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L’ombre d’un doute d’Alfred Hitchcock

Un film psychologique et brutal, le préféré de son auteur. Un homme de la trentaine en costume et chapeau rumine dans une chambre d’hôtel à New York (Joseph Cotten, 37 ans). Il est surveillé par deux hommes dont on soupçonne qu’ils sont des détectives. Qu’a-t-il Fait ?

Il sort de sa chambre, prévenu par sa logeuse qui l’a à la bonne car il est charmeur et même charmant à ses heures. Il sème ses suiveurs et prend le train pour la Californie avec tous ses bagages. Pour n’être pas reconnu, il voyage en compartiment fermé, jouant les malades affaibli, canne à pommeau de vieillard à la main et gros pardessus. Il va retrouver à Santa Rosa sa famille, sa sœur aînée mariée Emma qui est un moulin à paroles (Patricia Collinge), son mari employé de banque (Henry Travers) et leurs trois enfants, Charlotte l’aînée (Teresa Wright, 24 ans au tournage), Anne la liseuse invétérée (Edna May Wonacott, 10 ans) et Roger, le petit dernier (Charles Bates, 7 ans). Charlotte l’adore, elle en est amoureuse, elle l’avoue. Elle a absorbé l’admiration béate de sa mère pour le petit frère qui a réussi. Pour Charlotte, son oncle Charlie est un soleil qui entre dans la maison.

Mais la réalité va se heurter au fantasme. Le doute va faire planer son ombre. Dès le premier soir, Charlie subtilise le journal que le père n’a pas encore lu pour enlever quelques pages. Fatale erreur : c’est attirer l’attention sur un article que Charlotte, après de multiples ruses et contorsions pour récupérer la page déchiquetée, va lire à la bibliothèque publique sur les conseils pleins de bon sens de la préado Anne. Ce qu’elle découvre lui fait froid dans le dos : la police est en quête d’un étrangleur de veuves joyeuses qui lui a échappé à New York. Elle poursuit deux hommes, l’un dans l’est, l’autre en Californie, tous deux soupçonnés des meurtres. Mais aucune photo pour que les témoins puissent reconnaître le bon.

D’où cette « enquête statistique » cousue de gros fil blanc, élaborée par les détectives californiens afin de pénétrer la famille de Charlie et l’intérieur de la maison. L’un d’eux parvient à faire une photo de lui, rentrant bêtement avant que les entretiens soient terminés au lieu d’aller passer la soirée ailleurs parce que non concerné. Est-il bête ou joue-t-il avec le feu ? Il semble que ce soit une troisième hypothèse : il est amer, las du monde, des gens et de la vie. S’il a zigouillé ces vieilles bonnes femmes emperlousées, c’est qu’elles dépensaient en alcool, hôtels et jeux les fortunes durement gagnées de leurs maris épuisés par la tâche, morts avant elles. Elles jouissaient égoïstement de biens acquis sans rien faire, en dormant seulement dans le même lit. Elles ne méritaient pas leur aisance et usaient des biens transmis comme des truies. Sont-elles encore humaines ? Dignes de la société ? A la sortie du film, nous sommes en 1943, en pleine guerre contre les nazis, les hommes américains pouvaient se sentir concernés par ce thème de la veuve joyeuse et avoir eu envie d’imiter ce tueur en série à la morale libertarienne.

Aujourd’hui, c’est une profondeur plus grande que nous apercevons dans le film. Charlie est un charmeur qui pourrait fleurir dans les affaires ; il en a la capacité, la clarté d’esprit et l’aisance de comportement. Mais à quoi bon ? Ses capitaux sont mal acquis, sa vie de famille inexistante, son existence vide sans l’aiguillon « moral » du crime. Tout le contraire de sa sœur, assise dans une vie de famille modeste mais sûrement établie, effectuant ses tâches domestiques en gardant son petit moral à elle (« je me suis mariée et, vous savez ce que c’est, vous oubliez qui vous êtes vraiment, vous devenez l’épouse de votre mari »). Lequel mari s’adonne innocemment à la lecture avide de revues d’énigmes criminelles et devise avec son copain Herbie, vieux garçon, (Hume Cronyn) de la meilleure façon de trucider son prochain. D’un côté l’ambition velléitaire et le crime accompli de qui se prend pour Dieu ; de l’autre l’existence modeste et routinière et le crime fantasmé de l’humain trop humain. Un New York froid aux friches emplies de carcasses de bagnoles ; un Santa Rosa chaud, fleuri, paisible, où les policiers souriants et consciencieux font traverser la rue. Deux mondes.

Illustrés par un homme et une jeune fille portant tous deux le même prénom, Charles et Charlotte – déclinés tous deux en Charlie ; vivant les mêmes spleens couché sur leurs lits ; rêvant l’un de l’autre en idéalisant, Charlotte la réussite sociale de Charles, Charles la pureté innocente de Charlotte ; l’un rongé par le mal en lui et l’autre qui le découvre en elle et dans sa ville, « vas-t-en ou je te tuerai » lui dit-elle dans le bar à putes où son oncle l’entraîne pour discuter, et où elle n’a jamais mis les pieds. La jeune américaine idéale est déniaisée psychologiquement par l’oncle à l’âme sombre. Non, tout le monde n’est pas beau ni gentil ; non, le monde n’est pas un univers rose bonbon à la Disney ; oui, le mal existe dans le monde et en chacun de nous ; oui, « le même sang coule dans nos veines ».

Charlie cherche à se ressourcer auprès de sa sœur et sa famille ; il veut changer, commencer une nouvelle vie en Californie. Sauf que les Érinyes de ses crimes le poursuivent et le contraignent comme des mouches agaçantes. Charlotte est trop fine, parce que trop amoureuse, pour ne pas s’en apercevoir ; elle en sait trop, elle devine le reste. Après l’épisode du journal, elle se lie avec l’un des jeunes détectives, Jack (Macdonald Carey, 20 ans) et le croit ; elle se pose des questions sur une bague ornée d’une belle émeraude que son oncle lui a offert et dont l’anneau est gravé des initiales de la dernière veuve trucidée. Par trois fois Charlie va tenter de faire disparaître Charlotte : en sabotant l’escalier en bois extérieur pour que les hauts talons imbéciles de la mode du temps se prennent dans les marches ; en sabotant la porte du garage qui se ferme toute seule, après avoir laissé allumé le moteur de la voiture familiale et avoir retiré la clé de contact pour que l’air se sature de monoxyde de carbone ; dans la dernière séquence du train où il cherche à la jeter au-dehors.

Il n’y réussit pas, la justice immanente à laquelle croit le bon peuple yankee ne le permet pas. Mais c’est qu’il a quasiment avoué ses crimes à Charlotte, son bon ange : il a admis être l’un des deux suspects de la police ; il a déblatéré contre les veuves joyeuses avec une haine qui a étonné ; il a cherché à récupérer la bague émeraude pour ne laisser aucune trace. Il a donné devant tous sa vision du monde : « Vous vivez dans un rêve. Vous êtes somnambule. Comment savez-vous à quoi ressemble le monde? Savez-vous que le monde est une sale souillure ? Savez-vous que si vous arrachiez la façade des maisons, vous trouveriez des porcs ? Le monde est un enfer. »

Même si le suspect de New York est mort dans un accident d’avion, déchiqueté par une hélice ua point de ne pas pouvoir en tirer le portrait, Charlie ne se sent pas libéré. Les détectives renoncent, faute de preuves, mais lui entreprend de poursuivre avec une nouvelle veuve riche, Mrs Pierce, rencontrée au club de sa sœur où il a fait une brillante conférence. Le mal est en lui : accident de vélo étant enfant ou mauvaise expérience du monde ? Désordre biologique ou milieu délétère ? Toujours est-il qu’il ne peut s’en dépêtrer. C’est ce qui va le perdre définitivement.

Malgré une musique tonitruante de Dimitri Tomkin qui passe mal aujourd’hui, une subtilité psychologique qui permet au réalisateur anglais de porter sa critique sur la norme ennuyeuse de la société américaine idéaliste dans tous ses aspects.

DVD L’ombre d’un doute (Shadow of a Doubt), Alfred Hitchcock, 1943, avec Teresa Wright, Joseph Cotten, Macdonald Carey, Patricia Collinge, Henry Travers, Universal Pictures France 2012, 1h43, €19,43 Blu-ray €14,31

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Pierre Lemaitre, Le grand monde

L’auteur saisit la famille Pelletier, des Français du Liban propriétaires prospères d’une savonnerie, trente ans après 1918, jetés dans le grand monde. Ce sont les années glorieuses de l’après-guerre, du rationnement encore en cours, des grèves communistes de la CGT qui aspire à faire de la France un pays stalinien sur le modèle de l’URSS, du trafic de piastres en Indochine où les orgies, l’alcool et la prévarication montrent le laid visage des coloniaux.

