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Le 7ème voyage de Sinbad de Nathan Juran

Sinbad le marin est un héros persan de l’Orient. Ses voyages aventureux sous la dynastie des Abbassides, au début du IXe siècle de notre ère, sont contés dans les Mille et une nuits, de la 69ème à la 90ème. Sinbad (Kerwin Mathews) revient cette fois-ci en son septième et dernier voyage d’un royaume ennemi de l’océan Indien, où il a été négocier la princesse Parisa (Kathryn Grant) en mariage. Ainsi la guerre sera évitée. Mais la route maritime est pleine de dangers, dont le premier est la faim. Obligé de s’arrêter dans une île du parcours, Colossa, les marins emplissent les canots de fruits et d’eau douce quand un gigantesque cyclope les entreprend. Il n’a qu’un œil, comme il se doit dans le mythe, et des pieds de bouc. C’est donc une créature infernale pour l’imaginaire chrétien américain.

Un mage noir, Sokurah (Torin Thatcher), est prisonnier du cyclope et le capitaine Sinbad parvient à le faire embarquer. Le mage est possesseur d’une lampe à huile magique. En la frottant et en prononçant une formule rituelle, surgit un petit génie (Richard Eyer, 13 ans) qui réalise tous les souhaits, sauf ceux de tuer. Une barrière invisible sépare alors le cyclope à grandes pattes des humains qui s’enfuient sur leurs trop petites pattes. Mais le monstre a ses idées fixes : il veut les bouffer et envoie un énorme rocher qui fait se retourner la barque. Sokurah perd alors la lampe merveilleuse dans les flots. Tous rejoignent le navire et mettent les voiles, mais la lampe est perdue. Le cyclope la récupère parce qu’elle brille, en s’avançant dans la mer.

Sokurah n’aura alors qu’une idée fixe lui aussi : récupérer l’objet qui lui donne du pouvoir. Pour le reste, il n’est en effet qu’un charlatan, expert en illusions et en potions. Le mariage est programmé, le père de Parisa parvient à la cour, le mage ordonne la fête en magicien. Une foule d’esclaves mâles au torse nu porte de lourds coffres en osier desquels sortent une femme, puis un cobra. Une grande jarre est aussi apportée par les jeunes atlantes, tout à fait dans le style péplum hollywoodien de ces années d’après-guerre. La femme est jetée dedans, puis le serpent. Lorsque le mage casse la poterie, la femelle apparaît en femme-serpent, une Eve maléfique au teint bleu qui agite ses quatre bras et danse sur sa queue de reptile en dardant des yeux magnétiques. En fait, Sokurah n’aime pas les femmes, contrairement à Sinbad qui en est amoureux.

Ces deux pôles, l’un mauvais et l’autre bon, l’un orienté vers la vie et l’aventure, l’autre vers le pouvoir égoïste et personnel, vont s’affronter. Sinbad refuse de retourner sur l’île de Colossa et de mettre en péril un équipage pour récupérer la lampe, dont il n’a que faire. Sokurah use alors de ses pouvoirs magiques pour réduire Parisa à la taille d’une miniature – ce qu’elle est dans son esprit, un bel objet inutile qu’on renferme dans un écrin. La seule façon de lui redonner sa taille normale, énonce-t-il, est de lui faire avaler une potion dans laquelle il doit y avoir de la coquille d’oiseau roc à deux têtes – qui ne vit que sur l’île aux cyclopes.

Par ce moyen déloyal, le mage obtient de Sinbad qu’il se plie à ses désirs. Mais peu de marins sont prêts à le suivre, Sokurah leur fait peur et le souvenir du monstrueux cyclope reste à leur esprit. Ce sont donc des condamnés pour vols et meurtres qui sont embauchés, avec pour appât la grâce à la fin du voyage. Mais ces repris de justice n’ont évidemment ni foi ni loi ; ils se révoltent et, sous le nombre, parviennent à maîtriser Sinbad, le mage et le fidèle serviteur Karim (Danny Green). Ils veulent rallier les routes commerciales pour se livrer à la piraterie, l’envers de l’épopée de Sinbad orientée vers la découverte. Ces doubles négatifs vont cependant succomber aux diableries de Sokurah qui sait que les vents et les courants vont pousser le navire vers l’île et fait hurler les démons à son approche. Les mutins anesthésiés, beaucoup se noient ou s’écrasent du mât sur le pont, le navire peut enfin jeter l’ancre dans la passe qui le protège de la haute mer.

