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Je bénis et j’affirme toujours, dit Nietzsche

Zarathoustra s’abîme en poésie « avant le lever du soleil ». Il frissonne de désirs divins en contemplant le ciel profond, abîme de lumière. Car le ciel donne une idée de l’infini – et du hasard incalculable. Il est un abîme de lumière parce que seule la lumière « est » dans cet infini de l’espace.

La lumière est le soleil, le dieu Apollon dont le nom signifie puissance, dans sa gloire de jeunesse éternelle et sa raison qui tranche comme un rayon. Il est la clarté de l’intelligence grecque en contraste avec la passion obscure de Dionysos, ce dieu de l’ivresse et des forces biologiques, venu d’Asie. Nietzsche fera de la synthèse de ces deux dieux mythiques le socle de son affirmation philosophique. L’instinct vital commande, mais la « volonté » vers la puissance d’être est du ressort de l’esprit autant que du corps.

« Le dieu est voilé par sa beauté : c’est ainsi que tu caches tes étoiles. » Il est pur et implacable, comme la vie dans sa volonté d’être. « Tu ne parles point : c’est ainsi que tu m’annonces ta sagesse ». Qu’est-il en effet besoin de « parler », de ratiociner sur l’évidence ? Vivre est une évidence ; elle est sagesse en soi, elle n’a pas besoin d’être justifiée par la parole ou le raisonnement.

Le dieu de Nietzsche est son ami : « N’es-tu pas la lumière comme je suis le feu ? N’es-tu pas l’âme sœur de mon intelligence ? Ensemble nous avons tout appris ; ensemble Nous avons appris à nous élever au-dessus de nous, vers nous-mêmes et à avoir des sourires sans nuages. » Tel Apollon, « avec des yeux clairs » et « de très loin » comme avec l’arc et les flèches qui sont ses attributs.

« Au-dessous de nous se concentrent comme la pluie, la contrainte et le but et la faute. » Apollon est au-dessus, comme se voudrait Zarathoustra le prophète de Nietzsche, qui n’a pas encore accompli son ultime métamorphose : l’innocence. Il n’est encore que lion en révolte contre le monde et la société de son temps, minée de christianisme coupable, soumise au Dogme moral et velléitaire. « Toute ma volonté n’a d’autre but que de prendre son vol, de voler vers toi. Et que haïssais-je plus que les nuages qui passent et que tout ce qui te ternit ? »

Ces nuages sont les ratiocinations qui empêchent de vouloir, ces normes de moraline qui inhibent l’action, cet esclavage religieux qui régente la vie. « J’en veux aux nuages qui passent, à ces chats sauvages qui rampent : ils nous prennent à toi et à moi ce qui nous est commun, notre affirmation, notre acceptation de tout. » L’affirmation est celle de la volonté de vie, l’acceptation celle du hasard de vivre.

« Nous en voulons à ces médiateurs et à ces mêleurs, les nuages qui passent : à ces êtres mixtes et incertains qui n’ont appris ni à bénir, ni à maudire du fond du cœur. » Autrement dit, à tous ceux qui ne savent pas ce qu’ils veulent parce qu’ils ne savent pas qui ils sont, qui n’osent pas s’affirmer, qui ont peur de la vie et de ses dangers. Notons le mépris nietzschéen pour tout ce qui est mélangé, pas clair, assis entre deux chaises, métis. Nietzsche aurait abhorré la « culture métisse », le « multiculturel », le grand métissage idéaliste pour abolir les différences – aujourd’hui rejeté en réaction par les woke, qui affirment au contraire leur infime différence pour en faire un drapeau militant. Ce qui n’empêchait pas Nietzsche d’assimiler des cultures étrangères, tel le bouddhisme ou certains aspects du judaïsme – mais il ne s’agissait pas de mélange, de « en même temps », mais de faire sien, d’absorber et de transformer selon soi-même pour se changer, ce qui n’est pas la même chose.