De mars à novembre 1948, nous suivons les rebondissements des quatre enfants Jean, François, Étienne et Hélène. Il s’avère que l’un est tueur en série, l’autre faux normalien supérieur et journaliste à sensation, le troisième pédé malheureux pistonné à Saïgon et la quatrième, la seule fille, une suceuse cocaïnomane qui a commencé dès le lycée. Leurs amours sont tous malheureux, leurs ambitions immenses mais leurs capacités faiblardes. Le tourbillon de l’époque les entraîne malgré eux et ils surnagent, se débattent, tentent de garder la tête hors de l’eau. Le IVe République naissante est croquée dans ses travers, les ambitions minables pour se faire élire, l’argent de la corruption, l’entre-soi des intérêts bien compris – tout ce qu’une certaine frange de politiciens actuels (de gauche) voudrait voir revenir en VIe République avec le régime des partis, le duel des egos, la concussion, la valse des ministères où l’on prend les mêmes et l’on recommence les mêmes petits jeux sans aucun souci de l’intérêt général du pays.

Comme d’habitude avec Pierre Lemaitre, il y a du suspense, l’histoire se parcourt à grandes guides, on ne lâche pas un chapitre dès qu’il est commencé. Beaucoup d’ironie aussi, le portrait cruel de caractères bien tracés, représentatifs de Français moyens pas tous aussi falots ou brillants qu’ils le paraissent. De l’exotisme aussi, tant dans le Paris du fait divers à sensation qu’en Indochine en guerre civile contre le Viet Minh communiste, financé par les Chinois de Mao et aidés par l’URSS de Staline dans l’indifférence de la classe politicarde parisienne.

Le pays indochinois est vert, moite, beau et pourri – tout comme ce très jeune homme (15 ans ? 18 ans ? Sait-on jamais avec les Asiatiques) mandaté par le compradore chinois Quiào auprès d’Étienne, l’un des fils Pelletier qui agit depuis l’Agence des monnaies de Saïgon (Office indochinois des changes dans la réalité) où son père l’a fait entrer par relations afin qu’il rejoigne son légionnaire – Raymond. Lequel sera mort sous la torture à son arrivée, hersé par les buffles des petits hommes verts.

L’Agence est la seule instance administrative apte à autoriser les transferts d’argent entre la colonie et la métropole, au taux de change avantageux fixé par décret de 17 francs pour 1 piastre, alors que son cours de marché n’est guère que de 10 francs – de quoi doubler la mise à chaque transfert. La différence est payée par le Trésor français, autrement dit par les contribuables et citoyens de la République avariée. Militaires, fonctionnaires, affairistes et commerçants locaux en profitent et l’Agence ne fait que retarder vaguement le mouvement en demandant d’autres papiers justificatifs, car elle ne peut s’y opposer : c’est une décision politique typique d’un politicien IVe République. Fait officiellement pour aider au développement… mais aussi à la guérilla communiste ! Parce qu’il approchera trop cette corruption en forme de trahison, le jeune Étienne verra son amant annamite de 16 ans égorgé et lui-même terminera mal (sur le modèle réel du journaliste Jean-François Armorin). Qu’à cela ne tienne : dans le roman sa mère fera le voyage pour faire le ménage.

Ce n’est pas un livre d’histoire, ni une analyse de société mais un bon roman qui se lit au galop comme un policier historique. Le lecteur aura la surprise à la page 627 de le voir relié au tout premier roman Au revoir là-haut ! Un bon divertissement au coup de crayon acéré.

Pierre Lemaitre, Le grand monde – les années glorieuses, 2022, Livre de poche 2023, 767 pages, €,10,40 e-book Kindle €15,99

Pierre Lemaitre déjà chroniqué sur ce blog

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Ann Rule, Un tueur si proche

L’auteur, journaliste proche des milieux d’enquête de la police pour avoir appartenu à leurs rangs avant de mettre au monde quatre enfants, retrace la macabre épopée du premier tueur en série américain identifié comme tel, dans ces années 1970 d’une naïveté confondante. Tout le monde il était beau, tout le monde il était gentil… et l’auto-stop la règle. Ann Rule a connu personnellement Ted Bundy à Seattle en 1971, alors qu’elle faisait du bénévolat sur une ligne d’assistance téléphonique pour personnes suicidaires. Ted était l’un de ses coéquipiers deux soirs par semaine et ils sont devenus amis.

Elle l’a donc suivi jusqu’à la chaise électrique, en 1989, marquant enfin la terme de ses meurtres prémédités de jeunes filles et de ses évasions rocambolesques. Ted Bundy était intelligent, un QI de 124 à l’université. Il a fait des études de droit et de psychologie, sans toujours finaliser ses diplômes. Il a participé à la campagne électorale du gouverneur républicain Evans pour sa réélection puis est devenu assistant de Ross Davis, le président du Parti Républicain de l’État de Washington. Il aurait pu devenir avocat et faire une belle carrière en politique, étant d’une intelligence aiguë, avec un sens de l’écoute, un conservatisme affirmé et une agressivité de squale. Il n’en a rien été.

Ted Bundy a été rattrapé par ses démons. Le premier est d’avoir été abandonné trois mois par sa mère à sa naissance, bâtard d’une fille réprouvée qui « avait couché ». On soupçonne aujourd’hui que c’était avec son propre père bien qu’elle ait désigné tout d’abord un soldat de l’Air force ou un marin comme géniteur envolé : elle n’a jamais vraiment su. Comme fils de pute – il n’y a pas d’autre nom pour les coucheries de sa mère – le gamin s’attache à son (grand?) père mais en est séparé à l’âge de 4 ans. Il l’adorait mais les faits révèlent que ce père de sa mère était violent, emporté, macho, raciste et un brin psychopathe. Les gènes ne mentent pas… Il en a gardé une fixation morbide sur « les femmes », leur reprochant leur sexualité irrépressible et leur exhibition sur les photos des magazines. Tout petit déjà, il avait découvert des revues porno chez son (grand) père et prenait plaisir à les regarder.

Il est probable qu’il ait tué sa première victime à l’âge de 15 ans,  une fillette de 9 ans jamais retrouvée. Sa première victime « officielle » est à l’âge de 20 ans et son corps n’a jamais été retrouvé. Bundy aimait en effet déshabiller les filles une fois assommées à coups de barre de fer ou de bûche, puis étranglées avec un bas nylon, les mordre à pleines dents sur les fesses et les seins, les violer par le vagin et l’anus, leur enfoncer des objets loin dans les orifices, puis en séparer la tête pour la collectionner sur un lieu qu’il aimait bien dans les montagnes. En bref un vrai psychopathe qui voulait se venger de « la » femme, sa mère dont il n’a jamais été aimé tout petit.

L’auteur liste ses victimes reconnues, celles probables, plus celles possibles. Il y en a 36 vraisemblables (plus une survivante), avouées ou non, et une centaine possibles de 1962 à 1978. Toutes des filles – aucun garçon – et jeunes, de 9 à 26 ans. Les filles avaient en général les cheveux bruns, longs et séparés par une raie centrale. Les attirer n’était pas difficile, Ted Bundy étant beau mec, se présentait souvent comme handicapé, un bras en écharpe ou une jambe dans le plâtre, portant une sacoche ou une pile de livres. Il demandait gentiment assistance pour les mettre dans le coffre de sa Volkswagen Coccinelle, la voiture fétiche des jeunes Yankees post-68. Il les assommait alors d’un coup de barre de fer avant de les hisser dans son auto dans laquelle il avait ôté le siège passager avant (une fonction que seules les Coccinelles offraient), puis allait « jouer » avec elles plus loin sur la route.

Il entrait alors en état second, devenant une sorte de berserk, un fou sanguinaire sans aucune limites mentales. Le jeune homme affable, gentil et bien sous tous rapports devenait alors autre, un monstre démoniaque agi par ses pulsions primaires.

Ann Rule, qui l’a personnellement connu puis l’a suivi par lettres, appels téléphoniques et suivant les progrès des enquêtes dispersées dans plusieurs états (la plaie du système judiciaire américain), en fait un livre de journaliste, purement factuel et d’un style plat qu’affectionnent particulièrement les boomers. Un style de mille mots, pas plus, accessible aux primaires, selon les canons du journalisme papier d’époque. Un style à la Annie Ernaux qui « se lit bien » mais sans personnalité, qui pourrait être écrit par un robot. D’ailleurs le journalisme aux États-Unis se meurt pour cette raison et les gens sont remplacés de plus en plus par des machines et des algorithmes.

Si les tueurs en série vous passionnent, si le sort de Ted Bundy vous intéresse, si vous aimez lire sans penser ni vous préoccuper du style, ce genre de « roman policier » qui n’en est pas un est fait pour vous. Il dit la réalité d’un tueur mais n’entre jamais dans les profondeurs qui fâchent.

Ann Rule, Un tueur si proche, 2000, Livre de poche 2004, 544 pages, €2,77, e-book Kindle €6,99

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Maxime Chattam, L’illusion

Recentré sur la France pendant le confinement, l’imagination reste un peu faible pour ce nouvel opus… jusqu’à la fin. Il faut en effet persévérer avant de voir brutalement, dans les toutes dernières pages, les pièces du puzzle s’assembler dans le tragique et le sadique – à la Chattam. Mais, durant tout le thriller, l’auteur se veut dans la mode tendance d’aujourd’hui, avec ésotérisme, terreur viscérale enfantine, isolement du monde et baise politiquement correcte. C’est un roman pour ados qui me rappelle la série des Mystères d’Enid Blyton avec aventures entre copains et copines et rebondissements convenus. Mais avec la patte du thriller à l’américaine et un montage adéquat. Ça se lit, ce n’est pas un grand cru, trop délayé du ventre avant le finale grandiose.