Sur les instructions du mage, Sinbad a fait construire une monstrueuse arbalète pour tuer le monstrueux cyclope, et elle est installée face à la grotte qui permet le passage vers la vallée où il gîte. Ce qui reste de l’équipage est alors séparé en deux groupes pour explorer les deux versants de la vallée, l’un sous les ordres de Sinbad, l’autre du mage. Lequel attend tout simplement que le cyclope fasse son affaire à Sinbad et à ses compagnons pour récupérer la lampe dans le trésor amassé par N’a-qu’un-oeil qui aime, comme tous les simples, ce qui reluit.

Commence alors la lutte pour la vie. Sinbad est pris par le cyclope avec ses hommes et enfermé dans une cage de bois tandis que le monstre commence à faire griller Karim au-dessus d’un feu en guise de déjeuner. Le mage se glisse incognito derrière les rochers et fouille le trésor caché là pour retrouver la lampe. Il a déclaré à ses compagnons qu’ils ne devaient pas boire l’eau rouge qui coule dans la rivière car elle les empoisonnerait. L’un d’eux n’y croit pas et, sur la provocation de ses compagnons, y goûte : c’est du vin ! L’islam interdit les substances qui égarent l’esprit, mais le vin est toléré à Bagdad et en Perse. Quand on le boit avec modération, l’esprit est aiguisé, pas égaré. Les hommes y trouvent donc le courage de rejoindre Sinbad et les siens au risque d’y perdre la vie.

Sinbad, jamais en peine d’imagination, sort Parisa de son écrin pour la faire passer au travers des barreaux et pousser le coin qui ferme la cage. Ce que, faible femme mais obstinée, elle parvient à faire malgré ses falbalas. Sinbad délivre Karim, se saisit d’une bûche enflammée et parvient, comme Ulysse, à aveugler le cyclope, tandis qu’il aide Sokurah à se tirer du recoin où il s’était caché. Les deux parviennent à trouver un œuf d’oiseau roc sur le point d’éclore. Les marins aident à fendre la coquille mais le jeune oiseau est agressif et ils le tuent à coups de lance ; ils font ensuite rôtir une cuisse sur la broche du cyclope qui erre sans vue. Sinbad a pris dans son giron un morceau de coquille salvatrice et garde la lampe merveilleuse en gage à sa ceinture, pour que le mage concocte la potion. Il porte toujours sur sa poitrine nue l’écrin où se tient Parisa, afin de ne pas la perdre mais, dans la lutte avec le cyclope, a laissé un instant la princesse – dont Sokurah s’empare.

Sinbad va le suivre à son repaire, une grotte gardée par un dragon crachant le feu, autre monstre que le mage a enchaîné. Une roue permet de raccourcir ou de rallonger la chaîne, permettant tout juste de passer sans se faire dévorer après s’être fait rôtir par la gueule enflammée. Les monstres, cyclopes ou dragons, adorent la viande grillée, celle que l’on sert avant le monothéisme en offrande aux dieux, dont ils n’ont que le fumet. Combat, menace, potion, Parisa est rétablie dans sa taille humaine. Baiser langoureux, projet de retour au navire mais Sinbad ne lâche pas la lampe par laquelle il tient Sokurah. Lequel va tout faire pour se la réapproprier. Il anime ainsi un squelette pour qu’il perce Sinbad, lequel se défend au yatagan avant de faire chuter le tas d’os qui se brise en mille éclats. Le mage regarde dans sa boule de cristal rougie les amants fuir dans la grotte et il fait s’écrouler un fragile pont pour les isoler de la sortie. Vont-ils y rester, à jamais unis dans la mort ?

Que non point : cette fois-ci, c’est Parisa qui agit. Elle a exploré, avec sa petite taille, l’intérieur de la lampe et a fait la connaissance du gamin génie Barani. Lequel lui avoue qu’il en a assez de servir d’esclave au mage qui le convoque selon son bon plaisir. Parisa réussit à le convaincre, non sans réticence, à lui donner les codes : le mot de passe qui le fait sortir de la lampe et – promesse à tenir – la façon dont il pourra être délivré. Elle l’évoque donc dans le péril où ils sont et il surgit, leur donnant une corde qui permet à Sinbad et à Parisa de s’évader. La princesse, au vu de la terre de feu qui glisse au fond de la faille, se souvient que Barani ne pourra être délivré que si la lampe est jetée dedans. Ce qui est aussitôt fait : on ne s’embarrasse pas de scrupules et de tergiversations, dans l’aventure. Le feu régénère, c’est connu, et le Phénix lui-même en ressort comme neuf.