Nietzsche préfère la confrontation franche et le débat sans concession à l’hypocrite relativité intellectuelle qui met tout sur le même plan. « Car je préfère le bruit et le tonnerre et les outrages du mauvais temps à ce repos de chats circonspects et hésitants ; et, parmi les hommes, je hais surtout ses êtres incertains marchant à pas de loups, ces nuages qui passent, en doutant et hésitant. » La vie est une affirmation, pas un atermoiement. La volonté tranche et ne reste pas à se demander quoi faire.

Ainsi de « l’État de droit » dont nous rebattent les oreilles les belles âmes impuissantes – et au fond heureuses de le rester. Quel est ce « droit » qui ne serait appliqué qu’aux citoyens et pas aux « sans papiers » ou « expulsables » qui disparaissent dans la nature ? Qui ne sanctionnerait que les manquements des citoyens hors des « zones de non-droit » qui se multiplient par lâcheté dans les banlieues gangrenées par le salafisme et le trafic de drogue ? Comment, face aux meurtres terroristes ou aux règlements de comptes du seul droit du plus fort et pas celui de la République, rester sans rien faire et se dire impuissants ? Ne faut-il pas agir, au risque de bousculer la machinerie bureaucratique française, européenne et le droit-de-l’hommisme abstrait ? Est-il un autre premier « droit de l’Homme » que de celui de vivre ? Il serait peut-être bon, comme nous y invite Nietzsche, de clarifier notre ciel et d’affirmer nos « valeurs » (ce qui vaut pour nous) sans culpabilité.

« Et voici ma bénédiction : être au-dessus de chaque chose comme son propre ciel, son toit arrondi, sa cloche d’azur et son éternel certitude : et bienheureux celui qui bénit ainsi ! Car toutes choses sont baptisées à la source de l’éternité par-delà le bien et le mal ; mais le bien et le mal ne sont eux-mêmes que des ombres fugitives, d’humides afflictions et des nuages fuyants. » Car ce qui vaut fluctue, les valeurs inscrites dans le droit évoluent, les sociétés changent et la nôtre aussi, n’en déplaisent à ceux qui voudraient figer les gens en un seul dogme – qu’il soit monothéiste, tradi ou ethnique. « Sur toutes choses, se trouve le ciel hasard, le ciel innocence, le ciel à peu près, le ciel témérité. ‘Par hasard’, – c’est là la plus ancienne noblesse du monde, je l’ai rendue à toutes choses, je les ai délivrées de la servitude du but. » La vie n’est pas voulue, elle est : hasard et nécessité, sortie des molécules agitées sur une planète particulière en conditions favorables. Il n’y a pas de Projet ni de but, la vie va comme elle va, avec sa volonté vers la puissance de chaque être et les obstacles qu’elle se crée parfois elle-même et qu’elle doit surmonter (comme, pour l’humain, la prolifération démographique, le gaspillage des ressources limitées et le réchauffement climatique).

« J‘ai enseigné qu’au-dessus d’elles, et par elles, aucune ‘volonté éternelle’ – n’affirmait sa volonté. » L’être humain est seul sur une planète infime, dans l’infini de l’univers ; il poursuit aveuglément son propre chemin, accomplit sa propre volonté vers la puissance en affirmant sa vie. C’est folie, mais Nietzsche a enseigné que la vie n’était pas « raisonnable » – elle ne se raisonne pas, elle se vit comme un état de fait.

Nietzsche ne nie pas la raison. « Un peu de raison cependant, un grain de sagesse, dispersé d’étoiles en étoiles, ce levain est mêlé à toutes choses : pour l’amour de la folie la sagesse est mêlée à toutes les choses ! » Mais la certitude est avant tout le hasard, sur lequel danser, qu’on le veuille ou non. Il est trop facile de se réfugier comme l’autruche dans le sable, dans un quelconque dogme qui expliquerait tout depuis les commencements du monde : nous n’en savons rien, et pas plus les prêtres que les scientifiques. Sauf que les seconds cherchent alors que les premiers croient avoir déjà tout découvert, « révélé » une fois pour toutes.

(J’utilise la traduction 1947 de Maurice Betz au Livre de poche qui est fluide et agréable ; elle est aujourd’hui introuvable.)