Hugo est un jeune homme sensible et inquiet, acteur qui n’arrive pas à percer et écrivain raté à ses heures perdues. Il vient de se ramasser dans son couple après sept ans et veut trancher son ancienne vie. Il répond pour cela à une petite annonce, aiguillé par un forum sur le net, qui consiste à être polyvalent d’entretien d’une station de ski familiale l’été dans les Alpes du sud, sur les hauteurs de Guillestre. Une avenante Lily l’accueille à la gare la plus proche, puis le conduit à toute vitesse par une route en lacets à vous rendre malade, vers la station désertée par les touristes de Val Quarios. Elle a été construite par un original, dit-on, Lucien Strafa, un magicien autrefois célèbre selon sa page Wikipedia, qui a brusquement quitté la scène pour créer la station il y a des années après sa 666ème représentation. Elle est en forme de gigantesque A avec un phare sur la pointe, le Vaisseau-mère en guise de trait et les deux bâtiments du Gros B et du Vioc en prolongement. A son habitude, l’auteur fournit un dessin pour situer le paysage. Et Hugo finit par découvrir que le plan est un pentacle.

Sitôt présenté à l’équipe, qui mêle tous les âges au-dessus de 25 ans ainsi que des locaux, Hugo se voit attribuer un appartement. Il peut faire ses courses à l’épicerie ouverte le matin ou manger à la cantine avec les autres, chacun faisant la cuisine à son tour. Sa tâche consiste au début à débiter des sapins trop vieux, malades ou susceptibles de tomber sur la station avec JL, un local, fils de Simone l’épicière. Il passera ensuite avec le vieux moustachu Max pour réparer les chaussures de ski à louer pour la saison.

En ce vaste lieu désert dans la nature, qui rappelle inévitablement Shining, d’ailleurs cité par Lily, d’étranges impressions lui viennent. Un je ne sais quoi de menaçant qui enflamme son imagination au point de parfois lui faire sentir des présences. Comme une araignée géante toute prête à le manger ; ou ce monstre dans la piscine de verre ouverte sur le paysage lorsque l’orage a fait claquer la lumière. « Toujours aller plus loin que la réalité, combler les manques, anticiper le pire, l’horreur de préférence… Si mon cerveau n’avait pas cette déviance, je ne pourrais pas écrire. C’est de ce genre de projections tordues que naissent les romans. Sinon, ce n’est que le monde tel que nous le connaissons, insipide, sans surprise, d’une banalité normalement suicidaire » p.129. Je n’adhère pas à cette conception à la Stephen King de l’existence, révélatrice des angoisses profondes de la psyché que la raison ne peut dompter. L’homme heureux n’a pas d’histoire ; il n’en écrit pas, ajoute Maxime Chattam. Mais Hugo l’impressionnable mal grandi n’est pas au bout de ses surprises.

Il est fasciné par le solitaire magicien qui vit non loin de la station dans un manoir interdit d’accès, gardé par d’étranges sculptures d’être torturés sur les troncs des arbres. Il ne peut que désirer le rencontrer, au point d’enfreindre les interdits, arrimé à la main amicale de Lily avec qui il couche après avoir hésité sur Alice qui s’en va. C’est très gamin, Chattam reprend d’ailleurs des expressions d’ado contemporain venu du vocabulaire gay en évoquant « les bras autour de son torse » alors qu’il ne s’agit que de sa poitrine – à moins d’avoir des tentacules aptes à faire le tour du tronc. Le chapitre 29 écrit en outre une somptueuse description de baise politiquement correcte après le mitou marketing, la montée de l’extrême-femme empêchant de jouir jusqu’au dernier moment, au cas où la fille aurait décidé, entonnée pendant l’acte, qu’il s’agit finalement d’un viol non consenti.

L’une des employée, Alice, est repartie en catimini après ses six mois, alors qu’elle devait dire adieu à tout le monde. Elle a anticipé avec un jour d’avance, soi-disant parce qu’elle n’aime pas les adieux. Mais ne voilà-t-il pas un mystère de plus ? Hugo regrette de l’avoir laissée seule son dernier soir alors qu’il aurait pu baiser – et peut-être en savoir plus. Car Alice ne répond pas au téléphone ni à sa boite mél. D’autres disparitions inquiétantes ont d’ailleurs eu lieu au fil des années dans la station. Quelques personnes sur des milliers, dit la raison, mais quand même, dit l’angoisse imaginaire. Hugo cherche, Hugo entraîne Lily – dont le prénom complet est Lilith, le démon femelle qui a précédé Eve aux côtés d’Adam dans la Bible, et qui peut-être joue Lily pute pour mieux enserrer Hugo dans ses rets. Le jeune homme entraîne aussi Jina dans son délire paranoïaque, l’autre fille qui aime à se faire peur mais pas trop, comme Annie dans le Club des Cinq. Luc Cifer est-il le diable ? Lucien Strafa est en effet un anagramme du démon. Val Quairos est-il conçu comme une gigantesque toile d’araignée qui emprisonne dans sa toile les proies dociles prêtes à être sucées dans leur âme et leur corps ? Hugo a de ces fantasmes d’arachnide géante tapie dans les recoins sombres. Ou y a-t-il plus prosaïquement un tueur en série qui sévit depuis des années, incognito ? Mais alors qui ?

A moins que ce soit pire… Mais tenez jusqu’au bout pour le savoir, si le chemin est banal et parfois répétitif avec ses hallucinations cassées nettes à la fin du chapitre, le finale vaut la lecture.

Maxime Chattam, L’illusion, 2020, Pocket 2022, 538 pages, €8,75 e-book Kindle €8,49

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Maurice Daccord, Le Secret des Mages du Trident Rouge

Léon Crevette, commandant de gendarmerie, et Eddy Baccardi, ex-assureur devenu conseiller conjugal à son compte, sont amis depuis longtemps ; ils ont pris l’habitude d’échanger leurs idées sur les affaires en cours, notamment lorsqu’il s’agit de crimes, surtout de crimes sur les enfants, encore plus lorsqu’on les retrouve démembrés et sans tête. Des petites filles dans les 10 ans disparaissent une à une et la ville est en émoi. Au point que le lecteur se demande pourquoi, dès le second crime, les parents autorisent encore leurs préadotes à sortir et rentrer seules dans les rues au soir tombé…

Depuis son premier polar, chroniqué sur ce blog, l’auteur s’est enrichi et affiné : l’intrigue est plus noire et l’action mieux menée, le suspense plus haletant jusqu’au bout. Seul le dernier chapitre où tout le monde s’embrasse, ou presque, fait un peu boy-scout. J’ai compris avant le lever de rideau final qui était le coupable mais j’aurais pu me tromper. Il faut dire que le tueur en série est particulièrement retors, ne laissant aucun indice, et qu’il faut chercher midi à quatorze heures pour tenter de trouver une logique aux forfaits qu’il commet.

Le scénario est toujours le même : un soir, une fillette seule qui vient de quitter sa bande de copains marche dans la rue à deux pas de chez elle, une voiture qui s’arrête, un homme qui palabre – et la fillette monte – personne ne remarque rien ; on ne la revoit jamais vivante. Pas de viol mais de la boucherie rituelle avec une signature : une carte satanique où Jésus et Satan sont dans le même carreau, Dieu étant Diable inversé. Boucherie, religion et latin semblent la marque de l’auteur.

Crevette est commandé par une nouvelle juge tout frais sortie de promotion et d’une capitaine adjointe tout frais sortie du stage de formation. Dans ce sud provençal hâbleur et macho, où les mâles ne commandent pas un pastis mais « un 51 » et les vrais « un 102 (un double 51) », être entouré de féminin est une gageure, sinon une galéjade. Encore que l’intuition joue un rôle et la confiance aussi – plus qu’entre hommes semble-t-il.

Ellipses, argot et jeux de mots égayent le propos, toujours enlevé. Crevette en assez au bout de six meurtres et se fait muter aux Renseignements. Son commissaire le voit d’un bon œil car de l’eau s’infiltrait dans le gaz entre eux. Mais le préfet décide de faire saisir aussi la DGSI pour ce qui ressemble à une activité de secte satanique. Les notables, déguisés en mages du Trident rouge comme à Carnaval, se font peur dans des cérémonies en sous-sol où ils invoquent le diable. Mais le sacrifice d’une vierge à chaque nouvelle lune n’est plus dans le rituel depuis des siècles. Quel sadique dérangé voudrait-il donc le reprendre ?

Maurice Daccord, Le Secret des Mages du Trident Rouge – Une enquête de Crevette et Baccardi, L’Harmattan 2022, 218 pages, €20.50

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Jean-Christophe Grangé, Congo requiem

Un monstrueux pavé de plage – 861 pages – qui est la suite de Lontano – 960 pages. Un thriller haletant, comme d’habitude, pour étaler les turpitudes de la famille de Grégoire Morvan, Breton d’adoption venu d’on ne sait où (mais le lecteur saura).