Mais il faut tout d’abord regagner le bateau. Sinbad raccourcit le dragon et va sortir avec Parisa lorsque surgit le cyclope. Le couple rentre donc et Sinbad a l’idée de faire combattre le mal par le mal, les deux monstres affrontés. Il déchaîne alors le dragon aux quatre pattes et une queue, qui se jette aussitôt sur N’a-qu’un-oeil à deux pattes. Durant la lutte bestiale, Sinbad et Parisa s’échappent et courent vers l’entrée de la vallée, gardée par l’arbalète géante. Laquelle a juste le temps d’être bandée pour transpercer le dragon, qui a égorgé le cyclope, et que le mage traîne derrière lui comme un gros chien d’attaque. La flèche remplit son office et le monstre serpentiforme est terrassé, écrasant Sokurah par une heureuse occurrence. Mais le dragon n’est pas mort. C’est alors la course au bateau avant qu’il ne finisse par expirer sur la grève.

Sinbad a donc gagné sa princesse par toutes ces épreuves initiatiques, destinées à faire d’un jeune homme un homme accompli. Il peut se marier. Et le garçon génie Barani est là qui l’invite et qui l’aime, ayant entassé le trésor du cyclope dans la cabine du capitaine comme un cadeau de noce. Il sera son premier mousse et le suivra dans ses expéditions. Happy end merveilleux du conte, amplifié par Hollywood.

Les effets spéciaux sont spectaculaires pour l’époque et assez bons à nos yeux d’aujourd’hui. Ray Harryhausen a utilisé la technique d’animation en volume Dynamation. Le film a eu un grand succès d’époque et mérite d’être vu.

DVD Le 7ème voyage de Sinbad, Nathan Juran, 1958, avec Kerwin Mathews, Kathryn Grant, Richard Eyer, Torin Thatcher, Alec Mango, Sidonis Calysta 2019, 1h29, Blu-ray €10,78

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Maxime Chattam, L’illusion

Recentré sur la France pendant le confinement, l’imagination reste un peu faible pour ce nouvel opus… jusqu’à la fin. Il faut en effet persévérer avant de voir brutalement, dans les toutes dernières pages, les pièces du puzzle s’assembler dans le tragique et le sadique – à la Chattam. Mais, durant tout le thriller, l’auteur se veut dans la mode tendance d’aujourd’hui, avec ésotérisme, terreur viscérale enfantine, isolement du monde et baise politiquement correcte. C’est un roman pour ados qui me rappelle la série des Mystères d’Enid Blyton avec aventures entre copains et copines et rebondissements convenus. Mais avec la patte du thriller à l’américaine et un montage adéquat. Ça se lit, ce n’est pas un grand cru, trop délayé du ventre avant le finale grandiose.

Hugo est un jeune homme sensible et inquiet, acteur qui n’arrive pas à percer et écrivain raté à ses heures perdues. Il vient de se ramasser dans son couple après sept ans et veut trancher son ancienne vie. Il répond pour cela à une petite annonce, aiguillé par un forum sur le net, qui consiste à être polyvalent d’entretien d’une station de ski familiale l’été dans les Alpes du sud, sur les hauteurs de Guillestre. Une avenante Lily l’accueille à la gare la plus proche, puis le conduit à toute vitesse par une route en lacets à vous rendre malade, vers la station désertée par les touristes de Val Quarios. Elle a été construite par un original, dit-on, Lucien Strafa, un magicien autrefois célèbre selon sa page Wikipedia, qui a brusquement quitté la scène pour créer la station il y a des années après sa 666ème représentation. Elle est en forme de gigantesque A avec un phare sur la pointe, le Vaisseau-mère en guise de trait et les deux bâtiments du Gros B et du Vioc en prolongement. A son habitude, l’auteur fournit un dessin pour situer le paysage. Et Hugo finit par découvrir que le plan est un pentacle.

Sitôt présenté à l’équipe, qui mêle tous les âges au-dessus de 25 ans ainsi que des locaux, Hugo se voit attribuer un appartement. Il peut faire ses courses à l’épicerie ouverte le matin ou manger à la cantine avec les autres, chacun faisant la cuisine à son tour. Sa tâche consiste au début à débiter des sapins trop vieux, malades ou susceptibles de tomber sur la station avec JL, un local, fils de Simone l’épicière. Il passera ensuite avec le vieux moustachu Max pour réparer les chaussures de ski à louer pour la saison.