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1884, traduction Geneviève Bianquis, Garnier Flammarion 2006, 480 pages, €4,80 e-book €4,49

Nietzsche déjà chroniqué sur ce blog

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Réel déclin économique français

Récemment, j’indiquais combien François Hollande était dans l’impasse :

  • Impasse dans laquelle il s’est mis lui-même, promettant la lune et n’offrant que son pâle reflet, la procrastination en plus. (Je mets le lien avec ce mot compliqué, pour les mal éduqués sortis de l’E.NAtionale).
  • Impasse due au grand écart entre le « socialisme à la française » (resté marxiste en économie, gauchiste dans les mœurs, étatiste en mentalité) – et les réalités du gouvernement d’une France complexe, diverse et ancrée à une Europe bien plus sociale-libérale.

Ce pourquoi Martine Aubry est plus populaire au PS que François Hollande : plus autoritaire, plus à gauche, plus dans la lignée 1981… Mais seuls 46% des Français ont une bonne opinion d’elle.

Ce qu’il faudrait faire – il ne le fait pas :

  • baisser de 15 à 20% les coûts des entreprises (notamment les cotisations sociales obligatoires et le maquis touffu des règlementations et paperasseries),
  • réduire les strates administratives de décision d’État
  • augmenter la productivité des fonctionnaires par une meilleure organisation et des salaires plus incitatifs
  • réformer la fiscalité – comme il l’avait promis.

Ce pourquoi la Commission européenne, après Standard & Poors, dit que la France n’a plus aucune marge de manœuvre. Trop compliqué, trop politiquement sensible, trop près d’une élection. Un peu de socialisme, un peu de réformettes, surtout des promesses de lendemains qui chantent, la ligne bleue 2017 et d’ici là s’efforcer de diviser la droite en attisant l’extrémisme frontiste par des provocations sur les mœurs ou les bananes et l’épouvantail du vote des étrangers, du retour des illégaux expulsés et l’entrée de la Turquie dans l’UE.

pression fiscale france comparee europe

Redisons-le froidement :

  • la croissance ne reviendra ni aussi vite ni aussi fort qu’avant, comme si de rien n’était, les 2% espérés, ce n’est probablement pas avant plusieurs années : la zone euro ne connaît qu’une reprise fragile en raison des difficultés bancaires, des budgets en déséquilibre, du désendettement du secteur privé, de la faiblesse du commerce mondial, de la fragmentation des marchés. Selon l’économiste de Natixis Patrick Artus, avec la tendance des gains de productivité français et les perspectives démographiques, « on parvient à une croissance potentielle comprise entre 0,7 et 1,0% par an selon l’hypothèse prise d’évolution du taux d’emploi. »
  • le déficit public ne sera pas résorbé en quelques années, même avec les deux ans de répit accordés par l’UE : la crise a abaissé le potentiel économique de la France et pour ramener le déficit structurel de 3,3% du PIB en 2013 à 0,5% du PIB en 2017 (pour respecter la Règle d’or), il faudrait le réduire de 0,7 point du PIB par an ; selon Patrick Artus, « si la pression fiscale par rapport au PIB à partir de 2013 reste stable, il faudra alors que les dépenses publiques baissent de 1,2% en valeur et de 5,3% en volume de 2013 à 2017. Un ajustement budgétaire très sévère reste donc à réaliser en France entre 2014 et 2017, bien plus sévère que celui qui a été annoncé. »

pole emploi bureaucratie kafka

  • le chômage ne risque pas de décroître en raison des multiples freins aux embauches et des coûts salariaux élevés : la France a une compétitivité-coût moindre, une profitabilité faible, une rentabilité du capital inférieure à ses voisins ; le défaut des entreprises augmente dans les loisirs, l’automobile, l’immobilier – l’investissement et l’emploi reculent. Quant à la bureaucratie de Pôle emploi, il faut ajouter Courteline à Kafka pour en avoir une faible idée !