Le père est un broussard ex-flic qui exploite les mines de coaltan, un métal rare indispensable aux technologies branchées d’aujourd’hui et dont le Congo regorge (l’auteur a trouvé ça sur Internet). Le fils aîné Erwan est un flic du 36 sur les traces de son père, qui cherche à élucider la vieille histoire de l’Homme-Clou, ce tueur en série qui transforme ses cadavres (de jeunes femmes) en fétiches cloutés et éviscérés. La fille Gaëlle, ex-pute, ex-camée, suit un psy bizarre au nom juif revendiqué, Katz, qui veut son « amitié » au-delà du transfert. Le fils cadet, Loïc, alcoolique à 13 ans, pédé camé à 15, s’est marié à une comtesse italienne et en a eu deux mômes avant de replonger dans la came puis d’être violé par la mafia de Florence sous les yeux de son ex-femme et (presque) de ses gosses.

Chacun suit sa propre enquête, Morvan sur ceux qui veulent l’empêcher d’empocher la grosse somme d’une mine clandestine, Erwan sur le tueur psychopathe en lien avec l’histoire paternelle, Gaëlle sur son psy qui n’existe pas au Conseil de l’ordre puis sur le commanditaire présumé du meurtre de son père, Loïc sur le meurtre de son beau-père par la mafia italienne sur commandite des généraux congolais avides de fric et de putes blanches pour se venger de la mentalité coloniale. Et les chapitres alternent sur les uns et les autres, alimentant le suspense. La lectrice apprendra de Gaëlle une chose très utile : comment empêcher un viol avec un outil tout simple, à la portée de toutes les bourses et fendard pour le pénis.

Mais il s’agit de deux romans en un seul, ce que je regrette un peu. La suite de Lontano voit la traque du tueur et les pièces du puzzle se mettre en place à la toute fin ; la quête familiale se passe dans un Congo pourri aux humains armés ou esclaves (pas d’entre-deux), où la nature est d’une telle profusion que la vie côtoie la mort à chaque minute. J’aurais préféré deux romans séparés, par exemple un tome 2 et 3 après le tome 1 Lontano. Mais non, « pour la plage » selon les éditeurs, il faut faire pavé. Faisons avec mais avouons que c’est parfois un peu long et confus.

De l’action, en revanche, il y en a – à gogo. De la violence et du sexe aussi, ingrédients sans lesquels tout paraîtrait fade au plagiste. Se défouler par procuration, le Satiricon et les romans de Sade l’avaient déjà expérimenté. Inévitablement, l’auteur – journaliste pressé – se vautre dans la caricature. A le lire, l’Afrique est le cloaque du monde humain, surtout le Congo où disparut Dieuleveult à la fin des années 1980. Ce ne sont que brutes impitoyables, enfants-soldats camés qu’on incite à tuer et très jeunes filles violées et reviolées, massacres entre Hutus et Tutsis à la machette, modernisés à la mitrailleuse et au missile, alimentés en armes par les trafics occidentaux qui se payent en matières premières. Les politiciens sont pourris, les colonels descendent les généraux, la mission de l’ONU vend des armes et mitraille les belligérants au nom de la paix… « La misère de l’Afrique : personne ne songe à changer le système – violence, corruption, barbarie à tous les étages. Chacun vise au contraire à l’utiliser pour se tailler une place au soleil » p.395.

Dans un décor dantesque de bois et de fleuve dont l’auteur réussit une description juteuse et lyrique : « La forêt lui apparut soudain sous son plus mauvais jour. Un enfer pornographique. Formes, relents, chaleur. Toute saillie semblait tendue par le désir, perlant de substances nauséabondes. Toute cavité était humide et tiède. Vulves brillantes, glandes fibreuses, pénis turgescents… » p.280.

L’enquête parisienne paraît terne en comparaison, ce pourquoi l’auteur en rajoute dans la description des cadavres « ornementés » laissés par l’Homme-Clou ressuscité. Non sans quelque humour sur les flics nés sous Mitterrand comme le veau sous la mère, « le bobo de Beauveau » qui habite place d’Aligre où nichent les bobos parisiens de haut vol (dans tous les sens du mot). « Appartenant à la génération suivante, celle qui avait biberonné aux illusions du mitterrandisme, Pascal Viard représentait aux yeux du Padre tout ce que le socialisme avait apporté d’hybride et de détestable dans la cause gauchiste – un mélange de bonne conscience hypocrite et de logique bourgeoise roublarde ». Voilà qui est bien envoyé. « Pascal Viard était la caricature du faux artiste intello, socialo, écolo, altermondialiste… Monsieur Vœux-Pieux en personne » p.641. Les réseaux sociaux sont pleins de ces vertueux des trois sexes plus qui sont toujours plus à la mode que la mode pour faire mousser leur insignifiance.

Ne dévoilons rien de l’intrigue, elle est aussi tordue en France qu’elle l’est en Afrique, même sous des dehors plus policés et plus propre-sur-soi. Cette histoire de ravagés ne laisse aucun personnage sympathique mais avec, à chaque fois, des circonstances atténuantes. Quant au droit… le mot n’est pas dans le dictionnaire des créatures. Les corps sont les instruments à torturer pour atteindre les âmes et la résilience, chère à Boris Cyrulnik, a fort à faire pour remonter la pente. Au fond, presque tous y parviennent dans une lutte pour la vie où le droit du plus fort domine, ce qui laisse un espoir. Si vous avez une âme trop sensible, l’abstention est de rigueur, comme le prône saint Paul pour le sexe.

C’est que, selon Grangé, tout humain est un nazi au fond de lui et tous les prétextes sont bons pour raviver la bête immonde machiste, psychorigide, violeuse, pédophile, perverse, dominatrice et j’en passe. Durant la colonisation, dans les années 1940, sous les colonels devenus roitelets africains, parmi les milices ethniques de l’Afrique centrale, chez les psys. C’est la mode ; il en faut « toujours plus » pour alimenter les fantasmes et faire saliver, mouiller ou éjaculer le lecteur bedonnant ou la lectrice revancharde.

Jean-Christophe Grangé, Congo requiem, 2016, Livre de poche 2017, 861 pages, €9.7 et 0 e-book Kindle €9.49

Les thrillers de Jean-Christophe Grangé sur ce blog

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L’Echange de Clint Eastwood

Le titre en anglais évoque une substitution d’enfant ; c’était jadis l’œuvre des fées, c’est en 1928, date de l’histoire vraie ici romancée, le fait de la police. Car les années fascistes n’ont pas touché que la vieille Europe. Après la Première guerre mondiale, la brutalisation a affecté tous les comportements et le prurit autoritaire toutes les institutions. La démocratie américaine n’a pas été épargnée.

Une mère (Angelina Jolie) élève seule son enfant parce que le père s’est enfui dès qu’il a su qu’il allait être père. La responsabilité lui semblait trop lourde. Walter (Gattlin Griffith) a 9 ans et apparaît assez équilibré bien qu’un peu solitaire. Lorsqu’il se bat à l’école à cause de ses copains qui lui disent que son père est parti parce qu’il ne l’aime pas, sa mère lui conseille de « ne jamais commencer une bagarre mais de toujours la finir » – sur son propre exemple. Elle travaille comme responsable des opératrices téléphoniques à la compagnie du Pacifique, en un temps où des dizaines de demoiselles enfichent des câbles pour relier entre eux les numéros, non sans erreurs et doubles conversations. Ce pourquoi Christine Collins est appelée en renfort un dimanche, alors qu’elle avait promis à son fils de l’emmener au cinéma. Elle le quitte avec un sandwich au frigo et une voisine prête à venir faire un tour.

La mère ne reverra jamais son fils. Le travail dure au-delà de son horaire, le directeur (Frank Wood) l’entreprend sur une promotion dès sa sortie, elle rate le tramway et rentre plus tard que prévu. Walter n’est pas dans la maison, ni au-dehors. Elle appelle la police, mais qui ne peut ou ne veut rien faire avant 24 h parce que « 90% des gamins rentrent chez eux avant ce délai ». Walter ne revient pas, il a disparu et personne n’a rien vu.

Les mois passent et la mère se démène, harcelant les autorités chargées des personnes disparues, usant du téléphone à discrétion puisqu’elle travaille dans la société. Un jour, la police de l’Idaho annonce avoir trouvé un gamin qui correspond au portrait-robot. Joie hystérique de la mère, les grands yeux et la large bouche d’Angelina Jolie faisant beaucoup pour accréditer cette version émotionnelle incontrôlée. Mais lorsqu’elle a en face d’elle le gamin retrouvé (Devon Conti), les journalistes massés prêts à la photo, elle ne le reconnait pas. « Ce n’est pas mon fils », dit-elle. Le capitaine de police Jones (Jeffrey Donovan), qui est chargé de gérer les relations publiques de la police de Los Angeles, mise à mal par la brutalité encouragée par le chef Davis (Colm Feore), la persuade que c’est le choc, que le garçon a forcément changé en quelques mois, qu’elle a besoin de temps pour l’apprivoiser et s’y faire. Désorientée, Christine Collins accepte et la photo de presse est prise de la mère et de son enfant.

