands, mais associés à des régimes tenus par des conservateurs et des technocrates.

    Vous notez vous-même l’absence de chef : cela aurait dû attirer votre attention sur la spécificité du mouvement, sa spontanéité. L’extrême-droite cherche à récupérer le mouvement des « gilets jaunes », mais précisément elle ne fait que de la récupération : l’immigration et l’UE ne sont pas les premières préoccupations des « gilets jaunes », encore moins les Juifs auxquels ne s’intéressent qu’une poignée d’antisémites. Le mouvement vit et agit en dehors des structures classiques.

    Ce qui nous amène au point le plus intéressant, celui qui mériterait un débat : le populisme (pas le fascisme qui ne fut qu’un phénomène passager !) est selon moi la réaction classique des peuples dans un système se réclamant du principe démocratique quand les gestionnaires de la société (« élites » si vous préférez) se coupent d’eux et en plus gèrent mal. La spécificité française est que la réaction populiste s’est exprimée non pas par le recours aux partis « anti-système », mais à travers une insurrection. Qu’en pensez-vous ?

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  3. Quand quelqu’un propose une analyse qui vous dérange, vous commencez par vous sentir insulté. Quelle belle façon de « débattre » ! Heureusement, vous donnez des arguments détaillés. Avec lesquels je suis en grande partie d’accord – jusqu’au point 5. Parce que – là – ils ne « demandent » rien, les gilets : le référendum à la Suisse n’est pas une façon de remplacer le Parlement; refuser en majorité de participer au « grand » (dérisoire) débat n’est pas une façon de faire avancer un projet politique; refuser tout « parti » au profit de l’agitation perpétuelle de la révolution permanente est une maladie infantile de la politique.
    Quant à la sociologie, je regrette, mais elle est bien la même que celle qui a fourni les masses du fascisme – dans les années 30. Nous ne somme plus dans les années 30 mais le terreau est le même : il y a là une constatation de fait.
    Mais – si vous m’aviez lu jusqu’au bout avant de « juger » et donc de « pré » juger, vous auriez noté que je constate que la France n’est PAS actuellement en voie de fascisation. Car, paradoxalement, l’absence d’homme fort et de parti de masse empêche le « mouvement » de se convertir en chavisme ou en fascisme.

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  4. Kris

    Wow ! Quelle violence, quel mépris, quelle condescendance.
    En réponse à cette charge contre les gilets jaunes, j’aimerais vous rappeler certains points qui me semblent essentiels pour tâcher de comprendre la situation.

    1- Ces gens se réunissent les samedi parce qu’ils travaillent le reste du temps. C’est une frange de la population qui ne parvient plus à vivre des fruits de son travail. Vous passez cela sous silence comme si c’était trivial (hantise de dégringoler l’échelle sociale) alors que c’est central, bien au contraire.

    2- Les pouilleux, les cul-terreux et les beaufs jouent le jeu de la parodie de démocratie que nous vivons depuis des décennies, sans jamais y trouver leur compte et en ne récoltant jamais que des insultes, du mépris et des taxes. Comme graine de fachos, on a vu mieux.

    3- Les élites représentatives se sont employées depuis longtemps à démolir la démocratie, que ce soit par transfert de souveraineté à des instances non élues, par la trahison du vote populaire (2005), par la multiplication des lois liberticides ou encore, par le torpillage des candidatures dérangeantes par le truchement d’un clébard judiciaire aux ordres (Fillon). Accuser le bas-peuple d’être le fossoyeur de la démocratie est une escroquerie.

    4- L’incapacité des élites, des gens branchés et comme il faut à produire autre chose que des taxes, du chômage, de la violence sociale, de l’illettrisme et de la corruption finit par se voir. Même les bas-du-front « qui fument des clopes et roulent au diesel » finissent par s’en rendre compte.

    5- En définitive, ce que demande le campagnard primitif, c’est la souveraineté (désignée ici sous le terme égoïsme…), la capacité à choisir son avenir, sans se le faire imposer par le quarteron de traîtres qui torpillent Areva, vendent Alstom pour un plat de lentilles, signent des pactes et des traités sans se référer à la base (par peur de ne pas obtenir la réponse qu’ils souhaitent).

    Alors non, le métallo de service n’a pas fait l’ENA, Normale Sup ou Science Po. Il n’a pas appris à faire un nœud de cravate, à mentir avec aplomb face caméra ou à manier le jargon technocratique qui permet de parler pour ne rien dire.
    Sauf que lui, il est fatigué de se faire enfirouaper et cracher au visage, il n’est pas responsable de l’échec du système des partis à créer de l’alternative (détaillants qui se fournissent chez le même grossiste, selon le mot de Philippe Seguin) ou de la judiciarisation de l’opinion. Son rôle n’est pas de pondre des propositions mais de dire merde et d’envoyer promener tout ce beau monde lorsque la coupe est pleine.

    En vrai, le chantage aux zeurléplusombr n’a jamais cessé depuis 1945 et ça n’intéresse plus grand monde. Pour celui qui travaille sans pouvoir faire vivre sa famille convenablement, le système actuel ou un régime autoritaire, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Il ne pourra pas être plus exclu de la décision politique qu’il ne l’est déjà.

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