En ce vaste lieu désert dans la nature, qui rappelle inévitablement Shining, d’ailleurs cité par Lily, d’étranges impressions lui viennent. Un je ne sais quoi de menaçant qui enflamme son imagination au point de parfois lui faire sentir des présences. Comme une araignée géante toute prête à le manger ; ou ce monstre dans la piscine de verre ouverte sur le paysage lorsque l’orage a fait claquer la lumière. « Toujours aller plus loin que la réalité, combler les manques, anticiper le pire, l’horreur de préférence… Si mon cerveau n’avait pas cette déviance, je ne pourrais pas écrire. C’est de ce genre de projections tordues que naissent les romans. Sinon, ce n’est que le monde tel que nous le connaissons, insipide, sans surprise, d’une banalité normalement suicidaire » p.129. Je n’adhère pas à cette conception à la Stephen King de l’existence, révélatrice des angoisses profondes de la psyché que la raison ne peut dompter. L’homme heureux n’a pas d’histoire ; il n’en écrit pas, ajoute Maxime Chattam. Mais Hugo l’impressionnable mal grandi n’est pas au bout de ses surprises.

Il est fasciné par le solitaire magicien qui vit non loin de la station dans un manoir interdit d’accès, gardé par d’étranges sculptures d’être torturés sur les troncs des arbres. Il ne peut que désirer le rencontrer, au point d’enfreindre les interdits, arrimé à la main amicale de Lily avec qui il couche après avoir hésité sur Alice qui s’en va. C’est très gamin, Chattam reprend d’ailleurs des expressions d’ado contemporain venu du vocabulaire gay en évoquant « les bras autour de son torse » alors qu’il ne s’agit que de sa poitrine – à moins d’avoir des tentacules aptes à faire le tour du tronc. Le chapitre 29 écrit en outre une somptueuse description de baise politiquement correcte après le mitou marketing, la montée de l’extrême-femme empêchant de jouir jusqu’au dernier moment, au cas où la fille aurait décidé, entonnée pendant l’acte, qu’il s’agit finalement d’un viol non consenti.

L’une des employée, Alice, est repartie en catimini après ses six mois, alors qu’elle devait dire adieu à tout le monde. Elle a anticipé avec un jour d’avance, soi-disant parce qu’elle n’aime pas les adieux. Mais ne voilà-t-il pas un mystère de plus ? Hugo regrette de l’avoir laissée seule son dernier soir alors qu’il aurait pu baiser – et peut-être en savoir plus. Car Alice ne répond pas au téléphone ni à sa boite mél. D’autres disparitions inquiétantes ont d’ailleurs eu lieu au fil des années dans la station. Quelques personnes sur des milliers, dit la raison, mais quand même, dit l’angoisse imaginaire. Hugo cherche, Hugo entraîne Lily – dont le prénom complet est Lilith, le démon femelle qui a précédé Eve aux côtés d’Adam dans la Bible, et qui peut-être joue Lily pute pour mieux enserrer Hugo dans ses rets. Le jeune homme entraîne aussi Jina dans son délire paranoïaque, l’autre fille qui aime à se faire peur mais pas trop, comme Annie dans le Club des Cinq. Luc Cifer est-il le diable ? Lucien Strafa est en effet un anagramme du démon. Val Quairos est-il conçu comme une gigantesque toile d’araignée qui emprisonne dans sa toile les proies dociles prêtes à être sucées dans leur âme et leur corps ? Hugo a de ces fantasmes d’arachnide géante tapie dans les recoins sombres. Ou y a-t-il plus prosaïquement un tueur en série qui sévit depuis des années, incognito ? Mais alors qui ?

A moins que ce soit pire… Mais tenez jusqu’au bout pour le savoir, si le chemin est banal et parfois répétitif avec ses hallucinations cassées nettes à la fin du chapitre, le finale vaut la lecture.

Maxime Chattam, L’illusion, 2020, Pocket 2022, 538 pages, €8,75 e-book Kindle €8,49

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Hobbit, la trilogie de Peter Jackson

Le Hobbit est la suite qui précède la trilogie du Seigneur des anneaux et prépare la victoire sur les forces de la nuit. Bilbon Sacquet, le grand-père de Frodon, vit tranquillement dans son trou de hobbit de la Comté, plaine de collines verdoyantes où poussent les légumes et paissent les animaux. Il est heureux chez lui, dans ses pantoufles et son fauteuil, un livre à la main pour l’aventure.