Fatale erreur ! Le gamin, qui récite sa leçon apprise probablement dans les journaux ayant relaté la disparition, mesure huit centimètres de moins que Walter, est circoncis contrairement à Walter, n’a pas la même dentition que Walter, et ne connait pas sa place en classe tandis que la maîtresse ne l’a jamais vu. Mais la police s’obstine : avouer qu’elle a été un peu vite et qu’elle a pu faire une erreur est au-dessus de son orgueil (péché capital de la Bible). Le pasteur Briegleb (John Malkovich) qui s’est spécialisé dans la dénonciation des violences et de la corruption policière lors de son émission radio très écoutée, en fait son cheval de bataille.

Le capitaine Jones coupe court en envoyant Christine au Los Angeles County Hospital, établissement psychiatrique destiné à soigner son « déni de réalité » et son refus « d’assumer des responsabilités de mère ». « Les femmes » sont naturellement menteuses, avides de plaisirs que la charge d’un gosse vient contrecarrer, dominées par leurs émotions et leur « intuition ». La police est une institution mâle qui n’a pas de temps à perdre avec ce genre de sentiments. Comme dans l’URSS de Staline, le « docteur » réclame à la mère habitée par son rôle une rétractation complète avant de la libérer. Elle refuse de signer et est traitée aux calmants avant le traitement de chocs électriques (anachronique puisqu’il n’a été introduit qu’en 1940). La « science » psy mais surtout la technique médicamenteuse ou électrique sont des instruments de pouvoir. Les électrochocs sont un coup de semonce avant la chaise électrique ; il s’agit de remettre le cerveau à l’endroit avant de le court-circuiter définitivement s’il s’avère tordu. Qui n’admet pas la vérité officielle se voit qualifié de déviant, voire de malade, et doit être rééduqué ou soigné. Les soviétiques ont utilisé ces procédés à grande échelle, persuadés de détenir la Vérité de l’Histoire ; les yankees ne sont pas en reste, de la chasse aux sorcières de Salem à celle de Mac Carthy, jusqu’au politiquement correct moralisateur et à la post-vérité trumpeuse.

C’est alors que – le hasard fait bien les choses ou, dans l’Amérique puritaine, la Providence – un garçon de 15 ans est signalé comme immigré illégal venu du Canada dans un ranch de Wineville. Le détective Ybarra (Michael Kelly) va arrêter le jeune Sanford Clark (Eddie Alderson, 14 ans au tournage). Il doit le renvoyer au-delà de la frontière. C’est alors que, brisé, le jeune garçon avoue avoir aidé son oncle, propriétaire du ranch, à tuer « au moins une vingtaine » de gamins en deux ans et l’avoir aidé à les appâter pour les attirer au ranch isolé où, par deux ou trois, ils étaient enfermés dans le poulailler entouré de barbelés. L’oncle, Gordon Northcott (Jason Butler Harner), les touchait, les violait, les mutilait avant de demander à Sanford de les achever et de les enterrer dans le désert alentour. Le ranch recèle nombre de haches, de couperets et de couteaux disséminés ici ou là.

Ybarra rend compte à son chef Jones, mais celui-ci exige qu’il rentre à Los Angeles avec le garçon pour qu’il soit expulsé, en gardant le silence sur cette affaire ; la police a bien d’autres ennuis. Le détective obéit mais, au moment du transfert, prend l’initiative de retourner au ranch avec deux agents et le garçon pour avoir la preuve ou être bien sûr que ce n’est qu’une histoire inventée. En creusant là où il sait, Sanford à la salopette déboutonnée d’un côté, puis reboutonnée lorsqu’il est filmé sous un autre angle, met au jour une chaussure de gamin, des côtes puis des vertèbres. La réalité dépasse la fiction et « la police » est obligée d’enquêter. Ce qui soulève un immense scandale car non seulement elle n’a rien vu de ces activités criminelles sur des années, mais elle n’a pas vraiment cherché, et surtout a pris un retard fatal lors de l’enlèvement de Walter.

Le public est indigné, une manifestation marche sur la mairie où le maire joue sa réélection. Libérée de psychiatrie, aidée d’un avocat bénévole grâce au révérend Malkovitch, Angelina intente un procès à la ville et à la police. Le jugement met en lumière tous les manquements policiers et exige la révocation du capitaine Jones et la destitution du chef Davis. Le faux Walter avoue qu’il a menti, il voulait venir à Los Angeles pour voir Tom Mix son acteur favori – il est rendu à sa mère. Les femmes internées sous le « code 12 » à la discrétion de la police sont libérées de l’internement psy. Gordon, arrêté au Canada où il s’est réfugié chez sa sœur, est condamné à être pendu et son neveu, violé mais tueur, Sanford, écope de quinze ans de prison.

La leçon est que le pouvoir peut être contrôlé par la pression de l’opinion publique, de la religion, du droit et de la vertu des flics de base. Et que la parole d’une femme vaut celle d’un homme. Mais cela ne rend pas Walter à Christine.

Northcott a refusé de lui dire s’il a tué ou non Walter, qu’il déclare être « un ange ». Ce n’est qu’en 1935 qu’un garçon échappé du ranch avec deux autres avoue que Walter l’a aidé à décoincer son pied et qu’il s’est enfui lui aussi, chacun de son côté. A-t-il été rattrapé ? Tué ? N’a-t-il pas voulu par honte ou crainte se faire reconnaître ? Nul n’en saura jamais rien, mais Christine Collins sait que son fils a agi avec honneur et elle repart avec l’espoir qu’il peut être vivant. Elle a en tout cas fait changer la loi sur les internements arbitraires, aidé à réformer le LAPD et assaini la ville – qui est un personnage à part entière comme en témoigne la séquence finale.

DVD L’Echange (Changeling), Clint Eastwood, 2008, avec Angelina Jolie, John Malkovich, Michael Kelly, Universal Pictures France 2009, 2h15mn, standard €7.49 blu-ray €11.35

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Maxime Chattam, Maléfices

Ce troisième volet de la série Joshua Brolin, ex-profileur du FBI, ex-inspecteur de police devenu détective privé, se passe à nouveau à Portland, Oregon, un pays que Maxime connaît bien depuis l’enfance. La ville, qui abrite quelques industries et centres de recherches, est bordée par la grande forêt primaire. Les promeneurs et les amoureux s’aventurent rarement hors des sentiers aménagés, ils risquent de se perdre. Ou de faire de mauvaises rencontres.

C’est ainsi que débute le thriller : par un cadavre, les traits figés par une terreur sans nom, décédé du venin d’une araignée monstre. Il n’est que le premier des accidentés de Portland. Un tueur en série prend un malin plaisir à neutraliser les maris dans les chambres avant d’enlever les épouses jeunes et amoureuses pour leur faire subir divers sévices punitifs. Nous n’en dirons pas plus, sinon qu’il s’agit d’un renouvellement original du thème habituel des meurtres en série. Les déviances psychologiques sont infinies et Chattam explore ici une voie neuve.

Le détective, toujours solitaire depuis que son grand amour est mort égorgé par le tueur de Portland (dans L’âme du mal), incline à retrouver Annabelle, enquêtrice de New York qui le complète. Son ancien inspecteur acolyte de Portland, Larry, invite Annabelle pour quelques vacances et Joshua est heureux de la retrouver. D’autant que l’enquête commence après les enlèvements et les morsures de plusieurs habitants par des araignées mortelles.

Que se cache-t-il donc de redoutable et d’ancestral dans la forêt primaire ? Quelle est cette base secrète de l’armée, aujourd’hui désaffectée, où errent d’étranges individus à la nuit tombée ? Pourquoi les araignées envahissent-elles les bois, les maisons, les supermarchés ? Comment se fait-il qu’un cadavre se mette à bouger durant une autopsie ? Qui sont ces chercheurs en fils résistants, sous contrat militaires, qui élèvent des tisseuses arachnides en vivarium ? La personnalité perverse qui est peut-être derrière tout cela a plus d’un tour dans sa toile et les fausses pistes, aménagées à dessein, ne manquent pas !

Un peu plus littéraire que les précédents, ouvrant sur le fantastique, étayé par une documentation fouillée qui conduit de l’Égypte antique à Madagascar, ce roman est le plus abouti de la trilogie. Vous y apprendrez même ce qu’est un véritable zombie de Haïti ! L’histoire se passe à la fin du printemps et en été, cet été continental étouffant de Portland qui augmente l’agressivité des araignées, la perversion des tueurs et exacerbe les passions des humains normaux. Joshua Brolin sort peu à peu de sa dépression amoureuse, aidé par Annabelle et Larry. L’épilogue l’abandonne à ce moment d’existence où il peut reconstruire. L’auteur en a pressuré les ressorts et passe à autre chose.

Maléfices, découpé en courtes séquences alternées, tisse un thriller efficace qui vous prend dans ses rets et finit par vous étonner. Vous n’en ressortirez pas comme vous y entrerez.