salaire horaire industrie france comparee europe

  • les impôts (déjà les plus élevés d’Europe et jamais suffisants pour les besoins publics) tuent toute initiative, annihilent toute volonté, inhibent toute consommation : les entreprises fabriquant des produits peu différenciés souffrent des coûts salariaux plus élevés, les pigeons, les dindons, les Bretons, les poussins et même les cigognes (ces sages-femmes qui manifestent) se révoltent, les retraités dès la classe moyenne commencent à établir leur résidence principale à l’étranger (Maroc et Thaïlande notamment), les étudiants sont de plus en plus nombreux à aller se faire embaucher ailleurs.
  • les investisseurs étrangers l’ont compris, qui diminuent en moyenne leurs investissements en France depuis le début des années 2000 : la situation n’est en apparence pas plus mauvaise que celle de l’Allemagne ou des États-Unis et meilleure que celle de l’Italie – mais hors immobilier et finance, les investissements directs étrangers sont très faibles et en déclin ; ils ne représentent qu’1,1 milliard d’euros en 2013 pour l’industrie manufacturière.

investissements etrangers en france par secteurs

Que fait François Hollande pour corriger tout cela ? Rien, il attend. Il préfère le discours au terrain et se méfie de tous ceux qui créent des richesses (entreprises, professions « libérales » ou finance). D’où sa chute abyssale de popularité, même parmi ses électeurs, jamais vue jusqu’ici.

profits entreprises france comparee europe

Il croit ce qu’il espère – pas ce qu’il voit : « la croissance à 2% » pour bientôt. Il est malheureusement conforté par les œillères des journalistes dont quelques sondages ont révélé le tropisme à 74% « de gauche ». Écouter les seuls « économistes » invités par les journalistes sur les radios nationales, c’est entendre la voix des sirènes : louanges appuyées à la radicalité de gauche, congratulations mutuelles, sophismes et erreurs répétées en boucle (la faute à l’euro trop fort, aux excédents allemands, à la politique du dollar, aux méchants Chinois, aux Irlandais fiscalement habiles – et ainsi de suite).

François Hollande doit tuer le père – ou se suicider politiquement : laisser le socialisme façon Mitterrand ou renoncer à gouverner. Cruel dilemme, dans lequel cet éternel hésitant enclin à la gentille « synthèse » ne peut se résoudre. Il fait donc un peu le socialiste par des « réformes » de mœurs et de gros yeux aux « riches » – mais pas trop, car est « riche » en France qui dépasse la tranche à 14% de l’impôt sur le revenu, soit dans les 3000 € par mois pour une personne seule. Les prélèvements « sociaux » (passés de 13.5% à 15.5%) sont sur TOUS les revenus et touchent d’ailleurs TOUT le monde, même ceux qui ont un revenu annuel sous le seuil de pauvreté : la potion « socialiste » est, dans le réel, pire que celle de droite… Et cela ne se verrait pas dans les urnes ?

Ce pourquoi François Hollande à enfin réagi : ou plutôt son Premier ministre qui annonce que le gouvernement va « remettre à plat » toute la fiscalité française. Ce que je prônais comme seule marge de manœuvre politique possible dans ma dernière note sur l’impasse, citée plus haut. A croire qu’il a des conseillers avisés qui lisent ce blog – ou, plus modestement, que mon intuition politique rencontre l’air du temps. Mais, disons-le, se réjouir qu’un président mette en œuvre ses propres promesses électorales, c’est un comble ! Les paroles sont-elles des actes, comme il le dit si bien à Jérusalem pour l’antisémitisme ?

Hélas, non ! François Hollande vient de « recadrer » Jean-Marc Ayrault : la réforme fiscale se fera à l’horizon du quinquennat, pas tout de suite – autrement dit aux calendes grecques. Peut-on être aussi mauvais en communication ? François Hollande pense-t-il au désastre d’image que cette énième reculade et réticence a dans l’opinion ? Et sur les marchés à qui le gouvernement réclame des prêts chaque mois ? Est-il à la hauteur de sa fonction présidentielle, ou se contente-t-il d’en jouir ?

Autant de douloureuses questions pour la gauche mais surtout pour les Français.

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