Mais l’aventure réelle frappe à sa porte en la personne du magicien Gandalf le Gris qui le somme d’accompagner comme « expert cambrioleur » une bande de treize nains menés par Thorin Écu-de-Chêne. Ils veulent reprendre le Royaume perdu des nains d’Erebor, conquis par le dragon Smaug qui dort désormais sur l’or de la terre tandis que les nains chassés sans rien sont dispersés en diaspora.

Les trois films successifs montrent la quête. Le premier, un brin longuet, les conduit au cœur du Pays Sauvage où ils combattent avec plus ou moins de ruse et de courage Gobelins, Orques, Ouargues, araignées géantes, Métamorphes et sorciers. Effets spéciaux et spectaculaires garantis.

Le second film est à mon avis le meilleur, l’action y est rondement menée et bien découpée, le spectateur ne s’ennuie pas. L’objectif des nains est le Mont Solitaire dans les terres désertiques. Mais le chemin est semé d’ignobles et cauteleux Gobelins dans leurs tunnels. Bilbon y rencontre le Gollum et ramasse son anneau magique qui rend invisible. Mis entre toutes les mains c’est un instrument dangereux, mais Bilbon en fait un usage raisonnable. Lui qui ne se croyait pas courageux se révèle. Il compense sa faiblesse par son intelligence, ce que le magicien Gandalf avait prévu. Parvenu au pied de la montagne, c’est lui qui découvre la serrure cachée par l’énigme de la dernière lumière d’un jour précis alors que les nains, découragés, s’en allaient déjà. Ils pénètrent dans l’antre mais Ecu-de-Chêne envoie le hobbit en éclaireur, le dragon ne pouvant sentir l’odeur de nain. Mais celui-ci se réveille et, s’il épargne Saquet, se bat avec les treize nains qui réussissent à l’emprisonner dans de l’or fondu. Mais sa cuirasse le rend invincible et il ressurgit, furieux.

Dans le dernier film, il va incendier la ville des humains qui s’étend au pied de la montagne. Le petit-fils de l’archer qui a failli jadis descendre Smaug à l’aide de flèches noires spéciales, tente de combattre la bête et, à l’aide de son fils en support pour la dernière flèche, réussit à la loger juste dans l’écaille qui a sauté il y a longtemps. Smaug s’abîme dans les flots du lac. Mais l’or est monté à la tête d’Ecu-de-Chêne et il ne veut rien payer à ceux qui l’ont aidé, malgré sa parole donnée. Bilbon décide alors de ne pas lui remettre l’Arkenstone, la gemme lumineuse symbole du roi des nains qu’il a ramassée dans la grotte. Il la confie à ceux qu’Ecu a spolié. C’est alors la guerre, les treize nains contre une double armée d’elfes et d’humains. Mais Ecu a convié son frère, monté sur un cochon poilu, avec son armée naine et la bataille menace alors que surgissent les Orques et les autres bêtes immondes du mal. Tous font face. Grosse bagarre, effets extraordinaires, morts tragiques et héroïsme individuel. Le mal est vaincu – pour un temps.

Outre l’univers riche des populations crées par Tolkien, celles de la face sombre sont particulièrement bestiales, accentuant leur côté non-humain. Musculature épaisse et sans grâce, lourdeur d’esprit, réparties de banlieue, mufles et trognes de forbans, cicatrices, armes hérissées de pointes montrent tout l’inverse de l’honneur humain dont les elfes sont les spécimens les plus réussis : grands, blonds, élancés, froidement intelligents, experts à l’épée et à l’arc. Les Nains sont un peu comme les Juifs : exaspérants mais obstinés, méfiants mais chaleureux, avares mais industrieux. Bilbon le Hobbit, ni homme ni nain, sert d’intermédiaire de raison entre tous.

Je préfère pour ma part la trilogie filmée du Seigneur des anneaux, mais les fans verront avec plaisir ce prologue qui leur fournira, en près de huit heures, un spectacle onirique sans égal.