Maxime Chattam, Maléfices, 2004, Pocket 2009, 640 pages, €8.60

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Martin Amis, Expérience

Martin Amis experience

L’année de son demi-siècle, Martin Amis fils de sir Kingsley Amis et père de Louis, Jacob, Delilah et Fernanda (à l’époque), publie son festival de souvenirs. Trop jeune pour des Mémoires, trop romancier pour un Journal, trop modeste pour une Autobiographie, il préfère l’Expérience de la réminiscence. Un bel objet littéraire qui a obtenu le James Tait Black Memorial Prize, l’un des meilleurs prix littéraires du Royaume-Uni, établi en 1919.

A peu près toute la vie consciente de l’auteur est dévoilée, replacée dans sa famille, son époque et sa subjectivité d’écrivain. Le père est le personnage principal, modèle mimétique que Martin reproduit presque parfaitement : comme lui deux fils à un an d’intervalle, comme lui écrivain de fiction, comme lui divorcé et à nouveau père, comme lui tenté par l’euphorie des adjuvants (cigarette dès six ans, cannabis adolescent, alcool adulte), comme lui muni par l’hérédité de mauvaises dents et, par fonction, traqué par les tabloïds britanniques – la pire vulgarité du monde.

Le livre commence par un dialogue de l’auteur avec son fils aîné Louis, 11 ans, et se termine par une lettre toute fraîche à sa tante « que je n’enverrai jamais, publiée dans un livre que tu ne liras jamais » p.555 – parce qu’elle est morte. La vie, la mort, la transmission, tels sont les thèmes d’Expérience. Le père et ses fils, ses filles, le mari avec ses épouses, l’écrivain tâcheron avec ses livres, ses amis et la littérature. Il y a aussi la fratrie (Philip, frère aîné d’un an et quasi jumeau, Sally la petite sœur et Jaime de demi-frère de vingt ans plus jeune), les cousins (Rob, David) et les cousines (Marian, Lucy), les adultes (Jane, Larkin) et les modèles littéraires (Saul Bellow, Ian McEwan, Julian Barnes et d’autres). Lucy, la cousine, a disparu à 19 ans un soir qu’elle rentrait en bus : elle fut la victime étranglée de Frederick West, le trop célèbre tueur en série.

Martin Amis 1961 en famille

Ce qui donne ces méditations obsessionnelles sur la mort violente d’un enfant, le viol de l’innocence, la pédophilie, la perte des repères, la nudité, le divorce, la paternité ignorée, l’époque. Né en 1949, Martin est un enfant du baby boom et un adolescent de la révolution des mœurs. « Au début de notre amitié, j’étais ébahi de voir David [son cousin] jouer nu sur la plage à Swansea. Ce n’était pas sa nudité qui me surprenait, mais son indifférence. Il se mettait à genoux  pour faire un château de sable, et il creusait, construisait, polissait sans se départir de son sérieux. Je compris que j’avais perdu cette liberté depuis longtemps, depuis bien des étés. Quelque chose était apparu en moi, que lui n’avait pas encore. C’était un villageois, j’étais un citadin. Était-ce la raison ?… » p.204.

Son père a connu « une poule » lorsque Martin a eu 13 ans. Lui et son frère Philip (de « 375 jours plus âgé »), ont vécu quelques mois comme si le monde de l’enfance s’écroulait définitivement, comme si le père les abandonnait, les refusait. « Le divorce : un événement d’une violence inouïe », écrit-il p.378 lorsqu’il l’inflige lui aussi à ses propres enfants. Et puis la vie reprend, le dialogue dans les larmes, l’attachement malgré tout, jusqu’à aller vivre avec lui et sa seconde femme Jane, l’ex-« poule », une parfaite belle-mère, écrivain elle aussi qui a poussé Martin à Oxford. Mais l’absence de père est peut-être plus éprouvante que le père absent. Une fille est née à Martin sans qu’il le sache, il le retrouvera quand elle a 19 ans. Curieuse expérience là aussi.

martin amis 1965 un cyclone a la jamaique

Le lecteur étranger éprouve combien la culture anglo-saxonne protège l’enfance et combien aussi, dès la puberté, le garçon surtout est poussé sans ménagement et sans garde-fou vers le monde adulte. A 13 ans, Martin Amis se sent rondouillard à gros cul, son passage en John Thornton dans le film de Mackendrick, Un cyclone à la Jamaïque, tourné en 1963 (à quasi 14 ans) n’a pas marqué l’histoire du film. Le petit frère de John, le lumineux et plastique Jeffrey Chandler (photo), blondinet sauvage de 11 ans dans le film, est bien plus séducteur. Martin se compare sans cesse à son grand frère – et un an de plus, à cet âge, fait toute la différence. Déniaisé à 15 ans après le siège d’une copine (1964 était un peu tôt pour la révolution des mœurs), sa carrière d’acteur s’arrête là et il entreprend sa mue d’écrivain.

Il n’est facile nulle part d’être « littéraire », ce que les éduquants classent dans une catégorie de seconde zone. Autant les matheux sont sur des rails (il suffit de suivre, d’apprendre et de recracher sans état d’âme – pour le plus grand plaisir des sachants), autant les littéraires, faute de repères précis d’évaluation, apparaissent rêveurs, sentimentaux et paresseux. Ils ont besoin de mûrir et de trouver des modèles, or ces modèles sont extrêmement rares par fonction chez les profs. Martin a eu son père et les ami(e)s de son père, avant ses pairs et les amis de ses pairs. Il est entré à Oxford non sans mal, après avoir épuisé sous lui nombre de « boites à bac » aussi administratives et inutiles que sans âme.

Son « premier boulot » a été critique au Times Litterary Supplement – grâce à l’aura de son père. Il est passé ensuite, émancipé, au New Statesman, organe de gauche plutôt trotskyste. « Je me situais au centre gauche, tendance libertaire », dit Martin p.286 – autrement dit opposé à Kingsley son père, carrément à droite. Son « premier roman » The Rachel Papers publié en 1973 remporte le Somerset Maugham Award, déjà autobiographique faute d’expérience encore de la vie.

martin amis experience ed anglaise

Mais l’existence ne se termine pas à 50 ans, en 1999, année ultime du dernier siècle et année d’écriture d’Expérience. La cinquantaine est le moment d’un bilan à mi-vie, juste après la mort du père. Martin Amis porte son regard critique, avec la noirceur et l’humour qui caractérise son style, sur sa propre existence. Le lecteur (pas trop jeune) est envoûté. Moins parce qu’il a vécu à peu près la même époque que parce qu’il sent ce que l’auteur a mis de lui, ses désirs, ses fantasmes, ses obsessions. C’est bien sûr excellemment écrit, ce que le traducteur a eu le talent de faire passer en français. Avec un index bien utile (rareté littéraire, surtout en France !) et un cahier central de photos choisies.

Martin Amis, Expérience (Experience), 2000, traduit de l’anglais par Frédéric Maurin, Folio 2005, 591 pages, €10.07

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Bestialité Pacifique

Un tueur en série fonce sur le Kimberley ! Ce crapaud-buffle, petit, costaud et venimeux avait  été introduit en 1935 dans les plantations de canne à sucre du Queensland. En 76 ans, ce crapaud, à raison de 50 km par an est arrivé aux portes de cette région du nord-ouest de l’Australie, réservoir de biodiversité. Déjà les scientifiques comptent les espèces rares qui disparaîtront comme une espèce d’opossum à la queue couverte d’écailles, trois espèces d’iguanes, deux espèces de tortues, une espèce de grenouille arboricole, le quoll du nord, marsupial carnivore. Certains scientifiques préconisent pour pallier l’arrivée de l’éco-terroriste toxique, de créer l’Arche du Kimberley, une banque de gènes des espèces pouvant être éradiquées par le crapaud-buffle.

crapaud buffle australie

Originaire de Tasmanie, il a été introduit dans les années 1937-1939. C’est un oiseau de petite taille vert-olive, poitrine et dos gris, ventre clair, il porte des lunettes (un cercle blanc marque le pourtour de ses yeux). Il vit dans les jardins des zones habitées et les sites boisés. Omnivore, il trouve tout pour ses repas des insectes, des pommes-cannelles, des papayes mûres. Il s’est répandu par ses propres moyens dans les autres îles. Quand l’île est trop éloigné il voyage clandestinement dans les soutes des goélettes. Il est soupçonné de propager les graines du Miconia calvescens, plante introduite et envahissante.

L’Australie compte 140 types de serpents dont 8 dont partie des plus dangereux au monde et 10 000 espèces d’araignées ! Parmi les espèces mortelles de serpents : le brown snake, le taïpan, le tiger snake, le death adder, le red bellied… quelques exemples de serials-mordeurs ! Pour les araignées, la red-back et la Sydney Funnel web, la plus dangereuse se trouve dans un rayon de 200 km autour de Sydney. 424 personnes ont fait appels aux services des paramédicaux durant les 6 derniers mois ; 288 recensés pour des morsures d’araignées et 136 pour les serpents !