DVD Hobbit : la trilogie, Peter Jackson, Un voyage inattendu, 2012, 2h46 ; La désolation de Smaug, 2014, 2h35 ; La bataille des cinq armées, 2015, 2h18, avec Ian McKellen, Martin Freeman, John Callen, Peter Hambleton, Jed Brophy, Orlando Bloom, Warner Bros Entertainment France 2015, standard €19.00 en 3D €69.99

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Thorgal 31, Le bouclier de Thor

Thorgal 31 couverture

Suite de la quête initiée dans Moi, Jolan, où les cinq compères ont réussi à parvenir au château de Manthor à l’aide de leur intelligence, de leur courage, et de leurs talents physiques. Les « pouvoirs » sont en plus et Manthor les en a privés pour les tester. Lorsqu’il leur redonne, dans la salle du petit-déjeuner, c’est aussitôt une suite de défis que se lancent les ados. Ils veulent se mesurer afin d’apparaître comme le meilleur, fille comme garçon. Sauf Jolan, un peu naïf, qui voudrait les voir tous unis.

jolan 15 ans demi nu

Mais quand chacun a pris conscience que la mission devait recourir aux talents des cinq, les voilà tous attentifs : l’engrenage du temps permet un passage entre les mondes durant certaines périodes lunaires. Ce passage est barré par une porte massive aux cinq serrures. Chacun des candidats possède le pouvoir d’en ouvrir une, ils doivent donc collaborer jusque là. Ensuite, ce sera chacun pour soi.

mission des adolescents

Tout se passe au mieux puisque la bande a un but commun et que chacun a pu jauger les autres. Jolan est le seul à vouloir en savoir plus sur Manthor, au lieu de toujours « s’entraîner ». Lui utilise sa tête, pas toujours les autres…

jolan apres l effort

Rosinski est heureux de dessiner l’éphèbe blond aux cheveux flottants et au col dégrafé. Il le réussit mieux que préadolescent aux traits incertains et aux cheveux noués des albums précédents. Ce qui donne quelques postures réussies, malgré l’encrage baroque un brin criard.

jolan ephebe blond

Assommé par une rivale, Jolan se retrouve fort en retard pour aller, au-delà de la porte, dérober le bouclier dans la forge de Thor. Au lieu de se précipiter pour rattraper le temps perdu, il préfère monter en haut de l’arbre Yggdrasill pour mesurer la distance. Il calcule qu’en trois jours il est impossible d’aller et de revenir.

jolan adolescent

Aussi, plutôt que rester bloqué 300 jours du mauvais côté du monde, sous la menace constante de la colère des dieux pour cette transgression, il revient sur ses pas et repasse la porte ouverte.

jolan 15 ans et demi

Au lieu de se mesurer au temps, pourquoi ne pas tenter d’arrêter le temps ? Il suffirait de bloquer provisoirement son mécanisme. Il n’est pas le seul à avoir eu cette astuce, mais comme le fils de duc se rue sur lui, dard pointé, pour l’enfiler de l’épée, Jolan feinte puis l’immobilise. Il trouve tout seul la bonne manière de bloquer l’engrenage du temps. Une branche du fameux arbre Yggdrasill, bien plus solide que tout métal, fait l’affaire.

Jolan a alors tout le temps qu’il lui faut pour aller dans la forge de Thor, prendre le bouclier, et le ramener sans aucun danger, dieux, humains et monstres restant figés dans leur dernière posture. Ses concurrents surtout : l’un sur le point d’être écrabouillé par le marteau de Thor, l’autre d’être grillé par un dragon, une autre d’être avalée par une plante carnivore. Jolan, élevé par un Thorgal qui n’a jamais abandonné personne à son sort, ne peut se résoudre à jouer perso, malgré sa victoire. Il fait charger tous ses concurrents sur un charroi tiré par les poupées animées par Manthor qui lui servent d’assistants.

jolan elu de manthor

Bien qu’ayant sauvé la vie des autres, ceux-ci ne sont guère reconnaissants et il faut les forcer pour qu’ils ravalent leur orgueil et lui fassent « allégeance ». Ayant conquis le bouclier de Thor, il est désormais le seul « élu » de Manthor. Intelligent, courageux, généreux, l’adolescent passe brillamment les épreuves. Il fait jouer sa tête avant ses bras, n’hésite pas à se lancer dans le danger après l’avoir calculé, mais n’a aucun ressentiment envers les autres malgré leurs coups tordus. C’est un éphèbe idéal de la vertu antique, un exemple pour les égocentrés narcissiques produits par notre époque. La mission n’est pas terminée, mais ce sera pour un autre album.

aaricia a attire le malheur

Car, pendant ce temps, la bêtise obstinée d’Aaricia a attiré une fois de plus le malheur sur la famille. Elle est allée voir une sorcière pour connaître l’avenir réservé à Jolan ; le destin l’a punie pour cette démesure. La vieille rusée apprend plus d’elle qu’elle ne lui apprend et, par son espion (un beau chat noir au poil luisant), écoute Aaricia dévoiler ses supputations à Thorgal. La sorcière ne peut donc qu’en profiter et, pour être admise dans la Confrérie de la Magie rouge, son rêve, elle n’hésite pas à convoquer de puissants magiciens : Aniel est le petit-fils secret de Kahaniel de Valnor, pétrifié par les dieux. A ses dix ans, il manifestera son pouvoir à travers l’enfant.

la sorciere apprend tout d aaricia

Surtout que l’esprit magicien croit deux fois plus vite que le corps humain… Il faut donc faire vite et Aniel est enlevé à celle qui se voulait comme sa mère, ainsi l’a-t-elle promise un peu légèrement à Kriss de Valnor.

bateau viking sur la mer

Aaricia a donc échoué, et voilà Thorgal reparti en errance par sa faute, à la recherche du bambin perdu… Un clin d’œil de Jolan dans le ciel, via Manthor, lui permet cependant d’être conforté dans cette ultime quête.

Rosinski & Sente, Thorgal 31, Le bouclier de Thor, 2008, éditions Le Lombard, 48 pages, €11.40

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Thorgal 29, Le sacrifice

Thorgal 29 couverture

Jolan a grandi, Thorgal est forfait, le dessin change. Rosinski passe de la ligne claire, plutôt classique, à une gouache baroque style heroïc fantasy. Je n’aime pas cette concession au style jeu vidéo, les personnages sont moins purs, brouillés dans un flou émotionnel, plus sombres. Le classicisme recule au profit de cette espèce de romantisme noir dont les vampires, les morts-vivants et autres monstres venus du passé ou de l’espace peuplent l’imaginaire des années 2000.

Je ne crois pas que le message véhiculé soit plus clair. L’inconscient serait même à la régression, dont on sait ce qu’elle a donnée dans les années 30.

La petite famille erre dans la campagne avec Thorgal en légume sur un traineau. Empoisonné puis naufragé, il est très atteint, d’autant qu’il a vieilli. La fin de l’album montrera même ses tempes grises.

A Jolan, le fils adolescent, de prendre le relai. Mais le gamin n’use encore de ses pouvoirs que négativement, pour détruire et non pour reconstruire.

jolan use de ses pouvoirs

Il n’est pas fini et il lui faudra apprendre, ce qui ouvre de nouvelles perspectives aux aventures.

vigrid dieu blond

Au moment le plus noir, affamés, sans forces, à la fin de la nuit, sous la pluie froide du nord, Aaricia ne trouve d’autre ressource que d’invoquer les dieux. « La déesse Frigg l’entend » (hum !) et envoie par l’arc-en-ciel Bifrost (le chemin entre Asgard et Mitgard) Vigrid, petit dieu faune, joli blond aux yeux en amande qui plaît beaucoup à Louve. Il intervient juste à temps pour empêcher le seigneur du lieu de décapiter Thorgal, d’éventrer ses mômes et de griller sa femme après avoir fait passer tous ses hommes dessus. Le soudard brut, que Jolan a fait plonger dans ses propres douves la veille pour avoir refusé avec mépris de les aider, est mis en fuite par Vigrid sous l’apparence d’un ours gigantesque.

Il redonne vie à Thorgal pour seulement deux jours, à condition qu’il accomplisse une mission dans l’entremonde. Mais il n’a pas le temps d’en dire plus qu’Odin foudroie Thorgal et le dissout dans les airs. Jolan, voulant le retenir, s’accroche à lui et est aussi emporté. Père et fils se retrouvent dans un monde parallèle, situation déjà vécue par l’enfant des étoiles. Magique ! C’est ainsi que l’on fuit la réalité.

jolan tire une fille a poil

Thorgal parfait l’éducation de Jolan en lui ordonnant de ne pas se fier aux apparences et de pointer les belles femmes à poil qui s’offrent à ses yeux. Subtile allusion aux 15 ans de l’adolescent, sensible aux charmes féminins. La seule vraie Gardienne des clés porte sur sa vulve la ceinture d’immortalité qui l’empêche d’être atteinte par la flèche, mais pas les autres, qui se révèlent d’infects insectes.

jolan incite thorgal a se battre

La mission est de retrouver un héros de l’entremonde, fils d’une déesse qui a fauté avec un humain, transgressant ainsi les lois du cosmos. Manthor est le magicien qui guérira Thorgal, mais il faut le découvrir. Pour cela distinguer une porte entre les mondes, une faille provisoire.

jolan secoue par thorgal

C’est la mission de Jolan, et il l’accomplit sans le savoir : on ne peut passer d’un monde à l’autre que sans y penser… Jolan, épuisé par le froid et les épreuves, disparaît sous les yeux de Thorgal qui met deux pages à trouver comment avant de le suivre.