C’est en Australie aussi que 400 boat-people sont arrivés en moins de six jours. Les centres de rétention australiens sont complètement saturés.

serpent brown snake australie

Il est un requin baleine qui intrigue scientifiques et médias du monde entier. Christophe Ciccullo a pris des clichés, en s’approchant à moins d’un mètre d’un jeune requin, âgé d’une dizaine d’années, et découvert cette particularité douloureuse : un cordage barde ses nageoires pectorales». « Nous avons constaté qu’il était ceinturé par un bout, une corde de 8 à 10 mm d’épaisseur recouverte de coquillages. Il l’avait depuis assez longtemps pour que la plaie se soit refermée sur ses nageoires cisaillées et ait emprisonné le cordage. » Ce seraient les séquelles d’une rencontre avec un objet, à ce jour inconnu, dispositif de concentration de poisson, chapelets de station perlière ou filets dérivants. Il pourrait s’agir d’un DCP d’un autre pays ou d’un filet dérivant. « Les requins baleines sont des requins pélagiques qui effectuent des migrations énormes sur plusieurs milliers de kilomètres ».

L’épidémie de dengue poursuit inexorablement son périple, fin mars 34 cas à Tahiti et Moorea.  Les virus (dengues 1 et 3) sont arrivés de Nouvelle-Calédonie et de Guyane. Le nombre de cas devrait continuer à augmenter dans les prochaines semaines à moins que les virus n’attendent la fin des élections territoriales ! C’est pire en Nouvelle-Calédonie, 6378 cas de dengue depuis septembre 2012 !

Et voilà qu’arrive un nouveau fléau, 10 cas confirmés de chikungunya enregistrés.

C’était une ingestion aviaire. Lors de la phase d’atterrissage du vol Air France 076 en provenance de Paris via Lax, l’appareil est entré en collision avec des volatiles sur l’aéroport international de Tahiti-Faa’a. Il a fallu inspecter l’appareil, ce qui a conduit Air France a annulé le vol AF 077 pour 300 passagers et à le reprogrammer pour le lendemain au grand dam des voyageurs. Une journée de galère vu le manque d’organisation au sol pour loger, nourrir, les voyageurs privés de moyen de transport.

Enfin, ici on a toujours une réponse toute prête ou presque ! Un expert des « périls animaliers » est arrivé au fenua. Hourrah ! Il existe des dispositifs pour chasser ces gêneurs MAIS – car il y a un mais – ils ne sont pas T R O P I C A L I S E S. Et si l’université de Polynésie créait un super diplôme pour épouvanter les minuscules vinis (petits oiseaux) ?

lapin jeannot

Mon jardin suspendu fait des jaloux : mes salades, mes radis, mes tomates-cerises, mes gombos, mes plantains pour Jeannot lapin – tout est jalousé. Grisette la chatte s’installe sur mes plantations pour prendre le soleil, allez ouste ! Poussin devenu un beau coq chante tous les matins sous ma fenêtre pour quémander ses repas. J’avais dû l’élever avec son frère et ses deux sœurs après que leur mère eut été tuée par les chiens errants. Qui a dit que je n’avais pas de famille ?

Hiata de Tahiti

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Tom Rob Smith, Enfant 44

Malgré le titre, il ne s’agit pas du énième livre sur la Seconde guerre mondiale et la déportation. Le chiffre 44 ne fait pas allusion à l’année 1944 mais à un numéro : la 44ème victime d’un tueur en série, on ne l’apprend que page 330. Il y en aura bien plus, dans la négation idéologique du paradis des Travailleurs, pays de l’Avenir radieux et du Socialisme réalisé : l’URSS des années 1950.

Car le roman porte autant sur des personnages pris dans une intrigue, la traque d’un tueur d’enfants et d’adolescents, que sur un système politico-idéologique, la théocratie marxiste dont le pape fut Lénine et le grand inquisiteur Staline. Il ne faut jamais oublier, lorsqu’on parle de socialisme, ces dérives bureaucratique, paranoïaques et totalitaires réalisées au siècle dernier et qui subsistent encore, plus ou moins abâtardies, en Corée du nord et à Cuba, voire en Chine populaire et au Vietnam. Ou dans certaines têtes de la gauche bobo.

Ce thriller montre comment la certitude de détenir la Vérité fait obéir au parti qui en est l’interprète et le clergé. Comment cette « avant-garde » se veut garde chiourme de la ligne juste, ânonnée dans les écoles, braillée les manifestations et exposée dans les livres obligatoires. Comment cette mobilisation « citoyenne » de tous les instants fait surveiller chacun par tous, instillant la méfiance dans toutes les relations humaines. Comment ce climat crée la paranoïa, le sentiment d’être une citadelle assiégée par les Méchants : ceux qui refusent la bible marxiste selon laquelle tout le Mal vient de la propriété privée et du capitalisme. Comment cet aveuglement psychotique d’un peuple par un État soumis à un parti unique fait « ignorer » la réalité des choses : notamment le fait que tuer peut être un plaisir pervers, au-delà des besoins matériels et des jalousies dues à la propriété privée…

Les meurtres se succèdent le long d’une ligne de chemin de fer reliant entre elles deux usines mécaniques de fabrication de voitures et de tracteurs. La célèbre Volga GAZ 21, née en 1953, est fabriquée par des ouvriers logés en clapiers et surveillés par des gardes du MGB (ancêtre du KGB) et par des médecins : on ne tire pas au flan dans le pays du socialisme réel, tout malade doit tomber au travail, ce n’est qu’à ce moment qu’on l’autorisera à se « réparer » à l’hôpital ou chez lui. Car « le peuple » n’est qu’une masse de manœuvre pour les dirigeants au pouvoir. L’idéologie marxiste est une religion où le seul moyen d’arriver est de devenir clerc ou exécutant. Puisque la Vérité est révélée, l’État est une machinerie chargée de réaliser la survenue « scientifique » de la société sans classe – où le crime ne saurait exister. Mais puisqu’il reste des « déchets » dans la fabrication de l’Homme nouveau, la police politique est là pour les traquer et les éradiquer. On ne s’embarrasse pas de sentiments : l’État exige des fonctionnaires qui se contentent de fonctionner. « Vivre en accord avec sa conscience était un luxe impossible pour la majorité de la population » p.211.

Léo, lieutenant du MGB, est l’un de ces exécutants sans conscience. Il obéit à l’État puisqu’il croit en l’avenir radieux promis par Staline. Il traque donc avec obstination tous les déviants possibles, les arrêtant, emprisonnant, faisant torturer comme s’il s’agissait d’animaux de laboratoires. Il s’agit d’obtenir des « aveux », vieux reste chrétien de la mentalité russe où la confession tient lieu de jugement de Dieu. D’ailleurs, note l’auteur, on ne défère aux tribunaux que ceux dont les dossiers sont en béton, déjà réglés par la milice ; les autres sont exécutés sans jugement, par « suicides » ou « tentatives de fuite ». L’un de ses subordonnés, Fiodor, a son enfant de quatre ans Arkady tué, retrouvé tout nu près de la voie de chemin de fer, éviscéré. La ligne officielle est qu’il a été retrouvé habillé et qu’il a heurté un train. Un crime au pays de l’avenir radieux ? Vous n’y pensez pas ! Il s’agit là d’une grave accusation contre l’État, le Parti et la Vérité marxiste, d’une trahison par défaitisme, préparant l’affaiblissement du pays en faveur des ennemis capitalistes qui n’attendent qu’un fléchissement pour envahir l’Union soviétique ! Aucun témoin ne veut témoigner, même cette femme qui a vu s’éloigner le petit garçon avec un homme portant une sacoche, car ce serait aller contre « ceux qui savent mieux que vous ce qui est bon pour vous » – donc finir au Goulag, ostracisée, avec toute sa famille.

Mais un jour, son chef demande à Léo de surveiller sa propre femme, Raïssa : elle pourrait être une espionne. Leo s’exécute, il devine que sa femme ne l’a jamais aimé mais a simplement voulu s’assurer une position sociale confortable dans le système. Il ne découvre rien, il devient donc suspect et Vassili, son adjoint qui le hait, s’empresse de les faire arrêter. Va-t-on les envoyer au Goulag ? Coup de théâtre, Staline vient de mourir, nous sommes à l’hiver 1953. Dans l’incertitude de la nouvelle ligne du parti, ses supérieurs se contentent d’exiler Léo dans une poste de milicien au bas de l’échelle dans une ville nouvelle consacrée à la bagnole.

C’est là qu’un nouveau meurtre se produit, qui ressemble étrangement à celui que Léo a refusé d’analyser plus avant, fidèle à la vérité officielle. Remis en cause par son propre parcours, le doute s’installe dans l’esprit de Léo : il doit sa disgrâce au soupçon infondé de trahison et à la jalousie de son adjoint. Bien que simple milicien, il bénéficie toujours de son aura d’ex-MGB et son chef se méfie : serait-il un « espion » de Moscou venu le surveiller ici, dans l’Oural ? Lorsque Léo découvre un nouveau cadavre, un adolescent de 13 ans nu, tué de la même façon, une ficelle à la patte, de l’écorce plein la bouche et le ventre lacéré, il convainc de chercher si des meurtres similaires n’ont pas eu lieu ailleurs. Aucun des enfants, fille ou garçon, n’a été violé – mais le tueur a découpé le torse pour en extraire l’estomac.