Pendant ce temps, Aaricia et la marmaille sont transportés par la barque de Vigrid qui vole au-dessus des flots jusqu’à son village natal des Vikings du nord. Deux préados qui s’amusaient à quelques jeux sexuels sur la boue de la rive, n’en croient pas leurs yeux : « il n’y a que dans les rêves qu’on voit une barque voler », dit le garçon Bjarn à la fille Helgi. Quand ils racontent cela aux ménagères de moins de 50 ans qui forment, comme partout, la sagesse des nations, la rumeur médisante veut que « la sorcière » ait fait un pacte avec les démons. Il faut donc la bannir à nouveau – pour garder ses biens distribués entre toutes les mégères. Mais le tribunal démocratique des mâles adultes, le thing, en décidera autrement.

Les avatars de la famille se croisent avec ceux du père et du fils. Thorgal plonge malgré lui dans « l’eau d’or » qui donne accès à l’entremonde de Manthor, mais se retrouve comme toujours épuisé sur le rivage d’une île rocheuse où de gigantesques crabes s’avancent pour le dépecer. Incarnations symboliques de sa maladie, peut-être, le crabe étant l’image du cancer qui dévore les intérieurs. C’est Jolan, amené par le providentiel Vigrid, qui tue les monstres, à coup de flèches, puis d’épée, symboles phalliques appropriés par l’adolescent. Le gamin est devenu un mâle et crie sa victoire au monde entier.

jolan vainqueur du crabe

Vigrid ne peut cependant l’aider plus et doit rejoindre le monde des dieux. C’est à Jolan de jouer. Manthor lui demande sa vie contre celle de son père et le gamin accepte.  Le sacrifice est celui du fils pour le père, une inversion des valeurs courantes où les parents se sacrifient plus volontiers pour leurs enfants, une utile leçon aux petits narcissiques des égoïstes parents soixantuitards. Mais donner sa vie n’est pas forcément mourir…

jolan donne sa vie

Manthor guérit Thorgal, Jolan découvre l’énigme classique qui permet de choisir la bonne porte entre un menteur et un qui dit toujours la vérité. Ce n’est pas dit dans l’album, Jolan promet à Thorgal de lui apprendre, émancipé déjà (il sait des choses que son père ne sait pas). Pour résoudre le dilemme, il suffit de demander à l’un si l’autre dit vrai, puis de demander à l’autre quelle est la bonne porte – puis de choisir celle qui n’a pas été désignée.

Père et fils, rhabillés et réarmés, retrouvent leur monde. Ils affrontent les mégères puis le thing du village et une vie paisible se profile alors pour un Thorgal fatigué, nanti d’un fils de plus qu’Aaricia a fait sien.

Jolan doit honorer sa promesse. A 15 ans, il part accomplir son initiation auprès de Manthor, à qui il a donné « sa vie » pour quelques années. Le nom rappelle le Mentor ami d’Ulysse à qui il avait confié l’éducation de son fils Télémaque.

depart de jolan 15 ans

Adieux émouvants du père éreinté par 29 aventures et du fils aux forces toutes neuves qui va découvrir son avenir. Car si « nous ne sommes pas toujours maîtres de nos destins », lui enseigne Thorgal dans une dernière étreinte virile, il est pour cela nécessaire de rester « droit, vaillant et heureux ». Ne pas oublier le bonheur : la vie pour s’accomplir n’est ni un chemin de croix ni une vallée de larmes, mais le choix d’une vie bonne entre roses et épines. La philosophie viking est ici et maintenant, bien loin de la démission chrétienne toute entière tournée vers « l’autre » monde – que certains aujourd’hui continuent de traduire en « autre » politique.

L’adolescent a grandi, il doit se séparer des siens, période émouvante où l’attrait de l’aventure se mêle au regret de quitter l’affection du cocon. Mais telle est la vie, tous les ados doivent l’affronter. Jolan, nul n’en doute, en sera digne. Dommage que le dessin gouaché lui rende moins bien hommage.

Rosinski & Van Hamme, Thorgal 29, Le sacrifice, 2006, éditions Le Lombard, 48 pages, €11.40

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