Cette « originalité » fait découvrir… une bonne cinquantaine de cas similaires, dont le petit Arkady est le 44ème. Évidemment, les miliciens de chaque ville se vantent d’avoir toujours attrapé « le coupable », en général un marginal, un antisocial, un homosexuel ou un demeuré. Comme le jeune Vadim de 17 ans dont le seul crime a été de couper une mèche de cheveux blonds d’une victime déjà morte. Il a été exécuté d’une balle dans la nuque à l’aube, après un procès expéditif : on avait toutes les « preuves socialistes », n’est-ce pas ? Refuser d’être « normal » au pays de la Vérité en marche est déjà une trahison du peuple. Il le dit dans ses Remerciements à la fin, l’auteur s’est inspiré d’Andreï Chikatilo, tueur en série d’URSS exécuté en 1994 après 55 meurtres d’enfants et adolescents des deux sexes.

Va alors commencer une longue traque qui passera par la nouvelle disgrâce de Léo et de son épouse, tous deux envoyés au goulag. Ils parviendront à s’évader, à convaincre des villageois de les aider, à retrouver le meurtrier à l’autre bout de la voie de chemin de fer au long de laquelle les enfants sont tous morts. Bien que le roman commence lentement et décousu, il devient vite haletant, bien mené, montrant hommes, femmes et enfants pris dans l’engrenage de la survie au détriment de leur conscience morale (résidu « petit-bourgeois » dit la vérité officielle – Pravda). Même si la fin est plus hollywoodienne que soviétique (peut-il exister une « rédemption » dans la patrie du socialisme ?), Tom Rob Smith sait montrer la peur omniprésente, la voie facile de la lâcheté humaine, le mensonge d’État. Question inévitable : comment construire un désir d’avenir dans le dégoût de soi ?

Oui la racaille existe et ce ne sont pas les « conditions matérielles » qui la causent toujours, mais parfois des perversions mentales. Le reconnaître, c’est faire avec le réel, pas l’ignorer au profit de la naïveté idéologique. C’est assurer le bonheur du peuple que de prendre en compte sa sécurité quotidienne, il ne vit pas seulement de pain. La gauche actuelle française garde de sa formation marxiste des naïvetés de ce genre sur la délinquance, les banlieues, les prisons. C’est un mérite de ce roman que de remettre les pendules à l’heure.

Tom Rob Smith, Enfant 44 (Child 44), 2008, Pocket 2010, 523 pages, €7.69 

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Michael Connelly, L’Épouvantail

Jack McEvoy est journaliste au Los Angeles Times et il a jadis participé à l’arrestation du tueur en série appelé Le Poète (Points policier 1997). Mais la presse écrite se meurt, les gens ne lisent plus, fascinés par les gadgets audiovisuels interactifs d’Apple. Les journaux papier licencient, se faisant tailler des shorts par les sites en lignes et les blogs spécialisés. Engrenage mortel : la perte de rentabilité exige de réduire les coûts, ce qui ampute l’expérience et le talent car les plus chers, donc les plus anciens) sont virés. C’est le cas de Jack à qui l’on offre un sursis s’il forme une stagiaire précaire pour les affaires dont il s’occupe. La fille a les dents longues, fantasme sur les dominatrices à fouet ; c’est la « conne américaine » de caricature : féministe, sans scrupules, jouant du sexe pour se faire valoir, arriviste – et d’une bêtise sans nom.

L’intrigue tourne autour de ces trois sujets, le journalisme, les nouvelles technologies et la conne américaine : un vrai roman sociologique ! Bien découpé mais aussi littéraire – filmique et à l’ancienne – ce qui donne un grand bonheur de lecture. De quoi captiver et enseigner, tout en frissonnant.

Fin du journalisme. « Parce que c’était bien de cela qu’il allait s’agir. Il n’y avait plus de quotidien sur le marché pour accueillir un journaliste de quarante-quatre ans spécialisé dans les affaires de police. Surtout pas depuis qu’ils disposaient d’une réserve infinie de main-d’œuvre bon marché, à savoir de bébé reporters (…) qui, sortant année après année des universités (…) étaient prêts à travailler pour deux fois rien » p.19. Michael Connelly a été journaliste et prix Pulitzer pour ses reportages sur les émeutes de Los Angeles en 1992. Il sait de quoi il parle. « Maintenant tout se passait sur le Net. Tout se résumait à préparer le téléchargement des blogs et de l’édition en ligne. Tout avait à voir avec les liens télé et les mises à jour sur Twitter. Les articles, on les entrait dans son téléphone au lieu de se servir de cet instrument pour appeler la rédaction et les corriger. Des pensées après coup, voilà ce qu’était devenu le journal du matin. Les nouvelles, c’était sur le Web qu’on les trouvait, et la veille au soir » p.19.

Les nouvelles technologies sont, comme la langue d’Ésope, le pire et le meilleur.

  • Le meilleur parce qu’elles sont pratiques d’utilisation, toujours à portée de main pour communiquer et s’informer, entrées dans l’existence au point qu’on se sent tout nu lorsque le mobile est désactivé ou ne capte pas.
  • Le pire parce que tout est dans tout. Quiconque connaît la technique peut sans grand effort tout savoir (ou presque) sur vous, tant chaque action laisse des traces sur les serveurs officiels ou privés et que chacun se lâche sur le réseau, dans le confort du pseudo-anonymat. Mais celui-ci ne résiste jamais à qui sait trouver : FBI, hackers, tueurs en série…

La conne américaine s’appelle Angela Cook. Elle est blonde, sexy, minois de cocker – et elle adore les histoires de meurtre. Elle saute donc sur l’occasion de faire ses preuves en tâchant de battre le vieux routard McEvoy sur sa spécialité. On ne se refuse rien quand on est jeune et Américaine, dans la Californie 2009. Le tueur en série s’appelle Carver, le lecteur le sait dès le premier chapitre. Il est hacker et directeur informatique d’une société de stockage des données pour les entreprises. A lui de protéger les « fermes » de serveurs des intrusions hostiles. D’où son nom : l’épouvantail. Mais il ne se contente pas de protéger, il aime l’offensive. Quiconque tente une intrusion est impitoyablement traqué, virussé et détruit. Ses comptes bancaires sont vidés, ses cartes de crédit inactivées, son téléphone mobile en opposition, et des photos pédophiles sont cachées dans son ordinateur tandis que la police qui traque les fantasmes est opportunément prévenue… On ne badine pas avec Carver, dont l’enfance a consisté à attendre dans des loges de scène sa mère qui dansait nue tous les soirs.

Inutile de préciser que la conne américaine a donné toutes les lanières du fouet pour se faire lacérer et que le tueur en profite avec sadisme. Angela Cook est cuite lorsqu’elle décline sa vie entière sur un blog de confidences, livrant incidemment son code informatique qui est tout bête : le nom de sa chienne. Il fallait y penser, nom d’un chien ! Le féminisme ne peut supporter les mâles et il faut que l’animal soit chienne ; le féminisme exacerbe les comportements féminins et il faut tout chatter de soi pour exister ; le féminisme se croit tout autorisé sans risque puisque les hommes ne sont que des abrutis, évidemment domptables en tortillant du cul. Sauf quand l’abruti, violé par une dizaine d’assistantes de sa mère dès qu’il a pu bander, se fait un malin plaisir à se venger des connes américaines.

Jack, journaliste, et sa copine Rachel, agent spécial du FBI, vont avoir fort à faire pour coincer l’habile tueur qui choisit ses victimes sur le Net et efface avec aisance toutes ses traces. Sauf qu’il est névrotiquement fixé à l’enfance et que ses noms de domaine tournent autour du Magicien d’Oz. Comme la féministe, le hacker se pense à l’abri de toute mise en cause. Le roman conte la démesure de l’optimisme béat qui se croit tout permis. La parfaite Amérique.

Le lecteur palpite aux rebondissements, frémit lorsqu’un Noir de 15 ans, Alonzo, est arrêté pour un meurtre qu’il n’a pas commis, s’amuse de voir l’effarement d’un histrion de télé lorsque l’ado, libéré grâce au reportage de Jack, est convoqué pour passer à l’antenne en ponctuant toute ses phrases par « enculé de ta mère » (c’est pire en version US). Le lecteur s’étonne encore et toujours de la bureaucratie imbécile du FBI qui préfère les procédures au talent. Le lecteur jouit lorsque Jack McEvoy, licencié du journal en 99ème sur une liste de 100 pour raison de coûts, refuse de réintégrer son poste une fois l’affaire brillamment terminée. Anarchisme américain que les organisations et systèmes aillent se faire foutre lorsqu’ils ne reconnaissent pas le talent : je fonde ma propre entreprise. C’est ça, l’Amérique ! Il n’y a pas que des Apple mais aussi beaucoup d’entreprises qui deviennent d’ineptes bureaucraties. Sauf que là-bas on sait rebondir…

Un très bon Connelly, Le Poète recyclé technologies 2009 ! Qui nous en apprend beaucoup sur la sociologie du pays – et de nos manques par la même occasion.

Michael Connelly, L’Épouvantail (The Scarecrow), 2009, Points policier Seuil, mai 2011, 520 pages, €7.41

Étude sur l’intelligence de lecture d’un journal sur papier ou sur écran

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